Qui ne connait Madame Arthur? Le premier cabaret de travestis de Paris (1946) a très vite rencontré une célébrité qui lui a permis de traverser les décennies sans disparaître comme tant de ses semblables.
Si l'on remonte au début du XIXème siècle, à l'emplacement du Divan du Monde et de Madame Arthur, on trouve un bal populaire, le Bal des Chiffonniers. Nous n'énumérerons pas toutes ses transformations mais nous nous attarderons un instant en 1873 lorsqu'après la Commune Théophile Lefort crée le Divan Japonais.
C'est en effet sur la scène de ce cabaret que se produit Yvette Guibert, immortalisée par Toulouse Lautrec et par la chanson qu'écrivit pour elle Paul de Kock "Madame Arthur".
Cette chanson célébrissime reprise depuis sa création par bien des interprètes reste un tube qui illustre à merveille le Paris frivole de la fin du XIXème siècle.
Patachou la chante dans "French-Cancan" de Renoir et Barbara la reprend entre malice et dérision.
"Madame Arthur est une femme
Qui fit parler, parler, parler, parler d'elle longtemps,
Sans journaux, sans rien, sans réclame
Elle eut une foule d'amants,
Chacun voulait être aimé d'elle,
Chacun la courtisait, pourquoi ?
C'est que sans être vraiment belle,
Elle avait un je ne sais quoi !(...)"
Nous sommes toujours au "Divan Japonais" devenu "Divan du Monde" quand cette chanson est choisie en 1946 par Marcel Wutsman, Monsieur Marcel, pour servir d'enseigne au cabaret de travestis qu'il ouvre de l'autre côté du mur mitoyen.
Dès le début le pianiste de la maison n'est autre que Joseph Ginsburg, père de Lucien le futur Serge Gainsbourg. Bien que pianiste classique de concert, il a besoin de ce travail pour faire vivre sa petite famille qui habite à quelques rues de là, rue Chaptal. Il n'a pas vraiment de goût pour les spectacles qu'il accompagne et ne peut se départir de sa discrète réprobation. "Joseph Ginsburg qu'on appelait le père Jo, était très gentil mais quand il se déplaçait, on aurait dit un croque-mort."
Les premiers animateurs, Floridor et sieur Bigoudi restent peu de temps, tous deux tirant leur révérence pour aller à la rencontre des anges qui comme chacun sait vivent dans les nuages où leur sexe indéfinissable ne leur pose pas de problème.
C'est Maslowa, "la Maslowa" qui leur succède avec son complice Loulou.
Elle est vêtue d'un pyjama de satin rose, ses lèvres sont maquillées en forme de cœur à la mode 1925. Ses yeux immenses et verts fascinent les clients...
Ancien danseur professionnel, elle devient le pilier de l'établissement et elle le reste pendant presque 30 ans. Elle aurait pu le rester plus longtemps encore si elle n'avait sombré dans la dépression après que son amant, encore un "Marcel" ne s'était pas marié.
Quand en 1954 Serge Gainsbourg remplace son père, il écrit pour elle une chanson qui sera sa préférée , "Zita la panthère". Serge écrira d'ailleurs plusieurs chansons dont la plupart sont perdues. Exception faite pour "Antoine le casseur" qu'il écrit pour un travesti qui avait fait partie des danseurs de Mistinguett :
"C'est pour lui qu'j'fais l'tapin......Que j'vends mon valseur et toutim....Et si lui c'est un chaud lapin....On peut dire que moi j'suis une chaude lapine
Elle meurt le 7/07/77 comme le relate Bambi, amie et meneuse de revue, dans son livre "J'invente la vie". Elle précise qu'il y avait 7 personnes à son enterrement. Il faut croire qu'elle avait de la chance.
Son compère, Loulou a eu une plus longue vie, 55 ans de bonheur avec son ami travesti. Jeune, il désirait être prêtre et avait été séminariste. Il ne l'avait pas oublié et quand il rentrait chez lui, il s'agenouillait dans l'oratoire qu'il avait installé dans son appartement.
Plusieurs personnages marquent l'histoire du cabaret. En voici quelques uns, à commencer par Bambi, femme trans, de son vrai nom Jean-Pierre (Marie Pierre après sa mutation).
Elle est meneuse de revue pendant presque 20 ans et a marqué pour toujours le cabaret par sa beauté, son humour et son intelligence. Elle a 33 ans quand elle passe le bac pour poursuivre des études et devenir prof de français. Elle écrit plusieurs, ouvrages dont des livres de mémoire qui font revivre "Madame Arthur".
Parmi les fortes personnalités qui ont laissé, leur empreinte rue des Martyrs il y aurait beaucoup de noms à citer car le monde le l'artifice et de la nuit attire les artistes à la créativité et la sensibilité exacerbées, hors du commun, des conventions, de la banalité.
Coccinelle en fait partie bien sûr! Elle est célèbre et il est inutile de retracer sa carrière. Contentons-nous d'évoquer sa présence chez Madame Arthur où elle est amie de Bambi.
Elle est la première à faire une vaginoplastie. De son vrai nom Jacques Charles Dufresnoy, elle devient officiellement Jacqueline Charlotte Dufresnoy et elle est assistée dans les combats juridiques qu'elle doit mener par Robert Badinter.
Elle connaît une riche carrière, de revues, tournages et performances théâtrales qui la mènent loin du cabaret de ses débuts. Elle y reviendra pourtant pendant quelques années, en 1986, presque 40 ans après y avoir débuté.
En mai 2010, une promenade est baptisée de son nom sur le boulevard Marguerite de Rochechouart.
Pour la première fois en Europe le nom d'une femme trans était inscrit sur une plaque !
Alors que le XXème siècle s'achève, Madame Arthur connaît quelques difficultés due à une gestion approximative. Le cabaret doit fermer boutique pour des vacances qui vont durer une dizaine d'années. Il faut attendre 2009 pour qu'il retrouve une nouvelle jeunesse.
Aujourd'hui le cabaret ne compte plus les créations originales sous la direction de Fabrice Laffon.
Talent, humour, inventivité, dérision, fantaisie, sensibilité sont au rendez-vous, incarnés par des artistes qui nous ouvrent les frontières du monde de la nuit où revivent les stars du passé et où s'inventent celles du futur!