Après le croisement avec la rue du Chevalier de la Barre, la rue Lamarck descend plein nord...
Au 18 actuel (dont nous avons dit un mot dans l'article précédent) s'élevait un des trois "Dioramas" de Montmartre, dont le but était de proposer aux pèlerins qui gravissaient la Butte pour se rendre au Sacré Cœur, une halte spirituelle devant de grandes toiles représentant les lieux saints et exposées de telle sorte qu'il se trouvait pris dans le paysage.
Le Diorama ouvrait sur la rue Lamarck, à l'emplacement des immeubles sans inspiration qui y ont été construits depuis.
Le grand panorama de Jérusalem qui y était exposé a été peint par Olivier Pichat.
Olivier Pichat n'a pas laissé une trace éblouissante dans l'histoire de la peinture et s'il est encore connu aujourd'hui, c'est surtout pour le portrait du "Général Noir" de la Révolution, Thomas Alexandre Dumas, père d'Alexandre Dumas!
Face au 18, le 9 abrite le Cénacle ou plus exactement ce qu'il en reste. Les terrains qui s'étendaient sur une partie de la rue ont été lotis au profit d'immeubles de médiocre architecture à vocation sociale.
Le Cénacle, établi à Montmartre en 1890, compte aujourd'hui cinq sœurs engagées dans l'organisation de retraites et de rencontres pour l'approfondissement de la Foi.
Le 22 est un joli petit hôtel particulier construit dans la deuxième moitié du XIXème siècle. C'est un pastiche harmonieux de la Renaissance, clin d'œil au passage du Vert Galant sur la Butte! Mais c'est à François Ier qu'il se réfère avec sa salamandre!
Il est édifié en retrait sur un jardin. On remarquera ses fenêtres ornées de cintres et l'oriel (fenêtre en encorbellement) sur un cul de lampe, au centre de la façade.
C'est un bâtiment annexe de la crèche israélite qui porte le nom de Bleustein Blanchet bienfaiteur de l'institution.
Le 24 est lui aussi un autre bâtiment remarquable de la rue. Petit hôtel construit en 1885 du temps où la Butte avait encore un aspect campagnard.
C'est un banquier qui offrit cette jolie demeure à sa maîtresse, à l'écart de l'agitation et des embarras du centre de Paris et propice aux rencontres discrètes!
Il est aujourd'hui transformé en hôtel de charme, très apprécié des Américains. Sur les murs de l'entrée une fresque de Roland Dubuc (1924-1998) évoque le quartier. Dubuc a connu Utrillo et son style s'en ressent, en plus rustaud et barbouilleur.
Les 32 et 34 sont de bons gros immeubles bourgeois d'un style opulent et ostentatoire tels qu'ils prolifèrent sur les anciens chemins villageois de Montmartre! Edifiés pendant la guerre de 1914, ils sont dus à l'architecte Raoul Daunay dont je n'ai pas trouvé d'autres œuvres parisiennes.
Le 34 donne en partie sur les escaliers de la rue Becquerel, chère aux admirateurs d'André Breton. C'est en effet au n°4, chambre 54 que vécut Nadja "aux yeux de fougère" pendant les quelques jours que dura sa passion avec le poète, avant la crise de folie et la descente aux enfers.
Côté impair s'ouvre la rue de la Bonne avec la maison de retraite construite sur les terrains du Cénacle.
Nous pouvons remarquer sur cette carte postale un intrigant bâtiment qui donne en partie rue de la Bonne et en partie rue Becquerel à l'emplacement de l'immeuble de proue qui aujourd'hui s'élève entre les deux rues.
Il s'agit du panorama de la bataille de Patay (non pas celle au cours de laquelle s'illustra notre Jeanne d'Arc nationale mais de celle de 1870 contre les Prussiens).
On peut voir sur ce document la rotonde de bois où était exposée la grande toile peinte par Charles Castellani alors qu'il vivait à Montmartre.
Charles Castellani (1838-1913) était connu pour ses panoramas, le plus célèbre étant celui de la bataille de Waterloo peint pour la rotonde de Bruxelles.
Après le tournant, la rue Lamarck descend en droite ligne vers la rue Caulaincourt.
On peut y voir côté pair des immeubles sans grande originalité. Certains sont la version hausmannienne de la 3ème République (entre 1911 et 1914). Leur falaise de pierres assombrit la rue...
Les numéros 36bis, 38, 38bis sont signés de la même doublette d'architectes : Francis Veber et Albert Michau)
Ils sont responsables d'une vingtaine d'immeubles à Paris et de nombreux autres à Neuilly où une rue presque entière (les 3-8-9-11-11bis-15-16-17 rue Angélique Vérien) leur est due!
Dans notre quartier, on retiendra les 13-15 rue du Baigneur...
Le 31 (angle Lamarck et rue du Mont-Cenis)son histoire liée à la vie spirituelle et caritative qui se développa sur la Butte autour du Sacré Cœur en construction.
Il a été construit en 1896 grâce à la générosité du comte Gaston Chandon de Briailles, président de l'Œuvre des Pauvres du Sacré Cœur à laquelle il sert de siège.
"La maison est une ruche de pauvres où tous sont reçus à bras ouverts. Un médecin distingué leur prodigue des soins et une sœur de l'Espérance exécute les pansements et délivre les potions ordonnées."
On y trouve également un bureau de placement, un vestiaire, une grande salle de bains, une pièce-bibliothèque où les hommes (car l'Oeuvre est réservée aux mâles) peuvent recevoir de l'aide pour leur courrier.
En 1896, 2388 "pauvres" sont pris en charge. L'œuvre est diversement appréciée et certains lui reprochent son prosélytisme car les pauvres sont "invités" à assister aux offices avant de recevoir en récompense une miche de pain!
Elle ne disparaît qu'en 1950. Il n'en reste plus que cette grande maison d'un certain style, construite par l'architecte William Hemet dont je n'ai trouvé aucune autre réalisation!
En face côté pair le 46 a un certain style, coloré et joyeux. C'est un immeuble de rapport construit en 1870.
Il abrite un atelier pour enfants où on espère que les petits poulbots bobos retrouvent le goût de la création qui fut si vivace à Montmartre et qui est si galvaudé aujourd'hui!
Le carrefour avec la rue du Mont-Cenis (côté nord) en 1905. On reconnaît le 46 (droite) épicerie - marchand de vins et spiritueux "Les Caves du Centre" aujourd'hui atelier créatif!
Carrefour Mont-Cenis. Le restaurant "Au Bon Coin". Aujourd'hui c'est une brasserie cool et honnête : "Le Relais"
Le 52
A cette adresse, à l'angle avec la rue de l'Abbé Patureau, on trouve un restaurant. Il aurait existé à cet emplacement dès la fin du XVIIIème siècle.
Avec sa terrasse sur les escaliers qui semble suspendue, il ne manque pas de charme et il n'est pas étonnant qu'il ait été fort à la mode quand Edouard Carlier s'y installa en 1974
Edouard Carlier fut un Montmartrois engagé, Grand Mousquetaire de la République de Montmartre, Grand Amphytrion de la Commanderie du Clos-Montmartre! (Tout est grand dans le minuscule Montmartre, à commencer par les assemblées folkloriques et picrocholines ).
Il donna à son restaurant le nom de Beauvilliers, cuisinier français à qui on prête la création du premier restaurant digne de ce nom, chef cuisinier du Prince de Condé et Officier de bouche de Louis XVIII.
Le Beauvilliers fut fréquenté pendant les années 80 et 90 par les célébrités gourmandes qui appréciaient la cuisine de Carlier et le décor un peu kitch de son établissement.
A la mort de Carlier (2003), le restaurant faillit disparaître. Après s'être métamorphosé en "Nouveau Beauvilliers", il jeta définitivement le cuisinier de Louis XVIII aux oubliettes et devint le "Chamarré Montmartre", en 2008, sous la houlette d'Antoine Heerah, venu du Chamarré dans le 7ème arrondissement et qui rénova le lieu et le mit à la mode un tantinet exotique.
C'est Carlier qui régale! Brialy, Françoise Dorin, Line Renaud, Andréa Férréol, Dalida, Mireille Mathieu, Mourousi....
Le 54 ne retiendrait pas l'attention si un écrivain célèbre n'y avait vécu quelques années. Il s'agit de Jules Romains dont un nombre considérable de collèges de l'hexagone porte le nom! Il est vrai que son œuvre est imposante même si elle est un peu passée de mode. Le jeune Jules de son vrai nom Louis Henri Farigoule y débarqua à l'âge de dix ans en 1895.
Plus bas, côté impair, Le 43 porte une plaque apposée sur sa façade. Elle rappelle au passant ignorant que le peintre suisse Marius Borgeaud y vécut de 1916 à 1924. "Vécut" est sans doute exagéré, ce qui est sûr c'est qu'il y mourut pendant le mois de Juillet 1924 après avoir passé la majorité de son temps en Bretagne, de Pont-Aven au Faouet. C'est là qu'il peignit ses plus belles œuvres.
Borgeaud est un peintre original, riche héritier et amateur de peintures qui après avoir dilapidé sa fortune, vint tenter sa chance à Paris.
Il a la quarantaine quand il commence à peindre avec son ami Picabia. Ses débuts sont marqués par l'impressionnisme jusqu'au jour où il découvre les peintres bretons.
Il devient alors ce qu'il cherchait sans doute, le peintre des intérieurs qui sous leur apparente banalité recèle un mystère, une présence étrange.
Il y a dans ses toiles un sens du sacré, par le silence, l'ordre, la lumière qui les habitent. On pense aux intérieurs flamands qui auraient laissé entrer à flots le soleil et les embruns. On pense aussi à Matisse, aus couleurs qui s'émancipent et prennent vie autonome. Ce mélange de profondeur et de décor un peu naïf confèrent à ses œuvres leur originalité.
Borgeaud n'eut pas le temps de donner toute sa mesure. Il mourut à 62 ans, dans son appartement de la rue Lamarck, à quelques pas du Cat's Cottage de son compatriote Steinlen dont certains chats s'étaient glissés dans ses toiles bretonnes!
Quelques immeubles se font encore remarquer par leur architecture en représentation, pierres de taille et larges fenêtres. Ils donnent à l'endroit son "look" de "beau quartier"!
Mais ce style sans imagination des années d'avant première guerre peut sembler monotone et tristounet. Nous sommes loin de la folie créatrice du Modern Style, des Guimard et autres génies. Il faut dire que l'exubérance et l'originalité ne plaisaient pas à la bourgeoisie qui prenait possession de la butte.
Le 45 à l'angle avec la rue Gaston Couté est de Marozeau (comme le 47). Le même architecte a laissé son nom gravé dans la pierre de quelques immeubles du XVIème arrondissement. Cette partie de Montmartre a parfois été appelée le XVIème de la Butte! Ce n'est pas étonnant car la même population était attirée par ces deux quartiers à la mode. Ceux qui choisissaient Montmartre pensaient se donner un supplément d'âme artistique!
La rue Gaston Couté ressemble à certaines artères du XVIème. Elle en a l'ostentation et la monotonie, seule la géographie montmartroise en courbes et en pentes lui confère quelque charme.
Le 49, dernier immeuble avant la rue Caulaincourt est signé A Coudert. On peut voir rue Beaubourg un bel immeuble de bureaux de 1923 qui est son œuvre.
Là où s'interrompt la rue Lamarck avant de reprendre de l'autre côté de la rue Caulaincourt, la rue des Saules vient la rencontrer. Cette rue mythique de Montmartre a gardé un aspect pittoresque. On voit à quoi elle ressemblait au début du XXème siècle quand le maquis la recouvrait en partie. Les cartes postales donnent une idée de ce qu'était le Montmartre d'alors. C'était le quartier des chiffonniers et des gosses des rues, celui des artistes fauchés et des poulbots...
La rue Lamarck (à droite) quand elle croise la rue Caulaincourt (à gauche) vers le sud et le haut de la Butte.
La rue Lamarck continue de descendre après avoir franchi la rue Caulaincourt....
Elle s'enfonce vers le nord ouest... et plus elle s'enfonce, plus elle s'éloigne de Montmartre, plus elle se banalise...
Nous la laisserons là puisque la rue Caulaincourt marque la frontière entre Paris et la Butte!