Du 2 au 5 Norvins, voilà un début de rue qui a connu bien des métamorphoses. Aujourd'hui il est entièrement occupé par "La Bohème", de la place du Tertre à la rue Saint-Rustique!
Cette gravure nous permet de voir le lieu déjà occupé par "la Bohème" à l'exception du dernier numéro où résiste encore, pour peu d'années, le restaurant du "Moulin Joyeux". Le nom du propriétaire sur la façade de l'Hôtel nous permet de dater la gravure entre 1930, année de son rachat par Beynat et 1938 année de sa destruction et de l'édification de l'immeuble actuel, trop lourd, trop haut, qui rompt l'harmonie des vieilles maisons et enlaidit ce lieu historique.
L'immeuble de 1938 comme une verrue sur un beau visage!
De vieilles photos et cartes postales nous permettent de garder souvenir de ce qu'était ce début de rue avant que Beynat n'en fasse son domaine et ne dévore un à un ses voisins.
Nous voyons sur ce cliché l'Hôtel du Tertre qui porte encore le nom de Bouscarat, "Le Rendez-vous des cochers" (maison Poncier) et avant la rue Saint-Rustique "Le Rendez-vous des Amis".
Nous avons déjà rencontré le "Rendez-vous des Cochers" en écrivant l'histoire de l'Hôtel du Tertre. Nous savons qu'il appartenait au Père Poncier et qu'il abrita au rez-de-chaussée une mercerie-librairie-papeterie qui délaissa les livres pour devenir débit de boissons.
Nous pouvons constater que "le Rendez-vous des cochers" a fini par abandonner les cochers pour attirer le chaland en se targuant d'être "le Sommet de la Capitale".
Les deux immeubles mitoyens "Sommet de la capitale" et voisin, ne faisaient qu'un seul numéro, le 3, malgré leurs différences (fenêtres, toiture).
Aujourd'hui ils forment un seul bloc dont les volets ont disparu et dont le pittoresque a été malmené.
Le 5 enfin est rentré dans l'alignement bohémien. Il faut de très bons yeux pour dénicher la plaque qui nous rappelle qu'il fut honoré de la visite régulière pendant une quinzaine d'années de Valadon et Utrillo venus en voisins de la rue Cortot.
Les dates paraissent un peu fantaisistes, à la mode montmartroise,
Ce qui est avéré, c'est que le restaurant faisait également office (comme de nombreux restaurants montmartrois) de débit de boissons.
Le Rendez-vous des amis devint "Le Moulin Joyeux" puis "Les Coulisses" jusqu'au jour de 1968 où il ne sut résister à la boulimie de La Bohème qui l'engloba tout entier!
Le Moulin Joyeux
Les Coulisses
Maintenant, tout le début de rue est uniformisé par La Bohème.
Pour nous consoler, réjouissons-nous que les petits immeubles des 3 et 5 n'aient pas été rasés pour s'aligner sur le vilain 2!
La mode moche (et paraît-il efficace pour attirer le chaland) n'épargne pas la Bohême. Actuellement, elle croule sous des fleurs en plastique et des nounours.
Et pour parachever le vandalisme, des fresques écrasantes assombrissent de leurs couleurs sinistres, prétendu hommage à Lautrec, tout le début de la rue St Rustique sur les murs latéraux de la Bohême. Elles consternent les habitants qui n'ont pas été consultés et font du cœur de Montmartre un disneyland prétentieux et épais.
La Bohême!
Destin hégémonique que celui de cet établissement dont le nom évocateur de pauvreté et d'artistes fauchés ferait sourire Aznavour qui vécut rue St Rustique....
Aznavour rue Cortot
Laissons lui dernier mot :
"La Bohême, ça ne veut plus rien dire du tout"!