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Pour les Amoureux de Montmartre sans oublier les voyages lointains, l'île d'Oléron, les chats de tous les jours. Pour les amis inconnus et les poètes.
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La tour d'angle entre les rues du Mont Cenis et Marcadet fait partie du paysage montmartrois (bien qu'elle soit située dans l'ancien village de Clignancourt)!
Elle a été peinte par Utrillo et quelques autres, sensibles à son charme pittoresque.
Leurs toiles immortalisent le restaurant de la Tourelle! un établissement qui a fait long feu et qui a été remplacé successivement par une boîte de nuit, le Donjon (quelle promotion pour la modeste tourelle) puis par le Don Juan...puis par le Château des Lys bien connu des libertins de tous poils!
Ne vous fiez pas au Petit Futé qui prétend que la tourelle est un élément rescapé d'un château du XIIIème siècle !
C'est le club échangiste actuel avec sa salle de tortures en sous-sol qui a peut-être suggéré au Petit Futé peu futé un Moyen âge fantasmé d'oubliettes et de basses fosses!
Ou bien est-ce une gravure fantaisiste qui représente un château du XIIIème siècle avec la fameuse tourelle, propriété des Liger, seigneurs de Clignancourt?
En réalité, Clignancourt au Moyen Âge n'était qu'un hameau dont les terres appartenaient à l'abbaye de Saint-Denis avant d'être vendues à un certain Liger (Jacques) trésorier du cardinal de Bourbon.
... C'est en 1569 qu'il acheta cette terre! Nous sommes loin du XIIIème!
En 1666, un peu moins d'un siècle plus tard, ce sont les Dames de Montmartre (l'Abbaye) qui en devinrent propriétaires. Oublions donc l'origine médiévale du modeste bâtiment!
En ce qui concerne Le Château des Lys, Les amateurs iront sur le site de ce haut lieu des nuits parisiennes et y butineront les informations qui les guideront de soirée "trio" en fête "sans culotte".
A propos de "sans culottes", remontons au XVIII ème siècle avant la Révolution... à l'époque où le libertinage acquérait ses lettres de noblesse.
Notre tourelle faisait alors partie du village de Clignancourt.
Ce qui est alors un hôtel particulier de modeste allure égayé par une petite tour décorative est acheté en 1771 ainsi que les terrains alentours par un sieur Pierre Deruelle qui y installe une manufacture de porcelaine.
Il se peut que la fameuse tourelle ait servi de moulin dont la meule réduisait en poudre le quartz et le feldspath nécessaires avec le kaolin à la fabrication de la pâte.
Les premières pièces sorties de la manufacture portaient la marque d'un moulin, bleu ou rouge.
Ainsi bien avant le Moulin Rouge de Pigalle, Clignancourt eut son petit moulin rouge!
La manufacture obtient la protection du Comte de Provence, frère du roi et futur Louis XVIII, ce qui lui permet de ne pas subir la tyrannie de la Manufacture de Sèvres qui collectionnait les privilèges.
La signature au Moulin est abandonnée au profit des lettres des prénoms de Monsieur, L S X, Louis Stanislas Xavier.
La vaisselle créée à Clignancourt est de grande qualité, capable de rivaliser dans la finesse des décors et les enluminures d'or avec la toute puissante manufacture de Sèvres. Quelques pièces conservées au Musée de Montmartre nous en donnent une idée...
La clientèle est composée d'aristocrates ou de grands bourgeois.
Quand éclate la Révolution, elle a d'autres soucis que d'acheter des assiettes! La manufacture de Clignancourt tourne alors au ralentis...
En 1792 Deruelle la vend à son gendre Alexandre Moitte. Si le M qui signe les pièces produites alors est toujours présent au dos des pièces, il n'est plus surmonté d'une couronne.
Il n'est plus celui de Monsieur, frère du roi mais celui de Moitte.
La production se poursuivra bon an mal an jusqu'en 1799.
Mais la grande époque est révolue et la riche clientèle n'est pas revenue.
En 1800 la manufacture est vendue et après une tentative avortée de relance, elle ferme définitivement ses portes en 1803.
La propriété est achetée en 1828 par la veuve Tardieu, parente du célèbre médecin connu aujourd'hui pour avoir enseigné que les homosexuels étaient des créatures hybrides et monstrueuses, tenant pour la fragilité psychique de la femme et pour la sexualité et la taille du pénis du chien!
Elle est dépecée et en grande partie détruite au début du XXème siècle.
Par chance un petit bâtiment subsiste avec la fameuse tourelle.
L'humble rescapée fait aujourd'hui partie du paysage de la Butte.
Elle a eu plus de chance que les moulins de Montmartre qui la toisaient de toute leur hauteur et dont ne subsistent que deux miraculés.
Elle est aujourd'hui, dans la nuit montmartroise, le phare qui guide les joyeux libertins vers le Château des Lys...
Les lys! une fleur qui, comme chacun sait symbolise la virginité!
On ne manque jamais d'humour à Montmartre!
À quelques encablures de Montmartre, près du Parc Monceau, s'élève un des plus beaux musées parisiens, connu pour ses collections d'art asiatique.
L'affiche qui annonce une exposition de Walasse Ting "Le voleur de fleurs" est si belle qu'elle incite à passer la frontière de la Butte pour descendre dans la plaine et pousser les portes de Cernuschi!
Walasse Ting (1929-2010) a légué une partie de son œuvre au musée qui lui rend hommage aujourd'hui.
Son parcours artistique lui a fait quitter la Chine en 1946, venir à Paris puis s'installer à New-York où il s'est frotté aux courants picturaux américains.
Mais ce qui dans son œuvre est, pour moi, le moins intellectuel, le plus émouvant et le plus beau à la fois, ce sont ses femmes, à l'encre noire ou en couleurs...
Femmes offertes, femmes précieuses, femmes malicieuses, femmes nobles et belles dont l'éventail effleure la poitrine...
Si l'influence de certains peintres de l'ancienne Chine, ou celle, plus féconde encore de Matisse est manifeste ...
...l'univers crée par le peintre est reconnaissable et personnel..
Il nous invite à entrer dans la confidence et le secret de sa sensualité...
... et pour connaître un peu mieux Walasse Ting, plutôt que des articles de critiques savants, il vaut mieux lui laisser la parole, lire le poème de sa vie.
Walasse Ting par Walasse Ting
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À un an, première fois, chante une chanson
À deux ans, première fois, me mets debout
À trois ans, première fois, attrape une sauterelle
À quatre ans, première fois, fais voler un cerf-volant
À cinq ans, première fois, dessine une libellule
À six ans, première fois, respire une fleur
À sept ans, première fois, pisse sous la pluie
À huit ans, première fois, vois le feu embraser une maison
À neuf ans, première fois, mange du miel
À dix ans, première fois, vois une locomotive
À onze ans, première fois, vois un homme et une femme faire l’amour
À douze ans, première fois, vois grand-père mourir
À treize ans, première fois, me masturbe au lit
À quatorze ans, première fois, danse dans une salle de bal
À quinze ans, première fois, écris un poème
À seize ans, première fois, deviens amoureux
À dix-sept ans, première fois, fais l'amour dans le noir
À dix-huit ans, première fois, quitte la chine
À dix-neuf ans, première fois, ai vendu des aquarelles
À vingt ans, première fois, fais l'amour avec une prostituée
À vingt et un an, première fois, une exposition à moi
À vingt-deux ans, première fois, prends un grand bateau pour paris
À vingt-trois ans, première fois, fais l'amour avec une femme blanche
À vingt-quatre ans, première fois, bois du champagne
À vingt-cinq ans, première fois, ressens la mélancolie
À vingt-six ans, première fois, ressens le mal d'amour et le mal du pays
À vingt-sept ans, première fois, emprunte de l’argent
À vingt-huit ans, première fois, ne crois plus en rien
À vingt-neuf ans, première fois, écris un poème
À trente ans, première fois, arrive en Amérique
À trente et un ans, première fois, fais l’amour avec une femme noire
À trente-deux ans, première fois, mange un hot dog
À trente-trois ans, première fois me marie
À trente-quatre ans, première fois, fais pousser ma moustache
À trente-cinq ans, première fois, fais la vaisselle
À trente-six ans, première fois, ai de la peine à payer mon loyer
À trente-sept ans, première fois, ai une fille
À trente-huit ans, première fois, achète une télé-couleurs
À trente-neuf ans, première fois, achète une assurance-vie
À quarante ans, première fois, ai un fils
À quarante et un ans, première fois, me mets nu sous la pluie
À quarante-deux ans, première fois, me réveille sous la pluie
À quarante-trois ans, première fois, entends mère tomber raide morte
À quarante-quatre ans, première fois, vois père dormir dans un cercueil
À quarante-cinq ans, première fois, deviens citoyen des U.S.A
À quarante-six ans, première fois, sens l’odeur de merde de l’argent
À quarante-sept ans, première fois, vois que le soleil est carré
À quarante-huit ans, première fois, sais que la vie est ronde
À quarante-neuf ans, première fois, ai acheté une pêche de cristal
À cinquante ans, première fois, mange un serpent vert
À cinquante et un ans, première fois, ai acheté une lettre de Gauguin
À cinquante-deux ans, première fois, vais à Tahiti
À cinquante-trois ans, première fois, conduis une Rolls-Royce bleue
À cinquante-quatre ans, première fois, ai un chat
À cinquante-cinq ans, première fois, arc en ciel au petit déjeuner
À cinquante-six ans, première fois me douche avec une symphonie
À cinquante-sept ans, première fois, pleure la mort de ma femme
À cinquante-huit ans, première fois, ressemble à un panda
À cinquante-neuf ans, première fois, achète un flacon de parfum
À soixante ans, première fois, fais l’amour avec une vierge
À soixante et un ans, première fois, deviens amoureux d’une fille rousse
À soixante-deux ans, première fois, ai acheté un plein camion de roses
À soixante-trois ans, première fois, ai perdu l’amour
À soixante-quatre ans, première fois, ressens la mort
À soixante-cinq ans, première fois, vois se lever le soleil
À soixante-six ans, première fois, respire l’air pur
À soixante-sept ans, première fois, vais pécher en pleine mer
À soixante-huit ans, première fois, peins une baleine
À soixante-neuf ans, première fois, achète un Bouddha de couleur blanche
À soixante-dix ans, première fois, achète 2 étoiles filantes
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Le poème s'arrête là, à 70 ans, avec l'achat de deux étoiles filantes.
Walasse Ting ne deviendra la 3ème étoile filante que dix ans plus tard.
Il meurt à l'âge de 80 ans.
La dernière partie de son poème est envahi par la couleur et le rêve.
Entre sensualité et onirisme.
Elle correspond à sa création la plus gaie, la plus féminine, la plus vibrante..
Je joins à cet article le texte original, si difficile à traduire.
Je suis preneur de toute correction.
J'ai choisi de ne pas le traduire littéralement car l'absence de déterminant dans le texte original donnerait peut-être au français une tonalité exagérément "enfantine".
Il y a dans "Paterson" le film de Jarmusch, une réplique pertinente : " Traduire un poème c'est comme prendre une douche avec un imperméable".
exemple plus littéral :
À un an, première fois, chanter chanson
À deux ans, première fois, tenir debout
À trois ans, première fois, attraper sauterelle
À quatre ans, première fois, faire voler cerf volant...... etc
(Merci à Pénélope qui m'a beaucoup aidé et m'a expliqué que ce texte était écrit avec ironie dans un anglais tel que le pratiquerait un Chinois, ou plutôt tel qu'on s'attendrait à ce qu'il le pratiquât)
Rue Labat, au carrefour avec la rue de Clignancourt, Lord of Barbès intrigue avec ses vitrines surréalistes où bondieuseries, poupées, masques et autres objets hétéroclites sont exposés.
C'est un lieu étrange qui évoque Breton (Nadja vivait non loin de là, rue Becquerel), bien à sa place sur cette frontière de Montmartre entre quartiers aujourd'hui riches où jadis les artistes se réfugiaient et quartiers populaires où l'on entend chanter les langues les plus diverses et où les jeunes créateurs se sentent chez eux.
Il s'agit d'une maison de production qui compte une cinquantaine de réalisateurs parmi les plus inventifs .... le nom de ces "lords" et de ces "ladies" peut se trouver sur le site du "Lord of Barbès".
Le 36 est un bel immeuble Louis-Philippe avec sur le plexiglass protecteur du rez-de-chaussée un personnage dansant!
Il faut se lancer dans la traversée du Barbès toujours encombré pour découvrir la dernière partie de la rue Labat (en réalité le début de la numérotation).
Alors que l'ambiance change et que l'atmosphère se charge de senteurs orientales, quelques beaux immeubles sont plantés là, témoins des projets ambitieux des promoteurs d'avant la première guerre mondiale.
A l'angle avec le boulevard, un immeuble de pierres de taille (1914) qui ne déparerait pas les beaux quartiers, accroche sur ses frises des grappes de raisin et des feuilles de vigne. Nous retrouvons souvent ce thème aux alentours de la Butte, sur des terres où jadis les Abbesses de Montmartre possédaient des vignes qui produisaient le vin blanc "Goutte d'or" apprécié des parisiens en goguette.
Le 18 construit en 1900, est dû aux architectes Deloeil et Vedel qui n'ont pas choisi pour décor la vigne mais l'univers marin avec algues et dauphins.
J'ai reçu des précisions intéressantes du gestionnaire de cet immeuble qui m'indique que ces décorations marines ont été choisies comme décor parce qu'une partie de l'immeuble devait être un établissement de bains. Un puits d'une profondeur de 80 mètres allait chercher de l'eau dans la nappe phréatique. Ce puits existe toujours.
Le projet fut abandonné car à la fin du XIXème les nouveaux immeubles étaient équipés d'une salle de bains et l'entreprise risquait d'être peu rentable.
L'immeuble fut revendu en 1900 et divisé en appartements dans les étages et en ateliers au rez-de-chaussée et au sous-sol.
Au rez-de-chaussée une école de théâtre est installée "sur" Paris et "sur" Londres, et non pas "à" Paris et "à" Londres! Il faut croire qu'elle assure ses cours en lévitation!
Le 80 boulevard Barbès partage un mur en copropriété avec le 18 rue Labat.
Les propriétaires les plus âgés se rappellent qu'ils avaient parfois à régler quelques problèmes avec le propriétaire du 80, Fernand Contandin, alias Fernandel!
C'est encore au 18 qu'a vécu, trente ans après la Commune le colonel d'état major de la Garde Nationale : Alexis Dardelle.
Après les journées révolutionnaires, il faillit être fusillé car il était gouverneur des Tuileries quand le palais fut incendié en mai 1871. Il se défendit en prétendant qu'il obéissait aux ordres de Bergeret et que malgré son supérieur il avait tenté en vain de s'opposer aux incendiaires.
Alexis Dardelle était également comédien de son métier... Il sut être convaincant!
Le 7 ne mériterait pas d'être remarqué s'il n'avait conservé dans sa cour, bien caché aux regards des curieux, un des ancien puits du village.
Je n'ai pas pu le photographier. Les photographes sont suspects dans ce quartier!
Le 5 a abrité pendant la guerre une fillette juive dont le père avait été arrêté, emmené à Drancy avant de mourir à Auschwitz.
"Un boucher juif, devenu kapo (revenu des camps de la mort, il a rouvert boutique rue des Rosiers) l'aurait abattu à coups de pioche et enterré vivant, un jour où il aurait refusé de travailler. C'était un shabbat : il ne faisait aucun mal, aurait-il dit, il priait seulement Dieu pour eux tous, victimes et bourreaux."
La fillette, Sarah Kofman, est devenue plus tard philosophe, amie de Deleuze. Avant de se suicider à 60 ans, elle a raconté son histoire dans un livre bouleversant : "Rue Ordener rue Labat".
Elle y raconte sans littérature l'arrestation de son père, la survie de sa mère et de ses cinq frères et sœurs trop jeunes pour avoir été arrêtés. Elle y parle de ce refuge où la "dame de la rue Labat" l'a accueillie et comment elle l'a préférée à sa mère pendant ces années terribles.
Un livre écorché vif.
"Le maréchal Pétain avait organisé dans les écoles un concours : il s'agissait d'écrire la plus belle des lettres à l'occasion de la fête des mères qu'il venait d'instituer. Je fus l'une des gagnantes et reçus "La Cigale et la Fourmi" illustrée. L'on m'envoya lire tout haut ma lettre dans chaque classe de l'école et exhiber le prix que m'avait offert celui qui remettait à l'honneur le travail, la famille et la patrie".
Nous arrivons au carrefour avec la rue des Poissonniers... Il est temps de rebrousser chemin et de remonter vers Montmartre... comme le fit Sarah Kofman le jour où sa mère décida de la confier à la maison d'enfants juifs de la rue Lamarck :
"J'avais le hoquet et je vomis à l'arrivée. Ma mère remplit les formalités administratives et partit. Dans l'escalier, elle m'entendit pleurer, crier, hurler. Elle revint sur ses pas, et je repartis avec elle.
Dans la nuit qui suivit, la gestapo se rendit rue Lamarck et les enfant juifs furent tous déportés."
Art du partage, art éphémère, l'art urbain est une des formes les plus dynamiques de la création contemporaine.
Quelle surprise et quelle aventure que de découvrir toute une rue offerte à l'imagination et au talent!
Je ne suis passé rue Véron qu'en décembre alors que les collages y avaient été réalisés en octobre.
C'est le destin de cette rue, parallèle à la rue des Abbesses de rester dans l'ombre de sa voisine, alors qu'elle fait partie de l'histoire artistique de Montmartre et continue de le faire...
Le hasard m'a fait rencontrer l'initiateur de l'accrochage hétéroclite sur des fils qui courent d'un immeuble à l'autre d'objets utilitaires ou improbables...
Il s'agit de Joël Knafo dont la galerie est située au 21.
Il a proposé à deux peintres et non des moindres d'habiller ou de déshabiller la rue...
Levalet y délègue ses personnages mi Chaplin mi Kafka.
Ils sont des habitués des rues parisiennes où ils investissent les anfractuosités, écartent les cadres, sautent par-dessus les bornes...
Ils nous entraînent dans un film muet entre tendresse et drôlerie..
Ici, ils font leur bonne action.
A l'aide d'une fourche ou d'un balai, Ils sont les support du fil à étendre le linge.
Philippe Hérard nous introduit dans un autre univers, poétique lui aussi mais plus inquiétant.
Ses personnages sont à la fois fragiles et naïfs. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive mais le vivent comme si c'était naturel.
Ils ont besoin de bouée pour se rassurer mais il n'est pas certain qu'elle les sauvera du danger.
Dans la rue Véron, ils n'ont pas échappé au danger des échafaudages qui se sont élevés contre eux et les mutilent.
... et sur les fils pendent des objets, des animaux qui racontent une histoire. Réalité qui existe derrière les façades, rêves qui restent prisonniers dans les appartements et dans les chambres.
L'imagination des deux peintres se fait complice.
Complice d'eux mêmes et complice des habitants de la rue.
Les deux artistes se sont amusés à étendre à la vue de tous leur garde-robe de fantaisie, leurs objets décalés...
On ne devine pas toujours ce qui appartient à l'un ou à l'autre...
On ne saura pas ce qui a disparu et dont il ne reste que des ombres blanches...
Mais on gardera des images selon notre sensibilité, un canard qu'on aimerait libérer, un requin qui n'a pas fini d'avaler son repas, un nounours à côté d'un dentier...
Art urbain, art éphémère
Mains tendues, cœur ouvert
.. La rue Véron depuis octobre vous invite à sourire et rêver.
En voilà un qui s'y connaît en art urbain, c'est le chat de la rue Véron qui jette un œil sur les poissons accrochés au fil!
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De retour de Florence, j'ai gardé dans mes valises quelques images, quelques éblouissements, quelques surprises... autant de cartes postales qui font déjà partie du passé mais qui pour certaines gardent un reflet d'éternité...
Fra Angelico, Masaccio, Uccello, Lippi.... et quelques autres.... j'ai toujours vécu avec les peintres, connus ou inconnus. Ils sont les fenêtres de mes prisons...
Florence a plus de fenêtres que de murs!
Liens.
Quand Montmartre ne faisait pas partie de Paris, c'est à dire avant 1860, la rue Ronsard n'était qu'un chemin de terre, le chemin Saint André, qui longeait la Butte et où l'on trouvait ici et là de pauvres constructions de planches semblables à celles du maquis qui recouvrait la pente nord, de l'avenue Junot actuelle à la rue Caulaincourt.
Les carrières de gypse étaient exploitées depuis l'époque où la Butte était gallo-romaine avec ses deux ou trois villas et ses temples dont quelques colonnes ont été réemployées dans l'église Saint-Pierre.
Elles fournissaient un plâtre très utilisé pour les constructions parisiennes.
C'est pourquoi l'on aime dire qu'il y a plus de Montmartre dans Paris que de Paris dans Montmartre!
La rue Ronsard, longue de 152 mètres reçut son nom en 1875. Contrairement à tant de rues de la Butte elle ne porte pas le nom d'un propriétaire foncier mais du poète de la Renaissance qui conseilla aux jeunes filles de cueillir sans attendre les roses de la vie et dont quelques poèmes mis en musique par Léonardi furent chantés par Monique Morelli qui habitait rue Paul Albert non loin de là.
La rue longe, côté impair, les jardins et les falaises qui avaient été imaginés par Alphand mais réalisés après sa mort par Formigé, à la fin du XIXème siècle.
C'est un des charmes de cette rue que ces rocailles alpestres où s'accrochent les arbres et les buissons qui font de ce paysage urbain l'un des plus romantiques de Paris.
A son extrémité la rue vient buter contre les escaliers de la rue Paul Albert, jadis escaliers Sainte Marie.
Ils étaient précédés par une grotte qui servait d'entrée dans les jardins et qui hélas a été bouchée et transformée en remise pour les jardiniers.
C'est sous ces falaises que furent extraits les blocs de gypse qui permirent à Cuvier d'élaborer sa théorie sur l'étude des fossiles trouvés dans les couches terrestres et d'être considéré comme l'inventeur de la paléontologie (c'est à lui que l'on doit le nom de "jurassique" donné à une période de l'ère secondaire).
Il étudia la célèbre sarigue de Montmartre ("peratherium cuvieri") le petit marsupial dont une partie du squelette avait été conservée dans le gypse. La sarigue datait de l'éocène et sautillait sur la Butte il y a 33 millions d'années.
Si Cuvier n'avait pas fait passer ses convictions religieuses avant la science, il aurait été un des précurseurs de l'évolutionnisme.
Mais la parole divine étant indiscutable, il se débrouilla avec ses fossiles pour envisager une théorie, conforme avec le créationnisme biblique! Dieu aurait bien créé toutes les espèces mais à la suite de catastrophes naturelles, certaines disparurent. Dieu se remit au travail et en créa d'autres, telles quelles, tout droit sorties de son imagination féconde. Il y aurait donc eu plusieurs créations.
Quoi qu'il en soit ses découvertes furent utiles à Lamarck et à Darwin pour illustrer leurs thèses.
Un peu plus loin, une autre grotte apparaît. Elle recevait à l'origine le ruisseau qui prenait naissance en haut des jardins, près du couple enlacé sculpté par Derré et qui serpentait dans le jardin avant de tomber en cascades sous les voûtes où il emplissait le bassin.
Il paraît que le bruit des cascades gênait les voisins. L'eau a cessé de circuler dans le jardin et la grotte s'est asséchée.
Côté pair, une place a été créée en 2011.
C'est une spécialité de la Ville de donner, chaque journée de la femme, à un espace parfois improbable le nom d'une femme remarquable.
Ainsi ces quelques mètres carrés qui ne servent d'adresse qu'à trois magnolias sont-ils devenus "place Louise Blanquart"
Louise Blanquart a vécu non loin de là, rue Tardieu
Sans cette plaque peu de gens connaîtraient son nom sinon ceux qui l'ont côtoyée dans ses engagements sociaux chrétiens la première partie de sa vie puis communistes après qu'elle eut perdu la foi. Militante à la CGT, elle fut rédactrice en chef d'Antoinette, le journal des femmes de la Centrale avant d'écrire pour l'Humanité.
Elle est aujourd'hui coincée entre Ronsard et Nodier mais sans doute apprécie t-elle la proximité de Louise Michel dont les jardins portent le nom!
Le seul immeuble d'habitation qui donne sur la rue Ronsard n'a aucune entrée de ce côté.
On y entre par la rue Nodier ou la rue Cazotte .
Il ressemble à un navire de pierre, la proue dirigée vers le nord...
Côté impair la rue continue de longer les jardins. Une des entrées se trouve au numéro 3
La maisonnette des gardiens prend une allure de chaumière pour Petit Poucet!
Côté pair s'élève le bâtiment le plus remarquable de la rue, miraculeusement préservé du vandalisme des années pompidoliennes où l'on sacrifiait sans vergogne les Halles de Baltard ou le cirque Medrano sur le boulevard de Rochechouart!
Il s'agit du Marché Saint-Pierre, aujourd'hui appelé Halle Saint-Pierre.
La halle serait l'œuvre d'un disciple de Victor Baltard dont les Halles centrales, étaient en construction depuis 1852 et qui ouvraient au cœur de Paris un immense parapluie de verre et de fonte.
J'ai recherché en vain le nom de ce disciple, moins connu qu'Auguste Magne qui édifia son marché à La Chapelle....
Le marché a été transformé en 1900 et il faillit disparaître au milieu du siècle. Aujourd'hui, sa partie nord abrite un gymnase et sa partie sud le musée de l'art brut et de l'art singulier qui organise des expositions, découvertes de mondes à part, loin des formes académiques, loin des écoles....
Des marginaux, des poètes, des fous, sans ambition mercantile, habités par le besoin de créer, donnent naissance à des univers où s'expriment des obsessions, des désirs, des peurs qui éveillent en nous un écho primitif.
On a inventé pour eux le nom d'art brut. Mais depuis longtemps on sait qu'il y a du génie chez le facteur Cheval ou le curé de Rothéneuf... sans qu'il soit besoin de qualifier leur œuvre...
La rue Ronsard donne sur la place Saint-Pierre. Elle est empruntée par les touristes qui ne veulent pas prendre le funiculaire ni passer par les jardins. On a pensé à eux en installant une sanisette Decaux sur le trottoir de la Halle, dans un recoin qui s'était transformé en pissotière à ciel ouvert depuis que les anciennes vespasiennes avaient été détruites
Sur la place Saint Pierre et la rue Ronsard, sur les terrains qui n'étaient pas encore aménagés, il y eut le 7 octobre 1870 un événement qui eut pour témoins les Montmartrois enthousiastes....
Le départ de Gambetta. On reconnaît en haut la tour Solférino et sur la droite la rue Ronsard envahie par la foule.
Alors que Paris était encerclé par les troupes prussiennes, Gambetta, ministre de l'Intérieur de la Défense Nationale s'envola avec le ballon "Armand Barbès" afin de franchir les lignes et rejoindre, après bien des péripéties la ville de Tours où s'organisait la résistance.
Il n'y eut pas de ballons six mois plus tard pour sauver les Montmartrois massacrés pendant la Semaine Sanglante...
Victor Hugo n'eut pas à écrire pour eux ce qu'il écrivit pour Gambetta :
"Il faisait beau. un doux soleil d'automne. Au-dessous du ballon pendait une flamme tricolore. On a crié : Vive la République"!
Il faut se pincer pour le croire!
Notre Poulbot, l'homme le plus généreux, le plus soucieux de ne heurter personne, a dû subir attaques et procès pour outrage aux bonnes mœurs!
Tout commence avec la parution du numéro du 30 septembre 1905 de l'Assiette au Beurre titré "la graine du bois de lit" qui provoque l'indignation du sénateur René Bérenger.
Il en fait interdire la vente et retirer tous les exemplaires des kiosques.
René Bérenger alors âgé de 75 ans est un des acteurs politiques les plus actifs de son temps. Il a été à l'origine de plusieurs lois pénales qui portent son nom.
Mais l'âge venant, il devient de plus en plus prude et voit avec horreur se développer une joie de vivre et une liberté, illustrées en particulier sur la Butte, qui le scandalisent.
Il part en croisière contre le relâchement moral et est vite connu, grâce aux chansonniers sous le nom de "Père la pudeur".
On s'étonne aujourd'hui de son indignation devant les dessins de Poulbot parus dans le numéro incriminé.
Poulbot met en scène les enfants du maquis, tels qu'il les croisait tous les jours, gosses miséreux, livrés à eux-mêmes...
Ces gosses de "la graine du bois de lit"... fruits des amours des adultes soucieux de leur seul plaisir et indifférents au sort des petits qui viendront au monde...
Au fond, c'est une position morale, moralisante même. On l'entend aujourd'hui au sujet de pays en voie de développement sommés de maîtriser leur natalité.
Mais Poulbot a toujours été du côté du peuple.
Il ne fait pas la leçon aux malheureux du maquis. Il constate. Il regarde les gosses dans les rues. Il souffre de leur abandon et de leur pauvreté.
Il leur prête des réflexions critiques ou drôles comme s'il leur donnait des armes pour se défendre...
Ce qui domine dans ses dessins c'est la tendresse et la compassion.
Comment Bérenger a t-il pu faire interdire de tels dessins pour pornographie?
Nous sommes en 1905, année de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat. Peut-être fut-il choqué par la représentation d'un curé qui avait cédé au "péché" de chair!
Poulbot, blessé par les sanctions garde un chiot de sa chienne (appelée Lulu) au sénateur Bérenger...
Trois ans plus tard, en mai 1908, il le caricature dans un dessin qui fait la couverture du n° 372 de l'Assiette au Beurre.
Il représente Bérenger en vieillard asexué transperçant Cupidon jeté à terre devant la statue de Diane dépouillée de son carquois et de ses flèches et pudiquement revêtue d'un pagne publicitaire pour "la ligue contre la licence des rues. Système Bérenger"
Les autres dessinateurs qui participent à ce numéro sont tout aussi virulents contre le Père la Pudeur et les ligues de vertu qui depuis la loi de Séparation dénoncent le relâchement généralisé des mœurs...
Bérenger juge les dessins à la limite du blasphématoire mais il ravale sa prude salive et reste aux aguets, attendant le faux pas de Poullbot, le dessin scandaleux qui lui permettra de l'attaquer en justice.
Il croit avoir trouvé l'occasion rêvée quand il découvre en mai 1911 la couverture du journal "Les Hommes du Jour" consacré au nu (hors série n°3)
Poulbot y dessine un gamin des rues qui pour se mettre à l'abri du vent, allume sa cigarette sous les jupes d'une fillette qui ne porte pas de culotte.
Le dessin sans légende a pour titre "La première cigarette".
Il avait déjà illustré le menu de la Société du Cornet, assemblée de notables et d'artistes créée par Courteline (entre autres) et qui organisait chaque année un banquet composé d'hommes exclusivement.
Il était alors accompagné de la légende : "- Fais attention, ne me fous pas le feu au cul."
Les sociétaires du Cornet étaient un tantinet machos et les illustrateurs des menus ne reculaient pas devant la grosse plaisanterie
Poulbot en illustra plusieurs, notamment dans les années trente.
Le père la Pudeur porte plainte contre Poulbot, pour outrage aux bonnes mœurs.
Il provoque une réaction à laquelle il ne s'attendait pas!
De nombreux journaux prennent parti pour Poulbot
Willette écrit : "Ainsi notre Poulbot est poursuivi pour attentat à la morale! On veut déférer aux tribunaux, cet artiste exquis, si bon qu'il me fait plutôt penser à Saint Vincent de Paul qu'au marquis de Sade."
Le procès se clôt sur un non-lieu. Le journal Le Sourire donne un banquet pour célébrer la victoire de la raison et de l'art!
Artistes, musiciens, acteurs, peintres y sont conviés. C'est une fête mémorable où l'humour et la gaité répondent sans haine au moralisme bigot.
Cette époque avait du bon. Ceux qui étaient choqués par les caricatures ne réglaient pas leurs comptes avec une kalachnikov.
Cependant je me pose la question en ayant peur de la réponse : ce beau dessin de Poulbot avec cette fillette aux jupes levées ne provoquerait-il pas aujourd'hui des réactions indignées et ne risquerait-il pas d'être censuré?
Connaissez-vous Zozo de Montmartre?
Certainement puisque vous l'avez vue sur des cartes postales humoristiques ou des dessins de Poulbot....
Elle est née en 1912 et elle est la fille de Paul Poulbot le frère de Francisque.
Elle s'appelle Paulette et n'aurait jamais été Zozo si sa mère n'était morte alors qu'elle avait un an et demi et n'avait été adoptée par son oncle et sa future femme Léona.
En 1913, Paul qui ne se remet pas de la mort de sa femme et ne se sent pas capable d'élever seul la fillette, la confie à son frère.
Poulbot qui aime les enfants et consacre son temps et son argent à leur venir en aide souffre de n'être pas père. Sans doute est-ce à cause de raisons médicales que Léona ne peut en avoir. L'arrivée de Paulette est un bonheur pour le couple.
La petite est aussitôt dessinée avec amour et humour. Elle apparaît sur de nombreux dessins de Poulbot, reconnaissable à sa coupe de cheveux.
Le jour où Poulbot se risque dans le cinéma et tourne un court métrage : "Le rêve de Papouf", il y fait jouer à Paulette le rôle de Zozo.
Le nom lui restera!
Zozo est une véritable poulbote bien que plus privilégiée que les gosses du Maquis.!
Elle joue dans la rue Lepic où vivent alors ses parents adoptifs au 54, dans l'immeuble où Théo et Vincent Van Gogh avaient vécu.
Il subsiste peu de documents de cette époque heureuse.
Le bonheur se suffit à lui même et ne s'émiette pas en selfies et SMS comme de nos jours!
Pour les 16 ans de Zozo une fête est donnée, 13 avenue Junot où les Poulbot ont emménagé en 1926.
Poulbot en dessine le carton d'invitation...
L'année de ses 20 ans Zozo se marie. L'heureux élu est un Cheval.
Un Cheval prénommé Jean, fils d'un autre Cheval prénommé Léon, clown, peintre de clowns et ami de Poulbot.
Jean Cheval initié au métier de clown par son père n'a pas persévéré dans le métier mais s'est formé au dessin et, admirateur de son futur beau père, aime représenter des enfants.
On mesure aisément ce qui différencie les deux artistes. Les gosses de Cheval sont stéréotypés et sans personnalité.
Ce sont de petits humains qui singent les postures et les réflexions des grands.
Le mariage est joyeux et c'est un clown, Bilboquet, qui anime la journée.
Montmartre est en fête. Les enfants des rues sont conviés aux réjouissances. Parmi les invités, on compte le chansonnier Jules Moy et les Fratellini...
Le couple reste quelques mois à Montmartre avant d'aller vivre à La Ferté-Alais.
Zozo revient souvent chez ses parents qu'elle comble de joie en mettant au monde une petite fille, Nicole.
Plus tard (en 1982), Zozo écrira un livre dédié à son père.
Elle y raconte la journée du 16 septembre 1946. Elle est alors dans la maison de l'avenue Junot et partage le repas de midi avec ses parents.
"Le déjeuner a lieu, comme dessert, nous sommes en septembre, un plat de raisins. Mon père entame sa grappe, soudain se baisse comme pour ramasser un grain qui serait tombé, et ne se relève pas. Ma mère, croyant à une blague dit : "ça suffit, arrête tes plaisanteries". Il était 14 heures. Le lendemain, les journaux annonçaient : "Poulbot, le père des gosses, est mort."
Zozo meurt trois ans après avoir écrit ses souvenirs des jours heureux et des fêtes organisées par son père pour les enfants de la Butte.
Elle est enterrée dans le cimetière de La Ferté-Alais où l'a devancée un autre personnage de la Butte, Valentin le Désossé!
Lien : Personnages, célébrités, artistes de Montmartre.
Je ne saurais trop recommander le site de Philippe Autrive où est détaillée et illustrée la vie de Valentin et Zozo, devenus citoyens de La Ferté-Alais et de Montmartre.