Le petit Village fait partie de la commune du Grand Village et n'en est séparé que par la route qui, en été, voit passer à la queue leu leu, comme des fourmis véloces, les voitures venues du viaduc.
Oublions le lotissement qui a dévoré l'espace libre où poussaient les herbes sauvages et les roses trémières. Toutes les maisons s'y ressemblent et forment un de ces innombrables "mitages" qui enlaidissent et banalisent l'île d'Oléron.
Il y a encore quelques vieilles demeures comme celle qui fait l'angle avec la rue du petit village et la rue principale. Elle possède le fameux escalier extérieur caractéristique de l'habitat ancien mais elle a été "restaurée" brutalement avec un tartinage d'enduit…
La porte du premier a été obstruée et l'escalier bute désormais sur un mur!
Allée des pinsons
Il n'y aurait rien à dire de plus si n'avait été créé le port des salines, espace écologique et pédagogique avec écomusée, marais salants, sentier de balade le long des canaux, bornes d'information, location de barques…. commerces… et restaurant sur pilotis.
L'ensemble bien conçu attire de nombreux touristes en quête d'authenticité et bien que tout soit reconstitué, satisfaits de ce contact "naturel" qui alerte notre espèce sur la bio diversité et la nécessité de la préserver.
Le petit musée est organisé pour intéresser les enfants, avec jeux et questionnaires. C'est idéal, les jours de pluie, pour les occuper et faire naître peut-être en eux une vocation d'ostréiculteur ou de saliculteur!
Les marais salants rappellent modestement ceux qui s'étendaient jadis entre Grand Village et Saint -Trojan.
Il est possible d'y voir travailler le saulnier et même de le rencontrer et d'apprendre avec lui à récolter le fameux or blanc qui participa, il y a bien des décennies, à la richesse d'Oléron.
Un entrepôt à sel, une "salorge", accueille les visiteurs heureux d'acheter un petit cadeau, salière, pot à sel, sachets de fleur de sel… de quoi donner du goût à leurs souvenirs.
Des barques vous invitent à ramer dans les canaux sinueux et d'apercevoir, quand les promeneurs sont discrets, quelques oiseaux des marais. Aigrettes, hérons, canards…. paisibles avant la saison de la chasse et les coups de feu qui crépitent autour de l'enclave minuscule des Salines.
Les aigrettes
Parce que ça canarde dur dans l'île d'Oléron où les canardeurs se réjouissent d'avoir pour président de la République un défenseur de leurs intérêts qui vient d'allonger la période de la chasse aux oies sauvages! Hulot, dans son cabinet ministériel fait la hulotte!
Le centre névralgique de ce "port des salines", c'est la place sur laquelle s'ouvrent quelques boutiques : bijoux, souvenirs, épices.
Au centre du centre, fièrement campé sur ses pilotis, un restaurant affiche une carte alléchante de produits du pays. Il annonce la couleur et prévient que les prolos ne seront pas acceptés! Enfin! Avec plus de délicatesse il annonce que soucieux de la noble tradition oléronaise, il ne servira ni moules ni frites prolétariennes!
… Et pourtant! Réussir des frites n'est pas à la portée de tous et quelques restaurants, parmi les meilleurs n'y parviennent pas toujours.
Le site ne manque pas de charme grâce aux cabanes colorées, au ciel immense et au jeu du soleil sur les canaux. Il se veut soucieux de la préservation de l'île et participe à l'obtention par la commune du pavillon bleu.
Chaque mercredi pendant la saison se tient un "marché des producteurs" tout petit mais qui attire les foules.
La piste cyclable passe par Petit Village. D'un côté elle file vers la forêt, les plages, SaintTrojan et de l'autre vers le Château, Dolus etc...
Elle passe devant un élevage de biquettes où l'on peut acheter un délicieux fromage. C'est avec ce goût et cette odeur authentiques que nous laissons le Petit Village!
Le montmartrois que je suis ne peut ignorer ce peintre orientaliste (1840-1887) qui est enterré au cimetière de Montmartre et dont la tombe s'orne d'une belle statue de Louis Barrias qui s'inspire de ses tableaux de fileuses.
Guillaumet découvre l'Algérie par hasard et non par désir de connaître cette terre colonisée brutalement. Il est aussitôt séduit par la beauté du pays et surtout par la simplicité et l'authenticité de ses habitants.
Campement dans la forêt de cèdres de Teniet el Had dans le massif de l'Ouarsenis
On peut dire qu'il lui consacre toute sa vie de peintre. S'il a un atelier à Sèvres (puis Cité Pigalle) et un appartement dans le quartier de la Nouvelle Athènes au pied de la Butte, c'est à l'Algérie qu'il pense en terminant les tableaux esquissés pendant ses voyages. Pas moins de dix longs séjours pendant sa courte vie d'artiste!
Portrait d'homme
Les villes de la colonisation ne l'intéressent pas et s'il a besoin d'être protégé lors de ses périples, c'est avec regret. La seule fois où il assiste à une razzia, expédition punitive, il est bouleversé.
Aveugle mendiant
Il s'attache d'abord à l'Oranie avant de descendre vers le sud, le désert, les oasis. A la fin de sa courte carrière, il ne peindra que le sud où il trouve une réponse à ses questions existentielles.
La veillée (1866).
Il ne représente pas les troupes françaises qui l'escortent. Il préfère montrer les Algériens faisant partie des unités supplétives. Le paysage nocturne est quasi onirique et empreint d'une atmosphère quasi mystique.
Campement d'un goum à la frontière du Maroc (1869)
Même atmosphère avec ce bivouac dans ce paysage qu'affectionne Guillaumet sous un ciel gris où semble planer une sourde menace.
(Le Goum est une unité de combattants marocains faisant partie des troupes supplétives.)
Le Labour (1869)
Toile qui montre la pauvreté des paysans, la femme conduisant l'attelage, un bébé sur le dos. Ce n'est pas une représentation pittoresque mais au contraire une "rencontre" en sympathie avec de simples gens du peuple qui peinent pour survivre.
Une fois encore la dimension contrastée avec cette ligne de fuite et ce ciel tourmenté participent au romantisme (réalité tragique de la destinée humaine) de l'œuvre.
Le Labour (1882)
Il est intéressant de retrouver une scène de labour peinte plusieurs années plus tard. L'aspect tragique, à la Delacroix, a disparu. Le ciel s'est apaisé et le soleil couchant éclaire d'une lumière dorée l'homme au travail.
La brochure de l'exposition compare cette métamorphose à celle que l'on retrouve chez Millet dont les paysans sont sublimés.
La Famine (1869)
C'est un des rares tableaux historiques de Guillaumet. La famine régnait en Algérie, aggravée par des épidémies peut-être liées à l'arrivée des occidentaux et par le manque de réserves de céréales. Entre 1866 et 1869, elle va faire des ravages et on estime qu'un tiers de la population fut décimée.
Le tableau est une violente critique envoyée à la face de ceux qui affirmaient que la conquête était une œuvre émancipatrice et ne voulaient voir que "l'Algérie heureuse". Elle déplut au public et fut critiquée sans mesure. Guillaumet abandonnera dès lors les représentations historiques comme il se libérera de l'influence trop manifeste de Delacroix (on pense ici aux Massacres de Scio).
Détails de Guillaumet et de Delacroix (en-dessous)
D'autres tableaux évoquent la rudesse de l'existence et la misère d'une façon plus symbolique.
Comme ce désert avec une charogne au premier plan, peint en 1868 pendant la famine. Au loin apparaît comme un mirage une oasis ou une caravane, perdue dans l'immensité incandescente.
Peint quinze ans plus tard, avec pour décor les falaises des grottes d'El Kantara, le cheval blanc dévoré par les chiens, est comme une allégorie du pays. Le cheval fier a tenté de lutter et puis il est tombé, épuisé. Guillaumet raconte cette agonie dans son texte "Une razzia dans le djebel Nador".
Le peintre ayant besoin pour voyager d'une protection militaire aura l'occasion de visiter des lieux habités par les supplétifs, c'est à dire les populations qui se sont ralliées à la France.
Il visite des villages de spahis et a l'occasion d'y peindre des femmes.
La source du figuier à Aïn Kerma, smala de Tiaret.
Scène paisible qui évoque un paysage biblique. L'ombre y protège les villageois de la chaleur qui règne dans l'azur du ciel et la blancheur aveuglante des murs. Les femmes se penchent vers la source dont on imagine la fraîcheur...
Marché arabe dans la plaine de Tocria (1865)
Ici Guillaumet joue avec les couleurs ocres et les blancs pour donner cette impression de vie dans un décor immuable. Il aime peindre les populations nomades qui continuent de vivre comme elles l'ont toujours fait.
Guerriers arabes au repos (1886)
Etude pour un grand tableau représentant une noce arabe qui ne sera jamais peint, interrompu par la mort de Guillaumet.
Bivouac des chameliers (1875)
L'inspecteur des moissons (non daté)
Tisseuses à Bou Saâda
Dans les villages, le peintre peut entrer dans les maisons, occasion pour lui de montrer la pauvreté certes, mais surtout la dignité des femmes qui travaillent. Les femmes qu'il peint n'ont rien à voir avec celles de Delacroix qui sont telles que les imaginent les occidentaux, plus proches de courtisanes que de paysannes.
Scène de gourbi à Biskra (1882)
C'est au cours des derniers voyages qu'il entre ainsi dans l'intimité de ces maisons de terre.
Fileuse (1874)
Il s'agit d'une étude pour un tableau plus important représentant une famille arabe nomade sous une tente. Les fileuses de Guillaumet auront l'heur de plaire et c'est à l'une d'elles que Louis Barrias confiera de jeter des fleurs sur la tombe du peintre au cimetière Montmartre.
La nativité de Bou Saâda.
Une des plus étonnantes scènes d'intérieur nous donne à voir une nativité. Nous sommes ici devant le mystère de l'interprétation que nous nous faisons des autres cultures. "On se figure parfois entrer dans une étable" écrit Guillaumet.
Le chrétien qu'il est voit dans la pauvreté et la simplicité une image qui le renvoie à sa foi. De nos jours, il s'expose à la critique de ceux qui considéreraient cette "interprétation" comme non respectueuse de la foi des indigènes. L'interprétation des œuvres peut ainsi changer avec le temps alors que dans ce cas précis on ne peut soupçonner Guillaumet de quelque sentiment de supériorité… Au contraire.
Laghouat (1879)
C'est peut-être la plus belle œuvre de l'exposition. Elle est l'aboutissement des tentatives du peintre pour rendre la lumière du sud, si difficile à saisir. Ici hommes et paysages sont liés comme embarqués sur le pont d'un immense navire qui naviguerait sur les sables. A la proue apparaît un minaret. Les habitants sont paisibles dans le soir qui tombe et apporte un peu de fraîcheur. Ils semblent être là depuis des siècles.
On voit ici tout ce qu'une grande œuvre peut suggérer. Elle s'inscrit dans une lignée de peintres qui saisissent la magie surréelle de l'univers. On pense à certains Dali et surtout à Chirico. Mais chez Chirico, c'est l'architecture qui semble l'emporter et éliminer les vivants. Ici tout le monde est embarqué dans le même mystère
La toile eut un grand succès et fut tout de suite considérée comme un chef d'œuvre..
Autre chef d'œuvre: La Séguia, près de Biskra (1885)
Le tableau est peint deux ans avant la mort de Guillaumet. Il est l'image même qu'emporte avec lui le peintre de ce pays. La paix, la beauté des habitants et particulièrement des femmes. L'eau, les murs de terre, le ciel se partagent sans se heurter l'espace. Vision idéale d'un monde antique et pourtant actuel.
D'autres œuvres nous montrent ces paysages du sud avec des laveuses.
L'oued à Bou Saâda. Trois laveuses.
Laveuses dans l'oued de Bou Saâda. 1882
Jeunes filles dans l'oued de Bou Saâda. 1882
L'oued Mzi, Laghouat.
Mais je termine aves deux de mes tableaux préférés : l'oued de Mzi avec ce paysage épuré, en lignes de fuite vers un horizon vers lequel se tournent les deux silhouettes… Le symbolisme est présent dans cette œuvre du silence ainsi que l'épure et la simplification quasi abstraite. La touche picturale y est déjà impressionniste.
Femmes dans une oasis.
Comme dans ce dernier tableau des femmes dans une oasis. L'eau est miroir où se reflète l'argent du ciel gris. Le silence, la paix du soir envahissent le paysage. Tous les détails ont disparu. Ces femmes sont là, immuables et fragiles dans un monde sans brutalité.
Elles sont ce pays qu'aime Guillaumet et dont il emporte l'image dans son dernier voyage lorsqu'il meurt en 1887.
Cette belle exposition est présentée au musée des Beaux Arts de La Rochelle jusqu'au 17 septembre 2018. Elle le sera ensuite au musée des Beaux Arts de Limoges du 19 octobre au 4 février 2019, puis à la Piscine-musée d'Art et d'industrie André Diligent de Roubaix du 8 mars au 2 juin 2019.
Le Grand-Village attire chaque été les amoureux des plages immenses où l'on ne se bat pas pour un mètre carré de serviette et où les surfeurs de tout gabarit s'en donnent à vague joie….
On oublierait qu'à l'origine, il y avait là un hameau, entre marais et forêt. Si modeste qu'il n'avait aucune indépendance et faisait partie de la commune de Saint-Trojan les Bains.
Une fronde des habitants des différents bourgs situés au nord de St-Trojan (Les Allassins, Petit-Village, Grand-village, Trillou, le Maine) entraîna une quasi sécession qui aboutit à l'indépendance, le 14 décembre 1949.
C'est donc la date de naissance officielle de Grand-Village et de ses hameaux environnants.
Passage des îles. Gd Village.
Le magazine de la Communauté de communes de l'île en parle dans son numéro d'août 2018 :
"La légende raconte que , furibarde, la municipalité de Saint-Trojan offrit à Grand-Village en cadeau de rupture un ...corbillard."
le symbole funèbre tomba fans l'eau puisque la population du Grand-Village croît plus vite que celle de St-Trojan et l'égalera bientôt si la tendance persiste (1300 habitants à St Trojan, 1050 au Grand-Village)….
Aujourd'hui la commune est entièrement vouée au tourisme avec terrain de camping, meublés, commerces, concentrés dans la partie "moderne" dont l'architecture n'a rien d'éblouissant ni même d'harmonieux si l'on excepte le musée qui sera inauguré le 15 septembre 2018.
La chatte Plume sur les toits du vieux village;
C'est à l'ancien bourg que nous consacrons cette première visite (prochains articles : le centre, la forêt et la plage, Petit-Village, le musée et la maison paysanne.)
Le vieux village était un regroupement modeste de maisons construites, comme presque toujours dans l'île autour d'un lacis de venelles et d'allées.
Si l'on remonte dans le passé, nous trouvons au coeur du vilage quelques maisons typiques avec leur escalier extérieur. Assurément les plus belles.
Les plus vieilles maisons du vieux bourg. Pierres et escalier extérieur.
Belle maison faisant partie du même groupe central.
Une rue (celle où j'habite) porte le nom des saulniers, en souvenir de ceux qui travaillaient dans les marais salants de Saint-Trojan.
Rue des Saulniers.
Notre petite maison et son laurier rouge rue des saulniers.
Une maison pour contes de fées charentaises, rue des saulniers.
Les marais salants s'étendaient de Grand-Village à Saint-Trojan. Nous verrons que pour les touristes, certains ont été recréés au Petit-Village, avec écomusée et vente de sel à la salorge (entrepôt réservé au sel).
D'autres habitants avaient des métiers liés à la vigne, à la silviculture ou à la mer...
Une maison du village, récemment restaurée rappelle la présence d'un résinier qui exploitait la forêt voisine.
On trouvait également quelques viticulteurs et quelques ostréiculteurs:
Un palmier s'épanouit par-dessus les maisons basses. Il est le roi du village , au centre géographique. Il est comme une fontaine végétale, un jeu de palmes qui s'élèvent et retombent avec des éclats de soleil.
Le seul "monument historique" du village, indiqué par un panneau trompeur est la petite chapelle.
Le "monument" en effet n'a pas un poil du XVIIIème!
Le hameau dépendant jadis de Saint-Trojan, c'est l'église de ce village qui servait de clocher aux grands villageois. Mais, par goût de l'indépendance, ces derniers voulurent avoir leur petit clocher bien à eux!
Une chapelle fut donc construite entre bourg et marais au début du XIXème. Elle tomba en ruines et fut reconstruite vaille que vaille mais il fallut attendre la fin du siècle pour qu'elle soit remaniée de fond en comble avec un petit clocher fiérot et la cloche que les enfants n'essayèrent plus d'atteindre avec des cailloux pour la faire tinter. Ce jeu innocent avait provoqué l'effondrement de la toiture sous l'amoncellement des projectiles !
Elle est aujourd'hui bien entretenue et régulièrement restaurée par des habitants du village. Elle n'est plus isolée mais au bord d'une route entre les nouveaux lotissements qui la cernent.
En 1990, un peintre qui habitait rue du Canton la recouvrit de fresques qui représentaient la commune et ses hameaux environnants: les Allassins, Trillou, le Maine, le Chaudron...
Il s'agit d'Elie Murat (1914-1999) qui sans esbrouffe, à sa manière simple et réaliste, réalisa cette œuvre, comme on illustre un livre pour enfants...
Les animaux domestiques ou sauvages parcourent l'espace librement et les goélands s'envolent dans le ciel...
Un ex voto se balance sous les voutes. Il a été offert par un ancien marin qui naviguait sur le porte-missiles, le Duquesne, dans les eaux minées pendant la guerre du golfe et qui vit sauter devant lui un remorqueur américain. A cent mètres près c'est lui qui sautait avec sa cargaison explosive et ses deux cents hommes.
Il a construit cette maquette en souvenir des 2 Américains tués et des 200 Français préservés!
Il y a rue du canton, dans le jardin de la maison qui fut celle d'Elie Murat une fresque de coquillages et de pierres qui témoigne de la créativité et de l'esprit d'enfance du peintre qui repose aujourd'hui dans le petit cimetière de la forêt.
Si vous vous promenez dans le vieux village, vous découvrirez encore quelques jolies rues paisibles comme la rue du Four banal (souvenir du temps où il y avait un four que tous les villageois pouvaient utiliser)
Belle maison rue du Four Banal
D'autres rues sont bordées de maisons qui se ressemblent, comme la rue du puits neuf ou de maisons plus anciennes comme la grande rue où se cache l'ancien four à pain de la vieille boulangerie.
Mais nous aurons vite fait le tour du vieux village qui tourne le dos à la partie plus riche et plus récente de la commune et qui lézarde au soleil avec ses vieilles pierres et ses roses trémières….
Nous retrouvons ici un riche propriétaire dont nous avons déjà cité le nom, le sieur Bréda qui possédait les terrains où sont construites les actuelles rue Clauzel et Henry-Monnier, reliées par la place Toudouze.
La rue prise de la rue Massé
La même aujourd'hui
En 1830 notre homme retira une somme considérable du lotissement de son terrain et non content de la bonne opération financière, voulut que son nom fût immortalisé en rue Bréda, place Bréda et rue Neuve Bréda!
Rue Monnier, à droite la rue Clauzel et la place Toudouze (anciennes rue Neuve Bréda et place Bréda)
Cette immortalité fut provisoire puisque la rue Neuve Bréda devint Clauzel en 1864, la place Bréda devint Toudouze en 1954 et la rue Bréda devint Henri Monnier en 1905 puis Henry Monnier avec un "y" en 2003.
Henry Bonaventure Monnier
Henry Monnier (1799-1877) est un caricaturiste et illustrateur qui marqua son époque en dessinant pour les plus grands écrivains, notamment Balzac, et en créant un personnage qui n'a pas fini d'être actuel : Mr Prud'homme.
Mr Prud'homme peint par Henry Monnier
Mr Prud'homme! Un gros bonhomme bourgeois, aisé, sûr de lui, conformiste et pour tout dire stupide, de cette stupidité vaniteuse et satisfaite. Je ne sais pourquoi je pense à Trump, Mr Prud'homme américain, désarmant de certitudes qui vient de déclarer que pour éviter les incendies monstrueux de Californie, qui selon lui n'étaient pas dus à un réchauffement climatique bidon, il fallait déforester!
Balzac dit de ce personnage qu'il est "l'illustre type des bourgeois de Paris".
Monnier (et non Prud'homme) a servi de modèle à l'auteur de la Comédie Humaine pour un personnage récurrent, Jean-Jacques Bixiou qui fait sa première apparition dans "les Employés". Il est dépeint avec sympathie comme un fonctionnaire caricaturiste, amateur de bons mots.
"Bixiou croquait la femme appuyée sur un parapluie". (Un Ménage de Garçons. Balzac) dessin de Monnier.
Notons que Monnier a influencé de nombreux créateurs. Il suffit de citer Sacha Guitry et sa pièce : "Mr Prud'homme a t-il vécu?" ou Franquin, le créateur de Gaston Lagaffe, qui donne au maire de Champignac les traits de Mr Prud'homme.
Quelques citations de Monnier-Prud'homme que Coluche aurait pu revendiquer :
"C'est mon opinion et je la partage."
""Je ne connais pas d'endroits où il se passe plus de choses que dans le monde."
"La mer : une telle quantité d'eau frise le ridicule… et encore on n'en voit que le dessus."
"La nature est prévoyante, elle a fait pousser la pomme en Normandie, sachant que c'est dans cette région qu'on boit le plus de cidre."
"Je l'ai toujours dit, les hommes sont égaux. Il n'y a de véritable distinction que la différence qui peut exister entre eux."
Le 2.
Le 2 est un des plus anciens immeubles et date du début du lotissement. C'est là que vécut la poétesse, la grande amoureuse Louise Colet (1810-1876).
Louise Colet (Courbet)
Reconnue en son temps puisqu'elle reçut plusieurs fois le prix de l'Académie, elle tenait un salon littéraire fréquenté par quelques uns des plus grands écrivains de la première moitié du XIXème siècle : Victor Hugo, Vigny, Musset, Baudelaire.
On lui prête beaucoup d'amants parmi cette élite des lettres. Ce qui est sûr c'est que sa fille Henriette n'a pas eu de père officiel puisque le mari de Louise ne l'a pas reconnu, pas plus que son amant Victor Cousin.
Victor Cousin
Parmi ses amoureux les plus célèbres figure le jeune Flaubert qui est en train d'écrire l'Education Sentimentale et dont on peut lire les lettres, nombreuses qu'il écrivit à son amante :
"Ne m'aime pas tant, ne m'aime pas tant, tu me fais mal! Laisse-moi t'aimer, moi; tu ne sais donc pas qu'aimer trop, ça porte malheur à tous deux; c'est comme les enfants que l'on a trop caressés étant petits, ils meurent jeunes; La vie n'est pas faite pour cela; le bonheur est une monstruosité! Punis sont ceux qui le cherchent."(8 août 1846)
C'est dans l'atelier de Pradier non loin de chez elle, rue Bréda qu'elle a fait sa rencontre.
Après la fin de leur liaison, il ne fut pas très gentleman et dit beaucoup de mal des "qualités" littéraires de celle qu'il avait encensée du temps de ses jeunes amours.
Louise Colet (Pradier)
Celle qui reçut au contraire des compliments du premier des poètes, Victor Hugo, eut des années difficiles et fut heureusement aidée par Victor Cousin. Aujourd'hui, après des décennies pendant lesquelles elle fut ignorée, elle connaît un renouveau avec la réédition de certains de ses romans et recueils.
Elle ne devrait plus être oubliée dans les anthologies de la poésie romantique.
"Qui n'a pas un amour sans limites n'aime point" (Lui 1859)
………….
"Ton amour m'a donné comme un second baptême. Ton amour c'est ma foi." (Corinne et Oswald 1829)
…………..
"Le malheur m'a jeté son souffle desséchant
De mes doux sentiments la source s'est tarie
Et mon âme incomprise avant l'heure flétrie
En perdant tout espoir perd tout penser touchant."
Le 3. Bel immeuble 1830
Le 4
Le 4 fut en son temps une adresse bien connue et très fréquentée. C'était le bordel de Louise Brémont dont un des visiteurs les plus illustres fut Emile Zola.
En tout bien tout honneur pourrait-on dire puisque le romancier qui avait besoin de documentation sur le fonctionnement d'une maison close avait jeté son dévolu sur celle-là, dans la quartier que sa Nana sillonne le soir venu..
7
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Le 16
Le 16 fut l'adresse d'un restaurant qui avait ses fidèles parmi lesquels Henry Monnier lui-même, Nadar, Mürger, Baudelaire qui habitait le quartier et venait souvent accompagné de Jeanne Duval.
Jeanne Duval (Manet)
Le restaurant était minuscule et dans son unique pièce tendue de papier rouge velouté recevait une douzaine de personnes autour d'une table unique en fer à cheval où l'on servait une excellente cuisine traditionnelle concoctée par la mère Dinochau.
Les Goncourt
Les Goncourt, toujours vipérins, décrivent les propriétaires : " Le père Dinochau un vieil abruti, la mère Dinochau qui avait de gros yeux saillants comme des tampons de locomotive et le fils devenu célèbre plus tard en voyoucrate intelligent".
Le 20
Le 21
Le 21 est un opulent immeuble construit en 1907 par les architectes Guyon et fils et orné de sculptures réalisées par Ardouin. Malgré son harmonie et le sourire des visages de pierre, il écrase un peu les immeubles plus modestes de la première moitié du XIXème siècle.
Il a été édifié à l'emplacement du premier immeuble qui abritait l'externat de Perot, instituteur socialiste qui habitait à la même adresse et qui reçut Gustave Lefrançais et Pauline Roland avec lesquels il créa l'Association fraternelle des instituteurs socialistes.
On est étonné en lisant aujourd'hui le programme d'enseignement rédigé par Pérot de constater à quel point il était moderne et respectait les enfants. Pauline Roland bien sûr y avait contribué et en féministe convaincue, insisté sur l'importance de l'égalité des sexes et la mise en cause des clichés et des habitudes culturelles concernant les genres.
Gustave Lefrançais sera un des acteurs de la Commune, ce qui ne sera pas le cas de Pauline Roland, morte trop tôt, en 1851, après un emprisonnement et un exil dans la prison de Bône (Algérie) qui mina sa santé.
Pauline Roland
Victor Hugo lui a consacré un des beaux poèmes des Châtiments, écrit à Jersey :
"Elle ne connaissait ni l'orgueil ni la haine
Elle aimait, elle était pauvre, simple et sereine."
(…) Tendre, elle visitait, sous leur toit de misère,
Tous ceux que la famine ou la douleur abat,
Les malades pensifs, gisant sur leur grabat,
La mansarde où languit l'indigence morose;
Quand par hasard, moins pauvre, elle avait quelque chose,
Elle le partageait à tous comme une sœur;
Quand elle n'avait rien, elle donnait son coeur." (…)
Toujours au 21, vivaient les grands-parents de François Truffaut, Jean et Geneviève de Monferrand. On sait que le jeune François vint au monde (1932) après la grossesse cachée de sa mère et qu'il fut d'abord confié à une nourrice avant de vivre chez ses grands parents jusqu'en 1942, année de la mort de sa grand-mère.
Antoine Doisnel entre rue Monnier et place Toudouze.
Ce quartier est vraiment celui du réalisateur puisque c'est l'école de la rue Clauzel qu'il fréquenta, c'est, après la rue Monnier, rue de Navarin qu'il habita, chez sa mère et son père adoptif, c'est au collège Rollin (Jacques Decour) qu'il fut élève …. et ce sont ces lieux et ces rues qu'il filma dans les 400 coups, Antoine Doisnel habitant place Toudouze, à quelques dizaines de mètres de la rue Monnier et de la rue de Navarin!
Le 25
Le bel immeuble restauration du 25 a été détruit et à sa place a été édifié le jumeau somptueux du 21, dû aux architectes Guyon et fils et au statuaire Ardouin.
Dans l'immeuble d'origine vécut une grande amoureuse des femmes qui pourtant suscita bien des émotions chez les mâles.
Elle est la femme nue du déjeuner sur l'herbe de Manet, elle est l'Olympia étendue sur son sofa...
Le déjeuner sur l'herbe
Olympia
Victorine Meurent (1844-1921) qui posa pour Degas et Stevens, fut le modèle favori de Manet pendant presque dix ans. Parmi les chefs d'œuvre qui la représentent, outre les toiles déjà nommées, on peut citer la femme au perroquet, portrait en pied à la fois sensuel et hiératique, l'Espada,le Chemin de fer...
Avant d'aller habiter avec son amie Marie Dufour à Colombes, elle voulut peindre à son tour et obtint un certain succès.
La femme au perroquet
Le 28
Au 28 se trouvait l'atelier de Jules Dupré (1821-1889), peintre de l'école de Barbizon qui en fut l'un des chefs de file et qui partageait avec Théodore Rousseau une grande amitié faite de beau fixe et de tempêtes.
Il donna à ses paysages et à ses marines un relief sombre, quelque chose de tourmenté et pour tout dire romantique. Son admiration pour Courbet qui fit son portrait se ressent dans ses toiles.
Jules Dupré (Courbet)
Van Gogh qui le cite plus de dix fois dans ses lettres à Théo le tenait en grande estime et le considérait comme le grand peintre romantique français.
Son premier atelier se situait rue Frochot avant de migrer deux cents mètres plus bas, 28 rue Bréda (Henry Monnier). Il le quitta pour s'installer dans sa ville natale de l'Isle Adam.
Le 30
Un compositeur basque espagnol vécut de 1855 à 1857 dans cet immeuble. Son nom Sebastian Iradier n'est peut-être pas connu de tous mais deux de ses œuvres le sont assurément!
Il s'agit de "La Paloma", un des plus grands tubes internationaux et bien que la paternité ne lui en fût pas attribuée, de la habanera de Carmen : "l'amour est un oiseau rebelle"!
Bizet lorsqu'il reprit cet air au premier acte de son opéra était persuadé qu'il ne pillait personne et reprenait une très ancienne chanson folklorique. En réalité, il s'agissait de "El Arreglito", chanté en 1863 au théâtre italien de Paris et composé par Iradier. C'est aujourd'hui un air mondialement connu.
Le 34
La rue se termine en apothéose avec le magnifiques immeuble du 34 dont l'entrée principale est 27 rue Victor Massé et qui est classé comme ses voisins du 23 et 25.
Ils ont été construits par Davrange et Durupt entre 1847 et 1850 dans le style Louis-Philippe néo Renaissance. Ils sont parmi les plus "souriants", les plus mélodieux du quartier...
Au 34 le peintre Théodore Chassériau (1819-1856) eut un atelier dans les dernières années de sa vie qui fut courte.
Autoportrait
Il habitait alors rue Fléchier, un peu plus bas, dans un immeuble qui donnait sur l'église Notre-Dame de Lorette.
Alice Ozy (Chassériau)
Il eut pour maîtresse Alice Ozy, célèbre comédienne qui fut courtisée en vain par Victor Hugo à qui pourtant peu de femmes résistaient. Le poète en garda un fort ressentiment envers son rival heureux.
Les deux soeurs (Chassériau 1843)
Odalisque couchée (Chassériau)
Chassériau dont le maître, Ingres, disait qu'il serait "le Napoléon de la peinture" est influencé pour la forme par son professeur et pour la tonalité intense et contrastée par Delacroix. On peut dire qu'il est un romantique classique!
Hero et Léandre (la Poésie et la Sirène)
C'est avec lui que nous quittons cette courte rue qui n'en finit pas de nous raconter des histoires de poésie, de peinture, d'amour, d'utopie, dans un quartier qui fut une pépinière de création et de rêve.
Les roses trémières se haussent du col pour jeter leur œil en couleur au-dessus des murs du Bastion et apercevoir les chats qui vivent là, pas tout à fait comme des pachas mais comme des rescapés du malheur.
Ils ont été trouvés dans les rues ou les terrains vagues, abandonnés, blessés ou faméliques…
Chacun a son histoire et son mystère. Chacun a ses angoisses et parfois ses souvenirs de maîtres aimés. Tout cela donne à leur regard cette intensité, cette tristesse, cet appel qui bouleversent les hommes attentifs à d'autres existences que la leur propre.
C'est Supervielle qui a écrit :
"Visages des animaux
Si bien modelés du dedans à cause de tous les mots que vous n'avez su dire."
Je connais depuis quatre ans ce refuge d'où viennent les deux chattes qui vivent chez moi.
Une dizaine d'articles de ce blog ont été consacrés à ce refuge qui existe grâce aux bénévoles qui lui consacrent de leur temps, de leurs forces .
Leur dévouement, leur modestie, leur fidélité font d'eux (et surtout elles) les premiers de cordée du cœur.
Rourou le glouton..
Je l'ai rencontré dans l'infirmerie où il est cantonné pendant que l'on nourrit tous les pensionnaires. C'est pour le protéger de sa boulimie qui fait de lui un gros pépère, ronronnant et affectueux!
Miel est presque aveugle mais malgré son handicap, il est heureux de vivre et il manifeste son intérêt et son désir de caresses à tout humain qui l'approche! J'ai rarement rencontré une telle demande de tendresse.
Ulysse
Ulysse fait partie de la "bande des 9".
Ce sont neuf chats qui viennent d'une caravane où ils ronronnaient avec une femme qui les avait ramassés dans la rue. Ils vivaient sans problème jusqu'au jour où leur maîtresse est partie.
Ils sont là, tous les neuf, doux et philosophes. Ils ont leur petit domaine, leurs couchettes, leurs jeux. Seule leur manque la femme qui, il n'y a pas si longtemps, donnait à chacun son comptant de caresses. Sans doute apparaît-elle dans leurs rêves de chats.
Il y a tous ceux dont j'oublie le nom. Je ne suis pas comme Cosette qui a créé ce refuge et comme bien des bénévoles qui savent nommer chacun d'eux et connaît son histoire.
Garou
Garou, je le reconnais. C'est un des plus gentils, des plus attentifs. Un bonheur de chat...
Un matin de ce mois, alors que je photographiais ces pachas, Cosette est arrivée avec une panière. Une nouvelle chatte faisait son entrée. Elle avait été signalée par une personne moins indifférente que les autres car elle errait, famélique, la patte coincée dans un collier antipuces.
Elle avait sans doute été adoptée puis relâchée dans la nature. Elle avait voulu se débarrasser de son collier et s'était pris la patte dans ce piège. Elle avait une plaie ouverte à force de tenter de se libérer. Cosette l'a récupérée. Le vétérinaire a douté de pouvoir la sauver tant elle était faible.
Elle a été perfusée sous anesthésie. Il semble qu'elle reprenne vie, confiance.. elle a mangé. Elle est sans doute sauvée!
Elle s'appellera Hella comme dans la chanson de France Gall, mais avec un H...
"Ella, elle l'a
Ce je ne sais quoi
Que d'autres n'ont pas…"
Gamin a 24 ans!
Il est l'ancêtre du refuge. Il a un traitement de faveur avec couchette dans la cuisine et se promène dans l'allée. Il ronronne de plaisir quand on prend son corps léger dans les bras.
Refuge des Pachats, petite enclave d'humanité… rendue possible grâce à une municipalité intelligente et sensible… grâce à ces belles personnes qui si le paradis existe, y seront conduites un jour qui peut attendre, par les anges…