Jardin de Paris: Jane Avril, 1893. Lithographie 4 couleurs (124 x 91,5 cm)
Jane Avril est à part dans le monde nocturne de Montmartre. Elle n'a pas la sensualité débridée de Nini patte en l'air ou de la Goulue. Elle séduit sans se prostituer; elle danse sans se déshabiller. Etrange et mystérieuse, elle traverse la nuit comme un navire traverse un détroit houleux.
Toulouse Lautrec ne s'y trompe pas... Il la reconnaît comme une soeur douloureuse. Pour elle, il délaisse la Goulue à la sensualité débordante. Il la regarde, il l'aime, il saisit sa solitude, son désarroi, sa dignité. Il la montre telle qu'elle est quand elle danse, avec cette énergie qui stupéfie, avec cette distinction qu'on retrouvera plus tard chez Marlène dietrich...
Dans la rue, elle marche seule, avec son lourd passé de petite fille mal aimée, d'enfant battue par une mère alcoolique qui n'était préoccupée que d'elle et d'elle seule. Elle se sait fragile, à la merci d'une crise d'épilepsie. Elle a rendu visite à Charcot à la Salpétrière. Elle a espéré qu'il la guérirait de ses angoisses et de cette hystérie qui parfois la submerge et lui vaut des surnoms sans pitié : Jane la folle, Mélinite...
Entre artistes on se comprend. On voit ce que les autres ne voient pas. Cette tristesse, ce refuge du corps dans les étoffes fermées.
Ce désir inexprimé d'un ailleurs. D'une vie avec un homme aimé, loin des paillettes et des bulles de champagne.
Comment imaginer que ce visage-là déchaîne l'enthousiasme et la passion?
C'est qu'elle est double Jane Avril. Elle est la danseuse montmartroise, du Divan Japonais, des Folies Bergères... Elle est en même temps l'amie d'écrivains rares comme Huysmans ou Alphonse allais qui rêve de l'épouser...
Sur l'affiche du Divan Japonais, elle est assise devant la scène où Yvette Guilbert croise ses gants noirs, mais c'est elle la vedette. Elle est la longue dame noire. Elle est l'élégante à l'éventail vers qui se penche Edouard Dujardin, ami de Mallarmé et passionné de Wagner ...
Elle est l'ambassadrice d'un French-Cancan qui serait dansé par une reine. C'est elle qui à Londres ou à Madrid, en donnera l'image la plus vive et la plus poétique. Une danse violente de sexe et de passion, mais aussi une danse de l' immédiat, du moment réel contre l'éternité abstraite.
Jusqu'à la mort du peintre, elle restera son amie. Il y eut entre eux une proximité plus forte que l'union des corps.
Le peintre l'a vue, l'a peinte comme un voyant sait peindre. Le mouvement, l'ondulation, le jeu, la tragédie...
Le serpent qui frôle le sein sur la robe noire. Le serpent de Cléopâtre. Le serpent du temps qui glisse...
Jane Avril a fini par trouver l'homme de sa vie, le journaliste et dessinateur Maurice Blais qu'elle a suivi à Jouy en Josas pour y vivre 16 années plus paisibles...
Jane Avril par Maurice Blais
Quand il meurt, il la laisse sans un sou et Jane n'a même pas la ressource de vendre les dessins et les croquis que Toulouse Lautrec lui a offerts. Il y a longtemps déjà qu'elle en a fait cadeau à des amants de passage...
Sacha Guitry interviendra pour la faire entrer dans un hospice où elle passera les dix dernières années de sa vie.
Elle dansera une ultime fois, à 67 ans, invitée par Max Dearly.
Elle mourra huit ans plus tard et sera enterrée au Père Lachaise.
Sans doute eût-elle préféré Montmartre où elle rencontra son grand ami, Toulouse Lautrec, celui grâce à qui elle est vivante aujourd'hui....
Liens :
Liste et liens: Peintres et personnages de Montmartre. Classement alphabetique.
Poulbot. Panneaux de Faïence. Rue Damrémont. Montmartre.
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