Il est bien caché dans son impasse pompeusement appelée "Cité Monthiers".
Qui passe rue de Clichy ne peut imaginer qu'il est caché là, de l'autre côté de l'arcade!
Le théâtre de l'Œuvre!
Il n'est pas tout jeune mais porte beau ses presque 130 ans! Son histoire est quelque peu mouvementée.
C'est un comédien, Lugné-Poe qui en est à l'origine en créant une nouvelle troupe venue du Théâtre libre d'Antoine, soucieuse de se dégager du réalisme pour défendre les jeunes auteurs du Symbolisme.
Une petite salle est disponible 55 rue de Clichy, Cité Monthiers, la salle Berlioz où la troupe s'installe en 1893. La salle est alors appelée "maison de l'œuvre", puis "théâtre de l'œuvre".
Les auteurs nordiques (Ibsen, Strindberg) sont mis à l'honneur ainsi que de jeunes auteurs français comme Bataille ou Jarry, jusqu'en 1899 où la salle ferme une première fois.
Autoportrait (Vuillard 1890)
Pendant ces années fécondes Lugné Poe s'assure la collaboration de Vuillard qui est engagé comme lui dans la défense des Nabis. C'est d'ailleurs Vuillard qui suggère à Lugné Poe le nom donné au théâtre en ouvrant au hasard un dictionnaire et tombant sur le mot œuvre.
Théâtre de l'Œuvre (Vuillard)
Le peintre qui partage avec Bonnard, Maurice Denis et Lugné Poe l'atelier du 28 rue Pigalle crée de nombreux programmes et décors, malheureusement perdus pour la plupart. Entre autres "Rosmersholm" d'Ibsen en 1893, "Solness le constructeur" d'Ibsen en 1894, "Salomé" de Wilde en 1896, "Ubu roi" de Jarry en 1898.
En 1912, Lugné Poe redonne vie au théâtre qu'il dirige jusqu'à sa deuxième fermeture pour cause de guerre en 1914.
Claudel et Lugné Poe
Cette renaissance éphémère est marquée par une création qui fera date, celle de "l'Annonce faite à Marie" de Claudel, mise en scène par Lugné Poe avec le concours de Claudel lui-même.
Décor de Jean Variot
C'est Jean Variot qui, sans le talent de Vuillard assume le décor trop "signifiant" de cette création.
Pendant les années de guerre, le théâtre reste muet. Il ne retrouvera la parole qu'en 1919, toujours avec Lugné Poe.
Autoportrait 1920. Artaud
C'est cette année qu'Antonin Artaud rencontre Lugné Poe qui ne manque pas d'être frappé par l'intensité et la présence de son regard. Il lui confie quelques petits rôles, essentiellement pour l'aider financièrement mais c'est grâce à Dullin qui l'intègre dans sa troupe en 1921 qu'Artaud se révèle vraiment comme acteur.
En 1929, Lugné Poe qui est âgé de 60 ans quitte le théâtre. Lucien Beer et Paulette Pax prennent alors la relève.
Paulette Pax est actrice en même temps que metteuse en scène.
Dans l'Hermine de Jean Anouilh (dont elle assure la mise en scène), elle a pour partenaire Pierre Fresnay.
Les acteurs de grand talent ne manquent pas sur la scène du théâtre de l'Œuvre : Jules Berry, Odette Joyeux, Jean Dasté, Edwige Feuillère, Jean Servais, Tania Balachova...
Paulette Pax par Van Dongen
Seule sa mort en 1942 interrompra la belle carrière de Pauline Pax.
Citons pendant ces années créatrices, parmi les représentations remarquables : "Les chevaliers de la Table ronde" de Cocteau avec Jean Marais ou "Rois de France" de Rostand avec Harry Baur...
Lucien Beer se voit interdit de direction à cause de la loi de Vichy sur le statut des Juifs . Jacques Hébertot assure la relève pendant les années d'occupation. A la Libération Lucien Beer, assisté de Raymond Rouleau retrouve son théâtre.
Plusieurs directeurs se succéderont jusqu'à nos jours, notamment Georges Wilson, directeur artistique de 1978 à 1995. Il signera pendant ces années les principales mises en scène comme Eurydice de Jean Anouilh ou Sarah et le cri de la langouste de John Murrell avec Delphine Seyrig.
Dans les années 2000, Michel Bluwal signera plusieurs mises en scène et dans les années 2010 Alain Françon et Michel Fau... Du beau monde!
Michel Aumont et Michel Duchaussoy dans David et Edward mis en scène par Bluwal.
Aujourd'hui le théâtre va son petit bonhomme de chemin et ne fait plus parler de lui. Des humoristes (Alex Vizorek, Félix Demaison) s'y produisent.
Lugné Poe par Vuillard
L'innovation et l'audace ont quitté la cité Monthiers. Elles reviendront peut-être un jour, nostalgiques de Lugné Poe, curieuses de mises en scène nouvelles et de décorateurs audacieux. La Belle au bois ronflant sera-t-elle réveillée par le baiser d'un Lugné Poe contemporain?
1ère partie de la rue de Liège (au fond la rue de Clichy)
Dans la quartier de l'Europe, la rue de Liège a oublié qu'elle s'appelait à sa création rue de Berlin!
Jardins de Tivoli
Elle a été ouverte en 1826 à l'emplacement des jardins de Tivoli, tout d'abord jusqu'à la rue d'Amsterdam qu'elle atteint en 1840 avant d'être prolongée jusqu'à la rue de Clichy par l'élargissement du passage Grammont. Telle qu'elle est aujourd'hui, elle va donc de la rue de Clichy à la place de l'Europe- Simone Veil sur 400 mètres.
En 1914, Berlin n'étant pas vraiment dans le cœur des Français, la rue est débaptisée et prend le nom d'une ville amie, Liège, où la résistance à l'envahisseur allemand en août a été héroïque. Sur cette photo nous pouvons voir l'ancien nom à moitié caché par un volet et le nouveau inscrit sur un carton.
Le 1 rue de Liège.
La rue commence dans le IXème arrondissement, son premier numéro est un bel immeuble construit en 1900 qui fait partie de l'ensemble qui a pour adresse le 37 rue de Clichy. Bel immeuble typique de l'art bourgeois du début du XXème siècle rétif aux audaces de l'art nouveau.
Le 37 rue de Clichy
Le 2 en voie de ravalement abrite toujours un café dont il nous reste des photos du début du XXème siècle :
Le 3 est un des rares immeubles de la rue à être classé au titre de la protection patrimoniale.
Original avec ses grandes arcades qui entourent les deux premiers étages, avec la saillie de la corniche et sa frise décorée de briques émaillées, il date de 1926 et a été construit par l'architecte Paul Marozeau.
Cet architecte qui vécut de 1879 à 1942 a réalisé plusieurs immeubles à Paris.
L'un d'eux, quai de la Rapée, était une extension du "château urbain" édifié par Paul Friezé en 1899 et détruit sans vergogne pour être remplacé par les immeubles plats et sans imagination qui jouxtent la gare de Lyon.
Le 3 a été l'adresse d'un célèbre cabaret : le "Shéhérazade" qui est un lieu historique et devrait porter une plaque commémorative comme Paris les affectionne. Il a été créé en 1928 et a accueilli la chanteuse, compositrice et guitariste russe Anna Marly (Anna Yurievna, 1917-2006).
Cette Anna Marly devrait être célébrissime car c'est elle qui composa la musique et les paroles russes dont s'inspirèrent Kessel et Druon, du Chant des partisans!
Elle est également l'autrice d'une chanson qui fut popularisée par Léonard cohen et Joan Baez, "The partisan".
L'ironie de l'histoire fait que ce cabaret (sans Anna Marly qui avait fui le Paris de l'occupation) fut très apprécié des officiers nazis et vanté par les guides touristiques allemands!
4 rue de Liège
Le 4 s'est appelé à sa création "Grand hôtel de Liège" avant de se mettre à la mode en se baptisant "New hôtel".
Un nom qui après quelques années cesse d'être pertinent! Il est difficile d'être "new" très longtemps!
5 rue de Liège.
Le 5 est un bel hôtel particulier construit en 1851 et remanié à plusieurs reprises.
Le 6
Le 6 est un immeuble construit dans la première moitié du XIXème. Rien à dire sinon qu'il abrite le cabinet de mon gastéropode (gastro entérologue)!
Le 7 a grande allure, sorte de petit château urbain... il fut propriété du célèbre collectionneur d'art John Bowes qui y entreposa de nombreuses acquisitions. Pour les abriter il fit construire en Angleterre un château à la française connu de nos jours sous le nom de Bowes Museum.
Il fit l'acquisition du Théâtre des Variétés où il rencontra sa future épouse, une actrice lyrique, Joséphine Coffin-Chevalier qui, admiratrice de Victor Hugo se faisait appeler Mademoiselle Delorme.
Le 8. (1849)
Le 9.
Ne vous fiez pas aux sites qui continuent de faire du 9 rue de Liège le siège de la Fédération Française de rugby. Ils n'ont pas mis leur montre à l'heure depuis 2010, année où la Fédération déménagea à Marcoussis où elle a toujours ses bureaux! L'immeuble est devenu un hôtel 4 étoiles, l'Opéra Liège.
Le 10 (1880)
Le 11
Viennent ensuite quelques beaux immeubles de la première moitié ou de la fin du XIXème siècle...
Le 12 (1850)
Le 13 (1892)
Le 13 porte le nom de son architecte, Antonin Flandre et sa date de construction,1892.
Quelques immeubles encore se succèdent sans rien avoir à nous raconter jusqu'à la rue d'Amsterdam..
Seul le 18 porte le nom de son architecte : Mortier 1846, ce qui est assez rare pour les immeubles de style Restauration ou Louis-Philippe (ce qui est le cas du 18). Je n'ai trouvé à l'actif de cet architecte que la réalisation du clocher de l'église Saint-Martin à, Savenay!
(Grâce à un ami lecteur de ce blog, je peux compléter les informations sur Athanase Mortier. certains croquis de ses réalisations sont conservés, comme celui du 11 rue de Milan, toujours debout, dans le quartier de l'Europe :
Il fut chargé de la constructions de bâtiments à l'emplacement de ceux qui avaient été incendiés sous la Commune. Cette activité lui valut d'être honoré du titre de Chevalier de la Légion d'Honneur, d'autant plus que l'hôtel de Salm, siège de la chancellerie, incendié en 1871, fut restauré par ses soins. Il conserva les élégantes façades restées debout et repensa l'aménagement intérieur.)
Nous quittons maintenant le IXème arrondissement avec les deux immeubles à pan coupé qui donnent sur le carrefour avec la rue d'Amsterdam.
En réalité la frontière n'est pas si nette entre la Nouvelle Athènes et le quartier de l'Europe.
Nous sommes au métro Liège (ancien Berlin). La station a été construite par la Société du Nord-Sud et ouverte en février 1911. Fermée en 1938, elle a été pendant presque trente ans une de ces "stations-fantômes" parisiennes où les rames ne faisaient que passer sans s'arrêter. Elle ne sera rouverte qu'en 1968.
Elle a la particularité d'avoir deux quais qui ne se font pas face. On peut parler de deux demi-stations. Cette bizzarerie est due à l'étroitesse de la rue d'Amsterdam sous laquelle le tunnel a été creusé.
Des céramiques évoquent les paysages et les monuments de la province de Liège. Direction nord elles sont l'oeuvre de Daniel Hicter et sont polychromes.
Direction sud elles ont été créées par Marie claire van Vuchelen et sont en bichromie bleue.
Le 24
Le 24 est un bel hôtel néo Renaissance élevé en 1877 par l'architecte Albert Duclos. Portes géminées en anse de panier, rinceaux et médaillons lui confèrent un charme qui lui valent d'être classé.
Eden théâtre.
Albert Duclos qui aimait l'orient est resté célèbre grâce à l'Eden théâtre avec ses clochetons en pagode en grande partie détruit mais dont l'un des foyers est devenu la Comédie Parisienne, aujourd'hui théâtre de l'Athénée.
Il subsiste en revanche son hammam de la rue des Mathurins, un des immeubles les plus dépaysants de la capitale!
Le 26
Le 26 de 1885, est l'oeuvre de Charles Taisne (1850-1900), architecte post-haussmannien dont on connaît à Paris quelques réalisations comme le 7 rue d'Odessa.. Il s'agit de l'hôtel de Madame Mareuse
L'hôtel aurait été été habité dans la première moitié du XXème siècle par cette femme haute en couleurs, ardente féministe qui s'est illustrée en participant à des courses automobiles, notamment aux 24 heures du Mans. En 1930, c'est la première fois que des femmes y étaient admises! Marguerite Mareuse et Odette Siko sa co-équipière étaient arrivées à la 7ème place sur leur Bugatti!
Le 27.
Le 27 a perdu le souvenir de sa vie antérieure lorsqu'il abritait bureaux et ateliers de matériel chirurgical.
Le 25 (petit hôtel Restauration) et le 27
La photo permet de deviner au 25 un bel hôtel de style restauration aujourd'hui remplacé par une de ces verrues sans style qui se soucient comme d'une guigne de l'harmonie urbaine!
Le 25 qui a obtenu, on n'essaie pas de savoir comment, une dérogation pour dépasser de plusieurs étages la hauteur imposée.
Le 28
Le 28 ne porte pas de plaque et pourtant il n'est pas banal! Il est en effet construit par un architecte dont on ne dira jamais assez le génie : Viollet le Duc. Si on connaît son travail immense (travail à la fois d'érudit et de poète) pour la restauration de monuments menacés ou en ruines, on connaît moins ses immeubles civils.
68 rue Condorcet. On remarquera le hibou grand duc, totem choisi par l'architecte, en console sous le balcon du 4ème.
... Et pourtant! Notre quartier nous offre quelques unes de ses réalisations où se manifestent à la fois sa culture influencée par le gothique et son sens de la simplicité, du pratique et du rationnel. Citons le 68 rue Condorcet (sa demeure)...
le 15 rue de Douai, Le 23 rue Chauchat, le 42 rue Lafayette.
Le 28 a été construit pour Henri Courmont (1813-1891), secrétaire de la commission des Monuments Historiques, son ami qui était aussi photographe.
Un de ses clichés montre le château de Pierrefonds avant sa restauration par Viollet-le-duc.
Le 31
Au 31 un académicien à la plume prolifique est venu habiter en 1935 jusqu'à la fin de sa vie.
Il s'agit de Georges Duhamel qui rédigea une bonne partie de sa "Chronique des Pasquier" rue de Liège!
Le 35
Le 41
Le 41 a été édifié en 1880 par Eugène Bardon (1843-1901), architecte qui édifia de nombreuses villas à Chatou et qui fut en vogue grâce à son pavillon de l'expo de 1878 très apprécié des visiteurs.
Les derniers numéros de la rue sont d'opulents immeubles post haussmanniens très représentatifs de l'architecture du quartier de l'Europe.
Des deux côtés de la rue, ils font penser avec leur jardin qui épousent la forme arrondie de la place Simone Veil aux immeubles construits par Hittorf pour la place de l'Etoile.
Nous voilà maintenant sur la place, au-dessus des voies de la gare St-Lazare... autre quartier, autres histoires.
Mais si vous vous asseyez à la terrasse d'un café de la rue de Vienne qui est dans le prolongement de la rue de Liège, vous vous étonnerez peut-être que cette dernière ait gardé son nom alors que la même année où l'on débaptisait la rue de Berlin, on décidait que les cafés viennois seraient pour toujours appelés cafés liégeois!
Fernand Pelez (1848-1913) est contemporain de Toulouse Lautrec et de Degas. Comme eux il s'est intéressé aux artistes mais plus qu'eux son regard a été marqué par la fraternité et la compassion. Pas étonnant qu'il ait eu peu de succès, ses toiles ne montrent pas les lumières des théâtres, ni les belles passantes des rues. Elles disent la misère et le rude labeur de survivre.
Celui qui dans le Montmartre du XXème siècle lui ressemblera le plus, non par le style, non par la palette mais par la générosité du regard, c'est Poulbot, le peintre des gosses.
Parce que les gosses, il les connait Fernand Pelez. Il voit sur le boulevard de Clichy où il a son atelier les mendiants qui espèrent attendrir les noctambules et les amateurs de jolies danseuses.
le martyr. Le marchand de violettes.
... Et quand il peint le petit vendeur de violettes, épuisé, affamé, presque mort, il appelle sa toile : le martyr. Quand il y a martyr, il y a bourreau. On ne peut s'empêcher de le rechercher ce bourreau, devant ces victimes dont la tristesse détruit la joie et la vitalité.
Le petit marchand de citrons
Certes Fernand Pelez a dû regarder Murillo et ses mendiants exposés au Louvre, mais le choix qu'il a fait après des études académiques avec pour maître un grand peintre, Cabanel, c'est un engagement, un renoncement au succès, à la fortune, alors que ses toiles avaient été remarquées et honorées au salon.
Adam et Eve. Première période de Fernand Pelez, encore académique.
Il y a au Petit Palais une toile exceptionnelle qu'il faut voir à tout prix pour mesurer le génie de Fernand Pelez "Grimaces et misère" de 1888.
Et quelle toile!
Sept mètres de largeur! (2 mètres 61 de hauteur). Présentée au salon de 1888, elle fit sensation. Elle resta dans l'atelier du peintre jusqu'à sa mort. Elle entra alors au musée où elle continue d'impressionner les visiteurs.
La toile dans l'atelier du peintre, 62 boulevard de Clichy.
Elle représente une troupe foraine telle qu'on en voyait sur les boulevards. Les dix forains sur une estrade font face aux spectateurs et sont censés leur donner envie d'entrer sous le petit chapiteau pour assister au spectacle.
À gauche, un garçon qui tient un tambour pleure tandis que des adolescentes en maillot, attendent le début du spectacle qui commencera comme l'indique le panneau tenu par la plus âgée, dans trente secondes.
Les visages sont las, comme ailleurs. Ils ne regardent pas les curieux qui les fixent. Les animaux font partie du spectacle, perroquets et singes. Privés de liberté, enchaînés, ils connaissent le même sort que les enfants.
Au centre, un nain réduit à son rôle de "curiosité", de petit monstre amusant, a le visage fermé, seule façon de résister à l'humiliation.
Un clown blanc au costume coloré déclame sans baisser la tête vers les spectateurs.
Un "bonimenteur" plus âgé prend un air exagérément réjoui.
À droite sous la banderole "orchestre français" (sur laquelle un singe enchaîné, compagnon de misère, tourne le dos), trois vieillards amaigris sont assis. Ils sont accablés. Deux semblent dormir, le 3ème fixe le vide. leurs instruments sont la clarinette, le trombone et l'ophicléide (ancêtre du tuba).
Le petit berger endormi (Jules Bastien-Lepage)
Dans cette attention aux humbles, à ceux que la société ne veut pas voir, le peintre a été proche d'un artiste qui l'influença et qui comme lui fréquenta l'atelier de Cabanel : Jules Bastien-Lepage.
Jules Bastien-Lepage
Mais si Jules Bastien-Lepage reste fidèle à ses origines paysannes et représente des campagnards dans leur rude condition, Fernand Pelez est citadin et c'est la misère des villes qu'il veut peindre.
Comme dans cette toile : "sans asile - les expulsés". Une œuvre toujours actuelle qu'appréciera un autre montmartrois connu pour son amour des chats, Steinlen, qui fut aussi un homme engagé dans la défense des pauvres du maquis.
Parmi les autres toiles de Pelez comment ne pas citer "la victime ou l'asphyxie" qui représente une femme que les émanations d'oxyde de carbone d'un mauvais poêle ont tuée.
Pelez ne pouvait savoir que quelques années après cette représentation, un écrivain qu'il admire, Zola, mourrait de la même manière. Il s'agirait alors d'un crime.
Un nid de misère. (Pelez)
Une exposition de 2009 au Petit Palais a remis dans la lumière ce grand peintre.
Patrick Cauvin écrivait alors : "Montmartrois, foncez au petit Palais! Courez voir Pelez, ne serait-ce que pour le temps d'un regard, faire revivre, par un peintre oublié, le carnaval des traîne-savates".
Je ne suis pas "cimetière". Je veux dire que je n'éprouve pas le besoin d'y aller, comme ça, à jours fixes, anniversaires, Toussaint, pour m'arrêter devant les tombes chères, le petit carré terrestre où ont été mis en terre les gens que j'aime.
Je ne peux imaginer leur crâne blanc, l'arbre mort de leur corps, les phalanges osseuses qui étaient caresses. Je rejette loin de moi toute image de pourrissement et d'anéantissement progressif. Ils ne sont pas dans la terre mouillée. Ils respirent à pleins poumons. Ils respirent par mes poumons.
Et pourtant ce premier novembre 2021, je suis allé au cimetière, non pas leur cimetière, aucun d'entre eux n'est à Montmartre, mais là où j'aime me promener, dans ce parc au coeur de la ville, sous les grands arbres. Les murs rouges de vigne vierge entourent une ville de pierres qui ressemble à une cité antique avec ses temples, ses colonnes, ses statues.
Il faisait gris, les averses succédaient aux averses et j'ai dû m'abriter un moment dans une chapelle funéraire sans porte. Il y avait sur le sol une corbeille et une gamelle avec quelques croquettes. J'ai sans doute dérangé un chat, un de ceux que des femmes attentives viennent nourrir chaque jour.
Les chats n'ont pas notre culture, ils n'aiment pas Berlioz non pas pour sa musique mais à cause du marbre noir et glacé de sa tombe inhospitalière :
Ils n'aiment pas Truffaut pour la même raison et c'est à peine s'ils s'arrêtent sur la pierre de la Goulue trop exposée aux passants.
Quand la pluie s'apaisait je reprenais ma balade et j'allais en marchant sur les feuilles mortes jusqu'à la pierre grise qui recouvre Monique Morelli, ma voisine de la rue Paul Albert, morte il y a plus de vingt ans!
Je l'entends chanter Aragon ou Villon ou Ronsard comme au temps où j'ouvrais mes fenêtres pour ne pas perdre une miette de sa voix .... Cette voix qu'elle lançait pour nourrir tous les moineaux du monde!
Sa voix ne s'en va pas! Nulle voix ne meurt! Pas plus celle de Morelli, que de Jeanne Moreau, que de Dalida!
Aucune voix ne devient ossements! Ni ta voix Morelli, ni la tienne Manguite, ni la tienne ma petite soeur, ni la tienne maman.
Les voix aimées résistent à la mort, elles s'échappent et murmurent dans nos nuits comme les constellations.
Le soleil est venu soudain, il n'est resté que quelques minutes, le temps de jeter un arc en ciel au-dessus du cimetière.
De retour à Paris le 3 octobre avec dans les yeux les vagues de l'Atlantique en fusion dans le soleil. Pas évident de retrouver la grande ville et ses murailles d'immeubles. Vite je monte sur la Butte pour retrouver l'horizon et la houle des toits parisiens.
4 octobre. Soir de vent sur la Butte. Photo prise de la fenêtre de mon bureau.
5 octobre. Boire dans les mains de son maître... Qui dira jamais le lien vital qui unit hommes et chiens?
6 octobre. Montmartre-village. Rue Poulbot (ancienne impasse Traînée.
7 octobre. Quelques escaliers de la Butte ont été décorés par les enfants des écoles pour la fête des vendanges. (1ère et 2ème photos rue Foyatier, 3ème photo rue Barsacq).)
8 octobre. La fête des vendanges est annoncée...
9 octobre. Rencontre improbable. Avenue Junot, défilé des vendanges.
9 octobre. Des mères survoltées! Défilé des Vendanges.
10 octobre. Artistes en herbe.
11 octobre. Les demoiselles de Rochefort à Montmartre!
12 octobre. Balade d'une robe boulevard Marguerite de Rochechouart.
13 octobre. J'ai tout donné au soleil sauf mon ombre.
14 octobre. Comédie musicale. Square de la Turlure (Bleustein-Blanchet).
15 octobre. La vigne rouge, rue Girardon et rue des Saules.
16 octobre. Des mariés sur le trottoir le plus étroit de la rue St-vincent.
17 octobre. Les chiens japonais sont de retour à Montmartre!
18 octobre. Pour être parisienne il faut porter un béret! avant d'acheter une baguette! (marches du sacré-Coeur).
19 octobre. Jour de soleil square Nadar. Une trinité.
20 octobre. Au coeur de Montmartre, le cité des artistes (rue Norvins). Un peu du vieux Montmartre préservé!
21 octobre. L'enfant et le triton (fontaine de Gasq)
22 octobre. Le pigeon mélomane.
23 octobre. La maison de Monique Morelli, ma voisine quand j'habitais rue Paul Albert.
Elle est morte en 1993. La maison est restée inhabitée. Son chapeau de soleil est toujours accroché à la fenêtre.
Dimanche 24 octobre. Un petit air estival sur la Butte.
25 octobre. Square Nadar où les chiens et les enfants sont dans leur royaume.
26 octobre. Il faut de toi pour faire un monde.
27 octobre. Matin brumeux.
28 octobre. L'amour dévorant de la vigne vierge pour le réverbère.