1er juin. Le théâtre et son double! (Répétition aux arènes de Montmartre)
2 juin. L'escalier de la rue Méthivier mis en couleur par les enfants de l'école Lepic. Alerte au changement climatique et menace sur les ours polaires et les pingouins.
3 juin. Square Louise Michel. Sous un parapluie il fait toujours beau à Paris!
4 juin. Les parapluies de la rue Foyatier.
5 juin. Square Louise Michel. L'amour à trois.
6 juin. Miroir magique, suis-je la plus belle sur mon fier coursier?
7 juin. L'homme aux corneilles.
8 juin. Enfants, heureux enfants...
9 juin. Paris sur grand écran.
10 juin. "Et pourtant je vous dis que le bonheur existe..."
11 juin. M'enfin il y a un funiculaire!
12 juin. Les pompes matinales avant d'aller voter.
13 juin. Le matin à 8h et demie.... Avant les touristes.
14 juin. La vie sauvage rue Muller.
15 juin. Amoureux sur une île déserte!
16 juin. Le petit Chaperon Rouge a pris de la bouteille..
17 juin. Papa est un super héros!
18 juin. Montmartre sur mer. (La fontaine de Gasq).
19 juin. Une bonne douche dans la fontaine aux tritons.
20 juin. Le bonheur à poils.
21 juin. Le chien de sable.
22 juin. Tant qu'il y aura des chiens...
23 juin. Le soir en technicolor!
24 juin. Le Triton n'a pas l'air d'apprécier ce qu'il voit!
25 juin. Art des rues pas très joyeux, rue André del Sarte.
26 juin. Mais comment va t-il passer dans cette rue? Il va y avoir du jus de tomates!
27 juin. Accordez accordez donc l'aumône à l'accordéon!
28 juin. Classe écolo?
29 juin. Halte au sommet.
30 juin. Métro Black and White!
Et maintenant trois mois loin de Montmartre qui vivra loin de mon objectif mais qui gardera une part de moi-même!
Qui ne connait Madame Arthur? Le premier cabaret de travestis de Paris (1946) a très vite rencontré une célébrité qui lui a permis de traverser les décennies sans disparaître comme tant de ses semblables.
Si l'on remonte au début du XIXème siècle, à l'emplacement du Divan du Monde et de Madame Arthur, on trouve un bal populaire, le Bal des Chiffonniers. Nous n'énumérerons pas toutes ses transformations mais nous nous attarderons un instant en 1873 lorsqu'après la Commune Théophile Lefort crée le Divan Japonais.
C'est en effet sur la scène de ce cabaret que se produit Yvette Guibert, immortalisée par Toulouse Lautrec et par la chanson qu'écrivit pour elle Paul de Kock "Madame Arthur".
Cette chanson célébrissime reprise depuis sa création par bien des interprètes reste un tube qui illustre à merveille le Paris frivole de la fin du XIXème siècle.
Patachou la chante dans "French-Cancan" de Renoir et Barbara la reprend entre malice et dérision.
"Madame Arthur est une femme
Qui fit parler, parler, parler, parler d'elle longtemps,
Sans journaux, sans rien, sans réclame
Elle eut une foule d'amants,
Chacun voulait être aimé d'elle,
Chacun la courtisait, pourquoi ?
C'est que sans être vraiment belle,
Elle avait un je ne sais quoi !(...)"
Nous sommes toujours au "Divan Japonais" devenu "Divan du Monde" quand cette chanson est choisie en 1946 par Marcel Wutsman, Monsieur Marcel, pour servir d'enseigne au cabaret de travestis qu'il ouvre de l'autre côté du mur mitoyen.
Joseph et Olia Ginsburg
Dès le début le pianiste de la maison n'est autre que Joseph Ginsburg, père de Lucien le futur Serge Gainsbourg. Bien que pianiste classique de concert, il a besoin de ce travail pour faire vivre sa petite famille qui habite à quelques rues de là, rue Chaptal. Il n'a pas vraiment de goût pour les spectacles qu'il accompagne et ne peut se départir de sa discrète réprobation. "Joseph Ginsburg qu'on appelait le père Jo, était très gentil mais quand il se déplaçait, on aurait dit un croque-mort."
Les premiers animateurs, Floridor et sieur Bigoudi restent peu de temps, tous deux tirant leur révérence pour aller à la rencontre des anges qui comme chacun sait vivent dans les nuages où leur sexe indéfinissable ne leur pose pas de problème.
C'est Maslowa, "la Maslowa" qui leur succède avec son complice Loulou.
Elle est vêtue d'un pyjama de satin rose, ses lèvres sont maquillées en forme de cœur à la mode 1925. Ses yeux immenses et verts fascinent les clients...
Ancien danseur professionnel, elle devient le pilier de l'établissement et elle le reste pendant presque 30 ans. Elle aurait pu le rester plus longtemps encore si elle n'avait sombré dans la dépression après que son amant, encore un "Marcel" ne s'était pas marié.
Quand en 1954 Serge Gainsbourg remplace son père, il écrit pour elle une chanson qui sera sa préférée , "Zita la panthère". Serge écrira d'ailleurs plusieurs chansons dont la plupart sont perdues. Exception faite pour "Antoine le casseur" qu'il écrit pour un travesti qui avait fait partie des danseurs de Mistinguett :
"C'est pour lui qu'j'fais l'tapin......Que j'vends mon valseur et toutim....Et si lui c'est un chaud lapin....On peut dire que moi j'suis une chaude lapine
Elle meurt le 7/07/77 comme le relate Bambi, amie et meneuse de revue, dans son livre "J'invente la vie". Elle précise qu'il y avait 7 personnes à son enterrement. Il faut croire qu'elle avait de la chance.
Son compère, Loulou a eu une plus longue vie, 55 ans de bonheur avec son ami travesti. Jeune, il désirait être prêtre et avait été séminariste. Il ne l'avait pas oublié et quand il rentrait chez lui, il s'agenouillait dans l'oratoire qu'il avait installé dans son appartement.
Plusieurs personnages marquent l'histoire du cabaret. En voici quelques uns, à commencer par Bambi, femme trans, de son vrai nom Jean-Pierre (Marie Pierre après sa mutation).
Elle est meneuse de revue pendant presque 20 ans et a marqué pour toujours le cabaret par sa beauté, son humour et son intelligence. Elle a 33 ans quand elle passe le bac pour poursuivre des études et devenir prof de français. Elle écrit plusieurs, ouvrages dont des livres de mémoire qui font revivre "Madame Arthur".
Parmi les fortes personnalités qui ont laissé, leur empreinte rue des Martyrs il y aurait beaucoup de noms à citer car le monde le l'artifice et de la nuit attire les artistes à la créativité et la sensibilité exacerbées, hors du commun, des conventions, de la banalité.
Coccinelle en fait partie bien sûr! Elle est célèbre et il est inutile de retracer sa carrière. Contentons-nous d'évoquer sa présence chez Madame Arthur où elle est amie de Bambi.
Elle est la première à faire une vaginoplastie. De son vrai nom Jacques Charles Dufresnoy, elle devient officiellement Jacqueline Charlotte Dufresnoy et elle est assistée dans les combats juridiques qu'elle doit mener par Robert Badinter.
Elle connaît une riche carrière, de revues, tournages et performances théâtrales qui la mènent loin du cabaret de ses débuts. Elle y reviendra pourtant pendant quelques années, en 1986, presque 40 ans après y avoir débuté.
En mai 2010, une promenade est baptisée de son nom sur le boulevard Marguerite de Rochechouart.
Pour la première fois en Europe le nom d'une femme trans était inscrit sur une plaque !
Alors que le XXème siècle s'achève, Madame Arthur connaît quelques difficultés due à une gestion approximative. Le cabaret doit fermer boutique pour des vacances qui vont durer une dizaine d'années. Il faut attendre 2009 pour qu'il retrouve une nouvelle jeunesse.
Aujourd'hui le cabaret ne compte plus les créations originales sous la direction de Fabrice Laffon.
Talent, humour, inventivité, dérision, fantaisie, sensibilité sont au rendez-vous, incarnés par des artistes qui nous ouvrent les frontières du monde de la nuit où revivent les stars du passé et où s'inventent celles du futur!
l'exposition que propose la Halle Saint-Pierre (22 janvier-31 décembre 2022) en collaboration avec la revue HEY ne manquera pas de vous faire réagir. Non pour vous séduire mais pour vous remuer, vous exaspérer, vous interroger, vous arrêter ou vous faire fuir. Bref, elle joue pleinement son rôle d'agitatrice et de grenade dans le ronron et la grisaille établie.
Autoportrait (Leslie Lipton)
La folie, la déprime, l'enfermement y sont présents dans des dessins créés par ceux qu'on appelle fous ou par d'autres qui essaient d'échapper aux prisons où ils ont été incarcérés.
Aujourd'hui je voudrais parler d'une artiste évidente, d'une créatrice puissante qui si elle n'a que quelques œuvres exposées dans la Halle, n'en est pas moins, à mon avis la plus créatrice et la plus dérangeante.
Il s'agit de Laurie Lipton (née en 1953 à New York).
Un court métrage qui a reçu de nombreux prix ouvre l'exposition. Il ne faut pas le manquer. Laurie y est montrée en train de dessiner et c'est elle qui nous raconte sur un ton neutre son histoire, ses études, sa fuite vers l'Europe où elle a vécu 36 ans.
C'est là qu'elle découvre les peintre flamands du XVème siècle et qu'elle est fascinée par la précision et la lumière de leurs tableaux. Comme eux qui obtiennent la netteté et le rayonnement grâce à une infinité de touches très fines, elle transposera cet art dans ses dessins par des millions et des millions de minuscules coups de crayon.
Chaque œuvre (souvent de grands formats) nécessite des mois et des mois de travail. Elle ne peut se conduire que dans l'isolement, l'éloignement de l'agitation et du bruit.
Le court métrage étonne par le contraste entre la figure vivante et colorée de Laurie et le noir et blanc de ses dessins peuplés de squelettes.
Danse macabre (Niklaus Manuel, 1516)
Le thème de la vanité a souvent été traité dans la peinture. Les têtes de mort que l'on voit à profusion sur les Tee shirts, les tatouages, les accessoires, grimaçaient déjà dans les danses macabres des fresques gothiques.
Laurie ne cherche pas à donner de leçons, non, elle partage sa vision du monde social, du monde en représentation du passé comme du monde contemporain, occupé de lui même, sûr de sa technologie, inconscient d'être habité par des squelettes rivés à leurs smartphones et leurs ordinateurs.
C'est la fin du court métrage qui va nous donner une des clés de l'obsession de Laurie. Elle qui n'a pas voulu se marier, qui n'a pas voulu d'enfants, elle qui a choisi la solitude et la création, nous parle de son enfance, de sa famille.
Sur un ton simple, de conversation banale où l'on peut aussi bien parler de la pluie que des vacances, elle raconte ce jour de soleil où elle jouait dans la nature avec une bande de gamins quand survint un homme, grand, impressionnant qui demanda qui voulait l'accompagner pour jouer avec lui.
Laurie, bravache malgré ses cinq ans, se désigna et suivit l'homme tandis que les autres gosses marchaient à distance sur leurs pas. C'est donc sous leur regard qu'elle fut brutalisée.
L'univers de la fillette bascula alors sans qu'elle en prît pleinement conscience. Le monde de l'enfance et des contes deviendra dans ses dessins un univers de frayeurs et de menaces...
La famille figée dans des représentations traditionnelles, des photos qu'on encadre, des moments de fêtes, sera marquée par la mort, évidente, souriante de toutes ses dents.
les tableaux du passé, des reines et des saints, s'ils gardent leur pompe vestimentaire, leurs bijoux et leurs riches étoffes, ne pourront dissimuler la réalité de leur finitude.
Quand le squelette ne perce pas sous l'apparence, l'inquiétude n'en est pas moins grande, les corps devenant mannequins réalistes, poupées aux yeux fixes...
Nous chercherons en vain un contrepoint souriant à ces dessins où le noir domine. Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir. Les fêtes foraines sont des fêtes macabres. Les mariages sont des étreintes d'ossements, les enfants dominés par des adultes mutants sont eux mêmes porteurs de menaces.
Et les trains bondés rappellent ceux qui avaient pour terminus Auschwitz.
Vision effrayante et sans illusions d'une humanité dont la seule certitude est ce terminus.
Le titre du court métrage projeté à la Halle Saint-Pierre est "Love Bite". Morsure d'amour, dévoration d'amour...
Il est une référence claire au "Saturne (assimilé à Cronos) dévorant son fils" de Goya. Le même que l'on rencontre chez Rubens. Mais avec Laurie il devient une femme qui semble croquer une pomme, une mère qui en donnant la vie donne aussi la mort.
Si l'on voulait terminer par une note moins sombre, on pourrait avec ce "dernierenlacement" imaginer que les os gardent le souvenir des moments heureux du temps où ils animaient des êtres de sang et de sens.
Mais Laurie Lipton sourirait sans doute de notre romantisme!
Comme chaque année au printemps, les enfants des écoles sont pendant une journée, propriétaires de quelques escaliers où avec des craies, ils mettent en couleurs les marches grises. Si les escaliers de la Butte sont durs aux miséreux, ils sont pour les poulbots terrains de jeux!
Rue Jules Méthivier, ils accueillent des ours polaires et des pingouins sur la banquise qui disparaît jour après jour.
Rue Barsacq
Rue Barsacq ce sont des gosses de l'école de la Plaine dans le XXème arrondissement qui sont venus dessiner cet arbre de vie aux fruits colorés comme des oiseaux.
Rue Gabrielle, l'école élémentaire Torcy va droit au but avec un cœur sur des marches couleurs de l'Ukraine.
Rue Girardon, les petits artistes du centre de loisirs Constantin Pecqueur n'ont pas cherché le réalisme!
Des plages de couleurs où l'on est libres de voir des oiseaux, des palais, ou simplement des paysages de craie. Un croissant de lune est pourtant reconnaissable, celle que chantait Bruant, "La lune en croissant qui brillait blanche et fatidique, sur la p'tite croix d'la basilique..."
Rue du Mont-Cenis, les petits de la maternelle ont imaginé leurs vacances, sable jaune, vagues bleues, palmier, soleil orange et ciel d'azur.
Rue Patureau, les marches se transforment en un mur de briques multicolores organisées comme les motifs d'un tapis ou les ailes d'un papillon géométrique!
Rue Chappe, longeant les arènes, l'école Maurice Genevoix a jeté ces couleurs dans des rectangles et des carrés, pastels abstraits, caresses de craie qui me font penser à la palette de Marie Laurencin.
Voilà un des escaliers les plus rudes et les plus célèbres de Montmartre, la rue Foyatier. Impossible aux petits artistes de peindre ses 222 marches!
La première partie est un escalier dans l'escalier, savant trompe l'œil qui a dû amuser les enfants.
La 2ème volée correspond mieux à l'imaginaire enfantin avec ce débonnaire mille pattes sur l'herbe verte, sous le ciel bleu.
Rue Paul Albert, l'école Christiani a déjà la tête dans les jeux Olympiques de 2024.
L'école Cugnot a planté un lion au bas de la rue Becquerel, la rue que tous les amoureux connaissent car c'est celle où vivait Nadja "aux yeux de fougère" de l'Amour Fou.
André Breton aurait aimé ce lion débonnaire capable de veiller sur son amoureuse guettée par la folie.
Dans les volées supérieures, les mains ouvertes laissent échapper des cœurs. "L'amour est toujours devant vous. Aimez." (André Breton)
Rue du Chevalier de La Barre, l'école Flocon (quel joli nom!) raconte le Petit Chaperon Rouge.
Le loup bien sympa malgré ses crocs est dominé par un Chaperon rouge immense. C'est comme ça que les enfants conjurent la peur que pourrait inspirer le prédateur.
Au-dessus, un petit bonhomme qui ressemble au Petit prince vole dans les nuages.
... Salut les p'tits poulbots!
Merci pour vos sourires, pour vos couleurs, et merci à vos profs qui vous font gravir des marches en jouant.
Aujourd'hui 22 mai 2022 Miss Tic est allée peindre sur les nuages ses femmes impertinentes et sensuelles. Elle reste bien vivante, généreuse et libre sur nos murs.
Avec le succès, Miss Tic ne hante plus les rues comme elle le faisait jadis.
Elle s'expose dans les galeries même si on la rencontre encore sur les murs des ruelles ou l'asphalte des trottoirs.
Période révolue où on avait l'impression que c'était pour nous seuls qu'elle sortait la nuit pour nous offrir son ironie sensuelle!
Aussi est-ce avec un plaisir redoublé que l'on tombe nez à nez avec une de ses créatures, comme rue Androuet...
..où elle nous fait penser à Anna Karina dans "Une femme est une femme" :
Je ne suis pas infâme, je suis une femme!
Elle est présente sur les devantures de quelques boutiques de Montmartre , non plus en squatteuse mais en "Guest-Star" ...
Rue Véron....
Rue Houdon... au 19
Rue Lepic
Rue Lepic
Rue Lepic, un clin d'œil à Barbara...
Rue Lepic
Rue Véron
Rue Véron
Rue Audran ! (Oser ironiser avec Lacan! My god!)
Rue Durantin...
Miss Tic deviendrait-elle amère?
Souhaitons que l'amour qui donne des ailes ramène Miss Tic à Montmartre.
Un cheval blanc l'attend pour cavaler à travers les rues et survoler les escaliers en y semant ses sourires et ses jeux de mots poétiques!
En ce lieu central de Montmartre, près de la place du Tertre, une pierre sculptée voit passer la foule des visiteurs rue du Mont-Cenis au tournant de la plus ancienne ruelle du village, la rue Saint-Rustique.
Elle semble être là de toute éternité, avant que la Butte ne fût devenue romaine autour des temples de Mars et de Mercure, avant le cheminement de Saint-Denis portant sa tête ensanglantée et de ses compagnons Rustique et Eleuthère....
Elle évoque des temps primitifs où les pierres ne jouaient pas à faire joli mais étaient porteuses de forces venues du profond de la terre pour que dialoguent le ciel et les hommes.
Je me suis souvent arrêté devant elle et quand Montmartre retrouve en hiver la paix et l'humilité de ses origines, j'ai posé les mains sur elle comme on les pose sur le tronc d'un arbre centenaire.
Et le 15 mai 2022, jour de soleil et de fanfare, j'ai appris son histoire... au cours d'une "ré-inauguration" et de la pose d'une plaque qui paraît-il exista avant de disparaître.
Comme on le sait nous sommes dans le quartier du "passe-murailles"! Ce qui est vrai pour les hommes peut l'être pour les plaques!
L'histoire commence loin de la Butte, là où un pont-viaduc franchissait la Seine reliant la gare d'Auteuil à la gare de Grenelle-ceinture. Ouvrage imposant, construit (en 1867) par l'architecte Bassompierre, il faisait l'admiration des Parisiens. Théophile Gautier parlait d'une "merveilleuse résurrection de l'architecture romaine".
Avec la disparition du chemin de fer de ceinture, il fut jugé démodé et peu pratique. Donc on le démolit comme on aime démolir à Paris ce que l'on trouve ringard. Période de vandalisme qui aura son âge d'or sous Pompidou, maire de la ville, donnant son accord à la destruction des Halles de Baltard, du cirque Médrano, du Palais de marbre rose.... et la liste peut se dérouler longtemps.
Démolition du viaduc d'Auteuil par Pierre Louis Jamet
Les démolisseurs se mirent au travail et l'ouvrage majestueux fut jeté à bas, pierre à pierre. C'est alors qu'apparaît une femme qui, comme le colibri participe avec sa goutte d'eau à éteindre l'incendie, va avec sa passion, redonner vie à ce pont, ce viaduc qui justement, comme son nom l'indique, était fait pour permettre à la vie de circuler.
Elle s'appelle Anna Waisman. Elle est belle et légère et forte et fragile. Adjectifs qui définissent bien les danseurs, car elle a été danseuse, de celles qui touchent les étoiles.
De celles qui sont frappées et qui tombent soudain parce le corps a ses limites et qu'il cède quand on exige trop de lui.
La danseuse privée de danse a par chance une autre passion, celle de la création bien sûr, non plus de l'éphémère des corps qui s'envolent, mais de l'éternité des pierres qui se transforment par la volonté du sculpteur.
Anna Waisman trouve avec le chantier du viaduc une carrière de belles pierres où elle va s'installer, dans une cabane de planches, et jour après jour donner une vie nouvelle aux pierres sacrifiées.
Zadkine (La Sainte Famille)
Elle a connu Zadkine qui vivait dans le même quartier qu'elle. Son œuvre ne va cesser d'évoluer et il faudrait un livre pour en parler. Aujourd'hui contentons nous de cette sculpture que ce 15 mai remet en valeur.
Jour de fête, de fanfare, un peu foutraque, montmartrois donc, où "les Joyeux Lurons" dont la devise est un art de vivre : "Pour ce qui est contre et contre ce qui est pour" avec les autorités du folklore local, maire de Montmartre en tête, après des discours plus ou moins inspirés re-dévoilent la sculpture d'Anna Waisman.
En effet le dévoilement inaugural a eu lieu, il y a belle lurette, le 26 mai 1960 avec le maire Pierre Labric et ses adjoints Gabriello et Fred Bretonnière.
En 2022 le fils d'Anna, Samuel et sa femme Sibylle sont présents, heureux et émus. Le soleil aussi est là et comme il brille pour tout le monde et rayonne pour la foule des touristes qui tentent de se frayer un chemin pour passer vaille que vaille rue Saint Rustique. Pieds écrasés, côtes endolories, petits noms d'oiseaux.... Tout est là pour que la fête soit complète!
La maire de Montmartre, le député, Samuel fils d'Anna, le fils de Fred Bretonnière, Sibylle la femme de Samuel.
La sculpture s'est exprimée par la voix des orateurs, elle qui est là, muette et impassible depuis 62 ans. Elle a été amenée à cet endroit par celui qui dirige l'entreprise de démolition qui a mis à bas le viaduc, Jean Valentin, lui aussi adjoint au maire.
Tableau de Renoux
Il l'offrit à la Commune de Montmartre qui l'installa devant le Grenier 7 rue du Mont Cenis. Le patron du bistro, Fred Bretonnière, était peintre et marin et vénérait Gauguin. La référence à Gauguin n'est pas anodine quand on voit notre sculpture.
Le Ceni's ou la statue prise en otage
Le tableau de Renoux nous permet de voir comment la sculpture était mise en valeur au temps pas si lointain où le Grenier la respectait. Aujourd'hui un nouveau restaurant, le Ceni's n'a pas la même éthique et prend possession de l'espace sans égard pour l'œuvre qui ne lui appartient pas mais fait partie du patrimoine. Des tables sont installées autour d'elle. Certains jours elles envahissent une partie de l'étroite rue Saint-Rustique. Il y a du vandalisme à traiter ainsi cette sculpture. Tout Montmartrois et tout amoureux de l'art ne peut que pousser un coup de gueule.
Après cette juste colère revenons à Jean Valentin, le donateur, à qui l'on prêta un lien familial avec Valentin le Désossé dont il aurait été le petit-fils.
Une galéjade de plus direz-vous, non, une légende de plus sur une Butte qui les adore.
La statue est dédiée aux démolisseurs, plus exactement à leur gloire. On y voit un marteau et on y ressent la force des figures qui l'entourent. Etrange dédicace à ceux qui ont jeté à bas un ouvrage d'art qui était admiré de tous. Ou bien accusation indirecte à ceux, politiques, urbanistes, qui ont planifié cette démolition. Les ouvriers n'avaient pas le choix. Ils exécutaient un ordre. Anna a sympathisé avec eux et leur a rendu justice.
Aujourd'hui la statue est là, bien plantée au sommet de la Butte. Une plaque a été apposée qui lui redonne mémoire.
Et nous attendrons la paix du matin pour poser de nouveau nos mains sur ces têtes de pierre et entendre le fracas des pierres qui tombent, le marteau de celle qui les ressuscita, et plus ténu, à peine audible, le pas léger d'une danseuse qui à défaut d'atteindre l'inaccessible étoile a conquis l'Himalaya parisien, notre Butte sacrée!
...Bien sûr quand on pense à Gainsbourg on pense à la rue de Verneuil où il a vécu et où il a tiré sa révérence, mais c'est oublier l'importance qu'a eue Montmartre dans sa vie.
C'est dans la Nouvelle Athènes, 11 bis rue Chaptal qu'il vient vivre en 1932 alors qu'il n'a que 4 ans avec ses parents Joseph et Olia Ginsburg.
Il est né près de Notre-Dame, à l'Hôtel-Dieu, de parents qui ont fui Odessa. Tous deux artistes, elle chanteuse lyrique, lui pianiste, ils courent les cachets aussi modestes fussent-ils pour permettre à leur famille de vivre correctement.
Serge qui s'appelle alors Lucien a une sœur jumelle, Liliane, et une sœur aînée, Jacqueline, de deux ans plus âgée. Le frère aîné, Marcel, n'a pas survécu à une pneumonie.
La rue Chaptal n'est pas une adresse passagère. C'est là que pendant quinze ans la petite famille va vivre.
Lucien, Jacqueline et Liliane Ginsburg
C'est dans le petit appartement que Lucien subit avec ses sœurs des leçons de piano. En effet quand on a 6 ou 7 ans, on apprécie moyennement l'heure d'exercice pianistique que vous imposent vos parents, chaque jour à la sortie de l'école. Exercices qui se terminent souvent dans les larmes.
Il est comme il le dira, un enfant trouillard qui a du mal à s'endormir et dont les rêves sont peuplés d'images inquiétantes venues des contes qu'il dévore (Grimm, Andersen). Sur le petit lit pliant installé dans la salle à manger qui lui sert de chambre, il appelle Jacqueline afin qu'elle le rassure la nuit tombée.
Ecole 15 rue Chaptal.
Enfant solitaire, il joue seul le plus souvent avec son meccano ou des voitures miniatures. Il aime son fusil à air comprimé qui lui est confisqué lorsqu'il casse un carreau de l'école maternelle en face de chez lui.
Il descend la rue Blanche pour aller au square de la Trinité, devant l'église qu'il n'aime pas " la plus laide église que j'aie jamais vue".
Il joue au ballon ou il fait flotter un bateau sur le petit bassin aux fontaines.
La cité Chaptal où vivait Fréhel.
Parmi ses souvenirs liés à la chanson, il y a cette rencontre avec Fréhel qui habitait le même quartier, cité Chaptal et qui était alors très populaire.
Le jeune Lulu venait de recevoir la croix d'honneur dans son école et rentrait fièrement, en l'exhibant.
Fréhel passait par là et émue par le gamin se pencha sur lui.
Voici comment en parle sans ménagement Gainsbourg :
"J'avais neuf-dix ans et voilà que je croise Fréhel qui ressemblait à un tas immonde et qui habitait à deux pas, dans l'impasse Chaptal où il y avait le Grand Guignol. Elle se baladait dans la rue avec un pékinois sous chaque bras, en peignoir, avec un gigolo à distance réglementaire, cinq mètres derrière, comme à l'armée. Je revenais de mon école communale et j'avais la croix d'honneur sur mon tablier. Fréhel m'a arrêté, elle m'a passé la main dans les cheveux, elle m'a dit : T'es un bon petit garçon (elle ne me connaissait pas!). Tu es sage à l'école, je vois que tu as la croix d'honneur, alors je vais te payer un verre. Je revois parfaitement la scène, c'était en terrasse du café qui fait le coin de la rue Chaptal avec la rue Henner. Elle s'est pris un ballon de rouge et m'a payé un diabolo grenadine et une tartelette aux cerises."
Au 15 rue Chaptal, le café et sa terrasse sont toujours là. A nous d'imaginer Fréhel et ses deux pékinois, son gigolo à proximité, assise à côté de Lulu qui arborait sa croix d'honneur, peu de temps avant de la remplacer par l'étoile jaune, son "étoile de shérif".
"L'étoile de shérif" c'est ainsi que Lulu appelle l'étoile jaune qu'il est contraint de porter, cousue sur son tablier.
Il fréquente l'école de la rue Blanche où son instituteur, monsieur Charlet, plutôt que de prononcer son nom l'appelle "le petit juif".
Antoine Doinel. Le vol de la machine à écrire. (Les 400 coups)
Cette période de sa vie fait penser à celle d'un autre enfant, moins aimé cependant, le jeune héros des 400 coups. Rappelons que Truffaut passa son enfance non loin de la rue Chaptal, 33 rue de Navarin dans le 9ème arrondissement où il fera habiter dans son film, sorti en 1959, Antoine Doinel et ses parents.
Lucien n'aime pas l'école. Il rêve, il fait la classe buissonnière, il chaparde dans les magasins : "Je deviens un petit voleur. Je chaparde des soldats de plomb de grand prix, des petites voitures de course, des pistolets que j'arrachais des panoplies et faisais tomber dans mon cartable."
Joseph entouré de Lucien , Liliane et Jacqueline (debout)
La famille depuis la fin des années 30 passe l'été à Dinard où Josef exerce son art de pianiste dans des établissements comme le Balnéum. L'été 40, la famille envisage de ne pas rentrer à Paris afin d'échapper aux menaces qui se précisent. Lucien ne souffre pas de ce premier exil temporaire à Dinard. Jacqueline parlera de cet été comme un temps de vacances et d'insouciance : "Comme les enfants sont inconscients, la grande attraction c'était d'aller sur la place du Marché regarder l'arrivée des camions et des charrettes de l'exode."
Collège de Saint-Léonard de Noblat
Mais il faut renoncer au retour à Paris où la chasse aux Juifs est de plus en plus active, avec un peu plus haut à Montmartre, un Céline dont les écrits violemment antisémites sont largement diffusés.
C'est à Limoges, ville accueillante aux persécutés que se réfugient les Ginsburg. Il est cependant plus prudent de changer de nom et Ginsburg se mue en Guimbard, allusion peut-être à la guimbarde, modeste instrument de musique, appelé aussi "jew's harp" aux Etats-Unis où il accompagne les récits d'humour juif. Pour plus de sécurité, il est interne au collège de Saint Léonard de Noblat.
Par chance le proviseur protège les Juifs et lorsqu'il apprend la visite de la milice, il prévient Lucien.
"Petit Ginsburg, il va y avoir une descente des miliciens pour voir, s'il n'y a pas de sémite ici. Je te donne une hache, tu files dans les bois et si tu croises des SS ou des miliciens, tu dis que tu es fils de bûcheron. J'ai attendu quelques jours et il m'a contacté en disant: tu peux rentrer."
La guerre finie, Lucien reprend ses études à Condorcet où il s'ennuie. Il provoque la colère de ses parents en refusant d'aller jusqu'au bout de la terminale et de passer le bac (1945).
Académie de Montmartre (Fernand léger) 104 bd de Clichy
Il continue de fréquenter avec plaisir l'Académie Montmartre devenue Académie Fernand Léger où il apprend le dessin et la peinture.
C'est là qu'il rencontre en 1947 Elisabeth Levitsky, fille d'immigrés russes et mannequin.
Elle habite près de la place Clichy où il la raccompagne après les cours et où il finit, malgré sa timidité par lui demander s'il peut monter chez elle. C'est Elisabeth qui évoque ce moment : "On se disait vous, il m'expliquait tous les accords de guitare très compliqués. Moi j'étais sur le lit de ma toute petite chambre et je me disais : "Qu'est-ce qu'il attend?" Il était trop tard pour son dernier métro. Alors je me suis poussée et je lui ai dit : "Viens donc!" Il s'est assis à côté de moi, il a posé sa guitare et il a éteint..."
Autoportrait
C'est le début d'une vie de bohême marquée par "la dèche" et l'amour. Serge continue de peindre sans oser vendre ses toiles. Il dira plus tard que cette période a été malgré la misère une des plus belles de sa vie :
Enfants au square, tableau offert par Gainsbourg à Greco.
"J'avais trouvé là un art majeur qui m'équilibrait... La chanson et la gloire m'ont déséquilibré. J'ai tellement aimé la peinture..."
Rue Royer Collard
Bientôt les amoureux vont quitter Montmartre pour changer de rive et habiter notamment à l'hôtel Royer Collard (aujourd'hui disparu) près de la Sorbonne, dans la chambre où avaient vécu un temps Verlaine et Rimbaud et à côté d'un autre couple, Léo Ferré et Madeleine.
L'histoire de Gainsbourg et Montmartre s'arrête là. Ses rêves d'être un grand peintre cesseront un peu plus tard.
Il a épousé Elisabeth en 1951 et a divorcé six ans plus tard. Elle ne supportait pas les nombreuses conquêtes de son mari qui avouera: "Parce que je suis con... Parce que je suis polygame."
Nous pouvons encore citer quelques attaches avec Montmartre comme le cabaret "chez Madame Arthur" où il remplace son père au piano, ou les Trois Baudets où il rencontre Canetti qui le pousse à se lancer sur scène.
C'en est fini du Gainsbourg de la Butte. On prétend que l'homme est l'enfant ce celui qu'il a été avant son adolescence... Serge Gainsbourg est donc l'enfant du montmartrois Lucien Ginsburg de la rue Chaptal et du boulevard de Clichy!
Vite, il faut se hâter si l'on veut découvrir un tout jeune peintre à la Commanderie du Clos Montmartre rue Norvins.
Il n'a que 18 ans et déjà il crée avec ses pinceaux un univers original, entre enfance et symbolisme.
La voyageuse
On n'est pas sérieux quand on a 17 ans écrit Rimbaud. Quand on a 18 ans, est-on sérieux de croire en son étoile et de consacrer une partie de son temps à l'atteindre, à la peindre?
La cité perdue
J'ai rencontré cet artiste qui m'a impressionné par sa simplicité et par l'évidence qui l'habite, comme on respire, que vivre c'est créer, sans se poser de question.
Le pays effondré
Ou plutôt en se posant des questions sur le sens de la vie, sur le temps qui s'enfuit sans les rendre tragiques mais en leur donnant les couleurs du rêve.
Le renouveau
Je lui ai demandé quels peintres avaient pu le guider. Il m'a parlé de Gustave Moreau, des surréalistes, de Miyazaki.
L'oiseau sage
On voit qu'il va d'une in spiration à l'autre et que bientôt il se découvrira, comme on quitte une mue. Voilà seulement deux ans qu'il peint et déjà il s'affirme.
Le gardien de nuit
Le pacifiste incompris
Je vous laisse le découvrir et peut-être comme moi, sortir de cette exposition, rajeuni, ragaillardi de voir notre Butte accueillir comme elle le fit dans le passé un jeune peintre qui a bien raison de choisir le point culminant de Paris pour prendre son envol!