Il a été donné à Montéhus un petit espace ridiculement réduit, une "placette" comme l'indique la plaque de la ville de Paris.
Il est vrai que nous voyons depuis quelques années une multiplication spectaculaire de ces trottoirs baptisés place ou placette, de ces modestes espaces entre deux rues, parés de noms nouveaux! Comme juste en face, la place Suzanne Denglos-Fau.
Une mode qui a aussi de bons côtés puisqu'à Montmartre de nombreuses femmes ont pu, grâce à elle, attirer notre attention et réparer l'injustice d'une surreprésentation mâle des plaques indicatrices!
Montéhus a donc fait son apparition sur un court terre-plain situé entre les rues des Saules, Caulaincourt et Lamarck, quelques mètres carrés sans grand intérêt sur lequel ne donnent que deux immeubles, celui qui fait l'angle avec la rue des Saules et celui qui fait l'angle avec la rue Gaston Couté.
Placette côté Caulaincourt et rue des Saules
Un seul immeuble possède une entrée sur la place. Apparemment il a gardé son ancienne numérotation rue Lamarck. Donc aucun Parisien n'a le nom de Montéhus pour adresse. Le Cocci Market lui même préfère le 49 rue Lamarck!
L'immeuble porte le nom de son architecte et sa date de construction : A. Coudert 1913.
Nous retrouvons cet architecte sur la façade de quelques immeubles parisiens, notamment rue Beaubourg, aux 82 et 84.
Rien à dire des deux autres immeubles dont l'adresse n'est pas sur la placette!
Quelques mots maintenant sur l'homme qui a l'honneur de lui donner son nom : Gaston Mardochée Brunswick, futur Montéhus qui vit le jour le 9 juillet 1872 non loin de Montmartre, dans le Xème arrondissement de Paris dans une famille qui comptera 22 enfants.
Les bonnes fées ne se sont pas penchées sur son berceau en faisant de lui un Juif allemand (tiens, souvenir de 1968 et de Cohn Bendit, "Nous sommes tous des Juifs allemands")!
(Dreyfus, parodie du tableau de Gill (1875) pour le Lapin Agile.)
Entre la haine de la Prusse qui a écrasé la France un peu avant sa naissance et l'antisémitisme qui va se déchaîner en 1894 avec l'Affaire Dreyfus, Gaston Mardochée préfèrera troquer son patronyme pour celui de Montéhus.
Un nom rare qui concerne peu de familles en France mais qui s'accompagne dans une dizaine de cas du prénom Gaston.
Gaston Montéhus 1918
Si notre Gaston aime se balader sur la Butte et péleriner sur les lieux des massacres versaillais, ce n'est pas à Montmartre qu'il commence à chanter. Son premier texte qui le fait vraiment connaître, c'est "La Grève des Mères" en 1905.
Il provoque une vive réaction du gouvernement qui le fait condamner pour "incitation à l'avortement" alors que le pays a besoin plus que jamais de chair à canon.
Refuse de peupler la terre,
Arrête ta fécondité.
Déclare la grève des mères
Aux bourreaux crie ta volonté !
Défends ta chair, Défends ton sang,
À bas la guerre et les tyrans !
C'est en 1907 qu'il connaît une vraie popularité avec sa chanson toujours célèbre : "Gloire au 17ème" qui rend hommage au régiment qui refusa de tirer sur les manifestants pendant la révolte des vignerons à Béziers.
Les mutins du 17ème refusant de tirer sur les révoltés
Cette chanson vite devenue un étendard des pacifistes n'empêchera pas Montéhus de changer radicalement pendant la première guerre pour écrire des textes patriotiques et militaristes (la Voix des mourants, Debout les morts).
Lui qui ne fut pas mobilisé, qui ne connut rien des horreurs et des souffrances des tranchées, n'hésita pas à monter sur scène, la tête entourée de pansements.
Après la guerre, nombreux sont ceux qui lui reprocheront cette mise en scène.
Il essaie de la faire oublier en écrivant une chanson qui se répandra plus tard dans les milieux pacifistes : "La Butte Rouge". Il n'y est pas question de Montmartre et de la Commune mais d'une bataille terrible sur la Somme, pour conquérir la butte de Bapaume. Cette chanson est celle de Montéhus qui a été le plus souvent reprise (Montand, Ogeret, Renaud, Escudero...)
(...)
La butte rouge, c'est son nom, l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin
Aujourd'hui y a des vignes il y pousse du raisin
Qui boira d'ce vin là boira l'sang des copains
Sur cette butte là, on n'y f'sait pas la noce,
Comme à Montmartre où l'champagne coule à flots
Mais les pauvr' gars qu'avaient laissé des gosses
Y f'saient entendre de terribles sanglots
(...)
Avec le Front Populaire dont il est un ardent défenseur, il retrouve la scène et obtient du succès avec ses chansons engagées.
Il en compose une pour Léon Blum qu'il admire (peut-être pense t-il en écrivant les paroles aux moulins de la Butte!)
Vas-y Léon, défends ton ministère
Vas-y Léon, Faut qu'Marianne ait raison
Car Marianne est une meunière
Et les ailes de son moulin
Doivent tourner pour les prolétaires
Pour qu'le peuple ne manque pas de pain
Pendant l'occupation, malgré le port de l'étoile jaune, il parvient à se cacher et à échapper à la déportation. Il écrit en 1944 une pièce "Le chant des gaullistes" en hommage aux résistants. Mais il est déjà oublié et ne survit pendant ses dernières années (il meurt en 1952) que grâce à sa famille. N'oublions pas qu'il est d'une fratrie de 22 frères et soeurs!
La placette qui porte son nom rend justice à cet idéaliste toujours engagé du côté des plus humbles, un homme au grand cœur dont le nom à Montmartre voisine celui de Gaston Couté.
Les deux Gaston doivent bien s'entendre c'est certain!
Je n'ai rien dit de sa voix claire et précise, à la diction parfaite, de l'intensité de ses interprétations généreuses. Cet homme-là aimait l'humanité et se sentait proche des plus humbles. Une autre époque!