Voilà une artiste qui fut pendant sa vie une créatrice de premier plan.
Elle fut reconnue, décorée, admirée...
Le temps passant, l'histoire de l'art ne retenant que les peintres novateurs et le sommet brillant de l'iceberg, toute la partie immergée tombe dans l'oubli.
Ainsi en serait-il de Louise Abbéma, femme originale et peintre de talent, si elle n'avait rencontré Sarah Bernhard..
Elle est liée à notre quartier puisqu'elle a 14 ans quand sa famille après quelques années italiennes vient s'installer à Paris, 47 rue Laffitte.
C'est là que plus tard, de 1883 à 1907 elle aura son atelier.
Louise Abbéma dans son atelier.
Elle est attirée par la peinture et elle prend des cours de dessin avec Louis Devédeux , ami de ses parents. Elle ne reste que quelques mois élève de ce peintre orientaliste qui est réquisitionné pour combattre les Prussiens en 1870.
Elle aime alors aller au Louvre où elle reproduit les toiles qu'elle aime. C'est là qu'elle fait la connaissance de Carolus Duran. Elle est invitée à fréquenter l'atelier pour femmes qu'il dirige avec Henner.
La femme au gant (Carolus Duran). Le peintre a pris sa femme pour modèle
Elle reçoit une formation qui explique peut-être pourquoi elle est restée en dehors des grands courants artistiques de la deuxième moitié du XIXème siècle. Carolus Duran qu'on range (parfois à tort) parmi les peintres académiques lui apprend la spontanéité, l'inutilité des dessins préparatoires, l'importance du trait spontané et du travail sur la lumière. Le portrait de sa femme qui l'a rendu célèbre résume bien son art influencé par Manet qu'il admire.
Louise apprécie ce peintre dont elle fait des croquis, des portraits et qui restera un ami.
Son deuxième maître est Henner, lui aussi classé parmi les "académiques" alors qu'il est un des grands peintres de nus représentés dans des lumières oniriques.
Il aura son atelier place Pigalle.
Carolus Duran et Henner sont également des portraitistes et c'est dans cet art du portrait que Louise va exceller.
Elle peint plusieurs toiles qu'elle envoie année après année au salon, sans se lasser. elle n'est pas du genre à se décourager et elle choisit une devise qui lui ressemble : Je veux.
Son fort caractère lui donne confiance en son talent et la persuade qu'elle n'a plus besoin de leçons lorsqu'elle envoie au Salon, en 1876 un tableau qui va changer sa destinée picturale!
Esquisse du portrait de 1876 disparu
Il s'agit d'un portrait de Sarah Bernhardt, aujourd'hui disparu, qui fait sensation et lui attire toutes les louanges
On peut parler d'une rencontre providentielle comme on en fait parfois et qui vous ouvre de nouvelles voies. Les deux femmes ont un fort caractère, un goût prononcé pour l'indépendance. Leur talent leur permet de n'avoir aucun complexe. Sarah apprécie cette nouvelle amie au point de faire d'elle, avec Clairin, son peintre officiel.
Sarah Bernhardt est la diva absolue! Elle va ouvrir les portes du succès à Louise et attirer vers elle la haute société soucieuse d'être "dans l'air du temps" et d'exposer dans ses salons un portrait du peintre de Sarah Bernhardt!
La grande amitié entre les deux femmes s'avère solide au point que Sarah aime séjourner chez Louise, 11 boulevard de Clichy.
On pourrait les croire à l'opposé l'une de l'autre à en juger à l'exubérance vestimentaire, aux audaces de l'une et à l'aspect corseté et austère de l'autre.
Pourtant tous les témoignages montrent Louise comme une femme joyeuse, pleine d'humour et de goût de vivre, fort différente de son aspect extérieur.
Séverine la décrit comme "un abbé janséniste affublé en cotillons". Il y a des portraits plus sympathiques! Il s'explique peut-être par les convictions libertaires et féministes de Séverine. Louise Abbéma n'étant ni l'une ni l'autre!
"En art, la femme n'est nullement opprimée. Toutes celles qui ont quelque chose à dire l'ont dit."
"Je ne crois pas que la réussite ait été plus difficile à la femme qu'à l'homme."
Sarah et Louise s'apprécient et se respectent. Sarah aime écouter Louise parler de peinture (d'autant plus qu'elle peint et sculpte elle-même) et Louise ne se lasse pas d'entendre Sarah raconter avec humour ses rencontres et ses succès.
Sarah Bernhardt (Alfred Stevens)
Elles fréquentent toutes deux, avenue Frochot, l'atelier d'Alfred Stevens, grand ami de Sarah dont les portraits d'élégantes connaissent un immense succès.
Le printemps. Panneau de Louise Abbéma.
Louise est sensible aux mouvements artistiques même si elle n'y adhère pas vraiment. On peut cependant lui accorder sa place dans l'Art Nouveau, avec ses panneaux décoratifs à entrelacs floraux… ses éventails peints… ses décors muraux.
Eventail de Louise Abbéma. Sarah Bernhardt dans un jardin japonais
Elle conçoit des affiches et des publicités qui sont plus proches de Mucha que de Toulouse Lautrec.
Peut-être son succès dans la haute société la rend-elle prudente devant les extraordinaires mutations que connaît l'avant-garde artistique. Elle a eu l'occasion de voir et d'admirer les Impressionnistes et de connaître Monet mais elle était trop bien intégrée dans sa réputation et son aisance pour se lancer avec eux dans une aventure où à l'évidence elle aurait eu sa place.
Quelques oeuvres d'elle nous permettent d'imaginer les chemins qu'elle aurait pu suivre.
Les mairies parisiennes dont les fresques murales sont un témoignage de cette époque où Paris était capitale artistique de l'Europe, ont fait appel à Louise Abbéma pour décorer quelques panneaux.
Il en est ainsi pour l'Hôtel de Ville, les mairies des 7ème, 10ème et 20ème arrondissements.
Elle décora également le théâtre Sarah Bernhardt, aujourd'hui Théâtre de la Ville, dont l'intérieur a été sauvagement détruit en 1966, vidé de ses ors et de ses pourpres pour devenir le Théâtre de la Ville, si mal conçu, si inconfortable qu'il a fallu entreprendre de le remanier en 2016 et fermer ses portes. On attend toujours sa réouverture!
Louise a été à la fin du XIXème et au début du XXème reconnue comme un grand homme! C'est à dire qu'on lui a décerné le titre de Chevalier de la Légion d'honneur en 1906!
Elle était alors la 2ème femme peintre (après Rosa Bonheur) à le recevoir.
Jeanne Samary (Louise Abbéma)
Aujourd'hui Louise Abbéma est un peu connue dans le milieu des spécialistes de l'histoire de l'art qui lui reconnaissent un grand talent.
Elle est capturée par des mouvements féministes et lesbiens qui en font une femme libre, volontaire, dégagée du patriarcat. En fait, elle était à l'aise dans la société et ne remettait pas en cause la domination masculine.
Son goût pour les femmes est assez courant dans son milieu. Il est possible que Sarah et elle aient été amantes avant de devenir les meilleures amies. Louise menait en ce domaine une vie discrète et ne cherchait pas un rôle de libératrice des mœurs. Je ne sais cependant s'il faut la croire lorsqu'elle écrit que sans sa passion pour la peinture elle se serait mariée et aurait eu des enfants.
(En annexe je cite le poème de Montesquiou qui lui est dédié et qui ne laisse aucun doute sur ses goûts).
Renée Delmas (Louise Abbéma)
Elle fut artiste, femme de caractère, indépendante et libre, peintre de grand talent, éclairée par la lumière de Sarah Bernhardt...
Le musée d'Etampes (ville de sa naissance) permet de la rencontrer, de la connaître et de ne pas oublier son nom....
La dame avec les fleurs (1883)
Louise Abbéma...
Un nom qui ne s'effacera pas tant que celui de Sarah fascinera. Louise lui doit sa survie artistique alors qu'elle est un témoin de son époque, de la classe privilégiée qu'elle peint sans audace mais avec sensibilité . C'est peut-être là sa signature la plus secrète : une tristesse, une solitude, une lassitude dans le regard de ses modèles, comme une blessure, une accusation qui n'osent s'exprimer avec plus de véhémence.
Annexe
Poème de Montesquiou dédié à Louise Abbéma, ici nommée Abîme.
Abîme
Non rien n'est absolu, disait un jour Catulle;
Le vice qui ,chez nous, saphique s'intitule
Et consiste à mettre Elle à la place de Lui,
A des soirs de relâche et des matins d'ennui
Qui souhaitent parfois de connaître autre chose
Que l'effort sans effet et que l'effet sans cause.
Sapho fut infidèle et Phaon le passeur,
Dont l'étreinte n'était pas celle d'une soeur,
La reprit à la douce Attys, à ses compagnes,
Qui s'en allaient à deux errer dans les campagnes.
Abîme qui depuis des ans a le renom
D'avoir une compagne au lieu d'un compagnon,
Abîme, je vous jure, amis, m'a pris la... main,
Et ce geste m'a fait, j'avoue, une peur bleue.
(On comprend cette peur chez un homme qui n'aimait que les hommes!)