Sans Toulouse Lautrec, on aurait sans doute oublié ce personnage hors-normes des nuits montmartroises, à la fois danseuse, contorsionniste et clownesse : Cha-U-Kao.
Son nom pourrait faire penser qu'elle est Japonaise en un temps où le pays du Soleil levant inspirait les peintres et les artistes (à commencer par Lautrec lui-même).
Mais il n'en est rien! Son nom vient d'une danse dérivée du cancan, très en vogue au Moulin Rouge : le chahut, mis à la mode par la Goulue et Valentin le désossé. Quant au chaos, il s'agit de l'agitation et des cris qui s'élevaient de la salle quand les artistes faisaient leur entrée.
Au Moulin Rouge. Entrée de Cha U Kao. (1896)
Parce qu'elle était spectaculaire l'entrée de la dame!
Perchée sur une mule, encadrée de gardes, elle déboulait dans le hall du Moulin Rouge et gagnait la salle, sous les ovations!
Sans Lautrec il n'y aurait presque plus de traces (quelques rares photos) de cette femme à laquelle il a offert une "éternité" dans quelques-uns des plus grands musées...
... Mais que savons-nous d'elle? Si peu de choses!
Quel était son véritable nom? D'où venait-elle? Pourquoi n'a t-elle suscité aucune recherche d'un quelconque plumitif soucieux de faire revivre le passé glorieux du Moulin Rouge?
Elle s'est produite au Nouveau Cirque de la rue Saint-Honoré, établissement très à la mode grâce à son éclairage électrique et à sa piste escamotable et transformable en piscine..
Le Nouveau Cirque qui aimait exhiber nains et lilliputiens, avait aussi l'habitude de ponctuer ses spectacles par des apparitions de clowns, parmi lesquels les célèbres Footit et Chocolat.
Une photo nous montre la danseuse nue au temps de sa splendeur. Elle a sur ce cliché une petite allure de Cambodgienne!
Quand elle se produit au Moulin Rouge, elle n'est plus la jeune et svelte danseuse de ses débuts. Les années ont empâté son visage et alourdi son corps.
C'est alors que ne pouvant plus séduire par sa nudité, elle se déguise, se campe sur ses jambes, prend une allure canaille et apostrophe les spectateurs... Elle devient pour la postérité : la clownesse Cha U Kao...
Sur cette toile de 1895, on la voit arriver, avec son costume de scène, au bras de Gabrielle qui ressemble à une concierge mais qui est en réalité une prostituée et modèle que Lautrec a représentée maintes fois comme sur cette huile sur carton: le sofa...
Le Sofa (1894). Au premier plan, Gabrielle.
Sur "l'entrée au Moulin Rouge",Cha U Kao est légèrement tournée vers l'arrière comme si elle retardait le moment de son exhibition alors que Gabrielle avance sans hésitation comme une paroissienne allant à la messe!
La clownesse a le regard triste malgré le maquillage et les rubans jaunes de sa coiffure grotesque.
Lautrec n'essaye pas de l'embellir ni de tricher sur son âge. Pourtant ce portrait loin d'être une caricature comme sait les réaliser brillamment le peintre est empreint d'une douceur et d'une mélancolie qui émeuvent.
La clownesse assise. British Museum. Londres
Là encore, elle sourit, comme surprise par le regard d'un client, alors qu'elle se repose un instant sur la banquette rouge, lasse peut-être d'avoir une fois de plus fait son numéro d'amuseuse. Il y a dans ce sourire de coin quelque chose de désabusé et d'ironique à la fois, l'air de dire que le véritable clown n'est pas celui qu'on pense!
Et cette toile... Une des plus belles, par sa composition, ses couleurs...
La clownesse qui a contraint son corps à entrer dans son déguisement, semble ici sortir de son carcan, la poitrine libérée, le soleil de tulle jaune glissant sur ses hanches.
Elle représente pour Lautrec tout ce qui remet en cause un ordre et des conventions qui font souffrir ceux qui ne correspondent pas aux normes (ce qu'était le peintre).
Cha U Kao est une femme qui joue le rôle réservé aux hommes, celui de clown...
Cha U kao est aussi une femme qui aime les femmes.
Les deux valseuses. Prague.
Lautrec la peint en train de valser avec une compagne :
Moment de paix, intervalle de tendresse. Le monde des plaisirs et des fêtes frelatées s'efface un instant. Aucune caricature dans cet instant volé, dans cette chaude complicité.
Cha U Kao, sobrement habillée, son déguisement au vestiaire, guide son amie dont la main est posée sur son épaule.
Le baiser. (1892)
Les deux amies. Albi. (1894)
Pour nous, Cha U kao garde son mystère et pour toujours émerge de sa collerette de soleil...
Liens:
Montmartre: Jane Avril, Toulouse Lautrec.
Montmartre. La Goulue et Toulouse Lautrec.
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