C'est un jardin caché dans un passage de Montmartre, souvent protégé par une grille cadenassée.
C'est un endroit dont la discrétion vous attire comme le font dans les contes les jardins secrets...
Un beau jour vous tombez pile poil au bon moment, dans le bon créneau. Vous n'en croyez pas vos yeux : la grille est ouverte, le jardin se révèle!
Vous passez de l'autre côté...
Vous découvrez un monde nouveau, à la fois ordonné et sauvage avec des plantes exubérantes qui grimpent sur les murs et s'entrelacent!
Cette terre nouvelle porte le nom de "jardin des Abbesses"...
Un panneau informatif donne un petit cours d'histoire au visiteur et lui rappelle l'importance de l'Abbaye de Montmartre dont il ne resta presque rien après les années révolutionnaires...
Si la jeune République de 1789 prit possession des bâtiments de l'Abbaye, ce fut pour la dépecer et la vendre...
On sait qu'il valait mieux alors ne pas être "abbesse" et qu'on courait le risque comme la dernière titulaire, Mme de Montmorency Laval, de finir sur la guillotine!
La vieille femme, sourde et aveugle fut condamnée pour avoir conspiré "sourdement et aveuglément". L'accusateur public avait le sens de l'humour noir.

Les temps changent et la République de 1936, celle du Front Populaire, arracha à la spéculation immobilière qui allait bon train à Montmartre, ce bout de terrain resté sauvage, pour le transformer en jardin ouvert à tous.
Un jardin qui prit le nom des Abbesses!
La bonne idée des jardiniers est d'avoir créé un espace qui évoque un cloître, avec un puits en son centre.
Autour de ce puits, ils ont planté des simples comme on en cultivait dans les monastères qui pratiquaient une médecine naturelle en utilisant les plantes dont on connaissait alors les vertus.

Ainsi trouve t-on dans ce jardin, entre autres plantes bénéfiques, la sauge dont le nom vient du latin "salvare" (sauver).
On trouve encore le céleri perpétuel ou livèche, apprécié pour ses vertus diurétiques et stomachiques...
La véronique était cultivée dans tous les monastères et abbayes qui s'occupaient des lépreux car elle était censée cicatriser les plaies. On lui donnait aussi le nom "d'herbe aux ladres" mais on lui préférait celui de Véronique, la sainte femme dont le linge qui avait essuyé le visage du Christ avait guéri l'empereur Tibère de la lèpre.
Parmi les simples remarquables du jardin des Abbesses, comment ne pas s'arrêter devant l'artemisia absinthium?
L'absinthe était utilisée comme vermifuge et pourtant ce sont des faiseurs de vers comme Rimbaud, Baudelaire ou Verlaine (qui l'appelait "herbe sainte") qui l'apprécièrent sous forme de liqueur qui faisait "voyager"...

Ode à l'absinthe écrite par Musset :
Salut verte liqueur, Némésis de l'orgie!
Bien souvent, en passant sur ma lèvre rougie,
Tu m'as donné l'ivresse et l'oubli de mes maux;
J'ai vu plus d'un géant pâlir sous ton étreinte!
Salut sœur de la mort! Apportez de l'absinthe;
Qu'on la verse à grands flots!
Les abbesses, si elles pouvaient revenir pour faire un petit tour dans notre époque, trouveraient ici de quoi se purger, se calmer, soigner les petits bobos et parfumer les armoires.
... De quoi s'enivrer peut-être... mais hélas! pas de quoi recoller les têtes!