Ils sont peu nombreux les peintres qui avant que Montmartre ne se métamorphosât peu à peu en quartier à la mode, ont vécu dans le vieux village, connu ses rues boueuses, ses maisons modestes.
Stanislas Lépine est l'un de ceux-là.
Ce Montmartrois d'adoption est né Normand, à Caen, en 1835. Il commence à dessiner très jeune, attiré par les ports et les rivages de sa province. Toute sa vie il reviendra à ces amours et sera attiré par les lumières de la mer et des rivières.
Le port d'Ouistreham (Lépine)
Etudier son œuvre et lui rendre la place qu'elle mérite, exigerait beaucoup de temps et d'énergie, voilà pourquoi dans ce modeste article sur un blog dédié à Montmartre, nous ne nous intéresserons qu'à ses toiles peintes sur la Butte.
Rue Cortot (Lépine) faussement nommée par le marchand rue St Vincent
Il a 20 ans quand il arrive à Paris. Il ne possède pas de fortune, venant d'un milieu d'artisans modestes. Il n'est pas envisageable pour lui de payer les cours dans l'atelier d'un maître. Il se forme seul, passe du temps à dessiner au Louvre.
Pour se loger, il recherche un quartier aux loyers abordables. C'est à Montmartre qui ne fait pas encore partie de Paris qu'il s'installe et c'est là qu'il vivra jusqu'à sa mort en 1892. Trente-sept ans de vie montmartroise!
Il vécut tout d'abord 20 chaussée Clignancourt (aujourd'hui rue de Clignancourt). Il y resta 19 ans jusqu'en 1874.
(La rue des Rosiers à l'époque de Lépine, avant sa destruction pour le chantier de la basilique. C'est aujourd'hui la rue du Chevalier de La Barre.)
Il monta ensuite jusqu'à la rue des Rosiers (Chevalier de La Barre) puis 40 rue de la Fontenelle jusqu'en 1888.
La rue de la Fontenelle (Stanislas Lépine)
Il habite une petite maison villageoise de cette rue qui a été renommée Chevalier de La Barre.
La Fontenelle. Aujourd'hui Chevalier de La Barre)
Nous savons qu'il loua une petite chambre-atelier plus bas, 38 rue Milton, afin de ne pas occuper trop de place dans son dernier logement, un petit appartement, 18 rue de Clignancourt. C'est là qu'il mourut en 1892. Humble adresse d'un homme modeste capable d'exprimer son admiration tout en trouvant naturel d'en recevoir si peu.
Peu de temps après son arrivée, il épouse son amie d'enfance Marie Odile Dodin. Ils forment tous les deux un couple aimant. "Nous étions mon mari et moi, bien avant notre mariage, deux vieux amis: j'avais six ans et lui onze; ma mère était sa marraine; nos deux vies ne furent qu'une seule destinée"
Deux enfants naquirent de leur union, Marie Louise en 1867 et Emile Louis en 1878.
Emile Louis Lépine peint par Stanislas Lépine
Il y eut sans doute un troisième qui mourut en bas âge et dont on ne trouve aucune trace dans les archives dont une partie fut détruite pendant les bombardements de Caen.
Rue des Saules (partie entre rue Féval et rue St Vincent. A droite le cimetière, en haut à gauche l'emplacement du Lapin Agile)
Il menait une vie simple et ne fréquentait pas les lieux à la mode. On ne le voit pas dans les cafés où se réunissaient peintres et poètes, à une exception près. Cette exception c'est "Le Bon Bock" qui existe toujours et qui est resté dans son jus.
Le Bon Bock 2 rue Dancourt
C'est là qu'il participa à des réunions informelles avec des peintres-amis parmi lesquels Sisley ou Eugène Boudin.
Ainsi sommes nous en présence d'un peintre plus Montmartrois que la plupart des peintres. Un artiste qui aima la Butte, loin des quartiers à la mode, qui apprécia la tranquillité et la vie simple d'alors.
Rue des Saules (entre St Vincent et Norvins)
Il ne vécut pas assez longtemps pour assister à la destruction systématique des vieilles rues qu'il aima peindre. C'est en partie grâce à lui que nous en avons la mémoire même si au fil du temps les galeristes ont prêté à ses tableaux des noms fantaisistes. C'est ainsi, par exemple, que de nombreuses toiles portent à tort le nom de "Rue St Vincent" alors qu'elles représentent la rue Cortot.
Il aime peindre les rues calmes, souvent désertes.
Rue de l'Abreuvoir
Dans les dernières années, il représentera quelques rares passants, une lingère, une religieuse, des enfants. Mais comme Corot il préfère les "paysages" urbains sans passants.
La rue du Mont Cenis la nuit
Autodidacte, il travaille avec obstination, passant une partie de son temps à copier les maîtres.
Moulin de la Galette (Corot)
Il éprouve une grande admiration pour Corot qu'il a l'occasion de rencontrer et qui ému par la passion et par l'humilité du peintre lui donne quelques leçons et lui prête quelques unes de ses oeuvres afin qu'il puisse les copier.
Rue Cortot (Stanislas Lépine)
Il n'est pas étonnant de retrouver chez Lépine quelque chose de la douceur et de la transparence de Corot qui lui aurait confié qu'un paysagiste comme lui "pourrait faire des chefs d'œuvre sur les Buttes Montmartre."
Nous connaissons une cinquantaine de ses toiles représentant Montmartre. Elles sont précieuses pour les amoureux de La Butte. Elles ne témoignent pas du Montmartre des fêtes et des bals mais de celui des ruelles, des murs, des cours, du village qui survit alors que Paris s'apprête à l'annexer!
Parmi les rencontres importantes que fit Stanislas Lépine, outre Corot, il convient de mentionner Fantin-Latour qui devint un ami fidèle et qui à plusieurs reprises, notamment lorsqu'il fallait déménager et trouver un nouveau logement, n'hésita pas à l'aider financièrement.
Une autre rencontre décisive qui lui permit de continuer à peindre sans avoir à s'épuiser dans de petits boulots de survie, fut celle du Comte Doria qui devint son protecteur.
Armand Doria est un de ces mécènes dont on oublie le nom alors qu'il eut une influence décisive par la fortune qu'il consacra à acheter à des peintres méconnus ou raillés des toiles qui les firent connaître.
Il eut une admiration profonde pour Corot en un temps où il était décrié. Il acquit 69 toiles du peintre. Homme de goût qui se réfugia après le décès de sa femme dans la quête du beau et du nouveau, il était attentif et généreux. C'est lui qui tira Jongkind de la misère.
Il aida Lépine en lui achetant ses toiles et en l'hébergeant dans son château d'Orrouy.
Acquis par Doria, "Campanie romaine avec aqueduc claudien" de Monet
Mais alors que le compagnonnage de Lépine avec les Impressionnistes fut court, entravé par l'atmosphère de scandale qui les entourait et ne convenait pas à l'homme effacé et modeste qu'il était, Doria n'hésita pas à les soutenir. Il sera de même un des premiers acheteurs de Cézanne.
Il est avec Corot et Fantin-Latour un de ces trois amis qui surent donner un peu de confiance à Stanislas Lépine et lui montrer concrètement leur amitié.
Rue Norvins (Lépine)
Certes Lépine reçut quelques prix mais ils furent toujours modestes, comme cette mention honorable au Salon des Artistes Français (il y participe de 1881 à 1889).
C'est dans son petit appartement qu'il meurt en 1892.
Ses obsèques ont lieu dans la vieille église de Montmartre. L'enterrement dans une concession provisoire du cimetière de Saint-Ouen, loin de celui de Montmartre où repose son compatriote normand Eugène Boudin.
Aujourd'hui le musée de Montmartre expose quelques unes de ses œuvres. Elles sont précieuses pour tous les amoureux de Montmartre. Elles nous donnent des images de ce qu'était le village.
Dans les rues passent quelques religieuses, quelques porteuses de pain, quelques nourrices, quelques lingères.
Un chien parfois les traverse ou bien un chat, ou encore des chevaux de trait. Ces animaux silencieux et fidèles que le peintre aimait dessiner.
Il est de tous le peintres qui vécurent à Montmartre celui qui l'a le plus peint et le plus aimé. Il est de nos jours bien oublié et pourtant, en partie grâce à lui, le vieux village, lui, ne le sera jamais.