Louise Michel. Oppozit.fr
Louise Michel, la Vierge Rouge, la révoltée au cœur immense...
Il faudrait des volumes et des volumes pour lui rendre justice...
Je suis allé au cimetière de Levallois déposer des œillets rouges sur sa tombe.
Mais Louise Michel n'y était pas!
Elle n'aime pas les cimetières où elle a vu porter en terre tant et tant de ses compagnons et compagnes de lutte.
Elle est toujours présente sur la Butte où ses admirateurs et ses amoureux vont à sa recherche.
J'ai essayé d'aller à sa rencontre là où elle a vécu, lutté, écrit... dans ce Montmartre qu'elle a aimé et qui a été en partie détruit...
Ce n'est qu'un survol (incomplet à coup sûr) de sa grande vie, limitée à notre quartier ... aux lieux qu'elle y a fréquentés...
D'autant plus incomplet que bien des maisons et des immeubles où elle est passée ont disparu....
C'est en 1856 qu'elle arrive à Paris laissant avec peine sa mère tant aimée, Marianne (déjà la République!) Michel
Elle a 26 ans et est habitée par la passion d'écrire. Elle admire le grand homme de la littérature, Victor Hugo avec qui elle échangera quelques lettres et qu'elle rencontrera plusieurs fois après son retour d'exil.
Victor Hugo lui dédia des vers incandescents quand au cours de son procès, après la Commune, désespérée d'avoir vu mourir tant de ses compagnons, elle réclama la mort aux juges en s'accusant à tort d'être criminelle :
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Ayant vu le massacre immense, le combat,
Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat
La pitié formidable était dans tes paroles.
Tu faisais ce que font les grandes âmes folles
Et, lasse de lutter, de rêver de souffrir,
Tu disais : "J'ai tué!" car tu voulais mourir.
Les "grandes âmes folles"
La plus belle description de ce qu'était Louise Michel!
Elle ne croyait pas en Dieu, elle revendiquait la liberté de penser et de ne pas croire... et pourtant Hugo emploie ce mot "âme" car il sait qu'il y a une âme là où il y a le sens du sacré. Le sacré pour Louise Michel, c'est la vie, la plus infime, la plus misérable, la plus menacée...
La vie des rejetés, des exploités, la vie des femmes réduites à un rôle subalterne...
La vie des bêtes aussi...
Des mots d'une troublante actualité pour notre temps où les images volées dans les abattoirs font honte à notre humanité qui pour le profit est capable d'une cruauté inouïe.
"Plus l'homme est féroce avec les bêtes, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent"
Boulevard des Batignolles
Sa première adresse n'est pas montmartroise mais proche de la Butte ... boulevard des Batignolles, au 88.
Son premier poste d'institutrice (on dit alors sous-maîtresse) est dans la pension de Madame Vollier, en 1857, 14 rue du Château d'eau...
Sa mère vend quelques champs qui lui restent pour acheter à sa fille en 1865 un externat rue des Cloÿs, au 5.
Ici commence la vie vraiment montmartroise de Louise Michel!
Il ne reste rien du petit immeuble crayeux où elle enseigna... Un complexe de bureaux d'expertise comptable et une association créée par des avocats pour des avocats... qui n'auraient pas défendu les communards vite jugés, car ce sont des fiscalistes!
Au 24 rue Championnet, (anciennement rue Oudot) elle ouvre ensuite un cours pour 60 élèves. Elle est une passionnée de l'enseignement, de la transmission du savoir... elle croit, comme Victor Hugo qu'ouvrir une école c'est fermer une prison...
Emplacement du 24 rue Championnet
L'immeuble lui aussi a disparu, remplacé par un centre médical réservé aux agents de la RATP!
Elle sait qu'il est urgent de changer la condition des femmes. Aux jeunes filles qu'elle éduque, elle donne les armes de la révolte pour l'égalité...
"Les Anglais font des races d'animaux pour la boucherie; les gens civilisés préparent les jeunes filles pour être trompées, ensuite ils leur en font un crime et un presque honneur au séducteur."
"Partout l'homme souffre dans la société maudite; mais nulle douleur n'est comparable à celle de la femme. Dans la rue elle est une marchandise. Dans les couvents elle se cache comme dans une tombe. (...) Dans son ménage le fardeau l'écrase; l'homme tient à ce qu'elle reste ainsi pour être sûr qu'elle n'empiètera pas sur ses fonctions, ni sur ses titres.
(...) Ce que nous voulons c'est la science et la liberté."
Immeuble à l'emplacement du 24 où aurait été l'école de Louise Michel
Pendant les interrogatoires que subira Louise Michel en 1871, une erreur typographique entraînera la confusion entre le 24 rue Oudot et le 24 rue Houdon.
Bien des biographies ont retransmis cette erreur. Des lecteurs attentifs m'ont averti et j'ai pu corriger cette erreur que j'avais moi-même commise. Il n'y eut pas d'école dirigée par Louise Michel rue Houdon. (voir les commentaires )
Quand survient la chute du Second Empire, l'espoir d'en finir avec un gouvernement honni habite corps et âme Louise Michel. C'est pendant ces années 1870-1871 qu'on peut le mieux suivre ses pas sur la Butte!
Au 82-90 boulevard de Clichy, à l'emplacement de l'actuel Moulin Rouge, au Bal de la Reine Blanche, on la voit au Club du même nom, avec Clémenceau tenir une réunion publique. Le "club rouge de la Reine Blanche" était un des plus actifs des clubs révolutionnaires. On s'y réunissait tous les soirs à 20 heures.
Quand elle fait partie du Comité de Vigilance du 18ème, elle se rend 41 rue de Clignancourt. C'est là qu'habite Théo Ferré, un compagnon de lutte et d'idéal.
"Les comités de vigilance de Montmartre ne laissaient personne sans asile, personne sans pain"
42-54 rue de Clignancourt. Emplacement du Château Rouge.
En 1871, le Comité de vigilance se réunit un peu plus haut, au Château Rouge, célèbre bal depuis 1847. Le parc et le château ont disparu, avalés par les promoteurs. Des immeubles uniformes et sans grâce les ont remplacés.
Les canons de Montmartre.
Quand survient l'épisode fameux des canons de Montmartre, elle est aux avant-postes. Nous sommes le 18 mars 1871. Jour historique du début de la Commune. Thiers qui craint une insurrection du peuple a donné ordre à la troupe de récupérer les canons, payés par souscription populaire pendant le siège.
Les 171 canons de Montmartre sont disposés, prêts à faire face à l'ennemi prussien sur le flanc de la Butte à l'emplacement actuel de la rue St Eleuthère, du square Nadar, d'une partie des aménagements pour l'accès au Sacré Coeur. Ils sont à peine gardés mais quand les soldats dirigés par le général Lecomte arrivent sur la Butte, le peuple de Montmartre fait face et bientôt de nombreux soldats fraternisent avec lui. Le général Lecomte qui donne l'ordre de tirer sur la foule est arrêté par ses soldats.
Exécution des généraux.... (reconstitution)
Emplacement des exécutions.
Dans la soirée, après un jugement sommaire, il sera conduit au 36 rue du Chevalier de la Barre (alors rue des Rosiers, aux 6- 8) et fusillé par ses hommes malgré l'opposition de Clémenceau, avec le général Thomas responsable d'une sauvage répression sanglante en juin 1848.
L'espoir ce jour-là, malgré l'injuste exécution des généraux, montra le bout de son nez. La troupe et le peuple avaient fraternisé, tenant tête à ceux qui avaient accepté la défaite. Thiers et les Versaillais se montreront d'autant plus cruels qu'ils auront senti ce jour-là que le peuple en révolte pouvait les vaincre...
Le matin du 18 mars Louise Michel est présente et c'est elle qui soigne Turpin, rue des Rosiers, blessé après avoir défendu les canons. L'institutrice se transforme en infirmière...
La résistance s'organise et Louise Michel est de toutes les luttes. Elle participe avec Théo Ferré au club de la Révolution, club blanquiste de 3000 membres, église St-Bernard, rue Affre. Cette même église qui plus d'un siècle plus tard (1996) ouvrira ses portes aux familles de réfugiés.
Elle fréquente un autre club, celui de la Boule Noire, 120 bd Rochechouart. Elle y milite pour la création d'écoles professionnelles pour les filles.
L'endroit a bien changé; c'est le music-hall "La Cigale" qui l'occupe aujourd'hui. Une petite salle en sous-sol garde la mémoire du vieux bal de la Boule Noire .
Parmi les décisions du Conseil de la Commune, on peut citer entre autres : les repas populaires, les pensions accordées aux blessés, aux veuves, aux orphelins, les expériences d'autogestion dans les entreprises, l'union libre, la séparation bien avant 1905 de l'Eglise et de l'Etat!
Louise Michel était partie prenante de toutes ces avancées ...
Elle est alors directrice de l'école communale, 26 rue du Mont-Cenis...
Encore un bâtiment disparu... remplacé par l'école actuelle bâtie plusieurs années après la Commune...
Si le 18 mars est le jour de naissance de la Commune, le 23 mai est celui de sa fin.
Le mois de mai, le temps des cerises...
L'armée de Thiers est forte de 130 000 hommes et progresse grâce à l'aide prussienne. Les barricades s'élèvent dans le Paris populaire et Louise Michel est présente sur plusieurs d'entre elles.
La barricade de la place Blanche
Une des plus héroïques est celle de la place Blanche, connue pour avoir été défendue par les femmes.
"Si la réaction eût autant d'ennemis parmi les femmes qu'elle en avait parmi les hommes, Versailles eût éprouvé plus de peine. La femme, cette prétendue faible de cœur, sait plus que l'homme dire : Il le faut! Elle se sent déchirée jusqu'aux entrailles, mais elle reste impassible. Sans haine, sans colère, sans pitié pour elle même ni pour les autres, il le faut, que le cœur saigne ou non.
Ainsi furent les femmes de la Commune..."
Début de la rue de Clignancourt
Non loin de là, Louise Michel apporte son aide aux blessés de la barricade de la Chaussée de Clignancourt ( 1-2 rue de Clignancourt). Elle y est blessée et laissée pour morte.
En réalité elle n'est qu'évanouie après avoir été blessée. Alors que les Versaillais pourchassent les résistants, elle se réfugie dans le cimetière Montmartre, avenue Rachel. Elle se cache près de la tombe d'Henri Murger, l'auteur de la Vie de Bohême.
Rien ne reste du village où eurent lieu les événements tragiques
Plus tard, elle retourne sur la Butte, là où se trouve un poste de la Garde Nationale, au 36 rue du Chevalier de la Barre, là où les généraux avaient été fusillés et où seront exécutés de nombreux communards.
C'est un des endroits où le sang de la Commune ne sèchera jamais, un lieu de fusillades et de massacres.
Aujourd'hui, il ne reste rien du cadre d'alors, des jardins, des petites maisons villageoises. la rue est sans grâce et comme hantée par les souvenirs qu'elle a effacés avec acharnement. Les hauts murs du Carmel, le chevet de la Basilique écrasent ce lieu de mémoire et en font un des endroits sinistres de la Butte.
Louise se livre aux Versaillais qui ont arrêté sa mère afin de la contraindre à la reddition.
Prison des femmes à Versailles (Louise Michel y "séjourne" en août 1871 avant la déportation
Malgré la mauvaise qualité du document, il est possible de reconnaître Louise Michel, dans la prison des Chantiers à Versailles. Elle est debout, bras croisés, sur la droite.
Après un procès où elle impressionnera les juges par sa détermination et son désir de mourir, elle est condamnée à la déportation en Nouvelle Calédonie.
Elle y sera fidèle à elle-même, elle y enseignera, s'intéressera au peuple Kanak dont elle prendra la défense contre les spoliations coloniales. Elle apprendra leur langue, recueillera les légendes et les poèmes épiques qu'elle publiera plus tard...
Elle hébergera également des chats errants... Elle est de celles qui sentent que toutes les créatures sont unies dans le même mystère de la vie et de la souffrance...
Nous la retrouverons en 1880, de retour d'exil.
Elle habite 45 boulevard d'Ornano.
Elle est alors réclamée pour de nombreuses conférences. Elle prend le temps de publier son roman "La Misère" et de prononcer un vibrant plaidoyer contre la peine de mort.
Henri Rochefort caricaturé en Don Quichotte par Gill
Nobody is perfect et on regrettera son peu d'engagement dans l'affaire Dreyfus. Il est vrai que son ami Rochefort est violemment antisémite. C'est une ombre jetée sur la grande figure de la Vierge Rouge qui fut pourtant comparée par Victor Hugo à l'héroïne qui tua le monstrueux Holopherne, "Judith, la sombre Juive".
Après des années à Londres où elle dirige une école libertaire (elle a fait choix du drapeau noir, celui du deuil de ses amis et des innocents massacrés) elle revient en 1895 quelques mois avant la mort de sa mère.
"Pauvre mère! Elle eut avec moi bien peu de jours paisibles. Quand elle vint à Montmartre, toute brisée de la mort de ma grand-mère, la Révolution arrivait, je la laissais seule de longues soirées; après ce furent des jours, puis des mois, puis des années. Pauvre mère! Pourtant je l'aimais tant que je ne serai heureuse qu'en allant la retrouver dans la terre où l'on dort."
En 1895 toujours, elle participe au Libertaire, journal fondé par Sébastien Faure, dont le siège est 15 rue d'Orsel. Le siège est un grand mot pour une cabane de bois dans le cour du petit immeuble...
Les dernières années de sa vie sont consacrées aux conférences et à l'écriture...
La Commune a été sa vie et sa mort... Elle survit à ces mois d'espoir et de souffrances, avec les fantômes de ses compagnons...
Obsèques de Louise Michel
Ce n'est pas à Montmartre mais à Marseille qu'elle meurt en janvier 1905. Lors de son enterrement des milliers de Parisiens suivront son convoi de la gare de Lyon au cimetière de Levallois.
Aujourd'hui le square qui couvre la Butte au sud, devant le Sacré Cœur de la revanche versaillaise, porte son nom. Des chats y vivent en liberté, nourris par de belles personnes, de vieilles dames que certains traitent de folles...
... et que Louise Michel aurait aimées...
Louise Michel..."Grande âme folle" comme l'appela Victor Hugo
"Folle'...... il fallait l'être pour engager la lutte avec les armes du savoir et du rêve contre les forces aveugles du pouvoir et de l'argent...
Elle fait partie désormais de notre éternité temporaire, celle des hommes et des femmes qui restent debout, celle de "ceux qui vivent", comme l'écrit Victor Hugo :
"Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front.
Ceux qui d'un grand destin gravissent l'âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime."
Photo montage de Féline Harfang
"Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche"
(Aragon)