Depuis mes derniers articles sur les rues Pigalle et La Rochefoucauld quelques années ont passé.
L'abbesse a retrouvé sur les plaques son prénom : Catherine de La Rochefoucauld comme ses semblables non loin de là : Marguerite de Rochechouart et Emilie de la Tour d'Auvergne....
Le delta entre les rues Pigalle et Catherine de La Rochefoucauld jusque là anonyme a été baptisé "place Juliette Drouet" en 2017.
Avez-vous remarqué que tous ces mini espaces récupérés sur la voirie sont la plupart du temps devenus des "places" dédiées à des femmes. La mairie tente de réparer un "oubli" de plusieurs siècles. Les rues de la ville ont le plus souvent ignoré la moitié de l'humanité.
Voilà donc que la femme de lettres, la passionnée, l'inlassable amoureuse de Victor Hugo a enfin à Paris un endroit qui la commémore.
Victor Hugo de retour d'exil loue en 1871 le premier étage de l'hôtel Rousseau 66 rue La Rochefoucauld.
Un bel hôtel dû à l'architecte Pierre Rousseau connu pour avoir réalisé l'Hôtel de Salm, un des plus beaux monuments civils de Paris (restauré après les incendies de la commune).
Victor Hugo y reçoit de nombreux écrivains, les Goncourt, George Sand ainsi que des politiques comme Clémenceau ou Gambetta. C'est là qu'il consacre une partie de ses journées à ses petits enfants Georges et Jeanne et qu'il écrit "L'art d'être grand-père".
Prenez garde à ce petit être ;
Il est bien grand, il contient Dieu.
Les enfants sont, avant de naître,
Des lumières dans le ciel bleu.
L'appartement que Juliette a choisi est presque en face de l'hôtel Rousseau là où la rue Pigalle fait un delta avec la rue Catherine de La Rochefoucauld. C'est aujourd'hui un hôtel de tourisme.
L'année 1872 est tragique, c'est celle où la fille de Victor Hugo, Adèle, sombre dans la folie et doit être internée.
Période noire pour le poète qui après avoir perdu son fils Charles l'année précédente, verra mourir son deuxième fils François-Victor l'année suivante. La présence de Juliette Drouet et les lettres qu'elle lui écrit le soutiennent dans l'épreuve. Il se réfugie chez elle et passe de plus en plus de temps à ses côtés.
Après un séjour de presque un an à Guernesey où il finit d'écrire son roman "Quatrevingt-treize", de retour à Paris, il quitte l'hôtel Rousseau pour vivre chez Juliette rue Pigalle en 1873.
Cette place voit donc Juliette vivre enfin officiellement avec Victor Hugo! Et quand bientôt il louera l'hôtel du 130 avenue d'Eylau, elle l'y suivra.
124 avenue Victor Hugo (anciennement 130 avenue d'Eylau). Immeuble construit à l'emplacement de l'hôtel où Victor et Juliette vécurent ensemble leurs dix dernières années.
Tout a été écrit sur cette relation de sujétion qui sans doute irrite beaucoup de féministes. Je le comprends mais il y a là un mystère qui nous dépasse. Juliette qui connaissait les hommes, avait été mariée et mère, a choisi de lier sa vie à cet ogre de génie à qui elle apporta par sa fidélité une stabilité qui souvent lui manquait.
Elle écrivit 22 000 lettres qui sont autant de déclarations. On y trouve, vigilant et brûlant, le mot qui est le dernier de l'épitaphe que Victor Hugo fit graver sur sa tombe.
Quand je ne serai plus qu’une cendre glacée,
Quand mes yeux fatigués seront fermés au jour,
Dis-toi, si dans ton cœur ma mémoire est fixée :
Le monde a sa pensée, moi, j’avais son amour ! (Victor Hugo)