Je sors Titiche de sa panière bleue. Je la prends dans mes bras. Il fait doux alors que dehors il gèle. Une douceur de chauffage électrique et de pharmacie.
La vétérinaire, une jeune femme, on dirait une adolescente, nous fait entrer dans son cabinet, une pièce blanche avec, sur le côté, la table de fer où l'on maintient les animaux pour les examiner ou pour les tuer. La longueur de la pièce sur la rue est une vitre opaque. Le soleil tiède passe au travers. La jeune femme ausculte Titiche. On n'euthanasie pas sans s'assurer que c'est le bon moment. Elle passe la main sur la grosseur, le cancer rond et dur. Elle touche le ventre creux, les pattes fragiles.
Elle dit que c'est le moment.
J'ai demandé : Vous êtes sûre qu'elle ne va pas souffrir? Vous allez l'endormir d'abord?
-Oui. je vais faire deux piqûres. La première c'est une anesthésie. Elle ne sentira rien. Voulez-vous que je vous laisse d'abord un instant avec elle?
Je me suis approché de la fenêtre avec ma chatte contre moi. Elle se taisait, elle si bavarde d'habitude. Elle était inquiète.
Je l'ai bercée dans la lumière. Nicole a caressé sa tête, entre les oreilles, le long du nez, jusqu'aux deux taches noires sur les narines, les taches qui lui donnent son minois moqueur et curieux.
La vétérinaire est revenue : J'ai oublié de vous demander. Que voulez-vous faire après?
J'ai répondu que je voulais garder le corps. J'avais l'intention de prendre la voiture et de rouler jusqu'à l'île d'Oléron. J'avais l'intention de l'enterrer dans le petit jardin qu'elle aimait, sous le laurier rouge où elle s'amusait à grimper et à tenir en équilibre sur les branches.
M'est revenu soudain le souvenir mal enfoui d'un voyage en voiture, un soir de tempête, avec le cadavre de mon premier chat. L'enterrement sous la pluie et le vent. Le retour dans la nuit, les arbres arrachés. L'arrivée au petit matin dans un Paris désert. L'appartement vide, les somnifères, un à un, jusqu'à l'oubli.
Et puis j'ai eu peur du verglas sur la route, peur de la terre durcie par le gel. J'ai posé la question : Etes-vous sûre que c'est elle qui sera incinérée? On ne va pas me donner les cendres d'un autre chat? Elle a répondu que c'était une entreprise sérieuse, contrôlée par les vétérinaires. Par lâcheté, par facilité, j'ai accepté. Il a fallu signer les papiers. C'est Nicole qui l'a fait. Moi je ne voulais pas lâcher Titiche. elle était vivante dans mes bras. Je refusais d'imaginer la suite, le four crématoire, la violence des flammes.
La jeune femme a pris la seringue la plus fine, emplie d'un liquide jaune pâle. Elle avait l'air désolée. J'ai craint que sa main ne tremble. Elle devait piquer dans le muscle. Elle a dégagé la cuisse en faisant passer une patte par-dessus mon bras. Elle a enfoncé la seringue. Longtemps, trop longtemps. Titiche a miaulé comme elle le faisait depuis quelques jours, de courts miaulements plaintifs et doux. Soudain elle s'est cabrée, elle a tenté de fuir. Je l'ai retenue contre moi. Elle a soufflé. C'est une marque de son caractère. Depuis ses premiers mois dans un terrain vague de Saint-Denis où pour survivre elle avait dû cracher, terrorisée, au nez de tous les dangers, elle a gardé cette habitude de manifester ainsi sa contrariété et de tester son pouvoir.
Je l'ai serrée contre moi, j'ai parlé à son oreille sourde. Depuis deux ans, elle devine mes mots à travers mon souffle. Elle s'est apaisée.
Sa mâchoire a remué dans un effort de déglutition. La vétérinaire s'est étonnée comme dans un reproche : Mais, elle a mangé!
-Non elle n'a rien mangé depuis trois jours.
-Alors ce n'est rien, c'est un réflexe, ça va passer.
Elle a essuyé le museau avec un Kleenex, gentiment, comme on fait à un bébé. Titiche a pesé plus lourd, comme pour s'encastrer en moi. Après un long moment de silence, j'ai demandé à Nicole si elle s'était endormie. Nicole a tenu son petit visage, elle avait les yeux à demi ouverts, avec la troisième paupière, celle qui apparaissait quand le calmant pour la route l'ensommeillait.
La vétérinaire a pris la deuxième seringue, emplie d'un liquide rose. Elle s'est excusée, il fallait que je présente mieux ma chatte car elle devait piquer dans le coeur.
Le liquide rose est passé dans le corps de Titiche.
Je l'ai bercée. Nicole l'a caressée sans retenir ses larmes. Nous sommes restés unis tous les trois comme si tout était possible encore, comme si ce mauvais moment passé nous rentrerions à la maison.
Le stéthoscope contre le coeur de Titiche, la vétérinaire a dit que c'était presque fini mais qu'il y avait encore des résonnances électriques.
A deux reprises le corps a tressailli
Elle luttait contre la mort
Elle n'était pas du genre à abandonner si vite la partie
Mais elle n'était pas de taille
La mort a gagné
Une chaleur sur mon ventre
La vessie s'est vidée
Pas grand chose
Le peu d'eau qu'elle avait bu la veille
C'était une caresse
Elle me disait au revoir avec ce qui lui restait de chaleur et de vie
Je l'ai déposée sur la table de fer
La tête sur les pattes
Elle dormait en rond dans le soleil
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Tiche.Chat dans les mains et dans le coeur.
La chatteTiche à Oléron été 2012.
Ma chatte, vieille, fragile, légère, aimée...
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Titiche dans le laurier de Grand-village. Gym.
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