Il est nécessaire de consacrer plus de deux heures à la visite de ce musée, tant est riche la collection d'œuvres exposées...
Reprenons donc notre visite où nous l'avions laissée!
La Vénus Spatiale
Un torse classique répondant aux canons de la beauté antique se trouve scié en deux.
Une montre molle se liquéfie sur le cou, symbolisant l'écoulement inéluctable des jours. La poitrine gonflée et sensuelle évoque Ronsard : "Vivez si m'en croyez, n'attendez à demain..."
Un œuf est posé, entre ventre et pubis, symbole fragile de la vie qui renaît....
Deux fourmis courent sur les hanches, minuscules parcelle de vie, elles aussi menacées mais opiniâtres et vivaces...
Supervielle écrit pour un poète mort :
Donnez-lui vite une fourmi
Et si petite soit-elle
Mais qu'elle soit bien à lui.
Buste de Femme rétrospectif
L'œuvre surprit à sa première exposition car la baguette et l'épi de maïs étaient vrais. Il paraît que le chien de Picasso s'empara de la baguette et se réfugia dans un coin pour la dévorer!
Dali utilise une chose utile (la baguette) pour en faire un objet inutile et étrange. "Je vais créer des objets surréalistes avec du pain"
Sur la baguette, comme une couronne il pose un encrier représentant l'Angélus de Millet, toile qui l'obsède et dont il a donné plusieurs versions. Pour lui les personnages tête baissée sont une image inconsciente de la répression sexuelle.
Sur le visage courent des fourmis...
Autour du cou le collier est formé d'une frise de visages venant d'un appareil pour dessins animés.
Femme à la Tête de Roses
Dali a peint cette femme-plante en s'inspirant d'un poème de René Crevel :
"Mais qu'elle apparaisse et c'est le printemps. Une boule de fleurs va lui servir de tête. Son cerveau est à la fois la ruche et le bouquet."
La sculpture est plus inquiétante que la peinture (1936). Le temps a passé et cette allégorie du printemps a besoin de béquilles pour tenir debout. Son corps de femme-plante ressemble à un insecte.
Il est à la fois sensuel et effrayant...
Il évoque la sortie du tombeau d'un corps décharné que des mains secourables aident à se redresser... Le printemps sort de l'hiver comme un mort de la terre...
La tête de roses fait penser à une tête de mort.
Encore une fois sont liées vie et mort, printemps et hiver...
Profil du Temps
C'est le thème omniprésent dans l'œuvre de Dali : celui du temps. Les montres molles sont comme son blason.
La montre molle fait son apparition pour la 1ère fois en 1931 dans le tableau : La persistance de la mémoire.
Les larmes qui coulent montrent que ce passage du temps provoque peine et angoisse. Mais en redressant la montre d'un quart de tour sur l'arbre mort où elle est posée, on voit se dessiner un visage....
L'œil, le nez, la bouche, la fameuse moustache formée par le chiffre neuf, évoquent Dali, comme un autoportrait de bronze qui défierait le temps et assurerait à son auteur un peu d'éternité!
La Noblesse du Temps
Le temps est ici représenté comme un monarque absolu. Le remontoir de la montre molle est une couronne.
Le Temps-Montre-Molle s'étend sur les racines, sur les constructions humaines, vers la femme au corps sensuel à sa droite ...
... Il s'étend sur l'esprit (allusion au penseur de Rodin!)...
Ainsi règne t-il sur la nature, sur les civilisations qui se croient immortelles, sur les corps, sur l'esprit!
La Persistance de la Mémoire
Le titre de la sculpture reprend celui du célèbre tableau de 1931.
L'arbre mort, le socle de marbre noir, la larme qui coule de la montre... un lourd symbolisme renvoie à la condition éphémère et douloureuse de l'homme.
L'image de la montre molle aurait été inspirée à Dali par un camembert coulant au soleil! (Méfions-nous des affirmations loufoques du "Génie"!)
L'Homme Oiseau
Encore une fois nous retrouvons le fameux déhanché qu'affectionne Dali qui s'inspire aussi bien de l'antique (l'Antinoüs du Belvédère) que de la Renaissance (David de Verrochio).
L'homme oiseau est à la fois Horus, dieu du ciel, et Antinoüs, jeune homme aimé par l'Empereur Hadrien et divinisé.
Dali accentue le côté féminin. Ainsi l'homme oiseau est-il à la fois terrestre et céleste, masculin et féminin, yin et yang...
L'Eléphant Spatial
Dali reprend un des éléments de sa toile peinte en 1947 : La Tentation de Saint Antoine.
Le thème a inspiré bien des peintres du passé.
Parmi les nombreuses représentations, celle de Bosch avec ses créatures fantastiques et érotiques fascinait le peintre.
Des animaux aux pattes démesurées portent sur le dos les délices destinés à séduire le saint réfugié dans la solitude du désert.
Nous retrouvons l'éléphant hybride que ses longues enjambées propulsent dans le ciel. Il a des oreilles de chauve souris, une queue de cochon, une barbiche de bouc...
Il porte sur le dos l'obélisque du soleil, symbole du pouvoir tout puissant du pharaon.
Cette étrange vision est, comme la montre molle, une des créations les plus connues de Dali.
L'Escargot et l'Ange
L'escargot fait partie du catalogue des symboles daliniens. Il réunit les contraires. Le dur de sa coquille et le mou de son corps. Image de la dureté extérieure de l'homme qui se "blinde" pour affronter l'existence et la fragilité intérieure faite de doute et de souffrance.
Autre dualité : lenteur-vitesse. L'escargot est ailé et le mouvement ondulant du sol indique qu'il file à grande allure.
Dernière dualité : ciel-terre. L'ange debout sur la coquille sert d'intermédiaire avec le monde de l'imaginaire. Il brandit la béquille et se tient comme un funambule qui n'aurait plus besoin de balancier pour avancer dans les nuages.
Alice au Pays des Merveilles
Dali affectionne Alice qui s'affranchit du temps dans un pays où réalité et rêve se mêlent.
Elle saute à la corde, légère et libre, tandis que ses mains et ses cheveux se métamorphosent en roses.
Son visage est couvert de jeunes feuilles, comme des lèvres entrouvertes.
Elle danse dans le monde des merveilles...
Elle n'a plus besoin de la béquille qui reste plantée en terre, inutile.
Le Yin et le Yang
La sculpture est exposée dans une vitrine de crainte que les visiteurs ne la caressent !
Sage précaution car ses formes, ses rondeurs, son poli attirent les mains désireuses de douces sensations!
Elle représente l'union mâle-femelle
Deux haricots catalans, les "fesols" sont posés l'un sur l'autre...
La sexualité est partout présente dans la nature et seuls les aveugles l'ignorent!
Le musée tente, à l'aide de grands panneaux explicatifs de nous aider à "comprendre" Dali.
L'émotion, la découverte, l'interrogation sont cependant plus fécondes...
Je pense après ces articles où j'ai peut-être été trop "explicatif" à ce qu'écrivait Dali à propos de la lecture : "Je n'aime lire que ce que je ne comprends pas. Ne comprenant pas je peux imaginer de multiples interprétations"
On pourrait remplacer "lire" par "regarder des sculptures" .... et interpréter, rêver à loisir!