Il a fallu s'y résigner… Maman ne pouvait plus rester chez elle.
Nous avons espéré ardemment qu'elle ne quitterait son appartement que la nuit où elle s'y endormirait, en douceur, s'éloignant dans un tunnel ouvert sur la lumière, avec là-bas, lui tendant les bras, son père tant aimé, sa mère, son fils et sa fille enfin retrouvés….
Mais non! Son corps robuste de fille du nord, a tenu bon dans les tempêtes, comme un marin à la barre. Un marin qui peu a peu a perdu le pied marin et s'est mis à chavirer, à tomber sur les tapis et ne pouvoir se relever, avec son chat inquiet à ses côtés.
Avec Bruno
Il a fallu s'y résigner, tout laisser, tout abandonner, 60 ans de souvenirs qui avaient poussé dru dans cet appartement où vivait la tribu, 7 enfants!
avec Jean-Loup
Il a fallu, après les urgences et l'hôpital, s'exiler dans un EHPAD, bâtiment où l'on concentre les vieux qui vivent trop longtemps.
Avec moi gros poussah!
Nous l'entourons, nous passons des heures avec elle, nous répondons sans dire la vérité à ses questions pour savoir quand elle rentrera chez elle avec son chat.
Avec Marianne
Mais maintenant je sais quelque chose que je ne savais pas.
J'ai eu tant de mal ces dernières années à l'aimer sans penser à moi, en oubliant mes plaies...
Je ne comprenais pas qu'à son âge on pût ressembler au nourrisson que son instinct protège et dont la survie ne dépend que des autres.
Etienne Carjat est avec Nadar le plus connu des photographes de la deuxième moitié du XIXème siècle…
Etienne Carjat (autoportrait)
Indépendamment de son talent ce sont les hommes et les femmes qu'il a photographiés qui assurent sa célébrité!
Baudelaire (Carjat)
Certains des plus grands écrivains, peintres, acteurs, politiciens de ses contemporains figurent sur ses clichés et illustrent nombre de livres, recueils, études…
Verdi (Carjat)
Et que dire du plus célèbre et peut-être du plus beau, Arthur Rimbaud dont le visage d'ange et de démon est devenu une icône, à l'égal de Che Guevara de Korda.
Rimbaud (Carjat)
Etienne Carjat n'est pas seulement photographe et son arc possède plusieurs cordes, celle de caricaturiste, de journaliste et de poète.
Berlioz. Caricature de Carjat
Victor Hugo, caricature de Carjat.
L'homme est né dans l'Ain en 1828, dans un milieu des plus modestes, il "monte" à Paris avec ses parents. Sa mère y est concierge.
Daudet (Carjat)
Il travaille dès l'âge de 13 ans comme dessinateur sur soie et il prend le goût qu'il ne perdra jamais de tout ce qui touche à la production artistique.
Monet (Carjat)
Ce n'est qu'à 30 ans qu'il découvre la photographie, art alors à la mode et en plein essor. Il apprend le métier dans l'atelier de Pierre Petit.
Pierre Petit (autoportrait)
Pierre Petit est un photographe bien en cour qui s'est fait une clientèle en or, celle des prélats catholiques, modestement soucieux d'immortaliser leur dignité. Il est surnommé "le photographe de l'épiscopat"!
Il est surtout LE photographe officiel de l'exposition universelle de 1867 dont il tire plus de 12 000 clichés et de celle de 1889.
Nain tartare expo 1867 (Pierre Petit)
Enfin il a pu photographier le chantier de la statue de la Liberté alors que les plaques de cuivre de Bartholdi étaient assemblées sur la structure de Eiffel, dans le XVIIème arrondissement.
Très vite Etienne Carjat égale son maître dont il retient la leçon, notamment pour l'éclairage et la mise en valeur du modèle qu'il fait poser le plus naturellement possible sur un fond neutre et sans décor qui éparpillerait l'attention.
Sarah Bernhardt (Carjat)
Il installe son atelier rue Lafitte (56) où il rencontre le succès. Il est lié au monde des arts et ses convictions politiques le rapprochent d'écrivains et de peintres soucieux de justice sociale.
Le 56 rue Lafitte aujourd'hui. L'immeuble d'assurances construit en 1914 a supprimé l'immeuble où Carjat avait ouvert son atelier.
Emile Zola (Carjat)
Son amitié avec Courbet traversera les années. Il partage avec lui le même enthousiasme pendant la Commune et le soutient dans les poursuites injustes qu'il subit après l'écrasement.
Courbet (Carjat)
Il prend plus de dix photos de son ami et dessine plusieurs caricatures qui laissent percevoir son affection admirative
Courbet (Carjat)
En 1866, Etienne Carjat déménage et installe son atelier rue Pigalle (62).
62 rue Pigalle aujourd'hui. Là encore l'immeuble où Carjat avait ouvert son atelier a disparu au profit de ce vilain bâtiment.
Il y restera quelques années avant de déménager une dernière fois, toujours dans le quartier de la Nouvelle Athènes, rue Notre-Dame de Lorette (10)
10 rue Notre-Dame de Lorette. Le seul immeuble qui soit toujours tel que Carjat l'a connu.
Parmi les écrivains qu'il fréquente et considère comme des amis figure évidemment Victor Hugo.
Hugo (Carjat)
Il lui dédie le premier poème de son recueil "Artiste et citoyen".
A Victor Hugo
Des champs de la pensée, auguste moissonneur,
Quand ta faucille d'or a nivelé les plaines,
A peine reste-t-il pour le pauvre glaneur
Quelques uns des épis dont tes granges sont pleines;
Il faut chercher longtemps dans le creux du sillon,
Pour trouver quelque grain oublié sur la terre,
Mais si petit qu'il soit, ce grain est l'embryon
D'où peut jaillir demain le froment salutaire.
Baudelaire (Carjat)
Baudelaire fait aussi partie des admirations de Carjat qui le fréquente en voisin de la rue Pigalle où le poète vit avec Jeanne Duval.
Grâce à cette amitié, nous possédons quelques unes des plus belles photos de Baudelaire.
Mais il est inévitable d'en arriver au plus célèbre des portraits, celui qui a donné de Rimbaud l'image d'un ange inquiétant et fascinant...
Rimbaud (Carjat)
Etienne Carjat connaît bien Rimbaud car il fait partie avec lui et Verlaine du Club des Vilains bonshommes.
verlaine (Carjat)
Ce club d'inspiration parnassienne compte dans ses rangs Verlaine, Fantin Latour, André Gill, Banville, Mallarmé… et bien d'autres .
"Un coin de table" (Fantin Latour). Une réunion des Vilains Bonshommes. A gauche Verlaine et Rimbaud.
C'est Verlaine qui y convie en 1871 Rimbaud qui lit son fameux Bateau Ivre.
Carjat fait partie de l'assemblée et participe au repas mensuel des bonshommes qui aiment la poésie, le bon vin et l'absinthe!
Place Pigalle. Le Rat Mort (droite) et l'Abbaye de Thélème.
Les repas se terminent souvent sur le trottoir en de mémorables bagarres. C'est au cours de l'une d'elles, devant l'Abbaye de Thélème, place Pigalle, que le jeune Rimbaud blesse à la jambe Etienne Carjat avec une canne-épée.
Pochoir sur une palissade de Raspail (Pedro)
Rimbaud ne reviendra plus dans le club, mais ce qui est regrettable, c'est que Carjat qui avait pris de nombreuses photos du jeune poète, de retour dans son atelier, les eût détruites une à une. Il ne reste par miracle que celle que nous connaissons et qui suffit à la gloire de son auteur.
Nous ne sommes pas certains de l'origine d'une autre photo qui représente Rimbaud plus jeune, bien que des exemplaires aient été publiés sur des cartons signés de Carjat.
Les rimbaldiens ont plusieurs hypothèses à ce sujet. La plus vraisemblable serait que Verlaine aurait confié une photo de Rimbaud adolescent à Carjat afin qu'il la restaure.
Il nous reste l'extraordinaire regard de Rimbaud sur la photo dont Carjat est assurément l'auteur. Cette photo est sa Joconde, son chef d'œuvre, dû en grande partie au charisme de son modèle.
Caricature de Gounod (Carjat)
Quatre ans après cette photo, Carjat privilégiera la caricature en fondant la revue "Boulevard"
Daumier (Carjat)
Il est marié et a deux enfants mais ce qui compte le plus pour lui c'est la fréquentation des artiste qu'il admire.
Il est fidèle à ses idées généreuses et utopistes et garde au cœur "le temps des cerises".
Il meurt le 9 mars 1906, dans la maison Dubois, (Xème arrondissement) l'ancien établissement fondé par Vincent de Paul et qui en 1953 prendra le nom d'hôpital Fernand Widal.
Sans doute ne connaîtrons-nous jamais l'étendue de son génie de photographe, car la plus grande partie de son œuvre a disparu après avoir été vendue à un certain Mr Roth.
Le mime Debureau (Carjat)
Peut-être un jour réapparaîtra-t-elle, découverte dans un grenier ou dans une cave…
Peut-être alors découvrirons nous d'autres clichés uniques et connaîtrons-nous d'autres illuminations!
Jean Baptiste Troppmann, cet assassin qui a fait la une de la presse du Second Empire a un lien avec Montmartre, en plus de celui de figurer en bonne place sur une toile à la fois naïve et violente exposée au premier étage du musée de la rue Cortot.
En effet, avant que le Lapin agile prît ce nom, le cabaret de la rue des saules s'appelait le cabaret des assassins et ses murs étaient couverts de toiles représentant des crimes célèbres dont celui de Troppmann.
Si le peintre est inconnu, le sujet de son tableau ne l'est pas. Il s'agit d'un crime qui passionna la société française tant il parut monstrueux.
Jean Baptiste Troppmann
L'histoire est assez compliquée, inutile d'entrer dans les détails.
Un jeune homme de 20 ans, Troppmann, empoisonne un père de famille, Jean Kinck, se débarrasse du fils aîné, Gustave Kinck, en le poignardant et en l'ensevelissant dans un champ, près des Quatre Chemins, à Pantin.
La famille Kinck. Jean et Hortense et trois de leurs six enfants.
Il élimine ensuite le reste de la famille : Hortense la femme, enceinte de plusieurs mois, sa fillette âgée de deux ans et ses garçons âgés de 8, 10, 13 et 16 ans.
Il les emmène en voiture de louage à Pantin, leur faisant croire que le père y a loué une maison. Dans le champ où il avait tué Gustave, il se livre à un véritable massacre.
Il égorge, tue à coups de pioches, s'acharne sur ses victimes qu'il lacère avant de les enterrer dans une fosse.
D'après les experts, il aurait agi dans une sorte de crise de folie, avec une rage et une force décuplées....
Le massacre comme tous les faits divers sanguinolents a un retentissement considérable et permet aux journaux de multiplier par dix leur chiffre de vente!
Le jeune criminel fascine et horrifie.
Ses crimes font l'objet de nombreuses études et interprétations. Certains enquêteurs ne veulent pas croire qu'il les ait commis seul.
On a parlé de complices, de trafic de fausse monnaie...
La sauvagerie du massacre, les coups de couteau frénétiques, le démembrement à coups de pioche et de pelle sont détaillés au cours d'un procès suivi par une foule de curieux parmi lesquels des écrivains comme Flaubert, Dumas ou Barbey d'Aurevilly.
Lautréamont voit en l'assassin un marginal,un révolté absolu se déchaînant contre l'image de la bourgeoisie, contre la famille, contre l'ordre établi...
Il parle dans ses poésies de "la révolte féroce de Troppmann"
S'il est vrai qu'il subsiste des zones d'ombres dans cette sinistre histoire, il est cependant avéré que l'argent en est le mobile.
Les juges ne s'y trompent pas et Troppmann est condamné à la guillotine.
Il y a foule le 19 janvier 1870 pour assister à l'exécution et pour voir le condamné, soudain habité d'une force terrible, faire sauter les sangles qui le maintiennent sur la planche et mordre la main de son bourreau au point de presque sectionner un de ses doigts!
Parmi les spectateurs se trouve Ivan Tourgueniev qui a pu grâce à Maxime Ducamp rendre visite au condamné dans sa cellule avant d'assister au supplice.
La tête de Troppmann dessinée par Gill....
Il en a laissé un récit bref et précis : "'L'exécution de Troppmann"
"A l'apparition de Troppmann, le bruit de la foule se tut comme un monstre qui s'endort.
Enfin retentit un bruit léger de bois qui se heurtent. c'était la chute de la lunette supérieure avec la découpure transversale pour laisser passer le tranchant, la lunette qui prend le cou du criminel et rend sa tête immobile; puis quelque chose gronda sourdement, roula et éructa comme si un grand animal eût craché."
Quelques mois après la mort de Troppmann, c'est le Second Empire qui est guillotiné à Sedan... bientôt suivi de l'invasion prussienne et de la Commune de Paris.
Les résistants seront écrasés au cours de massacres sauvages qui ne feront pas le tri sur les barricades entre les hommes, les femmes, enceintes ou non, les gavroches...
Rien à voir me direz-vous avec Troppmann.
Oui vous avez raison mais j'y ai pensé malgré moi à cause de l'auteur du tableau dont le nom est Douay...
Or c'est le général Douay, commandant des troupes versaillaises qui inaugura le dimanche 21 mai 1871 la Semaine Sanglante!
Voilà une statue qui fit scandale en son temps et qui aujourd'hui encore susciterait de vives polémiques!
Un soldat allemand et un soldat français dénudés s'enlaçant comme deux amants!
La statue est l'oeuvre du sculpteur Emile Derré dont nous pouvons voir à Montmartre, dans le square Louise Michel la Grotte de l'Amour et la Fontaine des Innocents.
La Grotte de l'amour. Square Louise Michel.
La fontaine des Innocents. Square Louise Michel.
Cet artiste autodicacte, venu d'un milieu populaire et ayant exercé contre son gré le métier de garçon boucher, se forma en assistant aux cours donnés gratuitement dans son quartier.
Il eut la chance d'être employé au service d'un modeleur avec lequel il apprit son métier.
Le chapiteau des baisers. L'amour symbolisé par Auguste Blanqui et Louise Michel. (Roubaix)
Profondément attaché au peuple, écoeuré par l'égoïsme bourgeois, anarchiste dans l'âme, cet artiste fraternel aima représenter des hommes et des femmes qu'il admirait : Louise Michel, Elisée Reclus, Zola, Fourier, Ferrer...
Pour la petite histoire, le Chapiteau des Baisers que l'on pouvait voir dans le jardin du Luxembourg fut retiré sur ordre de Mitterand (!) en 1984 et installé à Roubaix en 1990. Décidément notre ancien président avait des problèmes avec le Luxembourg!
Ayant été marqué douloureusement par la première guerre, Emile Derré était pacifiste de coeur et d'âme. Sa Réconciliation est un manifeste.
Représentée comme une déesse antique, le pied posé sur le glaive, l'humanité drapée de sa toge, porte sur ses genoux un soldat blessé qui est représenté dans une position christique. Il serait seul on pourrait parler de pieta, la mère tenant son fils sur ses genoux et partageant ses souffrances.
Le soldat allemand est reconnaissable à son casque. La main gauche de la femme est posée sur sa hanche tandis que la droite est posée sur celle du soldat français. La femme a les yeux fixés sur l'horizon, sur l'avenir qui sera différent et libéré des guerres.
Ce qui frappe c'est la sensualité des corps masculins, de ce couple viril enlacé.
La Mère Educatrice. N° de janvier 1925
La statue fut exposée au salon d'automne de 1923. Dans la revue mensuelle d'éducation populaire, La Mère Educatrice, elle est présentée comme "le plus grand acte d'amour qui soit".
Ce ne fut pas l'avis des "patriotes revanchards" qui souillèrent de crachats le soldat allemand. La statue fut déplacée près des WC mais le tumulte ne s'apaisa pas. Elle fut donc retirée de l'exposition.
Il fut envisagé de l'installer à l'entrée de la Bourse du Travail mais le préfet de la Seine refusa ce transfert.
Mensuel La Mère Educatrice
Toujours dans la Mère Educatrice on peut lire : "Le journal l'Anti-guerrier a bien voulu nous prêter ce cliché qu'il a fait faire de cette belle oeuvre car nous ne pouvons l'ignorer dans nos colonnes. La Mère Educatrice ne peut que demander à toutes les mères de méditer la leçon profonde qui s'en dégage et de la faire méditer à leurs enfants."
Derré était en avance sur son temps, il le serait encore aujourd'hui. Son couple est une allégorie qui réunit deux frères humains! Caïn et Abel enfin réconciliés sur un champ de bataille jonché de cadavres. Un nouveau commandement, prenant acte des crimes du passé, s'inscrit dans la pierre : "Tu ne tueras plus".
Nouveau commandement qui est en réalité un voeu venu du plus profond du coeur de Derré et de tous les pacifistes, de ceux qui continuent de croire contre vents et marées à la grande réconciliation de tous les hommes, sans diktat politique ou religieux, sans préjugés, sans intégrisme...
Qui retrouvera le chef d'oeuvre disparu? Qui peut dire où il est?
S'il existe encore et s'il est conservé dans le cimetière lapidaire de la ville à Ivry, le maire ou la future mairesse de Paris aura-t'il l'audace de l'en sortir et d'offrir son message aux passants et aux touristes, entre la Fontaine des Innocents et la Grotte de l'amour?
Comme chacun sait le jour des morts c'est aujourd'hui le 2 novembre. Par chance le soleil vient caresser les tombes du cimetière Montmartre. La lumière est douce et le seul mot de lumière suffit à évoquer le cinéma et à faire passer sur l'écran du ciel des visages inoubliables, des moments gravés non pas dans le marbre mais sur la rétine….
J'ai voulu rendre visite à quelques habitants du cimetière qui y sont comme on dit enterrés. Mais ce mot convient mal! On n'enterre pas les étoiles!
J'ai commencé par Falconetti, celle qui m'a ouvert en grand les portes de l'émotion quand j'étais adolescent. Je l'ai aimée, j'étais prêt à sauter dans l'écran pour la sauver, j'ai pleuré comme Anna Karina dans Vivre Sa Vie!
Il y avait sur sa tombe une seule rose blanche et une petite médaille déposée là par un fidèle pour qui elle est à jamais Jeanne d'Arc, la vraie!
La tombe de Brialy est beaucoup plus fleurie. Il est vrai qu'il est un jeune mort par rapport à Falconetti. Il a choisi de reposer à côté de la Dame aux Camélias. Il reste pour moi le séducteur du Genou de Claire.
Je suis passé par hasard devant la tombe de Pierre Dux. Elle était veillée par un arbuste aux feuilles d'or.
Je connais mal ce grand résistant, acteur de théâtre et aussi de cinéma puisqu'on le voit chez Costa-Gavras, Deville, Nelly Kaplan, René Clair…
Z de Costa-Gavras
Non loin de là, caché sous les fleurs d'une inhumation familiale récente, Michel Galabru repose dans une tombe qui lui ressemble, à la fois modeste, sans pierre ni monument et pourtant en bordure d'allée. Homme d'apparence bourrue et rustre, homme sensible et délicat… il n'hésitait pas à aller dans les collèges et les lycées rencontrer les jeunes qui se sentaient considérés et respectés…
Le juge et l'assassin (Tavernier)
En bordure d'allée, entre des tombes ostentatoires, celle de Clouzot est simple et grise. Une tombe banale, conventionnelle, qui ne dit rien de son œuvre en contrastes violents et en noirceur abyssale.
Le Corbeau, l'Assassin habite au 21, Quai des Orfèvres, les Diaboliques, la Vérité… Autant de chefs d'œuvre… dédaignés par la Nouvelle Vague.
La Vérité
Sa femme Véra Clouzot repose à ses côtés. Elle a tourné avec son mari dans les trois seuls films où elle ait joué: Les Diaboliques, Quai des Orfèvres et Les Espions. On sait moins qu'elle a été co-scénariste de la Vérité et qu'elle est morte d'une crise cardiaque peu de temps après la sortie du film. C'est de la même mort que son mari la fait mourir dans les Diaboliques.
Les Diaboliques (Véra Clouzot et Simone Signoret)
Pour terminer cette rapide visite en apothéose, comme le bouquet final qui ne serait pas de chrysanthèmes, je me suis rendu à cet endroit du cimetière où à quelques mètres les uns des autres reposent Truffaut, Dominique Laffin, Jeanne Moreau et Jacques Rivette!
Tombe de Truffaut
Truffaut et Léaud
A tout seigneur tout honneur, Truffaut est au centre, sous une large dalle de marbre noir. Alors que l'anniversaire de sa mort était le 21 octobre et que la Toussaint est propice aux visites et aux fleurs, il n'y a sur la dalle noire que trois roses. Quelques admirateurs ont laissé un billet de métro ou des tickets de cinéma qu'ils avaient dans leur poche.
Certes pas du Gaumont Palace où se réfugie le jeune Antoine Doisnel. Le somptueux cinéma a disparu et désormais ce sont les fenêtres d'un vilain hôtel qui donnent sur le cimetière.
A quatre mètre de Truffaut, comme pour un rendez-vous, la Catherine de Jules et Jim a pris place. La tombe est en blanc pour la mariée qui était en noir.
La mariée était en noir. Moreau, Brialy.
Jeanne Moreau… Son sourire, sa voix sensuelle et harmonieuse comme l'eau sur les cailloux… Combien d'amoureux viennent là, se recueillir et toucher la pierre fermée, comme dans ce poème de Max Jacob :
"Verras-tu dans ton rêve, endormie, celui qui touche à la porte, à cette porte de ta maison?"
A une tombe de Truffaut repose Dominique Laffin, bien oubliée aujourd'hui. On la voit pourtant dans de beaux films, de Doillon, Miller, Catherine Breillat, Marco Ferreri…
Comme Véra Clouzot, elle meurt d'une crise cardiaque à 33 ans.
La femme qui pleure (Doillon)
Entre Truffaut et Dominique Laffin, est agenouillée une femme sans tête. Elle est pour moi l'allégorie de temps ravageur et de la mémoire qui peu à peu s'efface.
A 20 mètres de Truffaut et Dominique Laffin, un autre cinéaste est venu habiter. Il s'agit de Jacques Rivette.
L'Amour fou (Rivette)
Un créateur unique, bien sûr lié à l'aventure de la Nouvelle Vague et aux Cahiers du Cinéma, mais avant tout en phase avec une jeunesse libre et exigente. Une jeunesse avide de poésie, de hasard et d'amour. Nous étions jeunes et ivres d'absolu quand nous découvrions l'Amour Fou.
Céline et Julie vont en bateau. (Dominique Labourier, Juliet Berto)
Et quel régal que l'aventure de Céline et Julie vont en bateau, sur cette Butte Montmartre où nous avons cherché en vain la rue du Nadir aux pommes près du Château des Brouillards. Mais la vie est un songe!
J'ai oublié dans ma balade de cinéma dans le cimetière de Montmartre Louis Jouvet, Mary Marquet et quelques autres… mais il m'est impossible d'ignorer Sacha Guitry pour la bonne raison qu'il a choisi une place éminente, immanquable, à l'entrée (qui est aussi la sortie)!
Le roman d'un tricheur. (Jacqueline Delubac, Sacha Guitry)
Homme d'esprit, acteur, auteur de théâtre, cinéaste… Il n'a pas tourné moins de 36 films parmi lesquels "Le Roman d'un Tricheur" ou "Si Versailles m'était conté". Truffaut parle du "génie de Sacha Guitry". Et pour terminer notre balade sur le plus beau mot de la langue française, il écrit :
"Les héroïnes de Sacha Guitry mentent comme elles respirent, mais elles respirent l'amour".