Levalet est un des plus doués et des plus originaux des artistes qui se font connaître en décorant les rues de leur collage. On se rappelle comment il avait transformé la rue Véron en galerie surréaliste.
Il nous offre aujourd'hui en ce mois de juin déconfiné une fable amoureuse à la fois élégante et pleine d'humour.
Il faut se dépêcher d'aller la voir avant que les tags ne la recouvrent et les nettoyeurs ne la liquident!
Les lettres noires comme des coups de poing, des coups de gueule, ont fait leur apparition sur les murs de Montmartre un peu avant le grand confinement.
Elles ne restent pas longtemps en place, vite arrachées, vite recouvertes de tags, vite oubliées...
Mais avec acharnement elles reviennent comme une herbe qu'on voudrait déraciner et qui s'entête à renaître...
C'est à Marseille qu'elles ont pour la première fois fait parler les murs. C'était en août 2019.
Marguerite Stern, féministe radicale des Femen en est à l'origine. Lorsqu'elle apprend qu'une jeune femme corse, après avoir porté plainte par cinq fois à la police, a été assassinée, elle transforme sa rage en lettres noires peintes sur des feuilles A4.
La nuit tombée elle les colle sur les murs. Le mouvement est lancé.
Dans un squat d'artiste du 14ème arrondissement, des femmes alignent les lettres pour en faire des phrases dénonciatrices, des cris.
"Elle le quitte, il la tue" revient souvent. C'est la première raison donnée par les assassins. Comme si leur "possession" leur "bien" leur échappait, remettant en cause leur statut de maître, de mâle dominant...
Quand la ville peu à peu s'endort, les volontaires vont avec les seaux de colle, les pinceaux et les feuilles afficher les lettres noires en essayant de ne pas être vues et verbalisées.
L'action des femmes de ce collectif est pourtant plus respectueuse de l'environnement que bien des tags laids et pollueurs. Les feuilles s'arrachent, se décollent sans abîmer leur support. C'est du moins ce que les "colleuses" espèrent. Souvent là où une lettre a été arrachée, apparaît une autre lettre, peinte cette fois directement sur le mur. La belle idée de départ est difficile à réaliser tant est rapide et acharnée la réaction de ceux qui se sentent agressés par ces dazibaos.
Il y a aujourd'hui plus de cent femmes engagées dans le combat des lettres noires. Les hommes, d'après ce que je sais, ne sont pas admis. Je le regrette. Il me semble que ces combats se gagnent par l'union de tous.
Parfois les messages excluent les hommes comme s'ils étaient forcément les ennemis.
"Ni dieu, ni mec, ni patron" me semble être de ceux-là, inspiré par le devise anarchiste dont une des plus belles figures, Louise Michel luttait à égalité avec les hommes.
Mais là, j'entre dans un autre débat sur certains mouvements féministes ouvertement lesbiens et pour lesquels tout mâle est suspect.
Je préfère n'en pas parler et tirer mon chapeau que je n'ai pas à ces combattantes de la nuit qui jettent à la figure de tous ces faire-part de deuil, ces lettres noires qui claquent comme des drapeaux.
Une des voies les plus pittoresques de Montmartre est aujourd'hui fermée aux visiteurs comme aux amoureux de la Butte. Depuis une dizaine d'années on ne la voit plus qu'à travers des grilles et on reste sur le trottoir si on ne connaît aucun des riverains ou si on n'a pas réservé une chambre dans l'hôtel de grand luxe qui s'y taille la part du lion!
Cet hôtel qui a trouvé un nom très original : "Hôtel Particulier Montmartre" est un immeuble Directoire harmonieux qui fut la propriété de la famille Hermès. Il possède un beau jardin de 900 m2 et garantit grâce à la privatisation du passage une paix royale à ses clients.
Selon une légende tenace il aurait abrité une vieille dame de noir vêtue qui sortait de sa solitude pour poursuivre avec son balai les poulbots qui aimaient organiser des courses entre l'avenue Junot et la rue Lepic avant de se retrouver autour du rocher pour fêter avec force cris le vainqueur.
Il n'en fallait pas plus pour qu'elle devînt pour les enfants la sorcière du lieu.
Encore une histoire montmartroise sans doute inventée par un chansonnier de la Butte! Il paraît plus vraisemblable que le rocher étrange et raviné comme une vieille dent cariée qui occupe le centre du passage ait été une fontaine qu'on appelait "la sourcière" avant que l'eau ne fût tarie.
Ce rocher qu'on aperçoit à travers les grilles donne à l'endroit un aspect mystérieux qui a conduit quelques rêveurs à en faire une météorite tombée au sommet de la Butte en des temps très anciens. Si vous regrettez de ne pas pouvoir vérifier de plus près, il y a dans le square Louise Michel des falaises et des rocailles qui vous consoleront.
Le maquis
Quand ce côté de la Butte était encore un vaste terrain sauvage où se réfugiaient les pauvres gens et les artistes bohêmes, une cabane de bric et de broc abrita des artistes circassiens.
La cabane survécut avec ses planches disjointes avant d'être détruite, risquant de blesser les gamins du quartier.
Vous verrez sur certains sites qu'elle est attribuée à Footit et Chocolat, le célèbre duo de clowns qui inventa la dramaturgie du clown blanc et de l'Auguste. Rien n'atteste ce qui une fois encore a toute chance d'être une galéjade de Montmartrois qui n'ont rien à envier aux Marseillais.
Footit, marié et à l'aise vivait en famille et si Chocolat, marié lui aussi, fut dans le besoin quand il sombra dans l'alcool, ce n'est certes pas dans un maquis qui n'existait déjà plus qu'il se serait réfugié.
Ce qui n'est pas une légende en revanche, c'est l'existence, contre vents et marées d'un boulodrome qui s'est installé sur ce coin arboré en 1972. Il a eu chaud lorsque, en 1990, les promoteurs voulurent créer un parking au 23 avenue Junot. Il fallut quatre années de lutte et de mobilisation des Montmartrois autour de leurs boulistes pour que le parking soit enterré (!)
La pétanque est une vieille tradition de la Butte (encore un point commun avec nos amis marseillais). Des photos et des cartes postales en attestent.
Aujourd'hui le boulodrome, classé, est fier de ses neuf pistes, de ses habitués divers et variés, hommes, femmes, enfants, de toutes les origines, de tous les milieux. Des gens qui ont la tête bien faite et ne perdent jamais la boule.
…. Un jour peut-être la sorcière se réveillera t-elle et d'un coup de balai enverra promener les grilles qui emprisonnent ce passage. Tout est possible à Montmartre et ce n'est pas le passe-muraille qui me contredira!
Un square qui avec Vincent Delerm et Modiano est entré dans la poésie et la littérature!
7500 m2 au pied des falaises d'immeubles construits entre 1909 et 1919 par l'architecte Georges Debrie puis Adolphe Bocage pour abriter des familles modestes.
Entrée du square rue Joseph de Maistre. En arrière plan les immeubles Weill.
Alexandre Weill crée sa fondation en 1905 dans un but philanthropique. Plusieurs immeubles sont érigés grâce à elle notamment boulevard Berthier.
L'ensemble de la rue Marcadet est remarquable par son souci de luminosité et ses nombreux balcons. On souhaiterait que nos logements sociaux actuels aient toujours un tel souci esthétique et de confort!
Le porche monumental 205 rue Marcadet porte les trois lettres d'Alexandre et Julie Weil.
Du côté de la rue Carpeaux se développe la splendide façade de la caserne des pompiers, achevée en 1900 par l'architecte Paul Héneux. C'est là que fut organisé en 1937 pour le 14 juillet un bal populaire qui eut tant de succès qu'il fut repris par de nombreuses casernes du pays pour devenir avec les années une fête populaire "traditionnelle".
Le square s'étend sur un terrain qui fit partie jadis du cimetière Montmartre, le cimetière Nord et qui en 1879 fut désaffecté.
Jean-Baptiste Carpeaux (Soumy)
Il reçoit le nom de Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) pour honorer ce sculpteur considéré comme l'un des plus importants du XIXème siècle.
Napoléon III (Carpeaux)
Homme du nord, de Valenciennes qui recevra selon sa volonté une bonne partie de ses œuvres, il est aussi lié au 2nd Empire, apprécié de Napoléon III et bénéficiaire de commandes officielles.
Ses réalisations sont célèbres et il est difficile de faire un choix. Pour un parisien, le groupe de la danse de l'Opéra reste sans doute son chef d'œuvre, tant il est vivant, vibrant et solaire.
Sa dernière réalisation est la fontaine des 4 parties du Monde dans le jardin de l'Observatoire qu'il termina quelques mois avant sa mort à 48 ans d'un cancer de la vessie.
Dans le square deux sculpteurs ont été sollicités pour deux statues. La première représente Carpeaux avec une austérité qui ne rend pas justice à l'aspect original et quasi baroque de ses œuvres.
La statue est de Léon Fagel (1851-1913) sur une stèle de Henri Bans. Elle date de 1929. Fagel est né à Valenciennes comme Carpeaux et comme lui il y est enterré.
Parmi ses réalisations les plus connues figurent le buste de Carpeaux ainsi que les sculptures de la façade du Petit Palais sur les Arts et métiers (avec J. B. Hugues). On lui doit encore la statue de Lamarck dans les jardins du Museum.
Sans oublier son groupe le plus célèbre, le monument de Wattignies à Maubeuge.
Monument de la victoire de Wattignies à Maubeuge.
Sur la stèle de pierre qui porte la statue du sculpteur sont fixés deux médaillons de bronze. Le premier représente Charles Carpeaux, le fils du sculpteur qui participa aux fouilles d'Angkor et au dégagement du Bayon.
Le second médaillon représente Louis Carpeaux fils cadet du sculpteur et qui fut capitaine de l'Infanterie coloniale.
Pas de médaillon pour Louise Carpeaux, la fille de la fratrie, artiste et sculptrice. Il faut croire que les femmes n'avaient pas la même valeur que les hommes!
La deuxième statue du square fut appréciée des Parisiens qui aimaient poser devant elle.
Il s'agit de "La Montmartroise" parfois appelée "La Parisienne" représentant une grisette, main sur la hanche, portant un tambour.
La statue installée en 1907 est due à Théophile Camel (1863-1911) qui bien que né à toulouse a été un artiste montmartrois, bien oublié aujourd'hui. Elle représente la femme telle que l'idéalisent les peintres à une époque pas vraiment féministe. Elle est couturière, lingère, élégante naturellement et accueillante comme le suggère le petit amour qui l'accompagne.
Montmartre est présent encore par le moulin en voie d'effacement sculpté sur le tambour et la palette qui suggère que la jeune femme posait volontiers pour les peintres de la Butte.
La Montmartroise a été vandalisée et il lui manque l'avant-bras droit et une partie de la main. Il serait grand temps de la restaurer et de lui rendre toute sa grâce!
Avant de quitter ce square, comment ne pas évoquer la chanson de Vincent Delerm "le baiser Modiano."
"C'est le soir où près du métro
Nous avons croisé Modiano (…)
(…) Et le baiser qui a suivi
Sous les réverbères sous la pluie
Devant la grille du square Carpeaux
Je l'appelle Patrick Modiano."
Et comme Paris est une ville enchantée... Modiano qui n'avait jamais parlé de ce square fut surpris au point de croire que Delerm avait fait une enquête et découvert que lorsqu'il avait 20 ans et habitait près du boulevard de Clichy, il aimait s'y promener et s'asseoir sur un banc près de la Montmartroise...
P.S : Un commentaire reçu après l'écriture de cet article me signale que le film de Michel Gondry "La Science des rêves" a été en partie tourné dans le square Carpeaux.
Le square serait donc propice aux rêves et aux apparitions!