La Ca d'oro, la "maison d'or" est un des plus beaux hôtels particuliers de Venise.
Sa façade gothique de marbre blanc se contemple dans les eaux vertes du Grand Canal. Certains de ses éléments décoratifs étaient recouverts de feuilles d'or, aujourd'hui disparues.
Elle abrite quelques oeuvres immenses que l'on a le temps de regarder sans être gêné par les visiteurs.
C'est une particularité de Venise : une foule bruyante, accompagnée d'enfants aux voix aigües, des groupes serrés derrière un guide qui brandit un petit drapeau, des dévoreurs de crèmes glacées, des touristes quoi, dont nous faisons partie, et puis, passée la porte des musées et des églises, fraîcheur, silence, recueillement...
La Ca d'Oro en ce printemps 2023 poursuit d'importants travaux qui interdisent l'accès au 1er étage, mais peu importe, c'est au 2ème que Saint Sébastien nous attend.
Après la mort de Sollers, j'ai voulu revoir Venise avec son "dictionnaire amoureux".
Il m'a souvent irrité, notamment quand il se mêle de donner son avis péremptoire sur les peintres exposés à la Fondation Guggenheim et quand il juge "pathétique ou à mourir de rire" ce coin de jardin où Peggy Guggenheim a voulu être enterrée avec tous les chiens de sa vie.
Mais quand il parle de Tintoret, de Carpaccio ou de Mantegna, il capte de toute ses cellules la vibration de leur génie. Aussi je ne peux m'empêcher de citer ce qu'il écrit de ce Saint Sébastien.
"C'est un énorme chef d'oeuvre. Le corps torsadé du saint, les mains liées derrière le dos, s'enlève, criblé de flèches venant de tous les côtés. Il y en a au moins dix-sept, on les entend vibrer et entrer dans les chairs, elles construisent le tableau comme une cage ouverte.
L'oeuvre est puisamment autobiographiqe et fantasmatique. Impossible de ne pas être atteint par son intensité masochistement érotique.
Ce tableau est tellement déplacé dans l'atmosphère peu sanglante de Venise qu'il rafle la mise pendant un instant d'abîme. Un instant qui dure, puisque le martyre à l'arc est sans arrêt relancé. Supplice dans une maison d'or : un comble.
Mantegna, toujours en plein dans la cible, a peint une des plus belles Résurrections qui soient."
Sollers a ressenti le mystère sacré de ce martyr, cet homme torturé qui ne meurt pas. On ne représente jamais Saint Sébastien mort. Il vit par son martyre. Il reste debout, tourné dans un mouvement puissant vers le ciel. Phénix renaissant de ses cendres, il renaît de ses flèches.
Regardons son visage. un oeil est presque fermé, presque mort, l'autre est grand ouvert et regarde vers la lumière. La bouche à moitié ouverte se crispe mais une esquisse une prière.
La chevelure est parcourue par le vent qui vient de la droite, du côté de l'oeil ouvert. Côté de la vie, de l'Esprit.
Mishima photographié en Saint Sebastien
Sollers évoque Mishima qui fut fasciné par l'image de Saint Sébastien dont l'érotisme a fait une icône gay. Mais c'est le Sébastien de Guido Reni qui attirait l'écrivain. Un Sébastien moins violent, presque féminin, le visage apaisé, le corps touché plus que traversé par quelques flèche, le pagne se défaisant sur le pubis.
Rien de tel chez Mantegna. Sébastien criblé de flèches est puissant comme un atlante. Son visage qui n'a rien de "joli" est travaillé par la souffrance et par l'aspiration vers la libération et l'envol.
Ier mai. Cherchez Loulou entre le muguet et Bouddha!
2 mai. Chienne de vie! (square Nadar).
3 mai. Le môme aux pigeons. (Square Louise Michel).
4 mai. Les mariés en contre jour. (Rue du Chevalier de La Barre).
5 mai. Joueur de oud. (Place du Calvaire)
6 mai. Têtes de pierre, tête de chair. Café rue du Mont-Cenis.
7 mai. Les 2CV à l'assaut de la Butte (rue Chevalier de La Barre)
8 mai. Artiste place du Calvaire. Le Cri.
9 mai. Soleil sur l'Elysée Montmartre. (bd de Rochechouart).
10 mai. D'accord mais en douceur! (Place du Calvaire).
11 mai. La pluie des glycines. (Square de la Turlure, Bleustein-Blanchet).
12 mai. Moment de trêve. Allée des Brouillards.
13 mai. Enfin du soleil sur la Butte!
14 mai. Attente; Rue du Mont-Cenis.
15 mai. Solitude du peintre; Place du Tertre.
16 mai. L'enfant aux pigeons. Place Jean Marais.
17 mai. Ressemblance. Rue du Cardinal Dubois.
18 mai. les iris jaunes de l'Ascension.
19 mai. Attente inquiète. viendra-t-elle devant le mur des "Je t'aime"? (Square Rictus)
20 mai. Chez Bachir, les glaces libanaises. Rue Tardieu.
21 mai. Et mes cheveux, tu les aimes mes cheveux? (Square Louise Michel).
22 mai. Saison des amours (Square Louise Michel)
23 mai. Car la vie est un manège. (Carrousel du square louise Michel).
24 mai. Madame Corneille dans son arbre perchée.... ne tient pas en son bec, un fromage... (Boulevard Marguerite de Rochechouart).
25 mai. Mythe de Sisyphe version moderne!
26 mai. Nez à museau. Un sourire qui fait briller le soleil.
27 mai. T'as d'belles lunettes tu sais!
28 mai. "Qu'il est bleu le ciel et grand l'espoir".
29 mai. Paris et le désir de s'envoler au-dessus des toits.
30 mai. La vie en rose.
31 mai. L'enfant aux nymphéas, jardin Renoir rue Cortot.
Mai s'achève en beauté. Le mois où l'on fait ce qu'il nous plaît (paraît-il!).
Je publie l'album alors que je suis à Venise après des années d'interruption COVID. Et je trouve que cette photo du violoniste de la rue des Saules, jouant Vivaldi, est la transition idéale entre Montmartre et la ville du Moine Roux.
Voilà que j'arrive une fois de plus après la bataille! L'exposition de peinture à la Commanderie est terminée depuis une semaine.
Le 21ème salon des Artistes Lepic-Abbesses a fermé ses portes le 7 mai!
Cette expo est pourtant ce qui correspond le mieux à l'esprit du Montmartre que nous aimons, celui des rêveurs, des artistes.
Modeste, vivante, talentueuse... elle réunit des peintres qui aiment partager les couleurs de leurs rêves.
Leur professeur, Christian Mangin, peintre lui-même les guide dans leur apprentissage. Il n'a pas la grosse tête et son abord est chaleureux.
J'ai choisi dans cet article quelques oeuvres exposées à la Commanderie et j'ai dû à regret écarter celles qui étaient encadrées sous verre. Mon appareil photo ne supportant pas les reflets et les irisations qui mangent dessins et couleurs.
Gabriel Froget
J'ai donc retenu quelques toiles qui m'ont aussitôt plu. Si j'excepte Gabriel Froget dont j'ai parlé récemment, ce sont des toiles peintes par des femmes. Moi qui aime tant Valadon, je reconnais que ça m'a fait plaisir, cette année où de grandes expositions redécouvrent la fécondité et l'originalité des femmes injustement négligées (Eva Anna Bergmann au MAM, Françoise Petrovitch au musée de la Vie Romantique, les femmes surréalistes au musée de Montmartre....)
Dès l'entrée dans l'octogone néo Renaissance de la Commanderie, c'est le rouge qui attire mon regard. Et si le poète Alain Duault parle de "rouge comme un chat", voulant dire que le chat est si particulier, si beau, si étrange qu'il attire le regard comme le fait la couleur rouge, avec Alice Sauvages, nous pourrions dire "rouge comme un ibis".
L'oiseau rouge s'impose, sur un carrelage bleu près d'une baignoire d'angle qui s'emplit non pas d'eau mais de feuilles vertes. La pièce s'ouvre sur la nature, sur les herbes folles et les fleurs qui tournent comme des moulins à vents. Atmosphère onirique, traversée du miroir bien naturelle quand on s'appelle Alice... et... Sauvages
D'Alice Sauvages encore cette "poupée" seule et fragile devant un vase au décor de tiges-tentacules, tandis que derrière la fragile protection de la verrière passe un oiseau armé d'un bec menaçant. Une scène comme un rêve que l'on livrerait à son analyste.
D'elle enfin ces nuages qui se referment sur le soleil. Ce ne sont pas "les merveilleux nuages" de Baudelaire mais ceux qui font naître la nuit. Il faut vite profiter du dernier soleil qui va toucher l'horizon.
C'est une autre artiste, Stéphanie Mc Corry qui a peint cette "orque". Curieusement, le tableau fait écho à la poupée rousse et à l'oiseau qui vole contre les vitres d'Alice Sauvages. Ici la fillette, protégée par la serre de verre, regarde sans peur l'animal qui semble sourire et prend des allures de dauphin alors qu'il est un un super prédateur, appelé par les Anglais "baleine tueuse". La fillette se sent à l'abri, elle ne craint pas ce "dauphin". Abri illusoire? Rencontre redoutée et espérée peut-être avec l'inconnu? Virginité menacée? Libre à vous de libérer votre imagination devant cette belle toile!
Toujours de Stéphanie Mc Corry "La fête est finie". La jeune fille, une flûte à la main est lasse et pensive sur les divans qui ressemblent à des algues. La boule scintillante qui tournait au plafond est tombée. Des méduses flottent dans leur aquarium. Quelques serpentins survivent sur le sol. Une scène qui, une nouvelle fois, laisse libre cours à notre imagination. Quand peinture et poésie sont indissociables...
"Le Lecteur". Le garçon est happé par sa lecture mieux que par un écran. L'univers des contes et des aventures prend vie autour de lui, avec lui. Il s'envole avec la fusée qu'il chevauche vers les galaxies. C'est "L'enfant et les sortilèges" mais apaisé, sans la violence du conte de Colette!
Deux toiles encore de Stéphanie Mc Corry. "La Cité des artistes", la nuit, sous un éclairage de réverbères qui fait briller les pavés. Paysage urbain qui sans artifices, sans trucages, transmet poésie et vague inquiétude.
"Batiment B" est lui sous un grand ciel bleu, précis, frappé par la lumière. En général à Paris, les bâtiments qui ne sont pas en façade se gagnent en passant des cours sinistre. Ici il revendique fièrement sa lettre B! Le soleil lui donne sa beauté et son assurance.
Avec Claude Vigneau nous découvrons des paysages apparemment plus classiques. Mais c'est oublier dans "Invararay" le ciel tourmenté et son miroir sur lequel le bateau rouge à côte du voilier noir flotte comme flottent les drapeaux.
Et que dire de ce paysage bucolique "Higland cattle" qui rappelle à la fois l'art que l'on dit à tort "naïf" de Rousseau et celui, atttentif et lumineux de Rosa Bonheur.
Place Dullin. Théâtre de l'Atelier
Je ne résiste pas au plaisir de proposer deux toiles qui ne font pas partie de l'expo. Elles sont de Claude Vigneau et montrent notre Montmartre, comme le faisait Utrillo, avec fidélité et aussi, comme lui, sensibilité et poésie.
Rue Norvins
Pour terminer en musique, un dernier tableau de Brigitte Galinon : l'Opéra Garnier avec un relief, une lumière, un charme qui nous font regretter de ne pas voir plus de toiles de cette artiste.
Une belle découverte pour moi que ces peintres de grand talent et cet atelier dirigé par Christian Mangin. J'espère que l'année prochaine je serai plus attentif et présenterai dès le premier jour le 22ème salon des Artistes Lepic-Abbesses!
Je pense, en voyant ces toiles à ce qu'écrivait Janson :
"Il ne faut pas peindre ce qu'on voit, il faut peindre ce qu'on sent. La ligne du dessin doit toujours être un peu la ligne du coeur .. prolongée."
Sarah Bernhardt avait un tigre, couleur noir et or...
Il montait la garde dans son hôtel particulier et impressionnait les visiteurs...
La diva avait une passion pour les fauves et les félins, à la manière de son époque où rares étaient ceux qui se préoccupaient de la souffrance animale. N'est pas Louise Michel qui veut!
Elle posséda, à certaines périodes de sa vie, une arche de Noé composée de caméléons, de singes, de pumas, de crocodiles.
Animaux dont elle se défaisait dès qu'ils devenaient encombrants.
Elle acheta même à Mr Cross un lionceau qu'elle exposa dans une cage dans son hôtel. Au bout d'une semaine la puanteur était telle que le lionceau fut renvoyé à son vendeur.
Et son tigre?
Eh bien il entra chez elle et y resta des années malgré sa belle taille : 88 cm de haut, 1 m35 de long.
Son âge exact, nul ne le sait vraiment. Il a vu le jour entre le début du XVIIIème siècle et la première moitié du XIXème, au Japon, pendant l'époque Edo.
Il a été acheté par Siegfried Bing, célèbre vendeur d'art japonais qui participa à la mode japonisante dans la création française. Sarah en fit l'acquisition dans son magasin de la rue Chauchat "Fantaisies Japonaises" où il était exposé et faisait l'admiration de tous les amateurs.
Il lui en coûta 6000 francs, environ 25000 euros!
Il est exceptionnel et mérite bien ce prix! De laque et d'or, il semble avoir été surpris et, queue dressée, se mettre en position d'attaque, les yeux (de verre) exorbités.
Réaliste et fantastique à la fois, il impressionne et fascine….
La patte avant droite porte une encoche qui laisse penser que manque une partie de la sculpture. Peut-être une proie maintenue au sol...
Il se sentait bien chez Sarah, ne dérangeait personne, n'avait d'odeur que celle de l'encens qu'on faisait brûler devant lui...
Bref, il jouait son rôle décoratif à merveille jusqu'au jour où...
Nous sommes en 1895, Sarah joue dans une pièce de Victorien Sardou, "Théodora". Elle connaît toujours le succès mais ses dépenses folles menacent son équilibre financier.
Il faut trouver au plus vite de quoi apaiser les créanciers dont la meute ne recule pas devant la gueule menaçante du tigre.
Si l'on en croit Edmond de Goncourt, elle écrit à Cernuschi pour lui proposer d'acquérir l'animal :
" Je suis pauvre comme mon aïeul Job. Voulez-vous m'acheter 3000 francs un tigre que j'ai payé 6000 francs chez Bing? … Mais j'ai besoin d'argent tout de suite… Je m'adresse à vous, parce que mon tigre est superbe et japonais."
Et voilà comment , bradé à la moitié de sa valeur, le magnifique félin rejoint la collection Cernuschi.
Il y est à l'honneur mais il garde quelque chose du prestige de son ancienne maîtresse car dans sa vitrine, son curriculum vitae rappelle qu'il fut "LE TIGRE DE SARAH BERNHARDT".
2 avril. La meilleure tenue pour visiter Montmartre incognito
3 avril. "Oui mais il parle aux oiseaux". Boulevard Marguerite de Rochechouart.
4 avril. La chevauchée fantastique. Carrousel du square louise Michel.
5 avril. Un trio original. Boulevard de Clichy.
6 avril. La curiosité du mannequin. Boulevard Marguerite de Rochechouart.
7 avril. Le printemps des arènes de Montartre.
8 avril. Fenêtre rue Nodier.
9 avril. Dalida! Au secours MeToo!
10 avril. Naïve jeunesse...
11 avril. Futurs champions à l'entraînement rue Chaptal
12 avril. Princesse mélancolique sur le carrousel du square Louise Michel.
13 AVRIL. La chatte libre de la place du Calvaire. Superbement ignorante de la foule des touristes!
14 avril. Balade en amoureux, rue du Mont Cenis.
15 avril. Les yeux fermés. Place du Calvaire. La mal nommée!
16 avril. La rue Poulbot avant l'orage.
17 avril. Maupassant serait-il soporifique?
18 avril. Le hula hoop redevient à la mode! Rue du Chevalier de la Barre.
19 avril. Si la pluie fait sortir les escargots, le soleil sur la Butte fait sortir les amoureux! (Square Louise Michel)
20 avril. Au péril de la vie! (Rue Cardinal Guibert)
21 avril. Enlever une poussière dans l'oeil de son compagnon.
22 avril. Déclaration d'amour place du Calvaire.
23 avril. Petit museau doit être propre! (Square Nadar)
24 avril. Après l'averse. Le pigeon dans l'arc en ciel. (Rue Feutrier).
25 avril. Le mangeur de glace égoïste!
26 avril. Les chanteurs rue du Calvaire. Ou le réveil du serpent.
27 avril. On promène les bébés. (Place Saint-Pierre.)
28 avril. De l'intérêt des 2 CV décapotables! (Rue Cardinal Dubois).
29 avril. Sur les pavés la plage! (rue du Chevalier de La Barre).
30 avril. Repos du koala! (Square Saint-Pierre).
Et maintenant voici le mois de mai "le joli mai d'Apollinaire". "Mars et Vénus sont revenus....Et sous les roses qui feuillolent.... De beaux dieux roses dansent nus."
Pour la 2ème année la Commanderie accueille un peintre que nous avions découvert l'an dernier et qui nous avait impressionné par la précision de sa touche et l'ampleur de son imagination.
La première toile qui attire notre regard et nous invite au silence et au voyage semble droit venue du romantisme allemand par son étrangeté et sa poésie.
"La vie ne vient pas à nous".
Ce qui frappe tout d'abord c'est l'atmosphère de la toile. Celle d'un rêve ou d'un cauchemar avec ces trouées de lumière dans un ciel de plomb. Les couleurs, la précision, la composition nous disent que nous sommes en présence d'un peintre qui a sans doute été, comme tous les artistes en devenir, à l'école de grands devanciers, mais qui a dépassé le stade de l'imitation.
Libre à nous d'interpréter cette vision. Devons-nous, à la seule force de la volonté, naviguer sur une eau épaisse et nocturne pour accoster enfin sur une île où grandit l'arbre de vie et où une possible rencontre nous attend?
Mêmes teintes de gris et de miroir dans ce paysage romantique de montagnes, de lac, de château qui se confond avec les roches. "Peu de choses en somme". Tel est le titre de cet immense panorama sans autre trace d'humanité que ce château déserté. Mais en y regardant de plus près, on distingue une petite silhouette en marche. Peu de chose mais pourtant un vivant qui chemine dans l'implacable immensité du paysage.
Retour de la couleur et du ciel avec cette grande toile "D'une relation compliquée". On pense bien sûr au Petit Prince et au lent apprivoisement nécessaire pour devenir amis et solidaires. Pourquoi ce titre? S'agit-il de la relation de l'homme avec la nature? Cette nature qui est là, éclatante, quand les monuments construits par l'homme sont en ruines? Quand l'homme fier de sa force combat les animaux sauvages?
C'est cette vision qui apparaît dans le ciel d'azur. Une vision qui semble appartenir à un autre monde que celui de l'enfant et du renard. J'aurais tendance à récupérer cette allégorie pour y voir l'espoir d'un monde réconcilié avec la nature tandis que subsiste, menaçant et prêt à repartir en guerre, le désir qui se croit viril de dominer et détruire.
Un arbre dont les feuilles attestent qu'il n'est pas mort, au bord d'un monde englouti où quelques sommets émergent des brumes...
C'est ce tableau que le peintre a choisi pour l'affiche de son exposition
"Ils étaient là".
Un tissu rouge est resté accroché à l'arbre, seule trace d'un moment heureux peut-être, d'une rencontre... Dérisoire souvenir, comme le sont les ruines, de la vie qui se croyait immortelle. Voilà un tableau qui illustrerait les poèmes de Supervielle.
C'est beau "D'avoir senti la vie, Hâtive et mal aimée, Et de l'avoir enfermée, Dans cette poésie".
"La fin du cycle".
Magnifique toile, symphonie d'ombres et de lumières, d'éléments qui sont ceux d'une genèse où tout sera possible. Violence et fragilité, et toujours, perdue dans l'immensité, une silhouette, seule, témoin de la fin du monde et du renouveau. Toile romantique s'il en est. J'aime cet arbre tombé au dessus du gouffre et qui, s'il va mourir, va également permettre le passage d'une rive à l'autre.
D'autres toiles, si elles montrent la même maîtrise technique, se rapprochent du surréalisme. La sphère mystérieuse comme la pierre noire de 2001 de Kubrick, se déplace dans un monde minéral où les ruines elles mêmes sont falaises.
L'arbre si présent dans l'univers du peintre se tient debout comme une sentinelle. On ne sait quelle promesse de vie tient dans l'astre solitaire qui passe dans cet univers pétrifié comme passait la mince silhouette de "Peu de choses en somme" et comme était en attente celle de "La vie ne vient pas à nous".
Quelques dessins sont exposés dont celui que je préfère (je ne cherche pas à être objectif!)
Attente
L'exposition de Gabriel Froget se termine le 29 avril et je regrette d'avoir été absent et de n'avoir pu en rendre compte plus tôt.
Mais ce n'est que partie remise car je suis intimement persuadé que ce peintre ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Son art maîtrisé va s'incarner dans des œuvres qui ne seront qu'à lui. Les influences s'estomperont pour laisser place au monde qui est le sien où lumières et ombres s'affrontent et où l'on sent la solitude et l'inquiétude combattues par un désir puissant de vie et de rencontre.
Apparemment il aurait existé une place Ravignan à Montmartre si l'on en croit les clichés et cartes postales que l'on retrouve en abondance.
Et, mystère montmartrois, il en aurait existé non pas UNE mais DEUX!
La première aurait été la continuation de la rue Ravignan qui après quelques marches s'élargit devant le Bateau-Lavoir avant de reprendre son cours jusqu'à sa jonction avec la rue Gabrielle.
Elle faisait partie en réalité de la RUE Ravignan qui s'élargit sur une quarantaine de mètres après les quelques marches. Elle n'a jamais porté officiellement le nom de place, n'en déplaise aux nombreux clichés qui la présentent sous ce nom. Utrillo qui comme l'on sait, peignait souvent en reproduisant des cartes postales, a lui aussi appelé "place Ravignan" certaines de ses œuvres.
Place Ravignan (Utrillo)
Ce qui est certain c'est que dès 1911, elle est détachée de la rue Ravignan pour devenir la place Emile Goudeau. Il n'empêche que de nombreux Montmartrois ont continué de lui donner un nom qu'elle n'avait jamais porté.
La rue Ravignan dépossédée de cet espace arboré continue son chemin vers les hauteurs comme une rivière qui disparaît soudain en s'enfonçant sous terre pour rejaillir, plus vigoureuse encore un peu plus loin.
Rue Ravignan après la place Emile Goudeau (à droite rue Berthe, à gauche rue d'Orchampt)
C'est au niveau de la rue Berthe que s'accomplit cette résurgence.
Mais elle ignore notre chère rue Ravignan qu'elle va de nouveau être amputée, un peu plus loin, un peu plus haut. Cette nouvelle spoliation se fera à sa rencontre avec la rue Gabrielle.
C'est en effet à cet endroit qu'elle finit aujourd'hui sa course, rencontrant le petit immeuble où Picasso eut un atelier et où mourut son ami Casagemas.
Naguère, la rue Ravignan ne s'arrêtait pas en si bon chemin, elle tournait quasiment à angle droit et poursuivait plein nord jusqu'à la rue Norvins. Seul son côté pair était bâti, du numéro 22bis au numéro 34. L'autre côté donnant sur un terrain devenu vague et inconstructible depuis que la guinguette "La Tour de Montmartre" avait été engloutie par un fontis.
Ancienne rue Ravignan devenue un des côtés de la place Clément.
La rue Ravignan arrivant rue Norvins. La boulangerie devenue bazar.
Quelques vieilles maisons qui ont connu le temps où elles étaient rue Ravignan!
Avant la création de la place Clément. On voit que l'endroit était appelé "Place Ravignan" et parfois "rue Ravignan".
Exit la rue Ravignan et ses derniers numéros (transformés en numéros 2 à 12) lorsque fut créée par un décret de décembre 1905 (effectif en 1906) la place Jean Baptiste Clément.
sur la droite la rue Ravignan, sur la gauche la rue Feuchère et au fond la rue Lepic.
Cette place est un triangle dont le côté nord est la partie extrême de la rue Lepic dont les numéros 97 à 101 sont devenus les numéros 7 à 11 de la place
Arrière plan, la rue Lepic et le Réservoir.
Le côté ouest était formé par une vieille rue, trop courte pour subsister, qui allait de la rue Ravignan à la rue Lepic.
Il s'agit de la rue Feuchère dont les numéros 1 à 3 subsistèrent, augmentés d'un 5, sur la nouvelle place.
Ancienne rue Feuchère (aujourd'hui place J.B. Clément)
Souvenons-nous un instant de cette modeste rue du haut Montmartre qui honorait le sculpteur Jean-Jacques Feuchère (1807-1852).
La rue Feuchère à gauche (un des rares clichés où elle est mentionnée)
Beaucoup de rues de Montmartre rendent hommage à des sculpteurs ou des graveurs, à commencer par Pigalle en passant par Pilon, Houdon, Coustou, Androuet, Girardon etc...
Jean-Jacques Feuchère malgré sa courte vie fut très sollicité et nous passons souvent à Paris devant ses sculptures ou bas reliefs en ignorant leur auteur...
Le cavalie arabe au pont d'Iéna (Feuchère)
Le passage du pont d'Iéna sur l'Arc de Triomphe (Feuchère)
La liste serait trop longue mais contentons nous de mentionner son Bossuet de la Fontaine Saint-Sulpice, son cavalier arabe du pont d'Iéna, sa prise du pont d'Iéna de l'Arc de Triomphe, sa "Loi" place du Palais Bourbon, ses statues de la fontaine nord de la place de la Concorde...
Et voilà! Cette place Ravignan, comme celle située plus bas, N'A DONC JAMAIS EU D'EXISTENCE OFFICIELLE sinon dans la langue montmartroise qui donnait à ce terrain vierge le nom de la rue qui le bordait, le vieux chemin qui depuis des temps anciens montait, en courbes capricieuses jusqu'au cœur du village
Notre enquête s'achève sur ce constat qui évitera peut-être des recherches aux collectionneurs de cartes anciennes, dont certains sont des amis.
Place Jean Baptiste Clément (Utrillo)
Nous quittons ce lieu haut perché avec notre Jean Baptiste (sans trait d'union, comme il le voulait pour se différencier de son père Jean-Baptiste Clément), communard, homme au grand cœur, Montmartrois d'âme et de corps puisqu'il eut non moins que 12 adresses sur la Butte, poète bien sûr. Une place où les merles moqueurs s'en donnent à bec joie et où nous revient sur les lèvres la chanson si souvent chantée par nos anciens, chanson qui évoque le printemps éphémère et la couleur des cerises, couleur de la vie et du sang
Place Jean Baptiste Clément (Utrillo)
J’aimerai toujours le temps des cerises:
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte!
Et dame Fortune, en m’étant offerte,
Ne pourra jamais fermer ma douleur…
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur!
Un grand merci à Pierre, ancien poulbot de la rue Lepic, d'avoir aiguillonné ma curiosité et de m'avoir transformé en enquêteur occasionnel!
Une belle rencontre avec une peintre rare, Françoise Pétrovitch, au musée de la Vie Romantique.
Le musée lui a donné carte blanche pour présenter ses œuvres...
Le visiteur a ainsi l'impression d'être accueilli dans l'univers de l'artiste, comme dans sa maison.
La première toile "dans mes mains" représente une adolescente, tenant tendrement un chien. "C'est rose et ce n'est pas mièvre, c'est une adolescente d'aujourdhui, c'est une jeune fille vive et attentionnée."
Nous descendons dans la grande salle en sous-sol sous l'atelier d'Ary Scheffer. Ce qui frappe immédiatement c'est la paix, l'harmonie...
Nous sommes invités à entrer dans les paysages mouillés, entre rêve et réalité. Ils sont des îles étranges, à la fois inquiétantes et en apesanteur.
Les plus beaux panneaux reprennent le thème du corps porté, soutenu par les bras de celui ou celle dont on ne voit pas le visage.
Les yeux sont fermés. Evanouissement ou mort? Corps sauvé ou cadavre déjà? C'est nous qui décidons, qui interprétons ces scènes puissantes.
Le lavis laisse des traces sur les corps, comme des blessures, comme du sang. Mais ces mains qui se referment sur la lourdeur du corps sont le lien puissant qui unit les êtres. Ce lien qui porte secours et qui tente de remettre debout ceux qui sont tombés.
Nous retrouvons ce thème dans la vaste salle qui servait d'atelier à Ary Scheffer. Cette fois les mains sont comme éclairées, vivantes, sur le cœur de celui qui est tenu, comme si la vie se réfugiait là et continuait de battre.
Trois toiles formant triptyque représentent des adolescents. Les jeunes apparaissent souvent dans l'œuvre de Françoise Pétrovitch.
C'est l'âge des possibles, la période où l'on est pris entre le désir de rencontre et celui de solitude et de repli.
Sur la gauche, deux jeune avancent les yeux ouverts contrairement à ceux qui figurent sur la plupart des autres toiles. L'une semble regarder vers le sol, l'autre regarder vers l'avant. Ils sont ensemble et seuls. Ce qu'ils ont en commun c'est la cigarette qui se consume.
Au centre, une des plus belles compositions de l'exposition, les jeunes sont deux encore, yeux clos. La fille semble parler. Le garçon tête baissée, les mains repliées dans les poches de son blouson reste silencieux. Rupture? Explication? Deux mondes séparés.
Sur la droite le garçon est seul. Sa cigarette est éteinte. Il est perdu dans ses pensées. Il est l'écho d'une autre solitude rencontrée dans la salle en sous-sol. Une jeune fille dans un monde qui se liquéfie autour d'elle.
Des toiles de plus petit format couvrent le mur sous les verrières. Les mains de la jeune fille entourent comme un nid l'oiseau fragile . Lèvres et ongles rouges ont les couleurs de la vie autour de l'animal fragile, couvert de bleus.
Les mains encore, toujours présentes, mains ouvertes pour donner ou recevoir...
Mains qui se détachent, mains blessées, mains qui cherchent à se rejoindre encore...
Rare scène de tendresse. Mais les visages qui s'abandonnent expriment une grande tristesse. Une douleur, une douceur. Un deuil peut-être. Mère et fille, amie et amie, bleu et rouge et vert... mains que l'on devine réunies, serrées.
Main qui reçoit un oursin d'étoile bleue. Une blessure? Une promesse?
Un des rares tableaux où les yeux ne sont pas fermés mais à la fois ouverts et aveugles. Les paupières ont-elles été inconscientes, en se levant, du danger d'abolir la frontière entre l'intérieur et le monde. Ne reste que le masque bleu, lèvres closes.
Il faut lever les yeux pour voir cette toile. C'est la seule de toute l'expo qui nous demande de regarder vers le haut. Vers l'espoirI
Il s'agit d'une jeune fille aux ongles jaunes, abritant la flamme de son briquet. Elle a été peinte le jour de l'invasion de l'Ukraine. Le visage frappé par la lumière est celui de la jeunesse, de l'avenir.
Il faut quitter l'atelier pour rejoindre la maison d'Ary Scheffer qui abrite le musée de la Vie Romantique dans ce quartier de la Nouvelle Athènes où vécurent tant d'artistes du XIXème siècle.
Et tout d'abord George Sand qui vivait non loin de là avec Chopin. Hommage lui est rendu avec cette femme moderne qui fait penser à Jeanne Moreau et qui fume comme on revendique sa liberté, comme Sand fumait le cigare et portait le pantalon.
L'expo se termine avec cette rencontre d'une femme peintre et d'une écrivaine, libres toutes deux, engagées dans leur art et dans le partage.
L'affiche laisse espérer de belles découvertes et un voyage dans un mouvement foisonnant et briseur de frontières. Un voyage au féminin car les mâles surréalistes sont si connus et reconnus qu'on imagine mal une exposition ayant pour titre "Le Surréalisme au masculin".
Nous pouvions penser qu'enfin une injustice serait désignée et que nous allions remettre les montres, qu'elles soient molles ou non, à l'heure.
Dorothea Tanning. Un tableau très heureux. 1947
Hélas il faut bien le dire, si le parcours est pédagogique et ne manque pas de panneaux explicatifs un tantinet rébarbatifs, l'éclatement, la dispersion sont au rendez-vous.
La matière était trop riche et la cinquantaine d'artistes retenues trop nombreuses pour que la rencontre avec elles puisse vraiment se faire.
Dora Maar. Les yeux. 1932-1935
Précisons que l'exigüité du musée est peu adaptée aux grandes expositions (bizarrement la plus grande salle, celle du rez-de-chaussée est consacrée à une autre exposition).
Les grandes œuvres féminines, les chefs d'œuvre reconnus sont absents. Question de format sans doute et de budget peut-être.
Rita Kernn-Larsen. 1930-1939
Nous trouverons beaucoup de petits cadres, petites photos, petits dessins.... et peu de grandes toiles. Nous sommes prévenus il est vrai dès le palier. Je cite ce passage affiché dès l'accueil car il marque les limites, modestes, que se sont fixées les organisateurs :
Judith Reigl. "Ils ont soif insatiable de l'infini". 1950
"Conçue comme une hypothèse plutôt que comme une démonstration (là j'ajoute "hélas"), cette exposition propose un inventaire non exhaustif d'une cinquantaine d'artistes ou poètes dont les créations datées des années 30 aux années 2000 excèdent la date de dissolution officielle du groupe surréaliste (1969) (Là je rajoute "hélas"). Cette exposition tente de cerner ce que fut la part féminine du surréalisme et se veut une invitation à poursuivre les recherches sur un sujet infiniment complexe et varié.
Claude Cahun. Autoportrait avec Marcel Moore et un chat.
Tout est dit. Sujet complexe certes mais qui n'est guère clarifié tant sont nombreuses les pistes suggérées et jamais approfondies. Sujet varié certes qui aurait mérité un élagage plus qu'un embroussaillage (néologisme assumé).
Musée de Montmartre. Les jardins Renoir.
J'ai retenu de ma visite quelques œuvres pour vous donner envie peut-être d'aller au musée de Montmartre. De me contredire peut-être. De toutes les façons, on ne perd jamais sont temps quand on se rend dans ce lieu magique, veillé par la grande Suzanne Valadon.
Jacqueline Lamba. "La femme blonde" 1930. Artiste connue mère de la petite Aube qu'elle eut avec Breton, elle est liée à notre quartier puisqu'elle se produisit rue Marguerite de Rochechouart, en naïade, ou plutôt "ondine". Rappel de l'Amour Fou et du "Ici l'on dîne".
"L'art, la poésie, c'est le précipité de la beauté dans l'émotion." (J. Lamba)
Paule Vézelay. Paysage, three horses. 1929. Un peu Dufy, un peu Chagall, mais tout à fait Paule Vézelay!
"Je suis certaine que les formes dans mes œuvres non figuratives, sont inventées et ne trouvent pas leur genèse dans des formes naturelles". (Paule Vézelay)
Jane Graverol. Hautes herbes. 1946.
Référence claire au Douanier Rousseau et au rêve de Yadwiga. Le sommeil est attente de toutes les surprises, de tous les voyages.
Le sacre du printemps (1960)
C'est le tableau qui a été choisi pour l'affiche de l'exposition. C'est un choix judicieux qui promet beaucoup au risque de la déception. Ici le surréalisme prend tout son sens, tremplin vers l'imaginaire, trouble du désir.... Le sein dénudé, le bec agressif, le rouge de la chemise... Chacun pourra divaguer, naviguer selon ses fantasmes! N'oublions pas que le Sacre du Printemps de Stravinsky met en scène le sacrifice d'une jeune fille offerte aux dieux.
Jane Graverol. Ni titre ni date. Ce livre surnage dans l'océan qui cerne un piédestal survivant du désastre qui a anéanti la civilisation.
Le livre seul, menacé, vulnérable est encore vivant.
"Être surréaliste est un état que l'on porte en soi ou non. Sans théorie, je possédais ce qui me fondait à eux." (Jane Graverol)
Valentine Hugo. Le Toucan. 1937.
Valentine Hugo est présente avec ce toucan-serrure et avec un dessin qui illustre le rêve qu'elle fit le 21 décembre 1929.
Elle a épousé l'arrière petit fils de Victor Hugo mais tous ceux qui étudient le surréalisme savent qu'elle a eu une liaison avec Eluard d'après Gala et avec Breton.
"Je peux dire que Paul Eluard et André Breton que j'ai admirés dans leurs œuvres depuis toujours et pour toujours m'ont sauvée du désespoir." (Valentine Hugo)
Ce qui ne l'empêcha pas de quitter le surréalisme en 1937!
Une belle surprise avec cette toile, une des rares de cette importance dans l'exposition : "Couple d'oiseaux anthropomorphes" de Suzanne Van Damme (1946).
Elle est belge comme de nombreux surréalistes mais vient à Paris où elle vit plusieurs années à Montmartre. On aurait aimé voir quelques toiles de cette importance de Léonor Fini par exemple qui n'a droit qu'à une aquarelle de petit format alors qu'elle est sans doute la surréaliste la plus emblématique du rêve, de la poésie, de la sensualité!
Léonor Fini. L'homme entre deux âges et deux maîtresses. 1961
On se consolera peut-être avec le beau tableau de Leonora Carrington, "Sans titre" (1929), d'un imaginaire proche de celui de Léonor Fini. La même élégance, la même étrangeté, la même poésie. J'allais dire le même œuf!
"Je n'ai pas eu le temps d'être la muse de qui que ce soit... J'étais trop occupée à me rebeller contre ma famille et à apprendre à être une artiste." (Léonora Carringtam)
Mimi Parent. Sans titre. 1961
Mimi Parent est une des artiste les plus présentes dans l'exposition. Une grande broderie (cliché de l'occupation féminine) reprend le thème de l'oiseau et de la femme (cliché de la peinture mythologique).
Mimi Parent. "Léda". 1997
Bien que très tardive, cette "boîte" correspond bien à l'élan surréaliste qui entraînait et fusionnait les arts jusque là séparés, peinture, sculpture, poésie....
"La fête reprendra, mais spontanément; la braise est là, il suffira d'un jour de grand vent." (Mimi Parent)
Rachel Baes. "La première leçon" 1951
Avec Rachel Baes, la jeune fille-enfant habillée comme une poupée est enfermée dans une pièce sans issue, les mains liées. Sexualité, violence, viol, innocence pas si innocente...
"Je n'aime pas l'hypocrisie, je n'aime pas les hypocrites. C'est peut-être pour ça que je peins des petites filles un peu hypocrites. (Rachel Baes)
L'exposition se termine avec une ouverture sur l'après surréalisme et la fécondité du mouvement. Une toile de Toyen nous attend dans la dernière salle. Toyen! Sans doute la plus grande peintre surréaliste! Une formidable exposition lui a été consacrée au Musée d'Art Moderne, vaste, claire, sans pathos, une exposition idéale qui permettait une vraie rencontre.
Toyen "En proie à leurs regards". 1957
Nous quittons l'exposition pas franchement convaincante avec une légère frustration et beaucoup de questions.
Mais.... mais... Que ne l'avais-je remarqué? L'affiche annonçait la couleur! Je n'avais pas vu le point d'interrogation qui suivait le titre. Un immense point d'interrogation!
Elle descend en ligne droite entre le boulevard Marguerite de Rochechouart au niveau de la place d'Anvers et la Gare du Nord où elle cède la place à Napoléon III (ancienne place de Roubaix) avant de reprendre son chemin sur une cinquantaine de mètres jusqu'à la rue d'Alsace.
Rue de Dunkerque à partir du Magenta, vers la Gare du Nord.
La numérotation voudrait qu'on dise plutôt qu'elle monte de la rue d'Alsace jusqu'au boulevard de Rochechouart mais comme nous avons Montmartre pour épicentre, nous la parcourrons en commençant par les derniers numéros, près du square d'Anvers.
Nous pouvons la diviser en trois parties pour raconter sa création.
La plus ancienne partie court sur plus de 500 mètres entre la Gare du Nord (faubourg Saint-Denis) et le faubourg Poissonnière.
Son plan de lotissement est tracé en 1827 sur les terrains de l'Enclos Saint-Lazare.
Il faudrait des centaines de pages pour retracer l'histoire de ce clos qui remonte au XIIème siècle quand il fallut isoler les lépreux dans des bâtiments entourés de murs (sous la protection de Saint Lazare). Au XVIIème siècle c'est là que St Vincent de Paul créa les Filles de la Mission et recueillit les orphelins. C'est un des lieux les plus chargés d'histoire de Paris.
La rue nouvellement créée prend le nom des Abattoirs de Montmartre situés plus haut pour remplacer les nombreuses "tueries" insalubres. Elle gardera ce nom jusqu'en 1847 pour prendre celui de Dunkerque. Plusieurs rues du quartier rendront hommage à des villes du nord de même que sur la façade de la gare, des statues de pierre les représenteront telles des déesses antiques.
La rue était prolongée à l'est par une impasse "le cul de sac Saint-Lazare" qui devint "impasse des Abattoirs" puisqu'elle prolongeait la rue du même nom.
Enfin quand Dunkerque remplaça 'les Abattoirs", l'impasse transformée en rue, fit partie de la nouvelle rue.
Rue de Dunkerque au boulevard de Rochechouart (en arrière plan l'Elysée Montmartre)
La dernière partie va de la rue du Faubourg Poissonnière au boulevard Marguerite de Rochechouart.
C'était à l'origine la rue Neuve du Delta qui portait ce nom à cause du jardin d'attractions sur lequel elle avait été lotie en 1839.
Ce grand jardin attirait de nombreux parisiens émerveillés par les spectacles de feux d'artifice de Ruggieri. Il avait remplacé les "Promenades Egyptiennes" ou avaient été inaugurées les ancêtres des montagnes russes. C'est à la suite de nombreux accidents que les Promenades Egyptiennes avaient cédé la place au jardin du Delta.
La Place du Delta, la rue de Rochechouart
La rue du Delta voisine et la place du même nom en perpétuent la mémoire.
La rue Neuve du Delta fut réunie en 1854 à la rue de Dunkerque et prit son nom. Et voilà! Nous avons notre rue en son entier sur 1km 100.
Nous commençons notre balade par la fin de la rue, comme nous l'avons dit, là où elle est montmartroise. Elle débouche sur la place d'Anvers, devant le boulevard Marguerite de Rochechouart, à deux pas du square d'Anvers.
Débouché de la rue sur le boulevard, vers l'Elysée Montmartre et le métro Anvers
Le Café des Oiseaux côté impair nous invite à prendre un peu de hauteur afin d'éviter les ordures qui s'entassent depuis près de trois semaines. Mes photos éviteront donc les rez-de-chaussée nauséabonds et grouillants de rats! Un seul exemple suffira (suffi- rat)
84 rue de Dunkerque. Entrée de l'espace de réunions de l'hôtel "Le Régent"
Le café des Oiseaux est cité dans l'Amour Fou de Breton.
Le boulevard, le square d'Anvers et à gauche la rue de Dunkerque et le café des oiseaux.
C'est là que l'artiste rare, peintre de talent, Jacqueline Lamba, lui donne rendez-vous, pour, après deux heures de conversation, déambuler dans les rues d'un Paris nocturne et magique.
Le cirque (Jacqueline lamba)
Jacqueline Lamba et Breton
Cette femme "scandaleusement belle" sera la 2ème femme de Breton et la mère de leur fille Aube. Elle est à peine mentionnée hélas dans l'exposition que le musée de Montmartre consacre jusqu'en septembre 2023 aux femmes surréalistes.
La partie de rue qui va jusqu'au croisement avec l'avenue Trudaine possède de beaux immeubles haussmanniens construits en même temps que l'avenue. Ils sont comme il se doit, de même hauteur (6 étages) avec décoration de moulures et de corniches avec balcon à l'étage noble (2ème) et balcon filant au 6ème.
Le 85
Le 81
Le 83
Nous pouvons voir sur la façade du 83 le nom de l'architecte et la date de construction : De Lalande. 1870.
Cet architecte est très en vogue sous le 2nd Empire et on lui doit plusieurs théâtres, notamment le théâtre de la Renaissance qui a survécu au vandalisme des années Pompidou.
C'est à lui que l'on doit le beaux immeubles du début (côté pair) de l'avenue Trudaine.
Une ancienne photo rappelle qu'il y eut au 83, un restaurant depuis longtemps disparu.
Le 87
Il y eut au 87 un hôtel du nom de Reina. Sans les cartes anciennes nous n'en saurions plus rien.
Le 76 et le 9
Une curiosité sur l'immeuble à pan coupé du 76, c'est qu'il affiche deux numéros, l'un sur la rue de Dunkerque (76) et l'autre sur la rue Gérando (9).
La rue, hélas, n'a pas abrité beaucoup de peintres dans un quartier qu'ils avaient pourtant investi. Revenons donc vite au 91 où vécut et mourut Alexis Kalaeff.
Ce peintre né en 1902 en Russie se réfugie à Paris en 1926 où il suit les cours d'Othon Friesz. Il est classé parmi les Expressionnistes bien que son oeuvre présentât bien des facettes.
Préparation pour le bal masqué
Il peignit des paysages, des scènes de cirque (il fréquentait en voisin le Médrano)... des scènes religieuses. Ce dernier aspect révèle son âme torturée qui fait de la passion du Christ l'image même de la condition humaine.
L'accusé
Après la mort de son grand amour, sa femme Claudine, il se suicide dans cet immeuble du 91. Il a 79 ans. J'aurais aimé le connaître.
Nous aurions bu un verre au Café des Oiseaux et j'aurais pu lui dire que je l'admirais.
Femme au flambeau
Nous arrivons au croisement avec la rue Marguerite de Rochechouart. La rue descend en droite ligne plein est.
Le 57 est un des rares immeubles à porter, gravé dans la pierre, le nom de son architecte : F. Ratier 1872.
Je n'ai rien trouvé sur cet architecte qui serait le bienvenu pendant ces grèves, pour contrer la gent des muridés qui prolifère dans nos poubelles!
Cette section qui va jusqu'à la rue du Faubourg Poissonnière (38 côté pair et 51 côté impair) n'a pas grand chose à nous raconter. Nous y rencontrerons quelques immeubles haussmanniens..
Le 54
Nous trouverons cependant un intérêt historique à un groupe d'immeubles semblables , les 46-48-50 qui ont été construits par la Compagnie d'Assurances "La Confiance" en 1880.
Les Assurances en effet investissaient dans l'immobilier et le bon rapport financier des locations. Nos immeubles de la rue de Dunkerque font partie d'un vaste ensemble qui donne en partie sur la rue du Faubourg Poissonnière. Adieu au style haussmannien... les façades de pierres sont simples et sans décors.
Ce qui n'est pas le cas du bel immeuble fin de siècle du 44
Jetons un œil sur le 43.
43
Sa belle façade de 1930 développe ses baies vitrées derrière lesquelles il y eut le siège des Editions des frères Offenstadt. Les quatre frères s'étaient spécialisés dans la presse enfantine et leurs journaux connaissaient une grande diffusion. Parmi leurs valeurs les plus sûres et les plus impertinentes figuraient le Pieds Nickelés qui amusaient petits et grands.
Sous le régime de Vichy, ils subirent les lois antijuives et furent spoliés. Maurice mourut en 1943 à Nice où il s'était réfugié, Nathan mourut au camp de Drancy. Les frères rescapés ne retrouvèrent leurs biens qu'en 1946 mais ne parvinrent pas à reconquérir le marché de la presse pour jeunes où régnaient Spirou, Tintin et autre Mickey.
Aujourd'hui se trouve dans cet immeuble le siège de La France Insoumise. Peut-être les Pieds Nickelés inspirent-ils leurs membres ?
Croisement avec le Faubourg Poissonnière (vers square d'Anvers)
Cette partie montmartroise de la rue de Dunkerque, s'arrête avec le 9ème arrondissement au croisement avec le Faubourg Poissonnière (n°51 et n°38). De l'autre côté, nous serons dans le 10ème arrondissement. Nous arpenterons une prochaine fois la deuxième partie, la plus ancienne, qui va vers la Gare du Nord, ce palais des voyages voulu par Napoléon III.
Croisement avec le Faubourg Poissonnière vers Gare du Nord.