Du 2 au 5 Norvins, voilà un début de rue qui a connu bien des métamorphoses. Aujourd'hui il est entièrement occupé par "La Bohème", de la place du Tertre à la rue Saint-Rustique!
Cette gravure nous permet de voir le lieu déjà occupé par "la Bohème" à l'exception du dernier numéro où résiste encore, pour peu d'années, le restaurant du "Moulin Joyeux". Le nom du propriétaire sur la façade de l'Hôtel nous permet de dater la gravure entre 1930, année de son rachat par Beynat et 1938 année de sa destruction et de l'édification de l'immeuble actuel, trop lourd, trop haut, qui rompt l'harmonie des vieilles maisons et enlaidit ce lieu historique.
L'immeuble de 1938 comme une verrue sur un beau visage!
De vieilles photos et cartes postales nous permettent de garder souvenir de ce qu'était ce début de rue avant que Beynat n'en fasse son domaine et ne dévore un à un ses voisins.
Nous voyons sur ce cliché l'Hôtel du Tertre qui porte encore le nom de Bouscarat, "Le Rendez-vous des cochers" (maison Poncier) et avant la rue Saint-Rustique "Le Rendez-vous des Amis".
Nous avons déjà rencontré le "Rendez-vous des Cochers" en écrivant l'histoire de l'Hôtel du Tertre. Nous savons qu'il appartenait au Père Poncier et qu'il abrita au rez-de-chaussée une mercerie-librairie-papeterie qui délaissa les livres pour devenir débit de boissons.
Nous pouvons constater que "le Rendez-vous des cochers" a fini par abandonner les cochers pour attirer le chaland en se targuant d'être "le Sommet de la Capitale".
Les deux immeubles mitoyens "Sommet de la capitale" et voisin, ne faisaient qu'un seul numéro, le 3, malgré leurs différences (fenêtres, toiture).
Aujourd'hui ils forment un seul bloc dont les volets ont disparu et dont le pittoresque a été malmené.
Le 5 enfin est rentré dans l'alignement bohémien. Il faut de très bons yeux pour dénicher la plaque qui nous rappelle qu'il fut honoré de la visite régulière pendant une quinzaine d'années de Valadon et Utrillo venus en voisins de la rue Cortot.
Les dates paraissent un peu fantaisistes, à la mode montmartroise,
Ce qui est avéré, c'est que le restaurant faisait également office (comme de nombreux restaurants montmartrois) de débit de boissons.
Le Rendez-vous des amis devint "Le Moulin Joyeux" puis "Les Coulisses" jusqu'au jour de 1968 où il ne sut résister à la boulimie de La Bohème qui l'engloba tout entier!
Le Moulin Joyeux
Les Coulisses
Maintenant, tout le début de rue est uniformisé par La Bohème.
Pour nous consoler, réjouissons-nous que les petits immeubles des 3 et 5 n'aient pas été rasés pour s'aligner sur le vilain 2!
La mode moche (et paraît-il efficace pour attirer le chaland) n'épargne pas la Bohême. Actuellement, elle croule sous des fleurs en plastique et des nounours.
Et pour parachever le vandalisme, des fresques écrasantes assombrissent de leurs couleurs sinistres, prétendu hommage à Lautrec, tout le début de la rue St Rustique sur les murs latéraux de la Bohême. Elles consternent les habitants qui n'ont pas été consultés et font du cœur de Montmartre un disneyland prétentieux et épais.
La Bohême!
Destin hégémonique que celui de cet établissement dont le nom évocateur de pauvreté et d'artistes fauchés ferait sourire Aznavour qui vécut rue St Rustique....
Je réactualise cet article avec des photos prises aujourd'hui sous un ciel gris et glacé.
Les gargouilles du Sacré-Coeur offrent un large éventail d'un bestaire fantastique ou familier qui au début du XXème siècle réinterprétait la tradition.
La basilique comme chacun sait s'inspire librement de Saint-Front de Périgueux.
Elle en donne une version audacieuse qui profite des progrès architecturaux pour repousser les limites du possible.
Elle est quoi qu'en disent les gens de "goût", un monument à la fois audacieux et original posé sur le ciel comme un décor de conte oriental...
...Mais les gargouilles du Sacré-Coeur ne sont pas des transfuges de Saint-Front où elles sont rares...
L'essentiel du décor sculpté fut exécuté entre 1893 et 1905.
Les premiers artistes avaient été choisis par Charles Garnier puis par Henri Rauline qui lui succéda comme responsable du chantier.
La variété des gargouilles nous permet de reconnaître plusieurs inspirations et plusieurs styles qui vont du simple pastiche au réalisme et à la géométrisation art-déco...
Atelier des tailleurs de pierre (au pied du Sacré-Coeur)
Il y avait dans les ateliers de sculpture au pied du chantier une escouade de sculpteurs qui avec les années se renouvelaient.
Aussi ne connaît-on pas la plupart des noms de ceux qui sculptèrent les gargouilles, ces éléments décoratifs n'étant pas considérés comme prestigieux, contrairement aux grandes statues de la façade ou aux bas- reliefs.
Essai de placement sur maquette d'une gargouille
Le bestiaire traditionnel venu de l'art roman puis gothique prédomine avec ses animaux monstrueux, griffons, dragons, chimères...
Mais on découvre aussi des animaux familiers qui ont inspiré des sculpteurs plus pacifiques!
Des chiens, des chèvres, des bœufs, des cochons!
Un rat! (on aurait préféré un raton-laveur!)
Les autres animaux plus belliqueux sont un composite de créatures fantastiques...
Ils symbolident les forces cruelles et agressives qui n'ont pas leur place à l'intérieur de la basilique....
Ils protègent cependant le lieu saint comme le rideau de flammes protègeait Brünnhilde!
Ils sont les innombrabes dragons vaincus par les saints de la légende dorée...
... et figés dans la pierre blanche, ils passent leur éternité à évacuer les eaux de pluie et à regarder tourner la ville autour de la Butte Sacrée!
Lieu magique, l'atelier-appartement de Valadon, bien que reconstitué, semble avoir traversé le temps et s'ouvrir tel qu'il était quand Suzanne, son fils et son mari y vivaient.
valadon, Utter et Utrillo autour du poêle...dans l'atelier
Le poêle fidèle au poste...
C'est que les humains laissent des traces de leur passage. Leur parfum, leurs rêves, leurs gestes, leurs angoisses ou leurs joies ont la vie dure et continuent d'imprégner l'atmosphère...
Chacun de nous a fait cette expérience d'être saisi d'émotion devant un paysage ou un lieu sans comprendre pourquoi.
Combien d'années Suzanne Valadon a t-elle vécu ici?
En cet endroit de Montmartre qu'elle aimait et qu'elle peignit maintes fois dans la clarté du printemps...
Erik Satie (Suzanne Valadon)
Satie
Sa liaison de trois mois avec Erik Satie, fou amoureux d'elle lui permit de rencontrer un ami du compositeur, Paul Moussis, un agent de change qu'elle épousa en 1896...
Le couple choisit de vivre rue Cortot sans s'encombrer du garçon que Suzanne avait mis au monde en 1883 (elle avait 18 ans).
Ce fils (Maurice Utrillo) fera quelques séjours chez sa mère mais sera élevé par sa grand-mère Madeleine.
Auto portrait allégorie du siècle (Emile Bernard)
En 1905, Suzanne et son mari changent d'adresse. Quelques années plus tard, ils divorcent (1911) et après quelques mois passés impasse de Guelma (aujourd'hui villa de Guelma) Suzanne revient vivre rue Cortot où l'atelier et le petit appartement sont libres, Emile Bernard qui les occupait, ayant déménagé.
André Utter, Suzanne Valadon (détail) (Suzanne Valadon)
Elle n'est pas seule. Elle est tombée amoureuse d'André Utter, plus jeune qu'elle d'une vingtaine d'années et qui est l'ami de son fils.
Utrillo, Valadon le chat Raminou et André Utter dans l'atelier
Valadon, utrillo, Utter....
De 1912 à 1926, elle vit ses années heureuses et tourmentées à la fois avec celui qu'elle épouse en 1914 et son fils qui habite avec eux rue Cortot.
L'appartement et l'atelier que nous voyons aujourd'hui sont tels que nous les montrent les photos prises quand "le trio diabolique" y vivait.
Les pièces d'habitation étroites et assombries par un papier peint à fleurs contrastent avec la luminosité de l'atelier. Une petite chambre a été reconstituée sur la rue. c'est celle qu'occupait Utrillo.
La fenêtre a gardé les barreaux qui empêchaient le peintre de jeter dans la rue de trop gros objets et lui évitait la tentation, lors de ses crises, de se jeter lui-même!
Sur le lit un nounours rappelle l'enfance difficile d'Utrillo qui avait souffert de l'absence d'une mère qu'il vénérait.
Une toile sur le mur date de sa "période blanche" la plus créatrice et sans doute la plus belle...
En 1926 Suzanne Valadon se sépare d'Utter et quitte la rue Cortot pour habiter avenue Junot dans la maison achetée par son fils.
Elle a encore douze années à vivre pendant lesquelles elle passera souvent devant son ancien atelier et pensera avec nostalgie aux années passées...
Quelques cadres avec des photos sur les murs ou la cheminée de l'appartement donnent l'illusion qu'il est toujours habité.
Ce sont des photos de Suzanne dans sa jeunesse, de la mère et de son fils...
Photos du passé, images qui ne veulent pas mourir...
Les souvenirs sont les battements de cœur du présent...
Et Dieu sait qu'il bat fort le cœur de Montmartre!
Je republie cet article qui est devenu "historique" puisque la spéculation a fait disparaître en 2018 le Singe qui lit, dévoré par l'agrandissement de la Mère Catherine aux appétits d'ogresse et parce que en l'an de grâce 2023, il a refait son apparition là où se tint quelques années le syndicat d'initiative, au 11 place du Tertre.
Le Singe qui lit faisait partie des enseignes montmartroises qui avaient survécu à la mutation touristico-immobilière de notre quartier.
Depuis 1908 il y avait à son emplacement, jouxtant le Cadet de Gascogne, une brocante tenue pendant des années par un personnage haut en couleurs comme en suscite souvent la Butte : Emile Boyer.
On voit sur cette carte qu'avant la brocante, il y eut une crémerie...
Emile Boyer (1877-1948) est fils de chiffonnier. Il pratique plusieurs métiers avant de se percher place du Tertre où il gère un bric à brac hétéroclite, à la fois épicerie et brocante! On dit que Gen Paul le chargeait de vendre ses aquarelles qu'il accrochait à l'aide de pinces à linge à un fil suspendu dans la boutique.
On raconte encore qu'Utrillo payait son ardoise de gros rouge avec des toiles que notre brocanteur-épicier collectionnait.
Rue de Montmartre sous la neige. (Emile Boyer)
Montmartre; (Emile boyer)
C'est ainsi que le virus pictural qui circule librement par les rues de Montmartre contamine notre homme qui s'achète un chevalet et bien des années avant l'invasion de la place du Tertre par les barbouilleurs, s'installe sur le trottoir devant son échoppe..
Indifférent aux courants nouveaux et aux précurseurs, il peint à sa manière, réaliste et colorée, sans se soucier des modes. Son oeuvre est restée dans l'ombre malgré une exposition en 1973 au musée de Montmartre. Dans les salles de vente, il est possible d'acquérir une de ses toiles pour un millier d'euros.
Le livre de Martine et Bertrand Willot.
Un livre lui a été consacré : "Emile Boyer -Années folles-" par Martine et Bertrand Willot.
Voici en quels termes leurs auteurs le présentent :
"Brocanteur, anarchiste, fort en gueule, caractériel, marchand de frites et peintre"!
Bref! un homme complet!
Emile Boyer et sa friteuse!
...Car... il est le précurseur à Montmartre des "baraques à frites" chères à nos amis nordistes!
Pourquoi la boutique porte-t-elle ce nom : Le Singe qui lit?
Il y aurait eu à Montmartre à la fin du XIXème siècle une revue d'artistes qui s'appelait ainsi. J'en ai cherché la trace et ne l'ai pas trouvée. Aucun document, aucun témoignage... rien ne permet de confirmer cette source!
Un singe en argot est un patron mais aussi un ouvrier typographe, un typo. Or, parmi ses multiples activités, Emile boyer fut ouvrier typographe! Il est plausible et réjouissant de lui accorder la paternité du nom!
Le singe lecteur. Gabriel von Max (1904)
Après Emile Boyer, la boutique connaît divers avatars...
Elle s'appelle pompeusement "Relais des Arts" et se spécialise dans la marionnette.
Le Relais disparaît à son tour avec ses petits personnages qui laissent le Singe reprendre possession de sa boutique pour ne plus la lâcher.
On voit à droite la brocante de Grémillet
Comme à l'époque d'Emile Boyer un joyeux bric à brac s'y installe, une brocante foutraque encombrée d'objets hétéroclites ou incongrus.
Eau forte de Georges Gremillet
... et c'est un autre artiste qui succède à Emile Boyer : Georges Gremillet.
Il fait sa publicité en vendant ses dessins et ses eaux fortes exposés sur les murs et dans la vitrine...
Quand il cède son commerce, c'est la fantaisie et la créativité qui s'en vont avec lui.
Les nouveaux propriétaires en font une boutique de souvenirs made in China, semblable aux dizaines de boutiques qui jalonnent le circuit touristique.
Par chance, ils conservent l'enseigne qui faisait encore il y a peu partie du patrimoine montmartrois.
Mais allez comprendre pourquoi en l'année 2018, le restaurant de la Mère Catherine a pu obtenir l'autorisation de tuer le Singe ?
N'aurait-elle pas pu conserver au moins l'enseigne?.... et conserver ainsi une petite partie de l'histoire de la Butte!
Il faut croire que les responsables chargés de veiller sur la défense de la Butte, s'ils ne sont pas des singes, ne doivent pas lire beaucoup
Hier
aujourd'hui
Bazar made in China
Singe.. (Gabriel von max 1913)
>Plus une trace, plus un poil du Singe qui lisait.
La vieille enseigne de bois a disparu à jamais si la boutique est revenue place du Tertre, bazar made in China. Mais réjouissons-nous malgré tout de voir notre singe en bonne place!
Ellen Andrée fut une actrice d'un certain renom, interprète de Courteline, de Guitry, et choisie par André Antoine pour jouer dans Poil de Carotte de Jules Renard ou La Terre deZola.
Pourtant, si son nom reste connu aujourd'hui c'est parce qu'elle a servi de modèle à quelques uns des plus grands peintres de son temps.
Ellen Andrée par Nadar
Ellen Andrée (1857-1925) commence tôt sa carrière d'actrice. Elle a 17 ans quand elle débute au théâtre du Palais Royal.
Elle jouera par la suite aux Variétés, à la Renaissance, aux Folies Bergères...ng>
Elle est vite remarquée par les artistes qui sont attirés par sa "présence", sa sensualité et sa bonne humeur.
Parmi les premiers à lui demander de poser, Manet n'est pas le moindre !
Manet. La parisienne (Ellen Andrée) 1874
Dans la Parisienne (1874) elle est une femme élégante et digne, vêtue de noir. Etonnant tableau qui prend le contrepied de ce que son titre peut suggérer. La Parisienne n'est pas la coquette, piquante et accueillante qui fait fantasmer l'Europe mais une femme endeuillée, figure austère et hiératique, un portrait qui évoque Goya (la Marquise de la Solana).g>
Elle semble sortir du poème "A une passante" de Baudelaire:
(...) Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet.
(...)
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais.
Manet. La Prune. (Ellen Andrée) 1878
Peint quatre ans plus tard, le tableau "La Prune" donne une autre image de la femme. Ellen Andrée en bonne comédienne, peut jouer tous les rôles!
Elle est attablée dans un café, le verre avec le fruit et l'eau de vie devant elle. Le décor est celui de la Nouvelle Athènes que fréquentait Manet, place Pigalle. Les lignes du cadre à l'arrière-plan mettent en valeur le visage de la femme, une femme du peuple, soeur de celles que décrit Zola. Fatiguée, dans une attitude de laisser-aller, elle s'abandonne un moment, la cigarette éteinte, au plaisir d'un moment de solitude et de rêverie.
Manet. Chez le père Lathuille (1879)
Dans le célèbre tableau peint chez Lathuille en 1879, on la retrouve avec à ses côtés Louis Gauthier-Lathuille, le fils du cabaretier.
Elle est de nouveau vêtue en bourgeoise, un peu raide, à la fois intéressée et sur la réserve devant un jeune homme sensuel et dragueur. A l'arrière plan, un garçon de café observe la scène. Il est l'image même du peintre ou de l'écrivain naturaliste (Zola, Manet) qui observent la société!
Quittons Manet et revenons en arrière, en 1874, quand Gervex (un authentique Montmartrois, né en 1852 dans le village que Paris n'avait pas encore annexé) peint Rolla en s'inspirant du poème de Musset. C'est Ellen Andrée qui pose pour lui mais exige que son visage ne soit pas reconnaissable!
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"Henri Gervex répandit mon anatomie sur le lit de son "Rolla". Je ne tenais pas à être reconnue en cette Manon d'une tenue si abandonnée. Je recommandai à Gervex : surtout ne lui donnez pas ma figure!
Bref, pour le visage, c'est une brune qui posa...." ng>Ellen Andrée.
Elle n'a que 21 ans quand elle pose pour ce tableau et elle ne tient pas à compromettre sa jeune carrière.
De plus, elle subit encore l'influence du milieu familial et d'un père officier qui ne badine pas avec la morale!
Le tableau fait scandale et il est exclu du salon, ce qui assure sa célébrité! Les curieux émoustillés défilent en rangs serrés dans l'atelier de Gervex pour l'y voir!
Le poème de Musset nous présente un jeune débauché qui, écoeuré par sa vie sans idéal, décide de se suicider alors que Marie, la prostituée avec qui il a une liaison est étendue, abandonnée sur le lit.
J.K. Huysmans remarque surtout la figure masculine dans le tableau de Gervex. Il écrit :
"Le jeune homme regarde, regrettant et dégoûté, la fille inerte, avachie dans un long somme. Cette figure ravagée et sombre, détachée dans un flux de lumière blanche est vraiment belle. Dans ce dépoitraillé de costume, dans cette chemise au plastron et aux manches froissées, cet homme a grande allure et je vois dans cette fille éboulée, après des intimités haletantes, sur un lit, un coin de parisianisme et de modernité qui évoque en moi des souvenirs du grand et divin poète Charles Baudelaire."
Gervex. Avant l'opération. 1887.
Ellen Andrée pose pour un autre tableau de Gervex quelques années plus tard. Le tableau "Avant l'opération" s'intitulait en réalité "Le docteur Péan enseignant à ses élèves à l'hôpital Saint-Louis, sa découverte du pincement des vaisseaux"!g>
C'est un hommage à Rembrandt et à sa Leçon d'anatomie.
La fin du déjeuner; Renoir.
Renoir ne manque pas de la remarquer chez ses amis et il la fait poser pour plusieurs de ses toiles comme "la fin du déjeuner"....ong>
Ellen andrée. Renoir
Le déjeuner des canotiers. Renoir.(1881)
Dans le célèbre déjeuner des canotiers, elle est présente parmi les 4 personnages du groupe principal, autour de la table. A droite, assis à califourchon sur sa chaise, le peintre Caillebotte semble plus intéressé par la femme en face de lui que par sa voisine (Ellen Andrée) vers laquelle se penche le journaliste italien, Maggiolo.
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Renoir privilégie sa sensualité et sa grâce. Ell sera satisfaite du résultat et considérera que c'est lui qui aura été le plus fidèle à sa nature de femme libre et vivante.
L'Absinthe. Degas. 1873
Elle ne pense pas la même chose de Degas qui la fait poser pour son tableau "l'Absinthe".
Elle est assise à côté de Marcellin Desboutin dans le café de la Nouvelle Athènes, place Pigalle, où Manet avait déjà peint "la Prune".>
Degas donne à voir l'isolement des buveurs enfermés dans leur monde. Zola apprécie l'oeuvre et il dira à Degas, à propos de "l'Assommoir" : "J'ai tout bonnement décrit quelques uns de vos tableaux."
Ellen Andrée s'inquiète d'être assimilée à la femme alcoolique que le peintre a représentée. Elle insiste pour qu'il précise qu'elle était une femme tout à fait sobre et qu'il lui avait fait jouer un rôle de composition!
A force de fréquenter les peintres, Ellen Andrée finit par en épouser un!
En 1887, elle devient la femme de Henri Drumont, un vrai Montmartrois puisqu'il est né en 1859 dans la commune libre (comme Gervex), un an avant qu'elle ne soit rattachée à la capitale!
Près de la barque; Henri Drumont.
Laissons les derniers mots à Ellen Andrée qui évoque son existence d'artiste et de modèle :
"J'ai toujours été fourrée dans les peintres : Degas, Renoir, Manet... Ils m'ont tous fait mon portrait plus ou moins, souvent plutôt deux fois qu'une, mais j'ai perdu tout cela en des ventes, je partais pour l'Amérique, j'étais amoureuse..."
(Ellen Andrée par Jean d'Arc. Le Courrier Français 1891
Un coin d'atelier (1887) Edouard Joseph Dantan (Ellen Andrée)
Avant que le Sacré-Cœur ne dominât la Butte de toute sa blancheur, le plus beau panorama sur Paris s'offrait aux visiteurs depuis une tour de 43 mètres de haut où il était possible d'accéder par un escalier afin de profiter moyennant un modeste droit du "point de vue" exceptionnel.
Adolphe Joanne évoque l’établissement dans son ouvrage Paris illustré :NouveauGuide de l’étranger et du Parisien : « Aux coins des rues de l’Empereur et du Vieux-Chemin [actuelle rue Ravignan], en face d’un petit réservoir octogone des eaux de Paris, sur les bâtiments du café de la Tour Montmartre, dont l’enseigne porte cette inscription prétentieuse : Au plus beau point de vue du monde, s’élève une tour-belvédère à deux étages, avec balcons, et du haut de laquelle on découvre absolument la même vue que de la terrasse des Moulins. D’autres belvédères ont été construits, dans ces dernières années, sur différents points du versant méridional de la butte » (
Nous connaissons donc l'emplacement précis de cette guinguette et de sa tour, sur ce triangle qui fait aujourd'hui partie de la place Jean Baptiste Clément, devant le vieux réservoir que l'on aperçoit sur la droite.
Et que savons-nous d'autre? Rien! ou presque! Sinon qu'elle était située 114 rue de l'Empereur, ce qui nous permet de la dater entre 1852 et 1864. C'est en effet pendant ces années que l'actuelle rue Lepic s'appelait rue de l'Empereur.
La tour Montmartre pouvait se vanter d'être la seule à offrir un panorama impressionnant sur la ville car sa rivale, La tour Solférino, ne rivalisa avec elle qu'à partir de 1859, date de son érection.
Les deux tours offraient bien des ressemblances. La tour Solférino élevée à côté d'une guinguette qui portait son nom, reliée à elle par une passerelle, était située à l'emplacement de la crèche israélite actuelle, rue Lamarck, sur le versant est de la Butte.
Elle sera en partie détruite en 1870 car elle risquait de servir de repère aux tirs prussiens.
1ère décapitation de la tour en 1870
Elle sera entièrement rasée quatre ans plus tard.
Mais si nous avons de nombreuses informations sur la Tour Solférino, il n'est est pas de même pour notre Tour Montmartre dont il ne subsiste pour l'évoquer qu'un bas relief de stuc au-dessus de la porte d'entrée d'un petit immeuble bien plus jeune qu'elle, 10 place Jean Baptiste Clément.
Nous nous contenterons donc de ce modeste hommage dont Montmartre a le secret ( stucs sur l'horrible immeuble qui écrasa la maison de Mimi Pinson. Stucs sur le non moins hideux immeuble qui fit disparaître la maison de Berlioz).
Par chance aucune immeuble locatif de briques grises n'est venue prendre la place de notre Tour. Un jardin ouvert sur le ciel et sur le paysage urbain, permet à notre imagination de l'ériger à nouveau et d'entendre les flonflons de la guinguette.
Il est devenu une des attractions de la Butte. Idéalement situé entre la rue Azaîs et la rue Saint Eleuthère, il regarde vers le sud, vers l'océan des toits et il offre vers l'ouest une vue sur la tour Eiffel si convoitée par les portables et les appareils photos du monde entier!
Le square est un îlot arboré (chênes, arbres de Judée, sophoras) entre le grand réservoir de Montmartre et les arènes. Il est bordé à l'est par les dernières volées de l'escalier Foyatier et ses 222 marches.
Le lieu est chargé d'histoire. Il est cher au cœur des Montmartrois car il faisait partie du "Champ des Polonais" où étaient postés les fameux canons. Est-il utile de rappeler que c'est là que commença véritablement la Commune lorsque les Versaillais voulurent prendre ces canons qui protégeaient la Butte et que les habitants se révoltèrent et les en empêchèrent ?
Pendant la construction de la basilique, le terrain vague servit de halte temporaire aux pèlerins mais ce n'est qu'en 1927 qu'il fut vraiment promu square parisien
En 1905, une statue du Chevalier de La Barre, jeune homme torturé et mis à mort en 1766 pour avoir refusé de saluer une procession religieuse, fut érigée au pied du Sacré-Cœur. Symbole oh combien puissant de l'esprit montmartrois, révolté et moqueur. La statue d'une victime de l'obscurantisme religieux à un tel endroit!
La statue ne résista aux indignations des croyants qu'une vingtaine d'années. Le martyr de l'intégrisme religieux, afin d'être moins visible, fut transporté en 1926 dans le square voisin en cours de création.
Sous Pétain, il connut de nouveaux outrages. Il fut descellé et fondu, ne laissant que son socle de pierre.
Il fallut attendre 2001 pour qu'une nouvelle statue fût inaugurée. Elle est due à Emmanuel Ball et représente le Chevalier, fièrement campé sur ses jambes, le chapeau sur la tête, tourné crânement vers la basilique.
Baudelaire, Berlioz, Nerval, Sarah Bernhardt par Félix Nadar.
Le square a pris le nom de Nadar (1820-1910) en hommage à celui qui, de son vrai nom Félix Tournachon, était un artiste multiple, excellant dans la caricature, le journalisme et la photo. C'est par ses photos qu'il est aujourd'hui célèbre, nous offrant le visage de quelques uns de nos plus grands écrivains ou peintres.
Il est à sa place sur cette Butte non seulement parce qu'il habita longtemps un peu plus bas, rue Saint-Lazare mais aussi parce qu'il participa à sa manière à la Résistance contre les Prussiens. Passionné par la photo aérienne, il avait utilisé des ballons bien avant 1870.
Caricature de Daumier avec la légende : Nadar élevant la photographie à la hauteur de l'art
Il constitua la "Compagnie d'aérostiers" afin de mettre à disposition du gouvernement des ballons pour franchir les lignes ennemies. Il s'installa alors place Saint-Pierre dans le jardin qui porte aujourd'hui le nom de Louise Michel. Il consacra une bonne partie de son argent à mettre au point les ballons militaires qu'il baptisa "Georges Sand, "Armand Barbès" ou "Louis Blanc". C'est à bord du Barbès que Gambetta quitta paris pour Tours afin d'organiser la résistance.
Nadar, après la commune, fut un homme ruiné et rejeté par les vainqueurs. Son nom au sommet de la Butte lui rend hommage et le remercie.
Le fils de Nadar (Paul) et son chien
En 2007, en concertation avec les associations locales de défense des animaux, un pigeonnier a été installé. Il a aussitôt conquis de nombreux pigeons qui s'y sont installés, heureux de trouver un hôtel quatre étoiles avec de beaux arbres et une vue plongeante sur la ville.
Le square Nadar fait partie de ceux qui sont labellisés "espace canin". Les chiens exclus dans la plupart des jardins y sont acceptés. C'est la moindre des libertés quand on sait à quel point ils enrichissent nos vies par leur naturel, leur affection, leur regard de bonté et de confiance.
Et puis, chacun le sait, le chien facilite le contact entre les promeneurs qui entament la conversation et nouent parfois de véritables amitiés.
Les Montmartrois aiment ce square où les chiens jouent et piquent des sprints sans se lasser, où les "maîtres" ont un sujet évident de conversation et d'intérêt. Ils sourient, parlent, écoutent....
Les espaces canins sont des espaces humains
Louise Michel figure tutélaire de la Butte aurait aimé cet espace de vie, elle qui profondément touchée par le sort cruel infligé aux animaux, écrivit quelques unes de ses plus belles pages pour les défendre.
Les jardins Saint-Pierre au pied de la basilique portent aujourd'hui son nom.
Louise Michel à Marseille par Félix Nadar
Louise Michel, Nadar, le Chevalier de La Barre, nous voila en bonne compagnie avec nos amis animaux!
Souhaitons que de tels lieux de vie se multiplient pour le bonheur des chiens et pour le nôtre!
Avertissement : Je sais que nous ne sommes plus au temps de Doisneau et autres photographes de rue et que certaines personnes peuvent ne pas accepter d'être vues sur le net. J'ai pris de nombreuses photos de ce square, avec respect et tendresse pour les relations entre les chiens et leurs maîtres. Cependant je retirerai sur le champ celles que les gens, ou les chiens, me demanderaient de supprimer.
Nous sommes au cœur de Montmartre, à l'entrée de la place du Tertre devenue mythique, au premier numéro, avec cet Hôtel qui abrita quelques poètes, artistes, peintres les plus emblématiques de la Butte
L'Hôtel a été détruit comme tant de vieilles maisons du village et aujourd'hui s'élève à sa place un petit immeuble dont l'architecture n'est pas nulle mais s'intègre mal avec les immeubles voisins qui, eux, par chance, ont été sauvegardés.
Nous pouvons grâce aux cartes postales et aux photos revoir l'Hôtel, tel qu'il fut dans les grandes années montmartroises.
Ce petit immeuble modeste date de 1835 et il abrita des commerces qui convenaient aux villageois.
Si j'en crois André Roussard et ses "Montmartrois", il y aurait eu dans les dernières années du XIXème siècle, au rez de chaussée, une épicerie-bazar, appartenant au père Poncier.
Des documents (photos, cartes postales) semblent attester que ce père Poncier était en fait un restaurateur dont le nom apparaît sur la façade et dont le restaurant "le Rendez-vous des cochers" a précédé Bouscarat.
Ce document montre également qu'il y eut une librairie- papeterie-mercerie qui jouxtait le restaurant.
Sur une photo plus tardive, on peut voir que le "Rendez-vous des cochers" a pris la place de la librairie et jouxte désormais l'hôtel du Tertre et le restaurant Bouscarat.
Bon ce débat sur les emplacements exacts des établissements n'intéressera peut-être que les Montmartrolâtres dont je suis!
Sur cette autre photo, nous voyons que "le rendez-vous des cochers" a disparu pour laisser place "Au Sommet de la Capitale".
L'Hôtel du Tertre, lui, est bien là. Notons l'apparition d'une vespasienne à quelques mètres de l'église.
C'est en 1897 qu'Henri Bouscarat rachète l'immeuble du début de la rue.
Il est fils de paysans de l'Aubrac, "monté" à Paris, comme tant d'autres pour devenir bougnat. Il voit tout de suite quels atouts possède ce petit immeuble, situé idéalement au centre du village et non loin du chantier de la Basilique qui emploie des centaines d'ouvriers et il y ouvre un restaurant et un hôtel.
Utrillo
Le restaurant "chez Bouscarat" avec ses tables sorties sur la chaussée dès le début du printemps, attire les affamés pas trop fortunés et les jolies filles disposées moyennant quelques sous à poser pour les peintres qui ont choisi Montmartre pour y travailler dans des ateliers au loyer modeste.
L'Hôtel devient un des épicentres de la vie artistique montmartroise. Les peintres du Bateau-Lavoir s'y retrouvent. Parmi eux les Espagnols autour de Picasso bien sûr mais plutôt que de citer tous ceux qui ont apprécié l'endroit et les demoiselles disponibles qui s'y affichaient, retenons plutôt le nom de ceux qui ont été les plus assidus clients de l'hôtel.
Gaston Couté tout d'abord, le poète anarchiste au grand cœur qui vécut dans une chambre du premier étage quand il ne dormait pas dans la rue. Cet homme sensible et doux est le seul qui a l'honneur d'une plaque sur la façade de briques du bâtiment actuel.
Nous lui avons consacré un article et la meilleure façon de le saluer, c'est encore de citer quelques uns de ses vers écrits alors qu'il entendait sous ses fenêtres, le clocher de Saint-Pierre sonner le glas pour ceux qui avaient de quoi se payer un bel enterrement :
Quand s'éteignent comme des cierges, Les grands-pères et les grand'mères Et que gisent, emmi les serges Des linceuls, leurs corps éphémères. Digue digue dig, digue digue don ! Chante aux trépassés le grand carillon Digue digue dig, digue digue don ! Pour qu'on vous enterre Casquez, casquez donc !
Le poète de la fraternité et de la révolte eut pour principale adresse cet hôtel où il écrivit certains de ses poèmes les plus connus, ceux que chanta notamment Monique Morelli, la grande voix du Montmartre de la poésie et de la révolte.
Pierre Hodé
Parmi les autres locataires d'une chambre de l'Hôtel, nous trouvons Jules Depaquit, un des plus éminents Montmartrois! Dessinateur et caricaturiste de talent ("le Rire" "Le Canard Enchaîné"), il fut maire de la Commune libre de Montmartre. On lui doit la fête des vendanges, les vachalcades et un programme politique idéal interdisant, sous peine de mort, de mourir sur le territoire de la Commune ou supprimant l'eau des fontaines qui devront "éjaculer" du vin, rouge, rosé ou blanc selon le goût des habitants....
Il a vécu quelques années dans une chambre voisine de celle de Mac Orlan ou de Satie. Quand ses revenus se sont améliorés, il a loué une autre chambre dans la maison qui appartenait à Aristide Bruant, rue Saint-Vincent.
Il meurt en 1924 et ne verra donc pas la destruction de l'Hôtel du Tertre. La plus belle épitaphe prononcée lors de son enterrement est prononcée par Mac Orlan : "Son activité se bornait à régler la circulation entre la place du Tertre et la lune".
Mac Orlan est l'un des habitants de l'hôtel qui en garda le plus de souvenirs et qui écrivit le plus sur ce lieu unique, cette terrasse où l'on pouvait voir tant d'artistes sans le sou devenus par la suite illustres.
Foujita
Mais l'esprit libertaire et potache de Montmartre trouve une de ses plus savoureuses réalisations dans cet Hôtel avec le baron Pigeard auquel j'ai consacré un article alors qu'il mériterait un roman!
Cet homme, baron comme je suis évêque, commettait quelques croûtes qui furent exposées à la foire aux croûtes de la place Constantin Pecqueur mais il préférait confectionner des maquettes de voiliers qui trouvaient plus facilement acquéreurs. Il eut l'idée de créer avec deux acolytes, Anselin et Fournier, la célébrissime UMBM, l'Union Maritime de la Butte Montmartre.
N'y étaient admis que ceux qui avaient un rapport avec la mer. Modigliani venu de Toscane, Max Jacob du Finistère, en firent partie et assistèrent aux réunions, dans la salle du restaurant Bouscarat.
Max Jacob
Un hareng saur dans une cage était posé sur la table et présidait les séances, à côté du crâne de Christophe Colomb à 25 ans que l'on avait le droit de toucher moyennant quelques sous ou une tournée d'absinthe.
Les membres de l'Union s'engageaient à apprendre la natation aux poulbots couchés à plat ventre sur un tabouret et répétant les gestes de la brasse qui leur étaient montrés. Les réunions de l'USBM connurent un franc succès et elles encouragèrent Bouscarat à re-nommer son premier étage : Hôtel de la Marine!
La suite de l'histoire est moins joyeuse. Tout commence avec le flair et l'appétit d'un chauffeur de taxi, Léonard Beynat qui achète la modeste boutique d'un cordonnier qui jouxte l'hôtel. Il y installe ce qu'on appellerait aujourd'hui un bar à vins mais sous une forme plus rustique puisqu'on y tire directement la dive boisson au tonneau.
Le succès est tel que Beynat peut, racheter l'hôtel du Tertre et ouvrir le cabaret "La Bohème".
On peut voir également, jouxtant le cabaret, "le Moulin Joyeux", restaurant qui plus tard, en 1968, sera avalé par la Bohème lorsqu'il sera racheté par les successeurs de Beynat, longtemps après la démolition de l'Hôtel du Tertre.
Léonard Beynat après bien des démarches, obtint en effet l'autorisation de le détruire malgré les manifestations pacifiques organisées par les riverains, découragés de voir détruire une à une les maisons qui avaient résisté à la spéculation.
C'est ainsi que les pelleteuses vinrent abattre le vieil hôtel, en 1938, pour le remplacer par l'immeuble actuel, trop haut, sans harmonie avec les maisons environnantes.
Le nom de l'hôtel disparut au profit de "La Bohème".
Faut-il y voir un hommage à ce que fut ce lieu?
Ou bien, comme Aznavour chanter que "ça ne veut plus rien dire du tout"?
Quand au hasard des jours Je m'en vais faire un tour À mon ancienne adresse Je ne reconnais plus, Ni les murs, ni les rues qui ont vu ma jeunesse En haut d'un escalier Je cherche l'atelier Dont plus rien ne subsiste Dans son nouveau décor, Montmartre semble triste et les Lilas sont morts
Cet attachement, nous l'oublions trop souvent et quand nous évoquons les chanteuses montmartroises, nous filons illico rue d'Orchampt devant le portail de la maison de Dalida, ou bien nous nous rendons rue du Mont-Cenis, chez Patachou, quand nous ne descendons pas sur le boulevard retrouver Yvette Guilbert ou Frehel. Mais Piaf, jamais!
Et pourtant elle a marché sur nos pavés, elle a vécu dans nos hôtels, elle a chanté dans nos cabarets! Bien sûr nous aurions préféré qu'elle naquît rue des Martyrs ou rue Norvins plutôt qu'à Belleville, mais les Buttes sont jumelles et partagent leur histoire populaire... le souvenir de cette histoire!
Piaf et Momone
Edith rencontre Simone Berteault dans son quartier de Ménilmontant. Elles deviennent de vraies "soeurs" comme l'écrira simone Berteault. Edith a quinze ans et "Momone" moins de treize quand elles parcourent les rues pour gagner un peu d'argent. C'est Edith qui chante et Simone qui quête, dos voûté, tête baissée pour émouvoir le chaland.
Montmartre et ses légendes attirent Edith qui trouve une petite chambre assez minable, rue Véron à Montmartre. Momone et Edith ont pour adresse temporaire l'hôtel de Clermont, au 18. L'hôtel est toujours là et nous verrons qu'il aura son importance dans la vie et le destin de Piaf. Les fresques du peintre américain Neil Gittings ont été récemment restaurées et ont retrouvé les couleurs que Piaf a sans doute connues.
La vie n'est pas facile pour les deux "sœurs". Et puis Edith, à 17 ans, tombe amoureuse, comme si souvent elle le fera. Son désir d'amour est tel qu'elle idéalise les hommes de rencontre. Celui-là s'appelle Louis Dupont, "P'tit Louis".
Avec lui elle vit quelques mois rue Des Abbesses, à l'hôtel Pompéa" dans un petit immeuble dont le rez de chaussée était occupé par un restaurant qui a survécu, "La Mascotte". L'hôtel abrite les couples de passage et il fait le plein dans un Montmartre qui aime cacher les amours irrégulières! Le Pompéa malgré son nom évocateur disparaîtra au profit de l'Antinéa qui lui même, comme l'Atlantide, finira par sombrer. Seule subsiste la Mascotte qui s'est spécialisée dans les fruits de mer.
Piaf retrouve ensuite Belleville et avec Louis elle a une fille, Marcelle, "Cecelle" qu'elle porte dans ses bras pour chanter dans les cours. Elle revient chanter à Montmartre avec Momone.
Après le départ de Louis qui n'accepte pas qu'Edith puisse utiliser leur fille pour émouvoir les badauds, la seule survie possible est toujours dans le chant et le passage dans les cabarets.
On la voit au 62 rue Pigalle, au "Juan les Pins" aujourd'hui hideux immeuble-verrue, mais alors petit établissement en rez de chaussée qui deviendra la célèbre roulotte de Django Reinhardt.
1935 est une année décisive pour Edith qui perd sa fille morte de méningite tuberculeuse à l'âge de 28 mois. Epreuve terrible qui la contraint à la prostitution pour payer les frais d'inhumation de la petite. C'est aussi l'année où elle est remarquée par Louis Leplée qui le premier comprend l'intensité, la profondeur, le tragique de la jeune femme, petite et vive qui évoque pour lui un moineau parisien, un piaf!
C'est lui qui lui donne ce nom qu'elle habite aussitôt et qui sera celui de sa célébrité.
Nous somme loin de Montmartre, sur les Champs Elysées où Leplée possède son cabaret. Elle y connaît un beau succès mais c'est à jacques Canetti (nous retrouvons Montmartre) qu'elle doit le vrai début de sa carrière grâce au disque qu'il lui fait enregistrer, le célèbre "Les mômes de la cloche" en 1936, année de l'assassinat de Leplée.
Par chance jacques Canetti qui la programme sur Radio Cité lui permet d'être entendue et reconnue par Raymond Asso et Marguerite Monnot qui seront liés à elle jusqu'à sa mort.
C'est à Montmartre qu'elle rencontre Jean Cocteau, lui-même habitué de la Butte puisque jusqu'à l'âge de 18 ans, il avait vécu chez ses grands-parents rue La Bruyère, une rue proche de Pigalle.
Il écrit pour elle une pièce dans laquelle elle triomphera en 1940 avec son nouvel amant Paul Meurisse dont le rôle est muet, "Le Bel Indifférent".
En 1941 elle est l'héroïne d'un film tourné par Georges Lacombe "Montmartre sur Seine". Des couples s'aiment, se jalousent, se déchirent dans des hôtels ou des rues de la Butte qui depuis les débuts du cinéma ne cesse de séduire les réalisateurs. Piaf y est Lili aimée par Michel (Jean-Lous Barrault) mais amoureuse de Maurice (Henri Vidal).
Piaf et Henri Vidal dans "Montmartre sur Seine")
Marguerite Monnot écrit la musique et Piaf (avec Marguerite) les paroles des quatre chansons qu'elle y interprète : "J'ai dansé avec l'amour"... "L'homme des bars"... "Tu es partout"... "Un coin tout bleu".
1943. Tournée d'artistes français chez Hitler.
Passons sur l'occupation et le manque de courage et d'engagement d'Edith Piaf qui pour "promouvoir la chanson française" fait deux voyages à Berlin. On est toujours triste de voir les artistes qu'on aime ne pas correspondre à l'héroïsme qu'on attendrait d'eux.
En 1944, elle triomphe au Moulin Rouge où chante en première partie un certain Yves Montand. C'est le coup de foudre! Et c'est Montmartre qui va abriter cette nouvelle passion.
Plus précisément avenue Junot, l'hôtel Alsina où elle loue une chambre à l'année.
C'est l'hôtel que Clouzot choisira pour tourner "l'assassin habite au 21" (en réalité l'hôtel est au 39) et Truffaut pour "Baisers volés".
Pas vraiment volés les baisers qu'abrite ce refuge montmartrois...
En 1945, Edith Piaf aime chanter dans un cabaret fondé par 5 compagnons de la Libération : "le Club des Cinq", 13 rue du faubourg Montmartre. Le lieu est apprécié des artistes et Gabin, Prévert, Carné le fréquentent régulièrement.
Le cabaret deviendra le cinéma "le Club" avant de devenir "le Passage du Nord Ouest" ouvert aux amateurs de rock, et enfin, en 1997 le Théâtre du Nord Ouest animé par la compagnie théâtrale l' Elan.
C'est dans le cabaret que Piaf rencontre pour la première fois Marcel Cerdan en 1946. C'est là que la foudre frappe de nouveau. C'est là que commence la belle et tragique histoire d'amour, la passion pour être plus juste, qui réunit Edith et Marcel.
C'est à Montmartre que Piaf et Cerdan se retrouvent, dans l'hôtel de Clermont rue Véron, le même hôtel où Momone et Piaf avaient trouvé refuge quelques années plus tôt. C'est que Marcel y a ses habitudes.
L'hôtel de Clermont et le café, vus par Michel Cordi
Il apprécie le bistrot tenu par Ammad passé maître dans l'art du couscous, un plat qui lui rappelle sa jeunesse marocaine.
La Cloche d'or, rue Mansart.
Edith et Marcel aiment aller au restaurant de la rue Mansart "la cloche d'or", établissement qui était dirigé par Anatole Moreau, le père de Jeanne Moreau.
Les histoires d'amour finissent mal en général. Celle là est foudroyée par le crash de l'avion qui emmenait Cerdan à New York où l'attendait Edith.
Après la mort de Marcel, Edith fuit dans l'alcool et la morphine. Elle n'a pas la force d'assister aux funérailles de son amant.
Elle hésite à revenir à Montmartre où déjà tant de souvenirs l'assaillent. C'est Montmartre qui va vers elle quand en 1955, dans le film de Renoir "Moulin Rouge" elle interprète Eugénie Buffet qui, comme elle, se fit connaître en chantant dans les rues de la Butte.
Mais Montmartre étant une petite capitale du Music Hall, avec le temps elle retrouve le goût d'y retourner pour applaudir des chanteurs qu'elle aime.
C'est "Chez ma cousine" où elle est venue entendre Mouloudji qu'elle rencontre Francis Lay qui l'entraîne dans sa bande après le spectacle.
Enfin, c'est "Chez Patachou" qu'elle se rend le 17 février 1962 afin de soutenir un garçon qui avait été son secrétaire : Claude Figus.
Piaf et Claude Figus
Ce chanteur fait partie de l'histoire de la chanson française puisque, amoureux de Charles Aznavour, c'est lui qui lui aurait inspiré un de ses textes les plus célèbres : "Comme ils disent".
Un petit texte de Piaf est émouvant car il est écrit peu de temps avant le suicide du jeune chanteur :
"Claude Figus était amoureux de la chanson mais la chanson ne l'était pas de lui. On dit que l'amour appelle l'amour, à son tour la chanson est devenue amoureuse de Claude Figus. S'il lui reste fidèle, alors il est probable qu'ils finiront leurs jours ensemble et qu'ils vivront un grand amour! (Edith Piaf)
En venant soutenir Claude Figus, Edith dont la santé est précaire est accompagnée de son dernier amour Théo Sarapo. Elle veut faire de lui un chanteur et réalise avec lui un duo "A quoi ça sert l'amour" qu'elle espère être un tremplin vers sa gloire.
Dernière sortie de Piaf. Chez patachou.
C'est encore "Chez Patachou", au coeur de Montmartre que Piaf fait sa dernière apparition en public, soutenue par Théo Sarapo, quelques mois avant sa mort en octobre 1963, un peu plus d'un mois après le suicide de Claude Figus.
Aujourd'hui nulle plaque à Montmartre ne rappelle le passage de Piaf. Mais dans le square Louise Michel,, les moineaux dont elle porte le nom, n'arrêtent pas de chanter et d'enchanter Montmartre sur Seine.
La place des Abbesses enlaidie par un vilain manège plastic et fluo était jadis protégée par un lion furieux qui aurait sans doute protégé son territoire s'il avait été là.
C'est en 1901 que la Ville en fait l'acquisition, ce qui prouve qu'elle avait bon goût car la sculpture ne manque ni de force ni d'intensité.
Le lion a été sculpté par Henri Léon Cordier (1857-1926).
Sculpteur, fils de sculpteur, il a fait ses armes dans l'atelier d'Emmanuel Fremiet, connu pour ses œuvres animalières, parmi lesquelles le spectaculaire "éléphant pris au piège" sur l'esplanade du musée d'Orsay, son "gorille enlevant une femme" du musée de Nantes
N'oublions pas son St Michel au somment de l'abbaye du Mont éponyme, occupé à massacrer un dragon, ou sa Jeanne d'Arc qui assiste sans pouvoir descendre de son cheval aux meetings traditionnels d'un parti politique créé par un breton borgne.
Cordier fils obtint de nombreuses commandes officielles parmi lesquelles le monument aux frères Montgolfier (Annonay) ou le monument au général Lasalle (Lunéville).
Son "lion rugissant, patte gauche tendue" est installé au milieu de la place, là où actuellement un cercle de pierre rescapé et une grille protègent une bouche d'aération.
L'ancien socle et en arrière fond l'abominable manège!
Le lion fut bien accueilli par les riverains bien qu'il eût été nécessaire de le protéger des poulbots qui aimaient s'accrocher à sa queue pour se balancer comme Tarzan avec des lianes.
Hélas il ne resta qu'une dizaine d'années. Aujourd'hui il n'y a plus un seul Montmartrois vivant pour se souvenir de lui.
Ligne Nord-Sud, station Lamarck
En effet, en 1910 les travaux du métro (nous sommes sur la ligne Nord-Sud entre Montparnasse et Montmartre) chassent le fauve qui est remisé dans les entrepôts de la Ville.
Rappelons que la station Guimard classée qui orne la place n'a pas été conçue pour elle mais a été transportée en 1974 depuis la place de l'Hôtel de Ville où elle avait été érigée. C'est ce qui s'appelle déshabiller Jacques pour habiller Paul!
Notre place ne reverra pas son lion. Nulle autre statue ne viendra l'agrémenter. La ville d'Orly en revanche récupère avec enthousiasme le fauve qui se morfondait dans les entrepôts. Nous sommes en 1931 et c'est dans le parc de la Cloche qu'il est installé. Sa queue qui servait de balançoire aux poulbots a disparu dans les divers transports. Nul ne sait où elle est passée....
Et nul ne sait malgré tous les Dupont et Dupont du Val de Marne qui a volé le pauvre lion sans queue. Il disparut malgré toute l'attention que lui portait la ville qui assura sa restauration en 2010.
Cette restauration aurait dû lui porter chance quand on connaît le nom de sa restauratrice : Zelinski! Et bien non! en 2012 le lion fut kidnappé et les barbares qui s'en emparèrent courent toujours! Il fut remplacé par un autre lion en granit dû au scupteur Harut Yekmalian.
Le lion de Yekmalian (non pas celui d'Orly mais celui d'Arras en lavedan)
Notre place des Abbesses, site classé, a vu débarquer un vilain manège qui à l'origine était décoré de poulbots botoxés.
Devant la réaction des riverains, les gnomes boursouflés furent effacés mais le manège resta. Il est là depuis plus de dix ans et personne n'est venu nuitamment le voler!