Il y a des rues de Paris qui présentent une telle unité architecturale qu'elles sont comme un musée à ciel ouvert. La rue Ziem et la rue Armand Gauthier sont de celles-là!
Nous sommes dans le quartier des Grandes Carrières, dans cette partie de Montmartre livrée à la spéculation immobilière au début du XXème siècle. Les programmes immobiliers s'adressent à une bourgeoisie aisée, comparable à celle qui investit dans les quartiers chics de l'ouest parisien.
Les carrièree en 1804 (Lefranc)
À l'emplacement des carrières de gypse exploitées depuis le Moyen-Âge, subsistaient de petites maisons populaires faciles à exproprier. Un architecte se voit confier le lotissement de ces deux rues. Il s'agit d'Armand Gauthier.
Son nom a été donné à la courte rue, terminée en escalier (nous sommes à Montmartre) où il vécut, satisfait sans doute d'ouvrir ses fenêtres sur ses réalisations! Il est le seul personnage un peu connu qui ait habité cette voie qui aujourd'hui s'apparente à un musée qui lui rend hommage.
Nous sommes dans la première décennie du XXème siècle. Chaque immeuble porte la signature de Gauthier ainsi que sa date de construction, 1906 ou 1907.
La rue Gauthier va de la rue Ziem à la rue Eugène Carrière. Elle suit une courbe harmonieuse et se termine par un escalier.
Ces falaises de pierre claire seraient semblables à beaucoup d'autres sans le rythme et l'ornementation de leurs façades. Gauthier n'est pas un génie de l'Art Nouveau mais il concilie habilement la tradition haussmannienne et les tendances nouvelles.
il sait que ses "clients" soucieux de leur image n'ont pas envie d'investir dans des immeubles de style "nouille" comme ils appellent l'art nouveau trop audacieux pour eux.
Mais il a le sens de l'harmonie, il sait épouser la courbure du terrain et il sait aussi varier le décor de ses immeubles même s'il fait appel à des sculpteurs sans audace.
Le 2
Le 4
Le 6
Côté pair les 2, 4 et 6.
Le 2 donne d'un côté rue Gauthier, de l'autre rue Ziem.
Côté impair, le 1 est le seul immeuble qui ne soit pas de Gauthier. Il est le seul également qui combine la souplesse de l'Art Nouveau avec des décors floraux typiques de cet art. Il est dû à Paul Marteroy et a été édifié en 1907. Cet architecte avait un plus grand renom que Gauthier. Il était architecte en chef de la ville de Paris et on lui doit plusieurs réalisations dans divers arrondissements.
Les 3, 5 et 7. Une belle unité et un sens de l'harmonie… cette rue Gauthier aussi calme qu'une impasse est un havre paisible à deux pas de l'animation du boulevard de Clichy….
L'artère débouche sur la rue Ziem dont tous les immeubles sont l'œuvre d'Armand Gauthier.
La rue porte le nom de Félix Ziem (1821-1911) un peintre qui fit partie de l'école de Barbizon avant de consacrer l'essentiel de son œuvre à Venise dont il fut amoureux. Il y a dans ses toiles une lumière onirique et on comprend en voyant certaines e ses toiles qu'il ait pu être considéré comme un des précurseurs de l'Impressionnisme.
Entre le 2 (à droite) et le 1
Le début de la rue entre le 1 et le 2 a fière allure avec ses immeubles comme des proues de navire!
2 bis
Le 4
Le 6
Le 8
Le 8 est un des plus beaux avec ses sculptures plus originales, ses consoles florales et animales à la fois.
Le 12
Le 12 est le dernier immeuble côté pair. Il est théâtral et termine en beauté ce côté.
On voit que tous ses immeubles au décor varié sont assez sages par rapport au délire poétique du modern style. Mais ils sont aujourd'hui un témoignage du goût d'une époque qui considérait que la beauté des façades était une obligation, un hommage à la ville, à tous les passants occasionnels.
Coté impair, les 3, 5, 7 et 9.
La rue avant de se jeter dans la rue Eugène Carrière, se termine par la place Nattier (Jean-Marc Nattier, portraitiste du XVIIIème siècle).
Nous arrivons ensuite dans le rue Eugène Carrière, peintre lui aussi, spécialiste de la mère et de l'enfant, dans une palette ocre et trouble. Il a sa statue sur la place qui s'appelle depuis un an place Nougaro.
Mais c'est un étrange personnage qui nous dit aurevoir au moment où nous nous éloignons de ces rues harmonieuses et cossues.
Pierre Jacob! Peu de gens hors de Montmartre connaissent son nom.
Quand un visiteur passe rue Lepic et qu'il lève la tête sur la façade du 53, il découvre une plaque commémorative…..
Il apprend que cet homme fut chansonnier et qu'il écrivit la "célèbre chanson rue Lepic".
J'avoue que je ne connaissais pas cette célèbre chanson! je l'ai écoutée et l'ai trouvée charmante et conventionnelle. Sans doute pas au point de mériter un tel excès d'honneur… (Bruant au secours!)
Elle a été chantée par Yves Montand et par Patachou. Les paroles de Pierre Jacob ont été mises en musique par Michel Emer. Que dit cette romance qui a assuré à son auteur la célébrité (relative)?
Voici le début de ce chef d'oeuvre :
Dans l'marché qui s"éveill'
Dès le premier soleil,
Sur les fruits et les fleurs
Vienn'nt danser les couleurs
Rue Lepic
Voitur's de quatr' saisons
Offrent tout à foison
Tomat's roug's raisins verts
Melons d'or z'et prim'ver's
Au public,
Et les cris des marchands
s'entremêl'nt en un chant
Et le murmur' des commèr's
Fait comme le bruit d'la mer
Rue Lepic
N'est pas Rimbaud qui veut! Plus modestement n'est pas Bruant qui veut! Il y a fort à parier que sans la gouaille charmeuse de Montand, la chansonnette serait tombée dans l'oubli!
Pierre jacob, heureusement, ne s'est pas contenté de nous donner cette seule chanson. Il avait d'ailleurs en arrivant à Montmartre le désir d'y devenir Peintre. Il dessina au fusain de nombreuses vues du vieux Paris mais il se rendit compte très vite que là n'était pas sa vocation. Son frère Jean Germain assuma pour la famille cette carrière de peintre!
Il illustra lui aussi la rue Lepic avant de lui préférer les lumières de Venise.
Pierre Jacob fait ses débuts en 1925 au cabaret de La Vache enragée dont l'enseigne, une vache folle, reprend le totem des célèbres défilés carnavalesques de Montmartre, les vachalcades.
La Lune Rousse en 1904
En 1921 le cabaret qui était situé rue Lepic avait changé d'adresse et s'était installé place Constantin Pecqueur où il laissa carte blanche à Pierre Dac, Raymond Souplex...
Mais l'essentiel de la carrière de Pierre Jacob se passe au cabaret de la Lune Rousse...
C'est un haut-lieu de l'impertinence montmartroise. Quand Pierre Jacob rejoint l'équipe des chansonniers-poètes, le cabaret "historique" surnommé "la Comédie Française de la Chanson" a quitté le boulevard de Clichy pour le 58 rue Pigalle.
C'est là que Pierre Jacob acquiert une honorable renommée de chansonnier un peu Pierrot, pas vraiment méchant, auteur de chansons sympathiques qui ont oublié le mordant et l'insolence de ses prédécesseurs.
Il a du charme, il plaît aux dames et notamment à l'une d'elles, artiste un peu connue, Josia Saint Clair.
Il l'épouse et vit avec elle rue Lepic. Catherine Lara à qui on demandait ce qu'elle remarquait en premier chez un homme répondait "sa femme"!
On serait tenté de faire de même. Josia Saint-Clair est une femme sensuelle et roucoulante. Elle chante avec talent et enchante le Vieux Logis 33 rue Lepic, non loin de son appartement 53 rue Lepic.
Le Vieux Logis aujourd'hui
Elle chante des chansons de son mari ou de quelques autres comme Jean Lumière...
Elle survit à son chansonnier de mari pendant plus de 30 ans et elle arrosa en 2010 son centenaire en même temps que celui de la Pomponnette où elle fut fêtée par le tout Montmartre:
Ce qui a contribué au renom de Pierre Jacob et de sa "célèbre" chanson, c'est le moyen métrage que le réalisateur anglais Christopher Miles tourna en 1968 sur la rue Lepic en filmant la "Course au ralenti" créée par Pierre Labric (maire de Montmartre en 1929 et le premier à avoir descendu à bicyclette les 220 marches de la rue Foyatier).
Pierre Jacob, à bord d'une Torpille Renault de 1911 gravissait la Butte accompagné de sa passagère Vanessa Miles à laquelle il racontait ses souvenirs montmartrois, sur fond musical de sa chanson! (voir le livre de Roussard "Les Montmartrois".
La course au ralenti primait le véhicule qui arrivait le dernier au sommet de la Butte après avoir franchi la distance considérable de 580 mètres!
Nous donnerons à Pierre Jacob le dernier mot, ou plus exactement le dernier couplet de sa célèbre chanson malgré ses clichés et les inévitables moulins !
16 avril. Le marchand de lilas. Station de métro Lamarck-Caulaincourt.
17 avril. Le chat déconfiné. Rue Victor Massé.
18 avril. Retour de plage? Rue Saint-Eleuthère.
19 avril. Dans l'immeuble où vécut Georges Bizet. Rue Fontaine.
20 avril. Rendez-vous au sommet. Rue Muller.
21 avril. C'est le pied! rue Muller.
22 avril. La sortie quotidienne avec son chien. Rue Cardinal Dubois.
23 avril. Le passage Cottin aujourd'hui et du temps d'Utrillo.
24 avril. Le Consulat entre les rues Norvins et Saint-Rustique... le même vu par Utrillo.
25 avril. Contrôle... Place des Abbesses.
26 avril. La foule des confinés devant le glacier "Amorino" rue des Abbesses. Achat, comme le prévoit la loi, "de première nécessité"!
27 avril. Quoi ma gueule? Qu'est-ce qu'elle a ma gueule? (Rue du cardinal Dubois)
28 avril. Profiter d'un moment de soleil!
29 avril. Une maison dans le ciel. rue Ravignan.
30 avril. Rue Saint-Rustique par jour pluvieux.
1er mai. Lever du jour vers Barbès.
2 mai. Paris confiné mais Paris en beauté!
3 mai. Récréation rue Saint-Eleuthère.
4 mai Couvreurs rue Muller (honni soit qui mal y pense!)
5 mai L'homme en rose rue Durantin.
6 mai. Montmartre-plage. Rue Lamarck.
7 mai. Tapis volant.
8 mai. Rue de Steinkerque. Derniers jours de silence
9 mai. Avant l'orage rue André del Sarte.
10 mai. Dernier jour avant le déconfinement. Place Jean-Baptiste Clément.
Et maintenant? Dans quel état sortons-nous de ces 2 mois confinés? Sommes-nous plus vieux, plus fragiles nous qui sommes "personnes à risques" que la responsable européenne et le docteur moliéresque Blachier désiraient laisser enfermés jusqu'en février 2021?
Avons-nous reçu le moindre indice de volonté d'accompagnement de la Mairie de Paris? Avons-nous reçu le moindre masque?
Le coup de gueule d'Ariane Mnouchkine nous fait du bien mais il crie dans le désert comme les poètes et les prophètes.
Verrons-nous encore longtemps tous ces spécialistes de la spécialité, sûrs d'eux et chicaneurs? Verrons-nous encore la porte-parole du gouvernement nous infantiliser?
Alors quel que soit l'avenir, nous avons assisté à une comédie misérable dont notre pays ne sort pas grandi.
Ce fut ma dernière sortie avant le confinement. J'y ai fait une réserve de rêves et de voyages..
En haut du grand escalier du musée Cernuschi tout un monde d'animaux nous attend et parmi eux des brûle-parfum de l'époque Edo.
Cette période qui va de 1600 à 1868 porte le nom de la capitale Edo qui deviendra Tokyo.
La plupart des animaux exposés ici datent de la fin de l'Empire Edo et sont donc à quelques années près contemporains de l'hôtel Cernuschi dont la construction s'achève en 1876.
Il y toutes sortes de brûle-parfums animaux mais on retrouve toujours dans ces œuvres d'art réalisme et stylisation poétique. Un grand art qui saisit la vie sans la copier et qui parfois y ajoute tendresse et humour.
La souris se régale de radis. (Edo)
Il y a au Japon un véritable art du parfum, le Kodo, qui fait partie des trois arts traditionnels avec la Cérémonie du thé et l'Ikébana, la composition florale.
Chiot (Edo)
Des essences rares étaient importées, notamment d'Inde.
Deux perdrix (Edo)
... On se réunissait pour respirer des mélanges d'essences qu'il s'agissait de reconnaître de décrire avec des poèmes.
Trois tortues (Edo)
Cet aspect raffiné de la culture japonaise n'a pas échappé à Des Esseintes, le héros ou anti-héros de Huysmans. Il se fait confectionner un orgue à parfums et fait éclater des "feux d'artifices" olfactifs.
Dragon, Kirin. (Edo)
Dans la poésie japonaise, le parfum est souvent présent.
Paire de renards (fin Edo, 1826)
"L'herbe des champs
Libère sous mes semelles
Son parfum"
(Masaoka Shiki 1866-1909)
Langouste (Edo)
"De quel arbre en fleur ?
Je ne sais
Mais quel parfum!"
(Matsuo Basho 1644-1695)
Coq (Edo)
Le Japon a séduit l'époque symboliste française dans sa peinture et sa poésie....
Lapin (Edo)
"Lecteur, as-tu quelquefois respiré
Avec ivresse et lente gourmandise
Ce grain d'encens qui remplit une église,
Ou d'un sachet le musc invétéré?"
Le parfum (Baudelaire)
Lapin (Edo)
"Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir;
Valse mélancolique et langoureux vertige."
Harmonie du soir (Baudelaire)
Grue (Edo)
"L'odeur des roses, faible, grâce
Au vent léger d'été qui passe,
Se mêle aux parfums qu'elle a mis:" Cythère (Verlaine)
Grues (Edo)
"Tout autour dansaient des parfums mystiques
Où l'âme, en pleurant, s'anéantissait." Marco (Verlaine)
Grue (Edo)
"Quand Marco dormait, oh! quels parfums d'ambre
Et de chair mêlés opprimaient la chambre! Marco (Verlaine)
Grue (Edo)
"Incliné sur ton cou, j'aspirais à pleine âme
Ta vie intense et tes secrets parfums de femme (...)"
Devant la mer un soir (Samain)
Et dans mon appartement montmartrois où je suis confiné.... Je pense à ces brûle-parfums que nul ne peut voir en ce moment... et qui gardent le souvenir de bois, de fleurs et d'encens dont l'esprit exhalé dans une maison japonaise a fait reculer les cloisons et ouvert à ceux qui les respiraient un univers sans confinement...