Il y a sur la Butte, rue Lepic, deux moulins. Chacun d'eux porte aujourd'hui le même nom, un nom célèbre: Moulin de la Galette!
Mais quel est le vrai? Quel est celui qui mérite ce nom prestigieux?
C'est ce que nous allons essayer de savoir...
Le 1er
moulin rue Lepic
Si l'on remonte aux origines, nous apprenons que le 1er moulin est né en 1622 et qu'il a été baptisé : le Blute
fin. ( Les moulins de Montmartre, les meuniers Debray.)
Il a été plusieurs fois remanié mais, contrairement à son rival, il n'a jamais changé de place, se trouvant très à l'aise sur sa terrasse exposée aux
vents.
C'est une famille de meuniers, les Debray, qui acquiert les deux moulins en 1809. Ils servent alors à moudre le grain et à presser le raisin qui donne
le petit vin aigrelet de Montmartre dont subsiste de nos jours une mini production folklorique.
Les Parisiens aiment venir sur la Butte pour respirer l'air de la campagne et jouir d'une vue imprenable sur la capitale. Le meunier qui a la tête près du
bonnet, flaire la bonne affaire et propose aux promeneurs des galettes de seigle, arrosées d'un verre de vin ou de lait!
Le 2ème moulin rue Lepic-Girardon
Ce n'est pas le Blute-fin, mais le 2ème moulin, le Radet, qui accueille la guinguette. ce moulin a vu le jour bien plus tard que son aîné, en 1717. Il
a été, lui aussi, restauré plusieurs fois. Il a même été déplacé de quelques mètres pour descendre vers la rue Lepic d'où il n'a plus l'intention de bouger.
Les Debray sont les héros d'une des belles histoires de la Butte et de sa tradition d'indépendance et de révolte. En 1814, au cours du siège de Paris, toute
la famille, père, mère et fils résistent à l'armée russe qu'ils accueillent en tirant le canon!
Trois des quatre frères sont tués et le survivant se réfugie avec son fils dans le moulin d'où il continue à mitrailler les assaillants. Il est capturé,
découpé en quatre morceaux qui sont ficelés sur les ailes de son moulin. Son fils est embroché par une lance. Il survivra à sa blessure mais sera condamné à ne boire que du lait. C'est lui qui
aura l'idée géniale de transformer le Radet en guinguette et à lui donner son nouveau nom : Moulin de la Galette.
La femme du malheureux tronçonné récupère nuitamment les restes de son époux et les enterre dans le cimetière paroissial. (voir Cimetière du Calvaire. Saint-Pierre de
Montmartre.)
La tombe familiale est aisément reconnaissable!
Revenons au Blute-fin que l'on reconnaît sur cette photo et sur le tableau d'Utrillo avec la ferme Debray au centre et le castel du philosophe à
gauche. Il ne serait donc pas le vrai moulin de la Galette!
Mais attention!
l'histoire ne s'arrête pas là!
Nicolas-Charles Debray le choisit pour y installer une nouvelle guinguette et y ouvrir un bal qui devient vite très populaire.
En 1895, le "Bal Debray" est officiellement baptisé, "Bal du Moulin de la Galette". Le Blute-fin a donc pris le nom de son voisin!
A la fin du XIXème siècle, il est le dernier survivant avec "Le Moulin Rouge" des nombreux bals qui ont donné à la Butte sa réputation de joie de vivre et
de légèreté.
Parmi les disparus, citons pour le plaisir : la Belle en Cuisses, Le Grand Turc, Le bal du Bossu, le Bal du Poirier Sans Pareil, Le château
rouge....
Le bal du Moulin de la Galette sera croqué par de nombreux artistes qui lui assureront l'immortalité.
Quelques tableau célèbres :
Utrillo en piéton de Montmartre a souvent représenté ce moulin emblématique. Ses toiles sont plus ou moins inspirées et n'évitent pas toujours une épaisseur
qui ne restitue pas la légèreté de l'air de la Butte.
Van Dongen
Renoir
Renoir
Renoir s'intéresse surtout au petit monde qui cherche à se divertir sous les feuillages du jardin. Son Moulin gris bleu semble correspondre à cette femme
qui sourit mélancoliquement tandis que les couples tournent autour d'elle.
Lautrec
Jean Forain
Van Gogh
Van Gogh
Van Gogh
Van Gogh se rappelle peut-être dans ces trois oeuvres, les moulins de son plat pays. Il fait tourner les ailes dans un ciel tourmenté ou dans un ciel
bleu... Dans ce troisième tableau, les oiseaux évoquent déjà les envols tragiques des toiles ultimes d'Auvers-sur-Oise.
Signac
Picasso
Après cette visite vous saurez mieux que les montmartrois eux-mêmes pourquoi il est si dificile d'affirmer lequel des deux moulins est le vrai Moulin
de la Galette!
Le Radet qui le premier reçut ce nom?
Le Blute-fin qui le récupéra 60 ans plus tard et fut immortalisé par les peintres?
Les deux qui l'arborent aujourd'hui en même temps au-dessus de leur porte?
Pour terminer par un clin d'oeil, je pense à T.S. Eliott qui disait à propos des chats qu'ils avaient trois noms : celui qu'on leur donne, celui que
l'affection transforme peu à peu en diminutif, et le troisième, le vrai, qu'ils sont seuls à connaître...
Et si les moulins étaient comme les chats?
Le vent qui ne fait plus tourner leurs ailes ne vous soufflera pas la réponse....
Liens : Montmartre. La Goulue et Toulouse
Lautrec.
Montmartre: Jane Avril, Toulouse Lautrec.
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