Le hasard m'a fait emprunter la rue Véron où une galerie installée là depuis quelques mois m'a permis de passer à travers le miroir pour découvrir un paysage où les hommes et les oiseaux se parlent...
Atelier Véron, 31 rue Véron
Il faisait gris...
Il pleuvait un peu...
"Pour un cœur qui s'ennuie, ô le chant de la pluie"...
Et puis, franchie la porte, l'arc en ciel vint à ma rencontre...
Avec une migration d'oiseaux échappés de l'enfance où les chasseurs n'existent pas
Des mosaïques byzantines ou des villas romaines
Des enluminures médiévales
Ou plus simplement lâchés pour nous par un artiste qui, né en 1944, a gardé l'âme et le cœur d'un jeune amoureux que le monde émerveille.
Je n'ai pas été étonné d'apprendre qu'il fut proche d'un maître-verrier que nous connaissons bien à Montmartre puisque tous les vitraux de notre vieille église Saint-Pierre sont son œuvre : Max Ingrand.
… Un vitrail se laisse deviner de l'extérieur avec ses lignes de plomb et ses couleurs sourdes et il saisit la lumière aussi ténue soit-elle pour se donner à l'intérieur….
… Les visages de Jean Dessirier, comme les vitraux ont leur face de lumière et leur face plus secrète.
Comme on peut voir se refléter dans la vitre l'avers coloré offert aux passants tandis que le revers ombreux ne s'offre qu'à ceux qui entrent dans la salle d'exposition.
Femmes, hommes et oiseaux vivent ensemble sans frayeur. L'oiseau messager de paix est aussi la part de rêve et de sensualité de chacun.
Certains "personnages" que leur créateur nomme "totems" sont debout, en pied, longs et droits. Ils me font penser aux statues colonnes romanes, paisibles elles aussi avec leur sourire à peine dessiné, comme une invitation à la douceur.
Comparaison n'est pas raison, aussi faut-il aussitôt la compléter avec d'autres, du côté de l'art forain ou des décors circassiens, comme nous y invite ce clown mains dans les poches
C'est ainsi, devant un univers nouveau et envoûtant, on ne peut s'empêcher de battre le rappel de tout ce qu'il peut nous évoquer alors que le plus simple et le plus naturel serait d'y entrer sans bagages.
Même si les faunes, les sirènes et les sphinges sont pour nous de vieilles connaissances.
Ce qui est sûr, c'est qu'il se dégage de cette exposition une impression paisible et souriante, une forme de bonheur qui invite à l'échange.
Un univers où François d'Assise serait à l'aise pour parler aux "frères oiseaux" mais où il aurait jeté aux orties sa robe de bure pour chanter en même temps que la beauté des animaux et des fleurs, celle des hommes et des femmes!
Femmes dont la nudité est aussi naturelle que le plumage des oiseaux!
Les œuvres de Jean Desirrier sont exposée à l'Atelier Véron jusqu'à la fin du mois de mars, 31 rue Véron. Tel : 06 75 17 27 03. Adresse @ du site
Nombreuses sont les cartes et les photos de la Belle Epoque qui ont gardé l'image d'une des femmes qui fit tourner les têtes, nourrit bien des fantasmes et prit dans les filets de son charme et de sa sensualité quelques uns des princes de ce monde!
La Belle Otero
Elle fut considérée avec Liane de Pougy et Caroline Otero comme l'une des Trois Grâces de son temps! Et Dieu sait qu'il y en avait de gracieuses personnes à Montmartre à la fin du XIXème siècle!
Liane de Pougy
La belle dame naquit dans le Paris populaire, en 1870 (ou selon certains historiens en 1869).
Sa mère est concierge rue des Martyrs dans un quartier prisé de la bohême mais où les oiseaux de proie de l'immobilier commencent à s'abattre.
Elle doit travailler tôt pour apporter un peu d'argent à sa mère. Le goût qu'elle aura plus tard pour la littérature est d'autant plus remarquable qu'elle fut privée dans sa jeunesse d'un accès désiré à la culture réservée aux classes aisées.
Dessin de Steinlen
Elle est lancée dans le monde alors qu'elle n'a que 15 ans grâce à un journaliste du Gil Blas responsable de la rubrique des "demi-mondaines", Charles Desteuque, celui-là même qui découvrit la Goulue et qui recevait bourgeois et jolies dames dans son appartement de la rue de Laval (aujourd'hui rue Victor Massé) en face du Chat Noir.
C'est au cours d'une de ces rencontres qu'Emilienne André reçut son nom de combat. Elle était vêtue d'un corsage en dentelle d'Alençon quand Laure de Chiffreville, prostituée notoire, la baptisa Emilienne d'Alençon en lui prédisant une grande carrière!
Le Cirque National (ancien cirque d'été) sur les Champs Elysées.
La carrière mit pourtant quelques années avant de répondre aux prédictions de Laure de Chiffreville. Emilienne commença par un numéro approximatif et cependant sensuel de dresseuse de lapins au Cirque d'Eté.
Avant de dresser les ânes (ce qui est un excellent exercice préparatoire au domptage des hommes)
Mais plus qu'aux ânes c'est au jeune duc d'Uzès qu'elle doit sa promotion. Jacques d'Uzès, amoureux fou de la demoiselle entreprend de l'éduquer en espérant pouvoir en faire sa femme. Mais, comme dans la Traviata, la famille, en l'occurrence la duchesse de Rochechouart, scandalisée par cette liaison, organise une expédition en Afrique, censée apporter la gloire à son rejeton. Pensa t-il à la belle Emilienne quand après avoir combattu les Boubous il fut rapatrié à Brazzaville où il mourut de la dysenterie en 1893?
Affiche de Chéret
Mais la liaison a fait du bruit dans le Paris de la galanterie et auréolé Emilienne d'une réputation de femme irrésistible qui ne la quittera plus!
Elle est réclamée par les établissements à la mode où elle danse et joue la comédie à moitié vêtue ou dévêtue (c'est l'histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide) : elle se produit au Casino de Paris, aux Menus Plaisirs, aux Folies Bergères, à la Scala, aux Variétés…..
Ce sont évidemment ses amants qui assurent sa fortune plus que son génie dramatique et musical. Après Jacques d'Uzès, les messieurs font la queue au théâtre pour la rencontrer et tenter leur chance. Une chance qui est souvent aussi sûre que le portefeuille est épais.
Balsan et Chanel
Parmi ceux qui ont laissé leur nom dans la grande ou petite histoire, citons Etienne Balsan, passionné de chevaux, riche héritier et futur amant de Gabrielle Chanel à qui il proposera son appartement du boulevard Malesherbes pour lancer sa maison.
Emmanuelle Devos joue Emilienne dans le film "Coco"
Il mettra en relation l'ancienne et la nouvelle maîtresse. Emilienne portera fièrement les chapeaux de Coco à qui elle fera une publicité efficace.
le futur Edouard VII
Citons encore parmi les amants prestigieux le roi des Belges Léopold II, le Prince de Galles futur Edouard VII et même le Kaiser Guillaume II. Avec Emilienne la guerre aurait peut-être été évitée et l'entente entre Anglais, Français et Allemands consolidée!
Quant au Prince de Galles, loin de sa mère Victoria, il aimait Paris et ses dames qu'il honorait au Chabanais, le bordel le plus chic de la capitale, sans dédaigner Montmartre et son folklore. Ses goût érotiques raffinés ou compliqués lui valurent son surnom de "Dirty Henry".
Tous ces braves hommes assurèrent la fortune et le renom d'Emilienne. Ce qui ne l'empêcha pas d'aimer aussi les femmes. On la crédite de plusieurs liaisons : avec la Goulue que Desteuque lui avait présentée en 1889... avec la grande poétesse lesbienne Renée Vivien en 1908.
Renée vivien
Renée vivien écrit pour elle, un peu à la manière de Ronsard :
"Tu te flétriras un jour, oh mon lys!
Tes pas oublieront le rythme de l'onde,
Ta chair sans désirs, tes membres perclus
Ne frémiront plus dans l'ardeur profonde,
L'amour désenchanté ne te connaîtra plus."
Liane de Pougy
La liaison qui aura le plus de retentissement est celle qu'elle entretient avec sa rivale en sensualité et en gloire, Liane de Pougy. Elle est mise en musique par la presse satirique et notamment le Gil Blas!
Dans ses pages insolentes le journal annonce le mariage des deux femmes et annonce la naissance d'un futur bébé! Il n'était pourtant pas question à l'époque de PMA!
Emilienne amoureuse écrit des poèmes et le recueil qu'elle publie porte un titre assez clair "Sous le masque".
Elle dédie ces vers à Liane :
"J'ai senti contre moi votre épaule plus chaude,
Le ciel en pâlissant faisait vos yeux plus clairs
Et des parfums marins de sable, d'algue et d'iode
Se mêlaient aux parfums qu'exaltait votre chair."
Même si des versificateurs puristes trouveront matière à chicaneries, il est remarquable de lire ces poèmes écrits par une femme qui n'avait pas eu la chance de fréquenter les écoles.
Liane de Pougy
"Les plaisirs de la chair se sont sur moi posés,
La lèvre m'a meurtrie et la dent m'a blessée,
Je porte avec orgueil la trace des baisers,
Je n'ai rien désiré que d'être caressée."
Percy Woodland et Emilienne.
Emilienne si elle aime les femmes n'est pas insensible comme on l'a vu aux hommes et pas seulement à leur fortune! Depuis sa liaison avec Balsan, elle fréquente les champs de course et c'est là qu'elle rencontre le jockey Alex Carter de 18 ans plus jeune qu'elle. La liaison dura presque une année et Emilienne se consola avec un autre jockey, lui aussi plus jeune qu'elle, Percy Woodland qu'elle épousa en 1905.
Emilienne sait aussi gérer son image. Sa beauté, sa fraîcheur cachent un secret que des milliers de femmes désirent connaître. Emilienne écrit pour elles un livre de recettes : "Secrets de beauté pour être belle".
On ne sait si elles furent satisfaites car les efforts à fournir pour garder la jeunesse demandaient selon Emilienne un considérable investissement de temps et d'énergie : "Etre belle c'est un métier"!
La vie sentimentale d'Emilienne reste compliquée et son jeune mari la déçoit. Après quelques années de presque bonheur, conjugal, elle divorce.
La guerre marque le déclin de la Belle Epoque. Montmartre s'éteint peu à peu et les artistes migrent vers Montparnasse. Emilienne est passée de mode. Elle cherche dans l'opium une échappée hors du réel. Elle connaît des problèmes de santé et cherche à retrouver des forces sous le soleil de la Riviera.
Emilienne d'Alençon (Toulouse Lautrec)
Sa situation financière n'est pas brillante car si elle a beaucoup reçu des hommes, elle a beaucoup donné aux femmes.
Ses poèmes envisagent la mort dont la présence menaçante prend peu à peu la place de l'amour comme une obsession. Cependant, les derniers mots du recueil résonnent comme un défi et un désir de vivre :
"Couvrant les sombres voix d'une clameur plus forte
Je veux croire! Viens sur mon cœur, tends-moi les bras
Et si jamais la mort frappe et crie à ma porte,
Je ne répondrai pas!"
Couverte de dettes, elle met en vente tout ce qu'elle possède en 1931 à Drouot. Les acheteurs sont nombreux car Emilienne avait un goût très sûr pour les belles choses parmi lesquelles des meubles précieux dont des commodes laquées, des paravents de soie peinte, des veilleuses…
C'est une femme oubliée qui meurt à Monaco en 1945. Une femme intelligente et belle dont un critique a pu dire que "sa bouche appelait irrésistiblement les désirs comme la rose invitait l'abeille".
Cette sensualité attira les hommes qui ne virent le plus souvent en elle que la courtisane. Des abeilles qui continuèrent à butiner d'autres fleurs quand la rose fut flétrie!
Il suffit de lire ses poèmes pour se rendre compte qu'elle fut une chercheuse d'amour et de beauté. Plus elle connut les hommes et plus elle aima les femmes avec qui elle partagea la solidarité, pour être plus exact la sororité de celles qui savaient que la société ne leur faisait pas de cadeau et qui ne se méprenaient pas sur leurs succès.
"J'ai retrempé ma chair et retrempé mon âme
Au fleuve de douleurs qui nous baigne toujours
Au feu vivifiant qui vous consume ô femmes
Ô mes sœurs qui portez le fardeau de l'amour"
Sous le soleil du midi, Emilienne a regardé sans complaisance ni culpabilité les splendeurs et misères de sa vie…
Nous avons rencontré Daniel Iffla Osiris, plus connu sous le nom d'Osiris, dans le quartier de la Nouvelle Athènes, rue La Bruyère où il avait fait construire son hôtel particulier.
Sa tombe au cimetière de Montmartre ne peut passer inaperçue!
Une statue monumentale, réplique du Moïse de Michel Ange domine les sépultures à l'entour.
L'histoire de cette tombe est extraordinaire et mérite d'être contée car nous sommes devant une des plus belles histoires d'amour dont le cimetière garde le témoignage.
Imaginez le cimetière en 1855. Les arbres, les buissons et les herbes folles en occupent une partie. Il est en effet beaucoup plus grand qu'aujourd'hui et les terrains situés à l'ouest s'étendaient à l'emplacement actuel de l'hôpital Bretonneau.
Entrée du cimetière en 1835
De nombreux artistes ou personnages "éminents" y édifient leurs chapelles funéraires. C'est, concurrençant le Père Lachaise, l'endroit à la mode où reposer en paix, comme on dit.
Tombe de Henry Murger auteur des "Scènes de la vie de bohême"
Après avoir assisté à l'enterrement d'une de ses connaissances, un jeune couple remonte le long d'une allée et confiant en un futur de bonheur, envisage sans angoisse le jour où la mort et elle seule les séparera. La jeune femme, Léonie Carlier est chrétienne, le jeune homme Daniel Iffla est juif.
On ne plaisante pas à cette époque avec cette différence qu'on matérialise par un mur qui entoure le cimetière réservé aux Juifs. Léonie s'en émeut. Elle fait promettre à Daniel de choisir l'emplacement le plus proche possible de la partie chrétienne. Si le mur les sépare, ils resteront proches dans la terre où ils seront couchés.
Daniel tente de plaisanter mais devant l'insistance de sa femme il le lui promet.
Passons sur la carrière de Daniel Iffla dans les affaires et sur la fortune considérable qu'il amassa et qu'il légua à des œuvres de bienfaisance et en presque totalité à l'Institut Pasteur (de quoi inspirer peut-être nos évadés fiscaux).
Institut du radium créé grâce au legs d'Osiris
Seul nous intéresse aujourd'hui l'amour qu'il porta à son épouse et qu'elle lui rendait, jour après jour, dans une complicité qui paraissait ne jamais devoir prendre fin.
Un bonheur d'autant plus grand que Léonie attendait avec impatience la naissance de leur enfant dont ils avaient déjà choisi le prénom.
En réalité ce sont des jumeaux que portait Léonie.
Des jumeaux qui n'ouvriraient jamais les yeux car ils moururent en même temps que leur mère le matin de l'accouchement.
Daniel Iffla est inconsolable. Il transforme en sanctuaire la chambre de sa femme. Aucun objet ne sera changé de place, aucun meuble ne sera bougé.
Le corps de Léonie et des jumeaux sont enterrés à Bordeaux, ville d'origine de Daniel, en attendant que soient disponibles dans le cimetière de Montmartre les emplacements qui permettront aux amoureux de rester proches.
Le temps, les années s'écoulent. Daniel reste fidèle à son épouse. Il ne cesse de lutter auprès des administrations pour obtenir la concession qu'il désire et qu'il avait promise à Léonie.
Par chance, les esprits ont évolué (l'affaire Dreyfus n'y est pas étrangère). Le mur qui clôturait le cimetière israélite est tombé. Même si les religieux radicaux ne l'acceptent pas, la loi permet aux époux de religions différentes d'être réunis dans la même tombe.
Osiris fait creuser le caveau familial. Léonie et les jumeaux y sont transférés.
Sur la dalle de marbre, la statue de bronze est posée : Moïse, le prophète reconnu aussi bien par les Juifs que les Chrétiens.
Osiris meurt en 1907. Il rejoint enfin celle qu'il n'a jamais cessé d'aimer.
"J'ai lutté avec mon cœur de mari. Je suis arrivé après trente ans de luttes de toute sorte à occuper définitivement et perpétuellement le terrain qu'elle avait désigné. Je viens de reconnaître ma place. C'est à ses pieds que je dormirai de mon dernier sommeil".
Et voilà…
Qui pense à cet amour immense en passant devant le Moïse de Michel Ange?
Le soleil peut-être qui réchauffe le bronze… les chats sans doute qui aiment se poser sur la dalle de marbre et y dormir en rond… comme des cœurs qui battent.