Elle est l'oiseau des marais que je préfère, demoiselle élégante et précieuse dans son plumage que caresse le soleil.
L'aigrette est un petit héron blanc qui aime l'île d'Oléron, malgré les coups de feu qui dès septembre mettent fin à la tranquillité, à la sérénité des paysages d'eau et de ciel.
Normalement elle n'est pas chassée mais je n'ai pas le courage de ramasser celles que je trouve parfois abattues d'une balle.
Certains chasseurs ne résistent pas à faire un carton sur elles pour se défouler et se rassurer sur leur virilité quand leur prédation a été selon eux trop maigre.
Pourtant la période la plus mortifère pour l'espèce appartient au passé, à la mode de la plume au chapeau.
Les chapeliers ornaient les coiffes des élégantes de leurs plumes immaculées et soyeuses.
Contrairement à ces "élégantes" de jadis, l'aigrette ne porte pas toujours à l'arrière de la tête des plumes qui bougent dans le vent.
Dès l'automne elle les abandonne pour ne s'en coiffer de nouveau qu'au printemps à la saison des amours.
Au pied de la citadelle du Château d'Oléron
Grâce à son adaptation et à sa remontée vers le nord, l'aigrette a pu traverser avec succès l'époque chapelière!
Venue du sud, présente sur tout le pourtour méditerranéen, elle a peu a peu conquis notre façade atlantique dont elle apprécie la douceur et la richesse des zones marécageuses.
Aigrette et mouettes rieuses
Parce que la demoiselle est frileuse dans sa parure de mariée!
Elle fait partie des espèces migratrices qui s'envolent vers l'Afrique quand l'automne et ses froidures s'annonce.
Aigrettes et bernaches
Pourtant, avec le changement climatique et grâce aux ressources que leur offrent les marais de la côte atlantique, certaines ont cessé de migrer.
Marais d'Ors
Elles font leur nid dans les roselières ou comme c'est le cas dans l'île d'Oléron dans de hauts branchages.
Quelques arbres de Saint Trojan ressemblent à des magnolias dont les fleurs blanches seraient des oiseaux.
Aigrettes et héron (Montravail), Oléron)
Si chez nous elles n'ont pas inspiré les poètes et les peintres, il n'en est pas de même au Japon où leur silhouette gracieuse et dansante orne les paravents.
On imagine leur voix harmonieuse et légère...
Il n'en est rien car elles émettent un cri rauque qui ressemble à l'aboiement d'un petit chien hargneux.
Et moi qui l'aime depuis la première fois où je l'ai vue, j'ai envie de lui dire, "ça n'est pas grave, "nobody is perfect!"
Longue vie bel oiseau qui fleurit sur les marais et dont le vol calligraphie des poèmes dans le ciel!
5 août. Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où
Le héron au long bec emmanché d'un long cou... (étang de Montravail)
6 août. Soleil, mer, sourire et la douceur de la peau.
7 août. Premier matin du monde.
8 août. Faire un tout avec les vagues!
9 août. La chevelure explosive
10 août. Momies sur le sable
11 août. Gavroche à la mer
12 août. Famille et chien en marche
13 août. La mère, la mer
14 août. Vider la mer
15 août. Les 3 Grâces.
16 août. Corps et vague
17 août. Instincts guerriers!
18 août. Découverte
19 août. Seul le soir face aux vagues
20 août. Jouer avec la planète!
21 août. Mon ami le goéland
22 août. La main qui libère.
23 août. Maman licorne
24 août. Dans les bras du père et de la mer
25 août. Le garçon et la statue vivante à La Rochelle.
26 août. 3 hommes et un bateau
27 août. Le dragon bleu
27 août. Facile de gagner!
28 août. Rencontre.
29 août. Rayon de soleil le soir après une journée de pluies!
30 août. Peut-être le dernier jour avant la rentrée?
31 août. Dernier jour du mois. La plupart des vacanciers sont partis. Quelques surfeurs reviennent après un rendez-vous manqué avec les vagues. Moment bleu, moment blues, fin de vacances.
C'est à quelques pas de la maison des aïeules où Pierre Loti est enterré qu'un hommage lui est rendu à travers quelques photos.
Le lieu choisi est secret et se découvre en suivant un fléchage qui nous entraîne dans la venelle des Giroflées derrière l'église.
Un endroit qui aurait plu à l'écrivain, comme hors du temps, hors de l'animation estivale.
Nicole et moi sommes les seuls à nous être rendus à ce rendez vous avec Pierre Loti que nous aimons et dont les souvenirs d'enfant nous ont bouleversés, tant est puissant son désir de lutter contre le temps et la mort de ceux qui nous sont chers.
Le fil conducteur de cet accrochage nous invite à le redécouvrir sous trois aspects, le premier étant celui de l'homme intime Julien Viaud
Julien Viaud
I Portrait de Julien Viaud par sa sœur Marie
Le lien qui unissait Julien à sa sœur Marie de 19 ans son aînée était fort. C'est elle qui l'initia au dessin et à l'écriture.
Ce portrait laisse voir le sérieux et déjà la tristesse d'un enfant si attaché à ceux qu'il aime qu'il ne cesse de craindre leur disparition. Un enfant qui s'attache à conserver fleurs et insectes, à les "momifier" pour empêcher leur disparition.
III Julien Viaud en 1908 sur la terrasse de Bakhar-Etchea à Hendaye
En 1891, après ses années de navigation, il revient en France où il commande une canonnière à Hendaye. Il découvre le pays basque, il s'y attache (il écrit alors Ramuntcho) et en 1904 il achète la maison où il mourra en 1923. En basque le nom de la maison qui ne pouvait que lui plaire est : "la Maison du Solitaire".
IV Cliché de Julien Viaud en 1876 avec sa femme Blanche au cours de leur voyage de noces en Espagne (Alhambra de Grenade).
Il a 36 ans lorsqu'il épouse Blanche. Sa mère et sa tante Nelly avaient recherché pour lui "une femme protestante, noble, agréable à regarder, ayant quelque bien et plus petite que lui." (On sait que Loti souffrait de sa petite taille!
V Cliché de 1911 dédicacé à la princesse de Monaco "A la chère princesse Aline, en fraternité d'âme, un qui regarde la vie s'enfuir."
De vrais liens d'amitié lient Loti et la princesse Alice qui aime le recevoir dans son château de Cherré-Au. Elle a été avant Grace Kelly la première américaine ayant le titre.
VI Cliché de 1921. Julien Viaud et son petit fils Pierre dans la jardin de la maison de Rochefort
Dernier cliché de la série, Pierre Loti âgé dans le jardin de Rochefort, avec à ses côtés son petit fils Pierre qui a pour père Samuel, le seul de ses enfants qui soit légitime
Il faudrait des livres entiers pour étudier ce trait si particulier de Loti, sa marginalité, son univers fantasmé. La petite expo en présente quelques uns.
VII Le corset
La célèbre photo où il pose crânement presque nu devant l'objectif. Quelques mots tracés par lui nous donne la raison de ce cliché provocateur : "ça, c'est pour montrer les baleines de mon légendaire corset."
Lors de sa réception à l'Académie, il fut victime de quolibets de certains membres qui prétendirent que sa belle cambrure était accentuée par un corset de femme. Loti leur répond avec cette photo et le message écrit de sa main.
Allusion à son livre "Le roman d'un spahi". Il s'est imprégné au Sénégal de l'ambiance et de la camaraderie de ce corps de la cavalerie française de l'armée d'Afrique. Il aimait se travestir en l'un d'eux.
Etonnante carte qu'il a fait imprimer où l'on voit le profil du monarque à côté du sien. La ressemblance est selon lui frappante : front fuyant, nez busqué, menton...
Il se voyait volontiers comme réincarnation de Ramsès et offrit cette carte à de rares amis avec ces mots qui variaient selon la date des tirages : Sésostris désincarné en 1250 av J.C., Loti non encore désincarné en 1910.
Loti était fasciné par la conservation des corps et il a lui même "momifié" un grand nombre de petits animaux.
IX Le dîner médiéval dans la maison de Rochefort, le 12 avril 1888
Il aimait se travestir et ses repas dans sa maison de Rochefort ont marqué ses contemporains.
La fête du 12 avril 1888 fut spectaculaire et obtint un grand écho dans la presse. Loti voulait rendre hommage à Louis XI, en surcot violet aux revers d'hermine, sa femme Blanche étant déguisée en Charlotte de Savoie, femme du roi. Il y eut des troubadours, des baladins, des chanteurs... et chacun devait s'engager à parler en vieux français!
Loti aimait le cirque et il organisait sur son bateau des spectacles circassiens. Il était lui même capable de prouesses physiques comme l'exécution de triples sauts périlleux!
XII Portrait de Monsieur X (Loti) Par le Douanier Rousseau (1891)
Bien qu'il ne soit pas certain que ce tableau représentât Loti, il est considéré comme tel avec le fez ottoman, la moustache, le chat. Loti aimait les animaux et il avait la passion des chats qui avaient leur carte de visite dans sa maison de Rochefort.
XIII Photogravure couleurs à partir de la caricature de Sem parue dans "Le Rire" en 1898.
Il est élu en 1891 et reçu le 7 avril 92. Il a de sérieux détracteurs dont Dumas fils et quelques appuis fidèles, surtout des femmes. Il a 41 ans et il est alors le benjamin des académiciens. Parmi ses détracteurs quelques uns, à défaut de s'attaquer à son œuvre s'en prennent à une présumée homosexualité. Nous avons vu qu'ils l'accusent de porter un corset de femme!
Son discours de réception lance des piques contre le naturalisme et contre Zola, présent sous la coupole. Par ailleurs, il ne manque pas de surprendre avec des phrases comme "C'est un fait que je ne lis jamais."
XIV 4 portraits de Pierre Loti par Dominique Barreau (2012)
L'artiste oléronais dont le portrait de l'écrivain est exposé au musée St-Hèbre de Rochefort, le représente comme à travers une vitre dépolie, dans un flou qui parle du passage du temps et du lent effacement de la mémoire, obsessions de Loti.
XV Loti avec son crâne marquisien. Photomontage d'Andréas Dettlof (2009) d'après un autoportrait de Loti.
L'artiste qui vit en Polynésie reprend avec un regard critique et un sens de l'humour aiguisé la tradition marquisienne des crânes trophées ou reliques.
Il met dans la main de Loti son crâne bleu et blanc, couleurs pacifique, comme un rappel de sa responsabilité dans la fabrication de l'image que nous avons en Occident des îles lointaines. En même temps, avec cette photo réelle à laquelle est ajouté naturellement le crâne de celui qui est représenté, c'est une fois de plus une image du temps qui s'enfuit, du crâne qui subsiste après le mort, sublimé par l'art (celui du plasticien ou celui de l'écrivain).
XVI Le dernier panneau représente "Loti Phoenix de Rochefort". Photomontage de Coco Fronsac (2018)
Coco Fronsac bien connue pour son art de transformer de vieilles photos, des portraits, pour les introduire dans un nouveau monde, fantaisiste, fantastique, drôle parfois, nous propose cette image de Loti, navigateur, écrivain, rêveur, planté dans son univers mouvant.
J'aime terminer cette rapide visite par cette photo où Loti prend des airs de Charlie Chaplin!
Si vous passez à St-Pierre, après avoir regardé la maison des aïeules, faites un petit crochet par cette venelle proche de l'église où il franchit le brouillard des années pour nous apparaître, vivant et obsédé par la mort, sensuel et ironique, rêveur et joueur, comme ayant dominé celle qui toute sa vie le hanta, celle qu'il appelait "la reine des épouvantements", la mort.
Les cailloux ont envahi la plage de la Giraudière.
L'immensité de sable fin ressemble par endroits à Dieppe sans les falaises ou à Nice sans la baie des Anges.
Il y a sur l'estran tout ce qu'il faut, branches et ficelles, pour donner naissance aux arbres éphémères et à leurs étranges feuilles qui tournent au vent
de Noroît...
Le premier arbre a vécu quelques jours avant d'être saccagé. Je l'ai remis debout et les cailloux ont de nouveau dansé dans le ciel.
L'arbre a plu à certains qui ont accroché de nouvelles pierres à ses branchages. Un kitesurfeur a posé son aile noire à ses côtés et avec sa compagne, il a
ajouté des plumes de goélands, des algues, des coquillages....
Combien de temps l'arbre vivra t-il?
Jusqu'aux grandes marées qui le déracineront?
...et feront tomber sur le sol les cailloux qui rêvaient?
J'ai planté un deuxième arbre plus haut sur la dune. Sa branche ressemble à des bras qui font le mouvement de l'envol.
Il y a parmi les cailloux qui voyagent avec lui quelques uns qui portent encore des traces de peinture...
Le 3 août, un homme s'est noyé. Il a été ramené sur la plage, non loin de l'endroit où se dresse cet arbre. Les sauveteurs, les pompiers ont tenté en vain
de le ranimer.
Le soir, ses proches ont ramassé des cailloux. Ils y ont peint des mots d'amour et d'au-revoir et ils les ont disposés en cercle là où l'homme avait été
ramené.
Un de ces cailloux vit dans l'arbre. On peut y déchiffrer en lettres orange délavées par les vagues : Attends-moi dans le ciel.
2023 année du centenaire de la mort de Pierre Loti. Rochefort rend hommage à cet écrivain, artiste, dessinateur, rêveur qui aima cette ville. Sa maison est en restauration depuis une dizaine d'année. La ville espérait la réouverture cette année. Hélas il faudra attendre encore un an ou deux à cause des travaux de consolidation pour sauver la maison construite sur une ancienne zone de marais.
Cabine de Loti sur La Flore.
En attendant ce jour tant désiré par les lotistes, une exposition passionnante est proposée par le musée Hèbre de Rochefort, consacrée au voyage que fit l'écrivain, à bord de La Flore, en 1872 dans le Pacifique.
L'affiche reproduit un dessin de Loti, un des plus beaux, des plus mystérieux. J'oserais dire sa "Joconde"! Il s'agit de la reine Vaékéhu.
Vaékéhu, née en 1835, a presque cinquante ans lorsque Loti fait sa connaissance pendant les 5 jours où son navire fait escale sur l'île de Nuku Hiva aux Marquises. Elle fait partie d'une famille qui règne sur la baie de Taihoae. Loti est aussitôt impressionné par cette "reine déchue, avec ses grands cheveux en crinière et son fier silence "(...)
Elle pose pour lui dans son ample robe, tenue imposée par les missionnaires qui veulent préserver les faibles hommes de la tentation des seins nus et des corps libres. Décidément les religions aiment couvrir les femmes!
Elle tient un éventail, le tahii qui est réservé aux femmes de son rang. Son visage fier et fermé intrigue Loti :
"Les pensées qui contractent son visage étrange restent un mystère pour tous, et le secret de ses éternelles rêveries est impénétrable. Est-ce tristesse ou abrutissement ? Songe-t-elle à quelque chose ou à rien? Regrette-t-elle son indépendance et la sauvagerie qui s'en va, et son peuple qui dégénère et lui échappe?"
Vaékéhu, son fils, les suivantes Elisabeth et Aléria
Cette description pourrait déranger certains visiteurs : "abrutissement", absence de pensée...
La case de Vaékéhue (dessin de Loti)
Il y a une contradiction apparente entre l'attention que Loti porte à cette femme et cette réflexion que l'on pourrait dire "colonialiste". Même si je sais que l'on peut reprocher à Loti son "racialisme" qui n'est autre que le racisme ordinaire de son époque, je crois comprendre ce qu'il écrit à propos de Vaékéhu. Son regard qui semble s'échapper s'expliquerait par la tristesse qui habite la reine ou par le recours à des "drogues" naturelles qui font planer et que l'on prend justement pour éloigner ce qui nous déprime. Qu'en est-il de la "sauvagerie" et "du peuple qui dégénère".
Gardons-nous du contresens. La sauvagerie n'est pas un terme péjoratif pour un adepte de Rousseau et la thèse du bon sauvage. Dégénérer c'est changer de nature, c'est à dire, passer du bon sauvage au "civilisé". Quelques jours plus tard, à Tahiti, Loti ira à la rencontre des "sauvages", il les admirera et ne trouvera pas leurs mœurs dégénérées!
De nos jours où la pensée woke irrigue la réflexion sur les oeuvres littéraires, Loti n'échappe pas à la critique. Certains de ses ouvrages comme "le roman d'un spahi" contiennent des lignes qui passent mal, comme passent mal des descriptions caricaturales de Juifs dans Aziyadé. Mais il faut se garder d'une telle critique à propos de son séjour en Polynésie et de ces quelques lignes.
Les tatouages auxquels s'intéresse Loti font peut-être partie de cette "sauvagerie" qui s'en va. Il est l'un des premiers à les reproduire, à les dessiner avec précision, conscient qu'ils font partie de la civilisation des Marquises. Il dessine la main de la reine et ses pieds.
Il dessine également les tatouages qui couvrent le corps du fils de la reine.
Après les quelques jours aux Marquises, la prochaine escale sera Tahiti où Pierre Loti rêvait de se rendre depuis que Gustave son frère tant chéri lui avait décrit paysages et habitants. Il en avait rapporté des objets de nacre, des armes, des statuettes.
Gustave Viaud (Marie Bon)
Loti fera le portrait d'une autre reine, Pomaré IV, et il tombera sous le charme de l'île, de ses habitants, de ses mœurs! C'est là que Julien Viaud, comme l'on sait deviendra Loti, nom que lui donnent des suivantes de la reine. C'est là qu'à la vaine recherche d'enfants qu'aurait eus Gustave, il trouve le matériau du roman qui le fera connaître : "Le mariage de Loti", histoire de l'amour qui unit Rarahu une jeune vahiné de 14 ans et Harry Grant un aspirant de marine qui a bien des points communs avec l'écrivain.
Mais c'est une autre histoire. Revenons à la rencontre, pendant 5 jours de Loti et de la reine Vaékéhu. Une rencontre qui fut l'occasion pour Loti de dessiner un portrait, un des plus beaux qu'il ait jamais produits, d'une femme à la fois altière et mélancolique, déchue de son rang par les nouveaux maîtres. Elle reste vivante, avec son étrange regard, avec ses tatouages, grâce aux dessins qui traversent le temps, ce temps qui obsédait Loti. Grâce à lui, la reine Vaékéhu n'a pas été entièrement emportée par "la reine des épouvantements".
Je republie cet article à l'occasion du centenaire de la mort de Pierre Loti... en regrettant que l'exposition qui lui est consacrée au musée de l'île ne dise pas un mot de l'importance qu'eurent pour l'écrivain ses vacances à La Brée.
Elle existe bien la maison où pierre Loti, enfant, a passé des vacances inoubliables qu'il a racontées avec émotion dans Le roman d'un enfant.
Je l'avais cherchée en vain l'été dernier et puis, fin novembre, j'ai reçu grâce à Christine qui habite Saint-Pierre, là où, derrière un grand mur, l'écrivain passe son éternité, avec ses chats, des photos de la fameuse maison.
J'y suis allé en cette fin novembre et je me suis demandé comment j'avais fait pour passer à côté d'elle, alors qu'un chat blanc prenait le soleil sur le trottoir...
Un chat blanc! Mais bien sûr! j'aurais dû y penser!
Pierre Loti, l'amoureux de ses chats pour lesquels il faisait imprimer des cartes de visite, avait délégué un de ces petits félins pour me montrer le chemin!
Au cas où je n'aurais pas compris, un bon chien, à la fenêtre d'en face, m'indiquait de la tête la direction à prendre.
A l'angle de la rue du Général de Gaulle (comment s'appelait-elle du temps de Loti?) et de la rue de Saint-Denis, je l'ai vue cette maison qui appartenait alors au maire de Saint-Georges dont dépendait le village de la Brée.
J'ai ouvert le livre de Pierre loti et j'y ai lu les mots qu'il emprunte à sa soeur, Marie, pour la présenter....
C'était au milieu du village, sur la place, chez M. le maire. Car la maison de M. le maire avait deux ailes, bien étendues sans mesurer l'espace.
Elle éclatait au soleil, éblouissante de chaux; ses contrevents massifs, tenus par de gros crochets de fer, étaient peints en vert foncé suivant l'usage de l'île.
J'ai lu ces pages en m'approchant de la maison. C'était à la fois très doux et très triste de confronter les époques, l'été merveilleux de l'enfance et la réalité d'aujourd'hui.
Un parterre était planté en guirlande tout alentour, poussant vigoureusement dans le sable.
Des belles-de-jour , qui dépassaient de leurs jolies têtes jaunes, roses ou rouges, des fouillis de résédas, et qui s'épanouissaient à midi, avec une douce odeur d'oranger.
En face, un petit chemin creux ensablé descendait rapidement à la plage.
Pierre Loti parle longuement de la grand'côte:
Cette partie de l'île qui regarde le large, les infinis de l'océan; partie sans cesse battue par les vents d'ouest. Ses plages s'étendent sans aucune courbure, droites, infinies, et les brisants de la mer, arrêtés par rien, aussi majestueux qu'à la côte saharienne, y déroulent, sur des lieues de longueur, avec de grands bruits, leurs tristes volutes blanches.
C'est à La Brée que le jeune garçon connaît son premier amour pour une petite fille du village, Véronique, que sa sœur décrit longuement :
A peu près de son âge, un peu plus jeune peut-être, six ou sept ans. Un petit visage doux et rêveur, au teint mat, avec deux admirables yeux gris; tout cela abrité sous une kichenote blanche (kichenote, un très vieux mot du pays, désignant une très vieille coiffure : espèce de béguin cartonné, qui s'avance comme les cornettes des bonnes soeurs, pour abriter du soleil). Véronique se glissait tout près de Pierre, finissait par s'emparer de sa main et ne la quittait plus. Ils marchaient comme des bébés qui se plaisent, se tenant ferme à pleins doigts...Puis un baiser, par-ci par-là. Voudris ben vous biser (je voudrais bien vous embrasser), disait-elle en lui tendant ses petits bras avec une tendresse touchante.
Mais les vacances prennent fin. Pierre ramasse tous ses trésors, ses coquillages et ses cailloux. Il prend place avec Marie dans la voiture qui les emmène. Il voit s'éloigner le village, et, debout sur le chemin de la plage, Véronique qui sanglote...
Marie écrit : Alors je me sentis prise d'une rêverie inquiète en regardant Pierre. Je me demandai : "Que sera-ce de cet enfant?" "Que sera-ce aussi de sa petite amie, dont la silhouette apparaît, persistante, au bout du chemin? Qu'y a-t-il de désespérance dans ce tout petit coeur; qu'y a-t-il d'angoisse, en présence de cet abandon?"
Je n'ai pas cherché à revoir cette maison en cet été 2023 pris de vertige devant le passage si rapide et si indifférent du temps. Il y a dix ans déjà! C'était à la Toussaint...
Article de 2019 repris et complété après l'exposition de l'été 2023 au musée de Saint-Pierre d'Oléron.
Aujourd'hui
La maison des aïeules à Saint-Pierre d'Oléron où Pierre Loti est enterré sous une simple pierre, ne vous ouvrira pas ses portes.
L'écrivain qui a exprimé ses dernières volontés dans son testament, après avoir décrit l'emplacement de sa sépulture a dressé la liste de la dizaine de personnes qui seraient autorisées à lui rendre visite, au maximum deux fois par an.
Cette précaution qui pourrait passer pour de la modestie renforce le mystère et l'attrait du lieu interdit aux "profanes". Toutes proportions gardées (et lesquelles!) il en est de la maison comme de la pyramide où le pharaon repose au plus secret du monument devenu sanctuaire.
Arrivée du convoi funéraire dans le jardin de la maison des aïeules.
Cercueil devant la maison des aïeules
Autant Pierre Loti s'expose dans la maison de Rochefort devenue musée (livrée à une interminable restauration) autant il veut garder privé cet endroit à la fois précieux et douloureux où il a voulu reposer après avoir été emporté par la mort, "la reine des épouvantements".
Le petit bois où repose Pierre Loti
Pierre Loti est dès l'enfance obsédé par le temps qui passe et par la mort qui triomphe toujours. Il collectionne les insectes, les coquillages, les menus objets comme pour les soustraire à la menace. Les chères aïeules font partie de ce monde menacé et précieux.
La maison des aïeules, comme il la nomme, a appartenu à la famille de sa mère, les Renaudin, dès 1677. Ce n'est qu'en 1834 qu'elle est vendue. Sa grand-mère, sa tante Claire et sa cousine Corinne viennent alors vivre à Rochefort où elles parlent souvent de la maison perdue.
Maison de Loti à Rochefort. La mosquée...
Le petit Julien les entend raconter les vieilles histoires oléronaises et peu à peu l'île prend place dans son imagination d'enfant. Malgré ses vacances à la Brée à quelques kms de la maison de Saint-Pierre, il la connaît peu.
Avant de quitter la France pour son "premier départ de marin" il se rend dans l'île pour dire adieu à ses tantes qui vivent non loin de l'ancien domicile familial.
tableau peint par Marie soeur de Pierre Loti. Au centre le petit Julien Viaud (Pierre Loti)
"Ma grand-tante Clarisse, quatre-vingts ans, soeur de ma grand-mère et ruinée définitivement comme elle, m'attendait dans l'un de ses toujours mêmes fauteuils Louis XIV en tapisserie, les plus luxueux débris qu'elle possédât encore de l'aisance ancienne(…) Près d'elle se tenaient ses deux filles, mes tantes à la mode de Bretagne, déjà d'une soixantaine d'années et les cheveux très gris, mais qui cependant se coiffaient d'une manière moins archaïque".
A cette occasion, il se rend dans la vieille maison habitée alors par le pasteur : "On me laissa errer seul dans le grand jardin enclos de murs, où des buis centenaires bordaient les allées, et, tout au fond, dans le bois où dorment nos aïeux huguenots qui furent exclus des cimetières catholiques (...)
Plus tard, en 1899, après la mort des aïeules, le succès littéraire lui permet de racheter la maison. C'est pour lui l'aboutissement, la dernière escale définitive après tant d'autres. C'est là qu'il retournera dans l'enfance heureuse, dans l'amour de sa mère. C'est là qu'il se mêlera à la vieille terre des ancêtres. Il demandera que son cercueil soit défoncé "après sa descente dans la fosse, pour être mieux et plus vite mélangé à la terre".
Tombe de Pierre Loti
C'est au cours de ce voyage d'avril 1899 qu'il retourne dans la maison dont il est devenu propriétaire.
"Elle est là, devant moi, l'antique maison familiale (…) Elle semble être l'âme de ce vieux petit quartier mort qui l'entoure et qui, en plus de sa tristesse d'abandon, exhale aussi l'inexprimable tristesse des îles"...
Il franchit le porche et entre dans la cour :
"Oh! Comment dire l'émotion de voir réapparaître, sous ces nuages de deuil, cette cour silencieuse des ancêtres!... (…) Et voici que j'ai le sentiment de pénétrer chez les morts, chez les aïeules mortes. Nulle part autant qu'ici et à cette heure le passé ne m'avait enveloppé de son linceul."
Il gravit avec respect les marches du perron "où, vers la fin du XVIIème siècle, à ce que l'on m'a souvent conté, de joyeuses petites filles (qui furent mes grand-tantes, mon aïeule, et moururent octogénaires) avaient pour jeu favori de monter et de descendre en courant, sur des échasses."
De l'autre côté de la cour s'élèvent les bâtiments des chais, des pressoirs ainsi que la demeure des domestiques. Il y a là une pièce où comme on le lui a raconté, les enfants se réfugiaient les jours de pluie. Sa mère, avec une bague a gravé son nom sur une vitre.
"Je n'espérais point retrouver cela; mais le carreau a miraculeusement résisté à soixante années de possession étrangère, et la précieuse inscription y est encore! (…) NADINE!...Alors je ferme les yeux et me recueille plus profondément pour me représenter, dans sa petite toilette surannée, l'enfant qui écrivit cela, vers 1820, un soir d'ennui sans doute, en regardant tristement cette même rue de village toujours pareille, un soir où la pluie devait tomber comme aujourd'hui."
Pierre Loti et son fils Samuel
C'est ensuite dans le jardin et le petit bois que Loti marche, habité par les vieilles histoires racontées au cours de veillées familiales. Son fils Samuel qui a fait le voyage avec lui est enthousiasmé par cette nature et fait promettre à son père qu'ils reviendront habiter la maison.
Pierre Loti (Lévy Dhurmer)
"Résider ici, fût-ce même en passant (…) voir chaque matin à mon réveil ce jardin-cimetière, non je ne pourrais plus!... A moins que ce ne soit plus tard dans la suite des années, si, quelque part en Orient, je ne tombe pas au bord d'un chemin… Oui plus tard, qui sait, rentrer pour le déclin de ma vie, puis dormir dans ce vieux sol où gisent des ossements d'ancêtres…"
Départ du cercueil à Rochefort
Samuel à qui il promet cependant de revenir avec lui ne peut savoir que son père dit vrai. Ils y reviendront tous deux et c'est Samuel qui se chargera de défoncer le cercueil dans la fosse où il aura été descendu, afin de respecter les dernières volontés de son père.
On comprend devant l'intensité des sentiments de Pierre Loti confronté à l'irréparable saccage que la disparition des êtres chers provoque en nos vies, qu'il ait voulu s'entourer de silence et que soit refermée la porte "comme on scellerait une entrée de sépulcre".
Et pourtant, il exprime dans Le Roman d'un enfant son désir fou, sa certitude illusoire que l'amour est plus fort que la mort :
Le petit bois et la Lanterne des morts.
En quittant ce lieu simple et hanté, j'ai remarqué qu'au-dessus des arbres du petit bois, on apercevait là-bas, la lanterne des morts, tour romane qui veillait sur le cimetière de Saint-Pierre. On sait qu'une flamme y était allumée chaque nuit pour guider les défunts.
J'aime penser que chaque nuit, elle éclaire Pierre Loti et ses chers fantômes.
Liens :
Oléron
Pierre Loti (Douanier Rousseau)
En complément de cet article, voici quelques peintures et dessins de la maison des aïeules qui font partie de l'exposition proposée par le musée de Saint-Pierre en cette année qui marque le centenaire de la mort de Loti.
Rue d'un village oléronais (Christian Couillaud vers 1940)
Une belle exposition au musée de l'île d'Oléron à Saint-Pierre permet de voyager avec les peintres qui ont, de la fin du XIXème siècle au milieu du XXème aimé notre île dont ils ont voulu fixer sur la toile les lumières.
Entrée du hameau de Sauzelle. (Gaston Boucart - 1910)
Si Oléron n'a pas en ce domaine les lettres de noblesse de la Normandie ou de la Provence, toutes deux immortalisées par les plus grands peintres, c'est qu'elle n'était pas à la mode et n'avait pas aux yeux des parisiens les qualités des régions susnommées (proximité de Paris pour l'une, charme dépaysant de la Méditerranée pour l'autre).
Sur la plage de La Cotinière. Louis Lessieux (1919)
L'île a néanmoins inspiré des artistes, comme elle continue de le faire aujourd'hui, et la richesse de l'exposition en est une preuve éclatante.
Port de La Cotinière vu des tamarins. (Louis Lessieux -1920)
Je n'ai pas voulu suivre le parcours proposé organisé par thèmes : Les ports, la côte, les moulins etc... mais j'ai sélectionné quelques unes des toiles qui m'ont particulièrement plu. Un choix subjectif bien sûr que je qualifierais d'amoureux. Je suis en effet amoureux d'Oléron et je pourrai chanter, un collier de langoustines autour des reins : "J'ai deux amours, Oléron et Montmartre..."
Départ des pêcheurs du Château d'Oléron (1938)
L'exposition s'ouvre avec une toile remarquable de Balande qui représente les pêcheurs quittant le port du Château. Le ciel tourmenté est de ceux que j'aime, comme j'aime ce paysage d'avant le pont, avec le fort Louvois et au loin le clocher de Marennes.
Balande qui est un enfant de Charente (Saujon) s'est formé à Paris, notamment dans l'atelier de Cormon à Montmartre. Quand il habite près de La Rochelle il se noue d'amitié avec Marquet dont l'influence est sensible dans son travail.
Le Phare de Chassiron (Balande. 1950)
Une autre de ses toiles représente dans un style à la fois vigoureux et coloré le phare de Chassiron, le point extrême de l'île.
Anse et prieuré de La Perroche (Louis Alphonse Combe-Velluet 1880)
Beau paysage qui traduit bien la lumière précise de l'île surnommée "la lumineuse". Si l'influence de Corot y est manifeste c'est qu'Alphonse Velluet le connut et sur ses conseils décida de se consacrer aux paysages. Un petit détail amusant sur le nom du peintre qui se transforma en Combe-Velluet, s'inspirant du nom de sa femme Lucie lacombe. Cette modification visait à figurer dans les premières lettres afin d'être exposé dans les salons dans les premières salles qui avaient l'habitude de classer les peintres par ordre alphabétique.
Rue de village (Louis Suire - 1950)
Plus moderne dans son épure la rue de village de Louis Suire va à l'essentiel par sa composition entre lumière sur les murs blancs et ombre. Deux oléronaises coiffées de leur quichenotte animent sans prendre la vedette cette scène ensoleillée.
Louis Suire (1899-1987) est un peintre charentais qui avait connu à Paris le fauve Albert Marquet. Il avait une maison dans l'île de Ré mais explora à plusieurs reprises Oléron, notamment pour illustrer le livre d'Yvan Delteil paru en 1935 : "L'île d'Oléron, la dernière escale de Pierre Loti".
Moulin des Anglais à La Brée-Les-Bains. (Mario Pinetti - vers 1950)
Sortie du chenal de Boyardville (Mario Pinetti)
Loin des scènes ensoleillées dont on a l'habitude, Pinetti privilégie les ciels gris et les nuances vertes des chenaux.
Italien d'origine Pinetti (1895-1964) remporta de nombreux prix dont une médaille d'or au Salon des Artistes Français. Grand voyageur, c'est à Oléron qu'il choisit de se fixer avec sa famille et d'installer son chevet dans les marais dont il aimait les nuances de gris soudain pailletés de soleil.
Moulin de La Cotinière (Louis Lessieux 1920)
Les deux peintres oléronissimes sont le père et le fils Lessieux. Il y a souvent confusion entre les deux car l'un se prénomme Ernest Louis (1848-1925) et l'autre Louis Ernest (1874-1938)! Nous sommes allés à la rencontre de Louis Lessieux dans un article que nous lui avons consacré.
Plage nord de La Cotinière (Louis Lessieux. 1921)
Après les deux tableaux du fils, voici deux tableaux du père
Rue du Colombier à La Cotinière (Ernest Lessieux 1910)
Ce dernier tableau je le préfère aux innombrables aquarelles qui donnent parfois dans le cliché!
Anse de Maumusson (Ernest Lessieux vers 1910)
Vers le pertuis de Maumuson (Jean-Baptiste Castaignet - 1910)
Peu de tableaux de tempêtes ou d'océan dans cette exposition. Parfois comme ici le jeu de la lumière sur l'eau qui ressemble à une rivière dans le pertuis. Tous les amoureux des rivages aiment ces moments où le soleil dessine à la surface de la mer ces grands chemins qui brillent comme des miroirs.
Anse de Saint-Trojan vue de Marennes (Castaignet - 1919)
Jean-Baptiste Castaignet (1852-1934) est clerc de notaire à Bordeaux et peintre une fois hors de son étude. Il aime les contrastes et les teintes sombres à la Courbet.
Bien que l'île d'aujourd'hui se prêtât aux représentations naîves avec ses petites maisons, ses cabanes de couleurs, ses bateaux bariolés et ses roses trémières, nous trouvons peu de représentants de cette école, comme celui, resté anonyme de cette rue de Saint-Pierre :
Ou comme cette vue de la plage du Château due à Willy, peintre sur lequel je n'ai rien trouvé.
Peut-être est-ce lui qui représenta ces navires de pêche sur l'océan à St Jean de Monts.
Toujours dans cette sensibilité nous découvrons une belle toile de Camille Laroche peinte en 1910 au nord de l'île. La plupart des oeuvres représentées sont peintes au sud de l'île, si on excepte Chassiron et Saint-Pierre, partie plus touristique et plus proche....
Place de l'église à Saint-Denis
Parmi les toiles qui m'ont intéressé figurent celles d'Yvon Massé :
Plage du port du Château ('Massé - 1944)
Quai et cabanes du port de St-Trojan (Yvon Massé - 1942)
Les paysages sont peints avec légèreté et en ce qui concerne le quai de St-Trojan quelque chose de naïf là encore. Notons que le quai n'a pas beaucoup changé même si quelques cabanes se sont métamorphosées en restaurants (dont le très bobo "Poissons Rouges) et en galeries d'art.
Le port aujourd'hui
On retrouve le quai aux cabanes de Saint-Trojan dans la toile d'Ernest chevalier. Le port modeste aux cabanes de planches a plu aux peintres, comme il plaît aujourd'hui aux photographes amateurs dont je suis.
Ernest Chevalier. Port et cabanes de Saint-Trojan (1900)
Ernest Chevalier (1862-1917) est un artiste très lié aux peintres de son temps, que ce soit Puvis de Chavannes ou, à Montmartre, Toulouse Lautrec et Satie.
Café l'Océan à Saint-Georges (Auguste Heiligenstein -1930)
Une toile nocturne et onirique d'Auguste Heiligenstein (1891-1976) qui vient de Saint-Denis, non pas celui d'Oléron mais celui de la Seine-Saint-Denis! Il est céramiste, émailleur, maître vitrier et peintre.
Sortie du port de Saint-Trojan (P. Bonnin, 1884)
Deux toiles me paraissent fort belles, signées de P. Bonnin sur qui je n'ai rien trouvé et dont l'exposition ne nous dit pas un mot.
Port de Saint-Trojan (P. Bonnin - 1884)
Je voudrais terminer par une aquarelle sans grand intérêt sinon celui de nous montrer deux moulins dans la ville du Château :
Le moulin de la quille de chien, au Château. (François Desnoyers - 1920)
Desnoyers (1894-1972) fut élève de Bourdelle avant de découvrir à Paris le fauvisme dont il sera un représentant.
L'intérêt de cette aquarelle est de nous montrer deux moulins parmi les nombreux moulins que comptait l'île (une parenté avec ma butte favorite). Celui qui est au 2ème plan a été sacrifié aux appétits des promoteurs, le second qui faillit être détruit a été sauvé ainsi que la maison du meunier. Il est aujourd'hui au milieu d'un parking de supermarché!
Je préfère terminer sur ce paysage incertain, animé par les pêcheuses à pied coiffées de leur quichenotte qui accrochent la lumière.
Départ de pêche à pied au Château d'Oléron (1914)
Un coup de chapeau aux organisateurs de l'exposition qui propose des fiches sur la plupart des peintres exposés et qui a sélectionné des œuvres de grand intérêt, déclarations d'amour à cette île changeante, miroitante, entre vents et marées. Une île qui supporte mal le pont qui l'enchaîne et semble ruer les jours de tempête pour se libérer et prendre le large!
Certains de mes lecteurs m'ont interrogé sur Pierre Loti qui est pour moi un de nos grands écrivains (pas seulement pour moi!)
La maison des aïeules choisie comme dernière demeure par Pierre Loti
Profitant d'une nouvelle visite à Saint-Pierre où il dort, délivré du "grand épouvantement" je republie cet article, un de ceux que j'ai consacrés à cet homme que j'admire.
Contemporain de Proust mais combien différent, aussi voyageur que l'autre était casanier, Loti n'en reste pas moins obsédé par le passage du temps et la disparition des êtres chers. Ses romans autobiographiques sont, à leur manière, une recherche du temps perdu... une tentative sans illusion de le retrouver et de lui donner un sursis de mémoire, aussi durable que le succès de librairie, "l'éternité" de papier.
Dans l'île d'Oléron où je passe l'été, je pense souvent à lui qui aimait ce berceau de ses aïeux huguenots et qui désira être enterré dans le jardin de la maison de Saint-Pierre.
J'ai relu son "Roman d'un enfant" et "Prime jeunesse" et j'ai noté quelques passage révélateurs de sa sensibilité tourmentée, de son incapacité à vivre pleinement le présent menacé de disparition. La mort qu'il appelle "la reine des épouvantements" est présente dans son œuvre où elle règne en despote...
Il écrit le "Roman d'un enfant" à 40 ans, en pleine maturité et en pleine gloire (il sera reçu bientôt à l'Académie) tandis que "Prime jeunesse", plus amer, plus désabusé paraît 30 ans plus tard, quatre ans avant sa mort.
"... Laisser un journal que des survivants liront peut-être… C'est ce que j'ai fait ici, et je prie ceux qui jetteront les yeux sur ce livre, de l'excuser, comme la tentative désespérée d'un de leurs frères qui va sombrer demain dans l'abîme et voudrait, au moins pour un temps, sauver ses plus chers souvenirs."
Prime Jeunesse (Un court prélude)
" Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour?...
(…) Oserai-je dire ici que Lamartine m'était déjà antipathique, dès le collège, par sa poserie et son grand profil pompeux; cependant le début incontestablement splendide de ce poème, que je m'étais presque lassé d'accompagner si souvent au piano, avait peut-être amené en moi le premier éveil de mes terreurs en présence de notre course au néant…"
Prime jeunesse (chap.III)
"Ce fut sans doute un des malheurs de ma vie d'avoir été beaucoup plus jeune que tous les êtres qui m'aimaient et que j'aimais, d'avoir surgi parmi eux comme une sorte de petit Benjamin tardif sur lequel devaient converger fatalement trop de tendresses, - et puis d'être laissé si affreusement seul pour les suprêmes étapes de la route!"
Prime jeunesse (chap. III)
"Pour nous qui n'avons pas de durée et qui ne devinerons jamais le pourquoi de rien, la presque éternité des plantes frêles ajoute encore à l'immense étonnement douloureux que l'ensemble de la Création nous cause…"
Prime jeunesse (chap.XX)
Après la mort de sa chère tante Claire, il conserve sa chambre intacte, comme un sanctuaire.
"Voici trente ans bientôt qu'elle nous a quittés, et sa chambre est restée telle que si elle venait d'en sortir pour revenir demain; dans ses tiroirs, dans ses armoires, elle retrouverait toutes ses petites affaires, devenues pour moi des reliques."
Prime jeunesse (chap. XXIII)
"La pensée que le visage de ma mère pourrait un jour disparaître à mes yeux pour jamais, qu'il ne serait qu'une combinaison d'éléments susceptibles de se désagréger et de se perdre sans retour dans l'abîme universel, cette pensée, non seulement me fait saigner le cœur, mais aussi me révolte, comme inadmissible et monstrueuse."
Le Roman d'un enfant (chap.V)
Il raconte comment une lecture qui lui est faite, alors qu'il n'a que 7 ans le touche… Tante Claire lit l'histoire d'un petit garçon qui s'est enfui de la maison familiale et n'y revient que des années plus tard. ses parents et sa sœur sont morts. L'enfant va dans le vieux jardin abandonné et trouve sur le sol une perle bleue qui a appartenu à sa sœur...
"Oh! Alors je me levai, demandant que l'on cessât de lire, sentant les sanglots qui me venaient… J'avais vu, absolument vu, ce jardin solitaire, et, à moitié cachée sous ces feuilles rousses, cette perle bleue, souvenir d'une sœur morte… Tout cela me faisait mal, affreusement, me donnait la conception de la fin languissante des existences et des choses, de l'immense effeuillement de tout…"
Le Roman d'un enfant (chap.XIII)
Il se rappelle les veillées dans le salon rouge avec, autour de lui sa mère, sa grand-mère, ses tantes, sa sœur….
"Hélas! avec quel recueillement triste je les passe en revue, ces figures aimées ou vénérées, bénies, qui m'entouraient ainsi les dimanches soir; la plupart ont disparu et leurs images, que je voudrais retenir, malgré moi se ternissent, s'embrument,, vont s'en aller aussi…"
Le Roman d'un enfant (chap.XXIII)
Adolescent, il regarde les objets du quotidien utilisés par sa mère et il pense au jour où elle ne sera plus là pour les utiliser :
"Et sa corbeille à ouvrage, toujours celle d'autrefois, que je l'ai priée de ne jamais changer, même malgré un peu d'usure, - et les différents bibelots qui s'y trouvent, étuis, boîtes pour les aiguilles, écrous pour tenir les broderies! - L'idée que je pourrai connaître un temps où les mains bien-aimées qui touchent journellement ces choses ne les toucheront jamais plus, m'est une épouvante horrible contre laquelle je ne me sens aucun courage. Tant que je vivrai, évidemment, on conservera tout tel quel, dans une tranquillité de reliques; mais après, à qui écherra cet héritage qu'on ne comprendra plus; que deviendront ces pauvres petits riens que je chéris?
Le Roman d'un enfant (chap. LIII)
Quand il pense à la profession qu'il devra exercer (il est question qu'il étudie à Polytechnique) et qu'il regarde les hommes mûrs qui sont passés par là :
"Il faudra un jour être comme l'un d'eux, vivre utilement, posément, dans un lieu donné, dans une sphère déterminée, et puis vieillir, et puis ce sera tout… alors une désespérance sans bornes me prenait; je n'avais envie de rien de possible ni de raisonnable; j'aurais voulu plus que jamais rester un enfant, et la pensée que les années fuyaient, qu'il faudrait bientôt, bon gré, mal gré, être un homme, demeurait pour moi angoissante."
Le Roman d'un enfant (chap.LIII)
Il tient un journal et il souhaite qu'il soit brûlé à sa mort et que personne ne lise ses pensées secrètes. Plus tard, il se rend compte qu'il a changé :
"J'en suis venu à chanter mon mal et à le crier aux passants quelconques, pour appeler à moi la sympathie des inconnus les plus lointains; - et appeler avec plus d'angoisse à mesure que je pressens davantage la finale poussière… Et, qui sait? en avançant dans la vie, j'en viendrai peut-être à écrire d'encore plus intimes choses qu'à présent on ne m'arracherait pas, - et cela pour essayer de prolonger, au-delà de ma propre durée, tout ce que j'ai été, tout ce que j'ai pleuré, tout ce que j'ai aimé…"
Le Roman d'un enfant (chap.LVIII)
Le moment du réveil, le matin, est particulièrement important, c'est alors que se présentent à nous les tristesses, les inquiétudes….
"Plus tard, ils devaient bien s'assombrir , mes réveils! Et ils sont devenus aujourd'hui l'instant de lucidité effroyable où je vois pour ainsi dire les dessous de la vie dégagés de tous ces mirages encore amusants qui, dans le jour, reviennent me les cacher; l'instant où m'apparaissent le mieux la rapidité des années, l'émiettement de tout ce à quoi j'essaie de raccrocher mes mains, et le néant final, le grand trou béant de la mort, là tout près, que rien ne déguise plus."
Le Roman d'un enfant (chap. LXVIII)
Le roman d'un enfant se termine sur une évocation des étés passés dans le midi, des étés de soleil et de jeux. Pierre Loti revient dans la maison où il a connu ces vacances de rêve. Tout a changé, tout s'est "rapetissé".... Il lui semble entendre une chanson des rondes du passé...
"(…) La petite voix était flutée, bizarre; surtout elle était triste, triste à faire pleurer, triste comme pour chanter, sur une tombe, la chanson des années disparues, des étés morts."
La reine des épouvantements a cessé de tourmenter Pierre Loti. Pourtant il lui échappe en partie et reste vivant grâce à ses écrits. La maison de Rochefort dont il a tant parlé, où il a été si heureux et si malheureux rouvrira bientôt ses portes, rénovée, telle qu'elle était jadis…avec les bibelots, les collections, les objets qu'il aimait tant...
Il est le seul à ne pas le savoir là où ses restes reposent, dans le jardin de la maison des aïeules dans l'île d'Oléron..