Un des plus beaux souvenirs qu'on puisse rapporter d'Asie est sans doute celui d'une errance entre ciel et eaux dans un paysage d'estampes. Le pays des grottes de Tam Coc que les occidentaux ont pris l'habitude d'appeler la baie d'Along terrestre vous ouvre un autre monde qui hésite entre rêve et réalité.
La brume, le contour indistinct des pitons rocheux, l'eau et la terre... Très vite vous ne savez plus où vous êtes... Vous croisez des buffles, des singes, des oiseaux qui jouent les créatures fantastiques, comme ce trio qui semble naviguer sur un radeau d'herbes.
Le nom touristique de cette région lui vient de sa ressemblance avec le site inouï de la baie D'along maritime aux innombrables pitons calcaires couverts de végétation et aux rochers étranges en forme de dragons. Le nom vietnamien évoque les grottes sacrées dont certaines ont été transformées pendant les années de résistance aux Français et aux Américains en hôpitaux, en prisons pour les ennemis capturés ou en caches.
Les barques glissent sans un bruit; elles sont le seul moyen de transport possible et elles ajoutent par leur lenteur et leur silence à l'atmosphère irréelle. Les rameurs n'utilisent pas leurs mains mais leurs pieds, ce qui leur permet de nous saluer tout en nous souriant.
Et le sourire au Vietnam n'est pas mesuré chichement comme chez nous... C'est ce qui frappe tout voyageur : la gentillesse et le sourire. On pourrait penser qu'après des années d'occupation, de tortures, de massacres, de napalm, les Vietnamiens auraient gardé un fort ressentiment envers l'Occident comme le font tant de peuples dans des pays pourtant moins exploités et détruits que celui là...Mais il n'en est rien. Ce sont des vainqueurs modestes qui ne vous tiennent en rien rigueur de ce qu'ont pu commettre nos armées égarées.
Rivières, rizières...séparées par de légers talus...et toujours ces barques à fond plat...Le temps s'arrête peut-être près de Ninh Binh et de la grotte de jade et ses pagodes miniatures. Vous apercevrez quelques maisons de pêcheurs contre les falaises abruptes et parfois une modeste église. On est surpris en effet du nombre de chapelles et d'églises dans ce pays incertain. A quelques kilomètres de là, à Phat Diem, vous pourrez même visiter une cathédrale étonnante avec son plafond en forme de coque de navire renversé et son mélange baroque mêlant les cultures et les époques.
J'ai cru reconnaître Delanoé et son velib venu convaincre les paysans de l'intérêt de la chose. Aux dernières nouvelles, il n'a pas vraiment convaincu et Decaux s'est vu refuser l'utilisation des falaises comme supports à la pub.
Aujourd'hui le ciel de Paris est aussi gris que celui de Ninh Binh et les rochers de Montmartre ont un air très approximatif de pitons vietnamiens. L'envie me prend de retourner au Vietnam, dans cette région précise où tout est imprécis, dans cet univers de gris et de vert où les femmes glissent sur les eaux et vous sourient avant de disparaître.