Ce n'est par par plaisir que l'on se rend à l'hôpital, tout Bretonneau qu'il soit, malgré les quelques pieds de vigne qu'il abrite fièrement.
Dans ce quartier dans lequel ne se comptaient pas les ateliers d'artistes, l'hôpital a voulu en honorer quelques uns en donnant leur nom aux différents services : Caillebotte, Picasso, Vallotton, Berthe Morisot etc...
C'est en rendant visite à une amie à l'étage Vallotton que j'ai eu l'occasion de découvrir dans la salle qui jouxte la cafétéria une immense toile signée Raymond Koenig
Elle porte cette dédicace : "à l'hôpital Bretonneau, service du docteur Pozzi. J.Raymond Koenig.
Ne connaissant rien de ce peintre, je me suis empressé d'effectuer quelques pianotages informatiques et j'ai découvert que cet Alsacien d'origine avait vécu de 1872 à 1966 et qu'il avait étudié la peinture dans l'atelier de L.O. Merson, celui là même à qui nous devons la spectaculaire mosaïque du Sacré-Cœur.
Il s'illustra (j'adore ce verbe lorsqu'il évoque un peintre) en posant son chevalet dans les paysages qu'il aimait, ceux de la côte bretonne et de la côte normande.
Sans oublier le voyage initiatique à Venise qui lui inspira quelques toiles.
Il s'essaya aussi à l'art du portrait, privilégiant les enfants comme dans ce portrait de Christiane qui semble inspiré de Renoir
S'il fallait le rattacher à un mouvement pictural, ce serait sans doute à l'impressionnisme dont il est un représentant doué mais quelque peu suiveur.
D'où ma surprise en étudiant de plus près son immense toile (5 mètres de long) de Bretonneau qui me semble proche de Puvis de Chavannes et du Symbolisme.
Un paysage d'eau et de rochers roses évoque le lent écoulement d'une rivière qui se jette à la mer. Le passage du temps qui fuit,...
Un oiseau rose s'immobilise au-dessus des jeunes femmes. Il n'est pas sans évoquer la colombe qui plane au-dessus des eaux lors de la création du monde, celle dans laquelle s'incarne l'Esprit Saint.
Il s'agit cependant d'un flamant rose comme ceux qui se regroupent à la droite de la toile dans la partie plus étroite qui permettait des deux côtés l'ouverture de portes.
Une fois encore l'immobile et le mouvement sont là, dans ces oiseaux paisibles paressant dans l'eau qui à cet endroit ressemble à un lac. Ces oiseaux qui le jour venu seront les oiseaux du voyage, du départ, de la migration vers d'autres cieux.
En arrière, plus loin que cette clairière paisible, là où les vagues rompent le silence et l'immobilité, un voilier blanc passe, les voiles déjà gonflées par le vent du voyage.
Un autre bateau à la voile rouge comme ceux que Koenig a peints en Bretagne prend la même direction que le voilier blanc
Mais il semble arrêté par le rivage et par les herbes.
Dans ce paysage dont le premier plan est comme figé, sans mouvement, deux jeunes femmes sont étendues. La première est endormie, la main sur le ventre. Rien ne vient troubler son sommeil. Est-elle fatiguée, est-elle morte? Est-elle malade?
Ses cheveux sont épars, sa robe floue comme un drap. A ses côtés appuyée sur un bras qui est comme suspendu dans l'air, la deuxième jeune femme a le visage sérieux, les yeux bien ouverts, la coiffure impeccable.
Elle veille, elle regarde vers nous comme pour nous tenir à distance.
La toile conservera son mystère.
N'oublions pas qu'elle est peinte pendant le séjour de Koenig à l'hôpital. Cette période de parenthèse entre vie et mort, entre immobilité et mouvement.
Le paysage de lac et rivière avec ses oiseaux évoquerait les jours où la vie et le mouvement sont de l'autre côté, là où les gens vivent normalement, où les vagues frappent les rochers, où le vent fait voyager les voiliers.
Moment de veille, temps suspendu... Comme se figent les heures quand on est à l'écart derrière les murs de l'hôpital.
Moment de paix et d'espoir comme le suggère le flamant rose qui plane au-dessus du couple! Comme le montre le visage attentif de la compagne qui veille et attend que l'autre se réveille et ouvre les yeux sur la vie en mouvement. Ou bien sur une autre vie paisible, silencieuse dans un paysage de fleurs, d'oiseaux, de lacs que d'aucuns appellent le Paradis.