Si vous entrez dans l'église par la porte de gauche, vous vous retrouvez devant la loge de l'accueil installée dans la chapelle de la Mort et de la Résurrection. L'endroit est si détérioré, si sinistre que l'on craint un instant que la Mort l'ait emporté!
La résurrection artistique est de l'autre côté, vers la porte de sortie, dans l'or et le bleu de la chapelle des Baptêmes récemment restaurée!
Il s'agit d'un ensemble remarquable qui prend place dans l'histoire de la peinture du XIXème siècle à Paris....
N'en déplaise à ceux qui font la fine bouche devant les fresques religieuses de cette époque!
Quand il fallut décorer l'église, dans un quartier en pleine expansion, apprécié des artistes et des femmes légères qu'on appellerait bientôt "lorettes", la peinture de trois chapelles, après concours, fut confiée en 1832 à des peintres de renom qui formaient une école picturale appelée Ecole des Nazaréens.
Il s'agit de Victor Orsel (chapelle de la Vierge, aujourd'hui dégradée), Alphonse Périn (chapelle de l'Eucharistie) et Adolphe Roger (chapelle des Baptêmes).
Seule a été restaurée celle des Baptêmes grâce à un fonds américain : le World Monument Fund, notre pays ne faisant pas toujours de la préservation de son patrimoine une priorité absolue!
Les trois peintres étaient amis et admiraient les Nazaréens allemands qui, comme eux, avaient fait le voyage en Italie pour étudier les Primitifs qu'ils considéraient comme leurs maîtres. Les sujets religieux étaient pour eux symboliques de la condition même de l'homme et susceptibles de concerner tous les hommes, même incroyants. La Vierge et son enfant pouvait représenter toute maternité humaine et le Christ en croix toute agonie.
Adolphe Roger (1800-1880) choisit de représenter les rites du baptême en mettant en valeur les protagonistes, sans que l'œil soit attiré par un paysage d'arrière plan. En cela il est influencé par les icônes byzantines plus que par les peintres primitifs qui, en rupture avec leurs prédécesseurs, introduisirent la nature, montagnes, fleuves, arbres dans leur composition.
Le fond d'or semble fait de plaques du métal précieux...
De part et d'autre, Adam et Eve sont représentés. A gauche sous l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, après avoir mangé le fruit défendu, et à droite au moment où ils sont chassés du Paradis....
La composition est symétrique... D'un côté l'arbre et le serpent, la branche s'élevant au-dessus du couple, de l'autre le bras de l'ange. D'un côté Adam et Eve, parallèles, dans une position identique de repli sur eux-mêmes, de l'autre s'en allant, douloureux, vers l'inconnu.
La tête penchée sur la main droite, ils se ressemblent et pourtant, la bouche d'Eve reste ouverte tandis qu'Adam la recouvre du poing comme s'il voulait effacer ce moment où il a mordu dans le fruit ...
La bienséance du temps a conduit le peintre à cacher la nudité du couple. Eve est recouverte de ses cheveux et d'une inutile ceinture de feuilles, la même que l'on retrouve sur Adam.
De l'autre côté, les voilà déjà vêtus de peaux de bêtes. Adam se dissimule toujours, tête baissée tandis que sa femme lève la tête. On pense à la fresque de Masaccio où l'homme se cache le visage dans les mains tandis que la femme se tourne, visage nu et comme aveugle vers le ciel...
Les deux fresques sont, selon moi, les réalisations les plus belles de la chapelle...
La scène du baptême est plus convenue. Au centre le Christ, les bras écartés et qui semblent devoir s'élever jusqu'à leur position sur la croix.
A la droite du Christ, Jean Baptiste accomplit le rituel, entouré par des anges un tantinet inexpressifs.
Au-dessus de la scène, la Trinité, Père, fils et Esprit couronnent l'âme du nouveau baptisé qu'ils accueillent dans leur lumière. L'ensemble est assez convenu mais c'est la couleur franche et la clarté de la composition qui frappent. Adolphe Roger a retrouvé ici quelque chose de la magie naïve et savante des primitifs.
Parmi les autres décorations de la chapelle, les plus originales représentent les rites du baptême ( certains aujourd'hui tombés dans les oubliettes).
Le SEL...
Dans la bouche de l'enfant étaient déposés quelques grains de sel, élément vital qui protège de la corruption.
L'EAU...
A l'origine le baptisé était plongé dans l'eau, symbole de la mort de l'homme ancien et naissance de l'homme nouveau.
Le SOUFFLE... ou exorcisme...
Le prêtre souffle sur la tête du bébé afin de chasser au loin le mal ...
Le peintre a représenté au-dessus l'ange du Mal, un serpent enroulé autour de lui, poursuivi par le bon ange qui tape dans les mains comme s'il voulait effrayer une vulgaire vipère!
Et comme souvent (j'allais écrire "toujours") le mal a plus d'allure, plus de caractère quant il apparaît sous le pinceau des peintres que le bien, fade et conventionnel!
LA SALIVE...
Le prêtre mouille son doigt de salive et touche les oreilles et les narines de l'enfant.
Le rite porte le nom d'Ephpheta, ce qui en araméen signifie "Ouvre-toi".
LE SAINT CHRÊME....
Avec l'huile sainte, le signe de croix est tracé sur le crâne de l'enfant.
On comprend, à voir l'étendue des surfaces peintes qu'il ait fallu plus de quatre ans à Adolphe Roger pour les réaliser. Notons ici qu'il innova dans la technique puisqu'il mit au point avec Orsel un procédé "à la cire froide" qui associait les qualités de la fresque (vivacité, naturel des coloris) à celles de l'encaustique ou cire chaude (vertus hydrofuges). Malgré ces précautions, les deux peintres ne purent éviter "l'irréparable outrage" des années!
D'autres scènes ornent les piliers. Elles rappellent des baptêmes célèbres et des conversions de populations lointaines.
... Tout d'abord le baptême de Clovis et Clotilde par Saint-Rémi... avec intervention volatile de l'Esprit Saint qui bénit le Saint chrême et l'ampoule qui servira à oindre les rois de France!
... Le baptême des Péruviens avec l'ange et le saint évangélisateur François Solano qui avait des dons divinatoires puisqu'il sut prédire la date de sa mort et le tremblement de terre qui dévasta le Pérou!
... Le baptême de l'empereur Constantin qui selon nombre d'historiens ne lui aurait été administré que sur son lit de mort.
La légende veut qu'après avoir vu des signes miraculeux apparaître dans le ciel avant une bataille décisive, il eût décidé de se faire chrétien et eût été baptisé par Saint Sylvestre.
... Enfin, le baptême des Ethiopiens par Saint Philippe (qui fait allusion à un passage des Actes des Apôtres où Philippe baptise un eunuque éthiopien).
L'aspect académique de ces scènes peut lasser mais la couleur, le relief des personnages sur le fond bleu, la simplicité des visages peuvent nous toucher.
Pour terminer la visite de la chapelle, il faut lever les yeux au ciel et découvrir la coupole bleue avec ses étoiles. Les grandes figures qui tournent avec elles bien qu'assises sur leur trône, s'envolent dans un bruissement rose et blanc, couleurs mystiques.
"Un soir fait de rose et de bleu mystique" (Baudelaire.)
Grâce à cette belle restauration, Adolphe Roger va peut-être retrouver sa place dans l'histoire de la peinture du XIXème siècle.
Parmi les peintres proches du courant nazaréen, seul Ingres n'est pas tombé dans l'oubli et c'est dommage.
... Il y a dans son œuvre, servie par la science de son art, une naïveté qui le rapproche de ses maîtres Primitifs. Sur le ciel d'or ou sur le ciel bleu, les visages graves ou sereins sont ceux d'hommes et de femmes qui, délaissant un instant leurs soucis quotidiens, entrent de plain pied dans une légende, un conte de fées pour les uns, une vérité religieuse pour les autres!