Sur la plage de la Giraudière à Grand-Village, les hautes marées apportent des épaves, branchages, arbres morts... des forêts déracinées qui ont perdu le chant de leurs feuillages.
Cette saison, un tronc couché a été redressé comme un totem et un estivant de passage y a mis des dessins. Art éphémère, art brut qui transforme pour quelques jours un arbre mort en poteau de couleurs.
Une pensée pour le Bateau ivre de Rimbaud :
"Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs."
Côté sud le visage est abstrait et fait penser à un masque africain, les yeux ronds et ouverts, comme une chouette.
Côté nord notre chef indien et une lointaine cousine de Betty Boop.
Entre les deux une figure mystérieuse de femme avec un arbre enraciné sur le crâne et une tête d'oiseau, entre aigle et goéland
Ainsi l'arbre s'anime, porteur de formes et de rêves : l'enfance des jeux d'indiens, le mystère du masque aux yeux de chouette, la sensualité de la femme aux lèvres rouges, la familiarité de l'oiseau qui fait de l'oeil ....
Et puis... renouvelant le feuillages, des plumes de goélands et de mouettes prennent naissance au sommet du tronc.
Soyez en sûr, elles se multiplieront
Deviendront des ailes
Emporteront l'arbre échoué dans les nuages où il reprendra racine et continuera son voyage....
Les fresques des murs latéraux sont plus endommagées que celles du chevet. Elles représentent les évangélistes au-dessus de scènes presque effacées, sur fond ocre rouge sur lesquels émergent des évêques.
I Mur latéral gauche.
Saint-Jean rédige son évangile. Il tient délicatement une plume d'oie, à moins que ce ne soit une plume de Saint-Esprit.
L'aigle, peut-être pour préserver son plumage, s'est envolé de la fresque.
Mathieu a gardé son ange qui le conseille et lui désigne le mur de la Nativité.
Il ne reste quasiment plus rien de ce qui a dû être un évêque.
Notons que tous les sujets choisis affirment, après les Guerres de Religion qui ont tant marqué la région, l'autorité et le dogme catholiques contestés par les réformés : la Vierge, les évêques, le pape...
Cet évêque-là n'est plus qu'une idée d'évêque ! Une vague silhouette, la ligne oblique d'une crosse, la silhouette possible d'un cheval...
Celui-là, sous la fresque de saint-Mathieu est plus visible. Il tient fermement sa riche crosse, il est vêtu d'habits brodés de fils d'or...
Et il ressemble bien malgré lui, après les dégradations des siècles, à une allégorie des vanités humaines, proche des danses macabres médiévales.
Il suggère un squelette habillé de précieuses étoffes et porteur des symboles du pouvoir et de la richesse...
Sous la voûte, les anges presque nus portent les armes du Christ...
II Le mur latéral droit
Saint-Luc (gauche) et Saint-Marc (droite)
Saint-Marc
Saint-Marc. Je crois deviner sur la droite, une grosse bête grise au visage renfrogné sensée représenter un lion.
Saint-Luc et son taureau. Curieusement, Luc, l'évangélistes qui nous parle le plus de Marie est le seul, sur ces murs à ne pas être tourné vers elle.
Au-dessous, très dégradé, le pape s'avance avec sa crosse à trois branches, insigne de sa fonction.
Il ne reste rien sur ce panneau, sinon cette tache rouge, coiffure épiscopale qui a survécu au visage qu'elle coiffait!
Peut-être s'agit-il de Saint-Saturnin, alias Sernin, alias Sornin à qui l'église est dédiée... le rouge étant la couleur du martyre et Saint Saturnin, comme chacun sait ayant été au 3ème siècle, traîné par un taureau sauvage et réduit en bouillie.
Et sous la voûte, les anges qui résistent mieux à l'outrage du temps, continuent de sourire et de porter vers le ciel étoilé les armes de Marie...
Dans leur écrin de pierres, les fresques aux couleurs chaudes, irradient doucement, comme des braises qui témoigent d'un grand feu qui s'éteint...
Pourquoi les fresques de l'église de Saint-Sornin sont-elles si peu connues alors qu'elles sont un témoignage remarquable de la peinture religieuse de la fin de la Renaissance?
Il faut s'asseoir dans le choeur et les regarder se détacher peu à peu, prendre vie et couleurs...
On a l'impression en découvrant ce qui a pu en être sauvé après le retrait de plusieurs couches de badigeon, de sentir la main de l'artiste qui les a créées.
Un artiste inconnu, un spécialiste des anges qu'il devait côtoyer, perché sur son échafaudage. J'ai lu quelque part qu'il s'agirait d'un certain Gaultier. je n'en ai trouvé aucune confirmation. Mais pourquoi pas Gaultier? Un nom de vieux terroir et de poètes médiévaux.
Bien qu'à l'évidence plusieurs peintres aux styles différents aient participé à la réalisation de ces fresques...
Dans la belle église romane, l'ancien choeur détruit par les Anglais a été reconstruit au XVème siècle. Un choeur gothique donc, composé de deux travées voûtées d'ogives, terminées par un chevet plat. C'est sur les murs du choeur qu'ont été peintes les scènes que nous découvrons aujourd'hui.
L'Adoration des Mages
Sur le mur du chevet, à droite, c'est la partie la mieux conservée. La comète comme un trait de feu désigne l'enfant qui est déjà un petit homme occupé à bénir ceux qui se prosternent devant lui.
Les corps penchés autour de l'enfant( la vierge et Joseph à gauche, les mages à droite) font autour de lui un cercle chaleureux.
Les visages sont doux et graves. Le peintre s'est sans doute inspiré des gens qu'il côtoyait. Ce sont des visages réels, individualisés, sans formalisme. La vierge aux grands yeux baissés fait une moue un peu ridicule, comme celle que l'on voit sur le visage des mamans qui grondent tendrement leurs petits.
Les bergers (nativité)
Sur le côté gauche, la fresque a été plus endommagée. Elle représente les bergers adorant l'enfant que l'on peut deviner, vague forme blanche dans les bras de sa mère. On peut tenter de voir derrière les mains jointes de l'homme du premier plan la tête du boeuf de la crêche.
Comme on peut imaginer l'âne aux oreilles grises à côté de l'épaule de Marie.
Ainsi devant ces fresques parvenues jusqu'à nous malgré vicissitudes et dégradations, sommes-nous invités à créer, à être peintre, à être poète.
La vierge a les yeux baissés et les mains jointes, tandis que dans les hauteurs l'ange qui a guidé les bergers, chante la gloire de dieu.
L'Annonciation
Toujours sur la mur du chevet, au-dessus des deux fresques de la Nativité, est peint l'archange Gabriel aux ailes rouges, descendant au milieu des nuages, fleur de lys à la main pour annoncer à Marie qu'elle va devenir mère de Dieu...
Cette fresque à elle seul assurerait à l'ensemble sa renommée... L'ange est beau, à la fois aérien et solide. Il apparaît entre ses ailes de feu comme l'ange de la Résurrection.
J'interprète sans doute mais j'aime penser que le peintre a voulu que cet ange de Noël fût aussi celui de Pâques.
Marie agenouillée reçoit bras ouvert l'apparition. Son visage déjà est tourné vers la terre.
Au-dessus de cette scène, sous la voûte piquée d'étoiles, on peut distinguer un ange un peu dodu qui porte la couronne destinée à la servante du seigneur
De l'autre côté, une assemblée d'anges contemplent et commentent... comme s'ils étaient installés dans un salon de nuages, en train d'échanger les dernières nouvelles!
La tonalité brun rouge de l'ensemble me fait penser sans chercher de cohérence aux murs de Pompéi et à l'effacement des images. Ici aussi il y a eu incendies, morts, destructions... et cette présence obstinée de la trace humaine, de la peinture comme d'un entêtement de la vie et de la beauté.
L'église de Marennes ne survécut pas aux guerres de religions.
L' église romane, reconstruite au XIVème siècle dans le style ogival (voir le clocher) fut saccagée de fond en comble en 1570 et les Dames de Saintes dont elle dépendait décidèrent de la raser ...
L'abbesse Françoise de la Rochefoucauld la fit reconstruire sur des plans nouveaux. Les travaux se sont étendus sur plus d'un siècle.
Des compagnons étaient encore occupés à voûter le choeur en 1750!
L'église a un aspect sévère, avec ses contreforts puissants. Elle garde un aspect défensif, comme si elle s'attendait à de nouveaux assauts.
L'intérieur donne une impression de clarté grâce à ses larges baies vitrées. Les dimensions sont harmonieuses : 58 mètres de longueur, 28,50 de largeur et 16 mètres de hauteur sous voûte.
Il semble convenir au navire ex-voto qui y voyage, immobile, vaisseau de bois à l'intérieur du vaisseau de pierres.
La tribune du XVIIème siècle ne manque pas de grâce...
Comme les galeries dont les pierres vivantes accueillent la lumière si claire du pays charentais.
Les travées sont voûtées en ogives à huit branches qui semblent ne pas peser mais jeter une toile de navire sur la nef...
A l'entrée de l'église, près des anciens fonts baptismaux, un certificat de baptême est exposé...
Une plaque gravée nous rappelle le nom de l'illustre paroissien qui y reçut ce sacrement : François Fresneau, père du caoutchouc, bienfaiteur de l'humanité!
J'avoue humblement que j'ignorais l'existence de ce grand homme né et mort dans la bonne ville de Marennes.
Il habitait le château de la Gataudière où il revint après ses séjours dans les colonies, et notamment en Guyane où il découvrit l'hévéa Brasiliensis, l'arbre à caoutchouc.
Il était vraiment, par son esprit et sa curiosité, "un honnête homme" du XVIIIème siècle. De retour en Charente, il s'intéressa à la culture des huîtres, et bien avant Parmentier, à celle de la pomme de terre...
Il faudrait donc compléter sa plaque commémorative : François Fresneau, père du caoutchouc et grand père de la pomme de terre!
Au-dessus des anciens fonts, une fresque du baptême du Christ perd doucement ses couleurs....
Dans la première chapelle de gauche, un vitrail est dédié à Saint Vincent de Paul. Il est comme les autres vitraux de l'église, assez conventionnel et bien représentatif de l'art religieux du XIXème siécle lorsqu'il manque d'inspiration...
Une pierre exposée dans la chapelle attire l'attention. C'est un décor de voûte qui menaçait de se détacher et qui fut donc déposé. On y voit le blason des tailleurs de pierres étrangers, ceux-là mêmes qui travaillèrent dans l'église et laissèrent de nombreuses traces de leur passage, comme des symboles et des signatures gravés sur les arc doubleaux.
On peut lire sur la pierrre : "les anfans de Salomon".
Les tailleurs de pierre se regroupaient en trois familles : les enfants de Salomon, de Maître Jacques ou du père Soubise. Les premiers se référaient à la bible et à la construcion du Temple par Salomon (Rois, livre 3, chapitre 5...)
Ils se faisaient appeler compagnons étrangers, compagnons libertins ou loups...
Dans la chapelle suivante, un tableau nous montre le crucifié se dressant sur un ciel de nuit, tandis que sous la terre des pécheurs émergent des flammes...
Jeunes ou vieux, hommes ou femmes, nul n'échappe à ce sauna infernal. Quoi que...
En priant la vierge de Montligeon, nous pouvons les aider à échapper à la rôtissoire et à monter vers les nuages rafraîchissants...
Les vitraux de la chapelle suivante représentent la mort de Saint Joseph et son mariage mystique. L'ange qui était venu rassurer et conseiller le brave homme, est de nouveau à ses côtés pour le tenir tendrement, alors que son épouse garde les mains jointes. Pour le mariage, les mains des époux s'effleurent à peine et Joseph porte le lys de la virginité qu'on attribue habituellement à Marie.
Un coup d'oeil sur la très belle grille classique de la chaire...
Un grand tableau théâtral représente le Christ remettant à Saint-Pierre les clés symboliques et lui donnant mission d'être le socle de l'Eglise : "Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon église"...
La toile est maniérée. Le christ y est autoritaire et sévère et Pierre à genoux, engoncé dans sa tunique, ne semble pas rayonner de joie!
Le grand vitrail du choeur le représente encore. Il empoigne la fameuse clé et prend sa pose pontificale....
Il est le patron de l'église de Marennes qui se dressait à l'origine dans un faubourg de la ville dont elle portait le nom : Saint Pierre de Sales.
Une belle surprise vous attend dans la première chapelle qui ressemble à un court transept, côté sud. C'est une toile d'Omer Charlet, gloire oléronaise et peintre de grand talent (voir :Omer Charlet à Oléron.)
La toile représente le martyre de Saint Adrien (au début du IVème siècle à Nicomédie) qui va être découpé comme une pièce de boeuf sur un étal en forme de croix. Sa jeune femme, Natalie (future sainte Nathalie) est à ses côtés et l'encourage.
Saint Adrien, officier de l'empereur Galère, chargé, comme le fut Saint Paul de poursuivre et mettre à mort les Chrétiens, se convertit, impressionné par leur courage et par leur foi. Il est à son tour martyrisé, pieds et jambes tranchés...
Adrien est représenté ici comme un jeune athlète, taillé pour l'amour.Troublante sensualité de ce corps viril, jambes ouvertes...
Dans la chapelle du Saint Sacrement, des anges adorateurs s'élèvent dans un ciel d'or au-dessus des nuages...
Laissons les voleter en paix et quittons cette belle église pour retrouver le ciel réel et les battements d'ailes des goélands...
Elles se trouvent si bien dans l'île d'Oléron qu'elles seraient capables d'oublier leur instinct migrateur et d'y vivre aussi longtemps que les chasseurs les épargneraient!
Mais dès la mi-septembre elles sont leur proie facile n'étant pas farouches. Lentes à l'envol elles sont la cible idéale des novices et des maladroits!
"Si les bernaches avaient des fusils, il y aurait beaucoup moins de chasseurs"!
Encore ont-elles plus de chance que leurs presque jumelles, les oies cendrées dont le lobby des chasseurs demande chaque année la prolongation du canardage, un mois de plus en pleine période de migration! Malgré les directives européennes, malgré les condamnations du Conseil d'Etat, chaque année, le gouvernement prononce cette prolongation illégale avant d'être condamné et de payer des amendes que ne devraient régler que les chasseurs et non les opposants à la chasse!
Oie cendrée (cliché Anser anser)
Revenons à notre bernache qu'on appelle parfois "oie noire" et qui au Canada porte le nom d'outarde. Nous la trouvons dans un des beaux poèmes de Félix Leclerc.
Photo La presse
La Vie
Plus fragile que la feuille à l'arbre
La vie
Plus lourde que montagne au large
La vie
Légère comme plume d'outarde si
Tu la lies à une autre vie
Ta vie
La plume de l'outarde si elle est légère est également solide et elle sert à confectionner les becs (plectres) des clavecins. Ainsi quand vous écoutez Bach, Purcell, Couperin ou Rameau c'est grâce à ces oiseaux majestueux que s'envolent les notes.
Si on ne les massacre pas pendant leur migration, les bernaches peuvent vivre jusqu'à 24 ans et mettre au monde cinq à sept petits à chaque couvaison.
La plupart du temps elles vivent en couple et restent fidèles. Quand la femelle s'absente du nid, le mâle prend la relève.
Les quatre croupions!
Je souhaite longue vie à celles que je rencontre dans l'île d'Oléron bien que leur espérance d'échapper aux chasseurs soit une question de chance. On tire sur la première qui dirige le vol en formation de V. La deuxième prend sa place. On tire sur la deuxième, la troisième prend sa place.... parfois il n'en reste pas une.
Et on est fier d'avoir abattu un oiseau royal dont l'envergure peut atteindre presque deux mètres.
La bernache n'étant pas méchante, ses 5 ou 6 kilos n'atterrissent pas sur la tête de ses tueurs. Si tel était le cas, peut-être cesserait-elle d'être criblée de plombs.
Consolons-nous en écoutant "le clavecin bien tempéré" dont la musique grâce aux outardes est autrement vivante et harmonieuse que les pétarades des chasseurs.