Pour beaucoup cette exposition sera une découverte. Un peintre humaniste, un chercheur de lumières se révèle dans le musée de Montmartre, dans la rue Cortot où il vécut plus de douze ans.
Dans ce court article, il n'est pas question de tenter vainement de rivaliser avec les professionnels de l'Art et d'étudier toute l'œuvre de ce grand peintre. Il s'agira simplement d'approcher ce qu'il a créé lorsqu'il habitait Montmartre et son évolution pendant ces années décisives.
Maximilien Luce (1858_1941) est parisien, né dans une famille modeste du 7ème arrondissement.
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Il n'a que 13 ans lorsque se déroulent les événements tragiques de la Commune. Malgré son jeune âge il restera marqué à jamais. Il a choisi son camp, celui des humbles, des pauvres gens, des exploités. Il sera anarchiste.
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Il se forme dans l'atelier de Carolus Duran, peintre très apprécié de la bourgeoisie pour ses portraits.
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Un maître attentif et présent auprès de ses élèves qu'il ne fait pas payer. Maximilien apprend vite mais sent qu'il est attiré par des peintres plus audacieux, à commencer par Seurat.
Il admire la fameuse toile, véritable manifeste, "Un dimanche après midi à l'île de la Grande Jatte" et devient adepte du divisionnisme (pointillisme). Cela au moment où il vient habiter dans le 18ème arrondissement, 9 rue Vincent Compoint, avant, dans la même année 1887 de déménager sur la Butte, 6 rue Cortot.
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La maison de Valadon
Il devient ami de Pissarro et de Signac peintres avec qui il partage en même temps à la fois les convictions esthétiques et les engagements politiques.
Les toiles peintes pendant sa période montmartroise (jusqu'en 1900) seront toutes rattachées par la critique à cette école que Félix Fénéon appelle "le néo-impressionnisme".
Le seuil rue Cortot (1890)
Rue des Abbesses
Je crois qu'elles sont parmi les rares de ce mouvement à présenter Montmartre dans le scintillement de la lumière et des formes qui se recomposent à partir des milliers de points de couleur.
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Rue Ravignan (1893)
Pendant qu'il vit rue Cortot, Maximilien Luce ne manque pas de se promener sur les bords de la Seine ou dans le villes proches de Paris.
Paysage soleil couchant (1888)
La cathédrale de Gisors (1898)
Le port de Saint Tropez (1893)
Il fait quelques séjours en province, notamment sur l'invitation de Signac il se rend à Saint Tropez. Lui qui sait si bien rendre la lumière du nord, il peine à faire sentir celle du sud. Il ne sera pas un peintre amoureux, comme tant d'autres de la Provence.
Vue de la Seine depuis l'atelier de Pissarro (1893)
En vrai parisien, il aime également se balader sur les quais de la Seine. Il place son chevalet chez son ami Pissarro pour nous offrir ce paysage quasi onirique qui fait penser à un poème de Baudelaire "Tu réclamais le soir, il descend, le voici..."
Sur la Butte, il continue de dessiner comme il l'a toujours fait, attaché qu'il est à l'art de la gravure depuis 1872 où il a été apprenti dans un atelier de gravure sur bois.
Rue des Saules
Rue Ravignan la nuit
Rue Damrémont
Vue du 48 rue Lepic chez Georges Tardif
Vue de ma fenêtre rue Corot
La maison qu'il occupe pendant cinq années, au 6 rue Cortot est celle là même où vécut Satie.
Elle subsiste par chance alors que le 16 où il emménage en 1892 a été détruite comme toutes les vieilles maisons côté pair jusqu'à la rue des Saules (notamment celle de Bruant).
Le 16 rue Cortot et ses habitants en colère. Ici s'élevait la modeste maison et son jardin où habita Luce pendant 8 ans.
Quand en juin 1894 le président de la République Sadi Carnot est assassiné par un anarchiste italien, Luce qui collabore régulièrement à l'hebdomadaire anarchiste Le Père Peinard est soupçonné, arrêté, emprisonné dans la prison de Mazas d'où il sortira après 45 jours.
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Cette incarcération lui inspire une dizaine de lithographies qui seront publiées avec un texte de Jules Vallès
Photogravure de Signac: Maximilien Luce lisant "La Révolte".
C'est toujours pendant ces années montmartroises que Luce cesse d'être célibataire pour vivre avec la femme qu'il aime et aimera jusqu'à sa mort, Ambroisine Bouin.
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Madame Luce au balcon 1893
Fidèle à ses idées anarchistes, il ne se marie pas. Il ne le fera qu'en 1940, deux mois avant qu'elle ne meure.
Maternité (tableau peint rue Cortot)
Un garçon, Frédéric vient au monde le 6 juin 1894, un mois exactement avant que son père ne soit arrêté et enfermé à Mazas.
L'enfant meurt d'une insolation alors qu'il n'a que quinze mois. Le couple connaît, à la suite de ce décès, une période de profonde dépression. C'est pour l'aider à en sortir que Verhaeren l'invite en Belgique.
Loin de Montmartre Luce découvre la rude réalité du bassin minier de Charleroi.
Terril de charbonnage 1896
Il peint quelques unes de ses plus belles œuvres selon moi. Une œuvre noire, angoissante, marquée sans doute par la mort récente de son fils.
Usines près de Charleroi 1897
Un deuxième fils, prénommé lui aussi Frédéric naît en juillet 1896. C'est la période où Luce commence à vendre ses toiles chez Durand Ruel.
Il quitte la Butte pour un atelier plus vaste rue Boileau. Nous sommes en 1900, un tournant dans sa vie et dans son œuvre. Il prend son indépendance par rapport au divisionnisme. Sa touche se fait plus large et plus précise.
La construction du Sacré Coeur (1900)
Percement de l'avenue Junot
Nous le quitterons avec ces dernières toiles montmartroises. Il continuera de peindre et trouvera près de Mantes la Jolie un havre de paix et de lumière.
Baignade à Rolleboise (1920)
Il y est heureux avec Ambroisine qu'il épouse le 30 mars 1940 comme une ultime déclaration d'amour, deux mois avant avant que la maladie ne la terrasse le 7 juin.
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Il trouve encore la force de se révolter contre le gouvernement de Vichy et pour protester contre les lois antisémites, démissionner de la présidence du Salon des Indépendants.
Il meurt le 7 février 1941, huit mois après sa femme.
La belle exposition du musée de Montmartre nous donne l'occasion de rencontrer cet homme généreux, ce grand peintre qui, contrairement à Boudin peintre des ciels normands, porte un nom qui lui va bien puisqu'il signifie "lumière" !