La tombe de Bob Siné, de son vrai nom Maurice Albert Sinet, dans la 30ème division du cimetière Montmartre ne peut manquer d'attirer l'attention du visiteur!
De loin, elle se dresse comme un doigt d'honneur géant, pointé contre le ciel!
De plus près, elle perd de son insolence pour se métamorphoser en cactus.
Ou plus exactement en cactus qui fait un doigt d'honneur!
Siné qui avait fait installer ce "monument" quelques années avant sa mort n'en était pas satisfait. Il trouvait que le doigt d'honneur n'était pas assez convaincant!
Il est pourtant là avec son humour noir, son goût de la rigolade, son refus de se prendre au sérieux...
Il est comme un enfant qui veut avoir le dernier mot mais il sait que le dernier mot on ne l'a jamais avec la mort...
La phrase qu'il a choisie pour délivrer un dernier message-clin d'œil est écrite en lettres dorées au pied du cactus :
"Mourir? plutôt crever!"
C'est d'ailleurs le titre du film-documentaire (de Stéphane Mercurio) qui lui est consacré, tourné en 2008, juste après son renvoi de Charlie Hebdo dont il faisait partie depuis 27 ans.
C'est donc un 5 mai 2016 que Siné n'est pas mort mais a simplement crevé, comme crèvent les pneus d'une bicyclette, dans une chambre de l'hôpital Bichat avec vue sur Montmartre et le Sacré Cœur exécré !
Après une longue vie, le cancer des poumons, le ramenait à Montmartre, près des boulevards qu'il avait parcourus étant enfant, dans ces quartiers foisonnants et métissés qui vont de la place de Clichy à Barbès.
Il aimait ce Paris des voyous et des poètes, de Prévert, de Vian, des musiciens et des cabarets. Il avait chanté lui même et fait partie du groupe des "Garçons de la Rue".
Il était dingue de jazz et de la voix de Billie Holiday...
Il était passionné de justice et attentif aux inégalités héritées du passé.
En 1957 il reçut le prix de l'humour noir avec son recueil "Complainte sans paroles". Mais sa célébrité lui sera apportée par l'animal emblématique de Montmartre, celui qui fit connaître le cabaret de Bruant : le chat!
On connaît ses engagements, ses combats, ses indignations et ses révoltes. Malheureusement il n'échappe pas au sectarisme. Son indignation bien compréhensible devant le sort réservé aux Palestiniens le conduisit à s'allier avec Dieudonné et son parti Euro Palestine et à assister sans broncher à un meeting pendant lequel furent hués les noms juifs. Mais il sera poursuivi également pour ses piques anti musulmanes, les maris en babouches et leurs grosses patates de femmes voilées.
Il avait la haine de toutes les religions. Voltairien? Oui... mais Voltaire s'en prenait aux dogmes, pas aux personnes...
Inutile de rentrer dans le débat oiseux de cette maladie d'une certaine extrême gauche d' assimiler les Juifs aux capitalistes, banquiers, colonialistes qui se prévaudraient de la Shoah pour se poser une fois pour toutes en victimes.
On peut être révolté par la politique des gouvernements israéliens sans tomber dans l'antisémitisme et s'exprimer à la radio en ces termes : Je suis antisémite et je n'ai plus peur de l'avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs. Je veux que chaque Juif vive dans la peur sauf s'il est pro palestinien. Qu'ils meurent tous!
Plus tard, malgré son aversion des religions, il écrira : "Je préfère une Musulmane en tchador à une Juive rasée".
Ces phrases resteront comme une arête en travers de la gorge de tous ses chats et de nombre de ses admirateurs
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Le différend avec Philippe Val à Charlie hebdo, qui couvait depuis longtemps, a permis à Siné d'échapper au massacre qui fracassa Cabu, Maris, Wolinski, Tignous, Honoré, Charb...
Comme quoi il est parfois utile de tenir des propos antisémites!
Dans l'article qui hâta son éviction, il écrivait à propos de Jean Sarkozy, sorti de son procès sous les applaudissements : Il faut dire que le plaignant est arabe! Ce n'est pas tout! Jean Sarkozy vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée juive, héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit!"
Au nom du droit à la satire, il n'a pas été condamné.
Siné avait tout prévu pour son enterrement.
Il a détaillé la cérémonie d'incinération au Père Lachaise avant de décrire la mise en terre de l'urne funéraire. Il a terminé ainsi :
"À la fin, quand tout le monde sera parti, j’irai peut-être alors trinquer avec La Goulue qui a sa tombe tout à côté et il ne me restera plus qu’à attendre patiemment les suivants, car il restera encore 59 places à mes côtés dans cette concession à perpétuité achetée en commun avec Benoît Delépine et conçue pour accueillir 60 zigotos pour l’éternité.
Nous ne sommes, ni l’un ni l’autre, très satisfaits de la statue en bronze qui ressemble plus à un cactus qu’à un doigt d’honneur et n’est donc pas assez explicite. Il m’a promis d’y remédier mais, dommage, je ne verrai la nouvelle version que du dessous. Tant pis !
En revanche, l’épitaphe en lettres d’or : « MOURIR ? PLUTÔT CREVER ! » tient bien la route ! Si un jour vous croisez, au hasard de vos balades, un bonobo qui me ressemble, n’ayez aucun doute, ce sera moi, réincarné ! À plus !
Allez, portez vous bien et à demain peut-être."
Oui nous rencontrerons peut-être un grand dessinateur, un artiste exceptionnel, un amateur de beaujolais et de jazz, mais certainement pas un bonobo.
Pour un bonobo il n'y a ni grosse patate voilée, ni Juive rasée, il n'y a que des bonobotes!
Salut Siné et bonne éternité à toi que j'aurais aimé pouvoir admirer sans réserve!