Elles se trouvent si bien dans l'île d'Oléron qu'elles seraient capables d'oublier leur instinct migrateur et d'y vivre aussi longtemps que les chasseurs les épargneraient!
Mais dès la mi-septembre elles sont leur proie facile n'étant pas farouches. Lentes à l'envol elles sont la cible idéale des novices et des maladroits!
"Si les bernaches avaient des fusils, il y aurait beaucoup moins de chasseurs"!
Encore ont-elles plus de chance que leurs presque jumelles, les oies cendrées dont le lobby des chasseurs demande chaque année la prolongation du canardage, un mois de plus en pleine période de migration! Malgré les directives européennes, malgré les condamnations du Conseil d'Etat, chaque année, le gouvernement prononce cette prolongation illégale avant d'être condamné et de payer des amendes que ne devraient régler que les chasseurs et non les opposants à la chasse!
Oie cendrée (cliché Anser anser)
Revenons à notre bernache qu'on appelle parfois "oie noire" et qui au Canada porte le nom d'outarde. Nous la trouvons dans un des beaux poèmes de Félix Leclerc.
Photo La presse
La Vie
Plus fragile que la feuille à l'arbre
La vie
Plus lourde que montagne au large
La vie
Légère comme plume d'outarde si
Tu la lies à une autre vie
Ta vie
La plume de l'outarde si elle est légère est également solide et elle sert à confectionner les becs (plectres) des clavecins. Ainsi quand vous écoutez Bach, Purcell, Couperin ou Rameau c'est grâce à ces oiseaux majestueux que s'envolent les notes.
Si on ne les massacre pas pendant leur migration, les bernaches peuvent vivre jusqu'à 24 ans et mettre au monde cinq à sept petits à chaque couvaison.
La plupart du temps elles vivent en couple et restent fidèles. Quand la femelle s'absente du nid, le mâle prend la relève.
Les quatre croupions!
Je souhaite longue vie à celles que je rencontre dans l'île d'Oléron bien que leur espérance d'échapper aux chasseurs soit une question de chance. On tire sur la première qui dirige le vol en formation de V. La deuxième prend sa place. On tire sur la deuxième, la troisième prend sa place.... parfois il n'en reste pas une.
Et on est fier d'avoir abattu un oiseau royal dont l'envergure peut atteindre presque deux mètres.
La bernache n'étant pas méchante, ses 5 ou 6 kilos n'atterrissent pas sur la tête de ses tueurs. Si tel était le cas, peut-être cesserait-elle d'être criblée de plombs.
Consolons-nous en écoutant "le clavecin bien tempéré" dont la musique grâce aux outardes est autrement vivante et harmonieuse que les pétarades des chasseurs.
Chaque début d'été c'est une fête et un plaisir de retrouver les ruelles fleuries de l'île d'Oléron.
Mais cette année 2020 décidément différente des autres années, les roses trémières toujours belles ont cependant un petit air fatigué, comme si le confinement leur avait porté un coup sur le pétale!
Cela est dû sans doute à un mois de mai de plein soleil et de chaleur estivale suivi d'un mois de juin pluvieux à l'excès. Les roses en ont gardé un côté chiffonné et las.
J'ai photographié quelques unes d'entre elles sur le port de Saint-Trojan où les cabanes de couleurs leur offrent le cadre idéal qui sied à leur beauté fragile.
Sur la tombe de notre chatte Bella morte en septembre dernier, une rose trémière s'est élancée vers le ciel. C'est la seule de notre petit jardin.
j'offre à ces fleurs fidèles le poème que j'ai écrit pour elles. Je le redis chaque année quand je les retrouve, droites contre vents et marées, la tête dans le soleil.
La rose trémière
La rose dans mon île est rose du vertige
Sur sa dernière fleur il pousse une autre fleur
Qui se hausse du col au sommet de sa tige
Et par-dessus le mur jette un oeil en couleur
La rose dans mon île est la rose trémière
Elle est née au printemps sur le chemin de pierres
Dans la ruelle étroite au pied des maisons blanches
Ier septembre. Dernier jour de surveillance de la plage. Derniers vacanciers dans les vagues!
2 septembre. La plage est aux aînés!
3 septembre. Retour des bécasseaux!
4 septembre. Le goéland… "C'est l'âme d'un matelot qui plane au-dessus des flots".
5 septembre. Surf matinal.
Souvent ce mois est somptueux, estival sans excès. Les vacanciers sont rentrés chez eux. Arrivent alors, avec leur mobil-home, les retraités aux cheveux d'argent, couleur d'écume.
5 septembre. La famille en balade.
6 septembre. L'épave du Presidente Viera. St-Trojan.
7 septembre. Allons à la pêche aux tellines (ici les louisettes).
8 septembre. Châteaux Chapeaux.
9 septembre. Les surfeurs délivrés des "baignassoutes"... (les baigneurs en langage local un tantinet méprisant!)
10 septembre. Le retour du guerrier.
Et puis, après deux semaines ou parfois trois, ils s'en vont à leur tour. L'île appartient aux rêveurs, aux surfeurs, aux promeneurs avec leur chien. Elle redevient sauvage avec ses grandes marées qui dévorent les plages, avec le vent d'ouest qui se fait plus mordant et qui disperse les goélands.
11 septembre. Le repos du surfeur.
12 septembre. Un penchant pour la lecture.
13 septembre. Jouer avec le globe terrestre!
14 septembre. Surfeurs avec l'été revenu!
15 septembre. Le repos de la guerrière.
16 septembre. Le chien et Superman. Plage de St-Trojan
17 septembre. Mon amie la mouette rieuse
18 septembre. Médusées par la méduse.
19 septembre. L'homme meilleur ami du chien.
20 septembre. Chacun sa trajectoire.
21 septembre. Comme un papillon.
22 septembre. Goéland du soir.
C'est le 22 septembre que la décision a été prise d'euthanasier notre petite chatte recueillie il y a 6 ans au refuge de la ville voisine. Le vétérinaire nous attend le 24 à 10h30.
23 septembre. La mère des goélands. La Cotinière.
24 septembre. Aujourd'hui mort de notre Bella. 6 années de tendresse et des larmes.
L'été s'est arrêté pour nous ce jour-là. Dans quelques jours nous rentrerons à Paris sans elle. Avec Plume recueillie le même jour et qui la cherche partout où elle allait, partout où elle dormait, partout où elle se cachait.
25 septembre. L'automne est bien là.
26 septembre. Le rhinocéros.
27 septembre. Le pêcheur et la mer.
28 septembre. Le sauteur de dunes
29 septembre. La marée montante.
30 septembre. L'inquiétude.
"Aimer c'est être inquiet"
Dernière photo de notre île où nous laissons de beaux jours, des moments de tendresse et notre petite compagne.
Dans l'église Notre Dame de la Mer qui domine le port et les chalutiers de La Cotinière, une chapelle est consacrée aux gens de mer.
Les couleurs égaient l'église sombre un peu écrasée par une charpente, remarquable certes, mais lourde.
Les vitraux sont dus au maître verrier Jean Lesquibe (1910-1995) qui a créé des murs de lumière dans plus de 75 églises, chapelles ou oratoires en France et à l'étranger.
Un premier vitrail rappelle la prière bretonne : "Protège-moi mon Seigneur. Ma barque est si petite et ta mer est si grande"
Le deuxième commémore en 1966 le centenaire de la création d'une station de sauvetage (une des premières de France) à La Cotinière.
… ll rend hommage aux Péris en mer et à ceux qui tentent au péril de leur vie de les sauver.
Sur les murs des croix sont alignées. C'est la seule église de l'île où le nom des morts sont inscrits sur des croix et non sur des plaques de cuivre.
Il y aurait là l'influence des marins bretons venus à La Cotinière au XIXème siècle pour apprendre aux pêcheurs oléronnais l'art de piéger les sardines. Dans les îles de Sein et d'Ouessant ces croix qui sont courantes portent le nom de proellas.
Deux maquettes de bateaux naviguent immobiles au-dessus des croix. La première maquette est celle de la Muiron.
Elle a été offerte par un marin pêcheur de La Cotinière, Etienne Tétaud. Il a voulu par cette offrande, remercier le Ciel de l'avoir protégé pendant les tempêtes et les épreuves.
La Muiron au Musée de la Marine
La Muiron est une frégate capturée par Bonaparte pendant la Campagne d'Egypte. Une maquette en a été faite sur demande de l'Empereur pour commémorer l'acte héroïque du colonel Muiron qui lui avait sauvé la vie. Sur le pont d'Arcole il s'était jeté devant lui pour le protéger et recevoir en pleine poitrine la balle qui lui était destinée.
La maquette est exposée au musée de la Marine et c'est elle que copia le marin pêcheur de La Cotinière...
La 2ème maquette est celle du Père Emile. Son origine est mystérieuse, son donateur n'a pas voulu qu'on le connaisse quand il a offert l'ex voto au curé de la paroisse qui s'appelait Emile.
Une croix plus grande porte le nom des dix victimes du naufrage de l'Essor lors de la Fête de la Mer, le 11 août 1996.
Comme chaque année, en mémoire des péris en mer et des disparus, une grande fête avait lieu à La Cotinière. Le port et les bateaux étaient pavoisés, l'ambiance était au sourire… Le patron de l'Essor avait embarqué sa famille et des passagers sans doute trop nombreux (son navire n'avait droit selon le certificat de l'Inspection maritime qu'à une vingtaine de personnes.)
Quand le curé jeta la gerbe de fleurs à la mer après l'avoir bénie, tout le monde se précipita du même côté, une vague prit le bateau par l'arrière et précipita le naufrage.
Loïc Riou patron du bateau perdit 7 membres de sa famille.
En quittant l'église j'ai rencontré sur le port celle que j'appelle "la mère des goélands".
Malgré les interdictions et les remontrances, elle est chaque jour sur le quai où elle nourrit les goélands voraces qui l'entourent...
J'ai pensé, alors que je venais de lire les noms des péris et des disparus en mer dans l'église, à la chanson écrite par Lucien Boyer pour Damia :
Les cabanes ostréicoles du port du Château d'Oléron sont devenues un atout touristique. Repeintes, retapées, elles ont pour la plupart oublié leur vocation huîtrière...
Des artistes de toute sorte les occupent et proposent aux touristes leurs créations. Un pont très fréquenté passe au milieu de ce quartier multicolore et vivant en été.
Ce pont s'appelait "le pont vert" jusqu'au jour où un collectif d'artisans et d'artistes a eu l'idée de lui donner un pouvoir magique, celui de réaliser les rêves de ceux qui passant par là, y accrocheraient une coquille d'huître sur laquelle ils auraient écrit leurs désirs.
Il devint alors alors "le pont des rêves".
Le collectif FOHF (Fournisseur Officiel d'Huîtres à Ficelle) mit à disposition des visiteurs des coquilles lavées, trouées, avec des bouts de ficelle prêts à être noués sur les grilles du pont.
Le Montmartrois que je suis regrette que les commerçants de la Butte n'aient pas eu l'idée de proposer une alternative aux sinistres cadenas accrochés devant le Sacré-Coeur.
Toutes les idées sont bienvenues! Palettes de peintre miniatures, jarretières du Moulin rouge....
Et pourtant… Une huître me contredit avec humour...
On trouve, écrits à l'encre végétale des voeux et des rêves dont la plupart du temps la banalité nous lasse. Mais quoi de plus sincère et de plus évident que de demander l'amour et la santé pour soi et pour ceux qu nous sont chers...
J'ai photographié quelques unes de ces coquilles. Sans doute n'ai-je pas vu les plus étonnantes, les plus rêveuses. Il y en a plus de mille!
Certaines inscriptions sont illisibles, délavées… D'autres ont complétement disparu…
C'est selon les initiateurs du site, leur destinée positive. En effet, les mots emportés par les embruns tombent dans le chenal et sont emportés à la mer.. C'est là dans l'écume et la houle qu'ils se réalisent…
Alors je souhaite à mon tour que l'enfant qui rêvait d'avoir un chien ait rencontré son compagnon à quatre pattes, que celui qui voulait un cheval galope dans ses rêves réalisés...
Un souhait direct et matériel !
Mes deux préférés, je les garde pour la fin! Le premier plein d'humour rêve que Léonardo DiCaprio survive au naufrage du Titanic
Le dernier est le plus beau…
Espérons qu'il se réalisera pour le poète qui l'a écrit.
A défaut il aura toujours pour enchanter ses balades les couleurs des cabanes du port, le ciel et les nuages, les merveilleux nuages...
Contemporain de Proust mais combien différent, aussi voyageur que l'autre était casanier, Loti n'en reste pas moins obsédé par le passage du temps et la disparition des êtres chers. Ses romans autobiographiques sont, à leur manière, une recherche du temps perdu... une tentative sans illusion de le retrouver et de lui donner un sursis de mémoire, aussi durable que le succès de librairie, "l'éternité" de papier.
Dans l'île d'Oléron où je passe l'été, je pense souvent à lui qui aimait ce berceau de ses aïeux huguenots et qui désira être enterré dans le jardin de la maison de Saint-Pierre.
J'ai relu son "Roman d'un enfant" et "Prime jeunesse" et j'ai noté quelques passage révélateurs de sa sensibilité tourmentée, de son incapacité à vivre pleinement le présent menacé de disparition. La mort qu'il appelle "la reine des épouvantements" est présente dans son œuvre où elle règne en despote...
Il écrit le "Roman d'un enfant" à 40 ans, en pleine maturité et en pleine gloire (il sera reçu bientôt à l'Académie) tandis que "Prime jeunesse", plus amer, plus désabusé paraît 30 ans plus tard, quatre ans avant sa mort.
"... Laisser un journal que des survivants liront peut-être… C'est ce que j'ai fait ici, et je prie ceux qui jetteront les yeux sur ce livre, de l'excuser, comme la tentative désespérée d'un de leurs frères qui va sombrer demain dans l'abîme et voudrait, au moins pour un temps, sauver ses plus chers souvenirs."
Prime Jeunesse (Un court prélude)
" Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour?...
(…) Oserai-je dire ici que Lamartine m'était déjà antipathique, dès le collège, par sa poserie et son grand profil pompeux; cependant le début incontestablement splendide de ce poème, que je m'étais presque lassé d'accompagner si souvent au piano, avait peut-être amené en moi le premier éveil de mes terreurs en présence de notre course au néant…"
Prime jeunesse (chap.III)
"Ce fut sans doute un des malheurs de ma vie d'avoir été beaucoup plus jeune que tous les êtres qui m'aimaient et que j'aimais, d'avoir surgi parmi eux comme une sorte de petit Benjamin tardif sur lequel devaient converger fatalement trop de tendresses, - et puis d'être laissé si affreusement seul pour les suprêmes étapes de la route!"
Prime jeunesse (chap. III)
"Pour nous qui n'avons pas de durée et qui ne devinerons jamais le pourquoi de rien, la presque éternité des plantes frêles ajoute encore à l'immense étonnement douloureux que l'ensemble de la Création nous cause…"
Prime jeunesse (chap.XX)
Après la mort de sa chère tante Claire, il conserve sa chambre intacte, comme un sanctuaire.
"Voici trente ans bientôt qu'elle nous a quittés, et sa chambre est restée telle que si elle venait d'en sortir pour revenir demain; dans ses tiroirs, dans ses armoires, elle retrouverait toutes ses petites affaires, devenues pour moi des reliques."
Prime jeunesse (chap. XXIII)
"La pensée que le visage de ma mère pourrait un jour disparaître à mes yeux pour jamais, qu'il ne serait qu'une combinaison d'éléments susceptibles de se désagréger et de se perdre sans retour dans l'abîme universel, cette pensée, non seulement me fait saigner le cœur, mais aussi me révolte, comme inadmissible et monstrueuse."
Le Roman d'un enfant (chap.V)
Il raconte comment une lecture qui lui est faite, alors qu'il n'a que 7 ans le touche… Tante Claire lit l'histoire d'un petit garçon qui s'est enfui de la maison familiale et n'y revient que des années plus tard. ses parents et sa sœur sont morts. L'enfant va dans le vieux jardin abandonné et trouve sur le sol une perle bleue qui a appartenu à sa sœur...
"Oh! Alors je me levai, demandant que l'on cessât de lire, sentant les sanglots qui me venaient… J'avais vu, absolument vu, ce jardin solitaire, et, à moitié cachée sous ces feuilles rousses, cette perle bleue, souvenir d'une sœur morte… Tout cela me faisait mal, affreusement, me donnait la conception de la fin languissante des existences et des choses, de l'immense effeuillement de tout…"
Le Roman d'un enfant (chap.XIII)
Il se rappelle les veillées dans le salon rouge avec, autour de lui sa mère, sa grand-mère, ses tantes, sa sœur….
"Hélas! avec quel recueillement triste je les passe en revue, ces figures aimées ou vénérées, bénies, qui m'entouraient ainsi les dimanches soir; la plupart ont disparu et leurs images, que je voudrais retenir, malgré moi se ternissent, s'embrument,, vont s'en aller aussi…"
Le Roman d'un enfant (chap.XXIII)
Adolescent, il regarde les objets du quotidien utilisés par sa mère et il pense au jour où elle ne sera plus là pour les utiliser :
"Et sa corbeille à ouvrage, toujours celle d'autrefois, que je l'ai priée de ne jamais changer, même malgré un peu d'usure, - et les différents bibelots qui s'y trouvent, étuis, boîtes pour les aiguilles, écrous pour tenir les broderies! - L'idée que je pourrai connaître un temps où les mains bien-aimées qui touchent journellement ces choses ne les toucheront jamais plus, m'est une épouvante horrible contre laquelle je ne me sens aucun courage. Tant que je vivrai, évidemment, on conservera tout tel quel, dans une tranquillité de reliques; mais après, à qui écherra cet héritage qu'on ne comprendra plus; que deviendront ces pauvres petits riens que je chéris?
Le Roman d'un enfant (chap. LIII)
Quand il pense à la profession qu'il devra exercer (il est question qu'il étudie à Polytechnique) et qu'il regarde les hommes mûrs qui sont passés par là :
"Il faudra un jour être comme l'un d'eux, vivre utilement, posément, dans un lieu donné, dans une sphère déterminée, et puis vieillir, et puis ce sera tout… alors une désespérance sans bornes me prenait; je n'avais envie de rien de possible ni de raisonnable; j'aurais voulu plus que jamais rester un enfant, et la pensée que les années fuyaient, qu'il faudrait bientôt, bon gré, mal gré, être un homme, demeurait pour moi angoissante."
Le Roman d'un enfant (chap.LIII)
Il tient un journal et il souhaite qu'il soit brûlé à sa mort et que personne ne lise ses pensées secrètes. Plus tard, il se rend compte qu'il a changé :
"J'en suis venu à chanter mon mal et à le crier aux passants quelconques, pour appeler à moi la sympathie des inconnus les plus lointains; - et appeler avec plus d'angoisse à mesure que je pressens davantage la finale poussière… Et, qui sait? en avançant dans la vie, j'en viendrai peut-être à écrire d'encore plus intimes choses qu'à présent on ne m'arracherait pas, - et cela pour essayer de prolonger, au-delà de ma propre durée, tout ce que j'ai été, tout ce que j'ai pleuré, tout ce que j'ai aimé…"
Le Roman d'un enfant (chap.LVIII)
Le moment du réveil, le matin, est particulièrement important, c'est alors que se présentent à nous les tristesses, les inquiétudes….
"Plus tard, ils devaient bien s'assombrir , mes réveils! Et ils sont devenus aujourd'hui l'instant de lucidité effroyable où je vois pour ainsi dire les dessous de la vie dégagés de tous ces mirages encore amusants qui, dans le jour, reviennent me les cacher; l'instant où m'apparaissent le mieux la rapidité des années, l'émiettement de tout ce à quoi j'essaie de raccrocher mes mains, et le néant final, le grand trou béant de la mort, là tout près, que rien ne déguise plus."
Le Roman d'un enfant (chap. LXVIII)
Le roman d'un enfant se termine sur une évocation des étés passés dans le midi, des étés de soleil et de jeux. Pierre Loti revient dans la maison où il a connu ces vacances de rêve. Tout a changé, tout s'est "rapetissé".... Il lui semble entendre une chanson des rondes du passé...
"(…) La petite voix était flutée, bizarre; surtout elle était triste, triste à faire pleurer, triste comme pour chanter, sur une tombe, la chanson des années disparues, des étés morts."
La reine des épouvantements a cessé de tourmenter Pierre Loti. Pourtant il lui échappe en partie et reste vivant grâce à ses écrits. La maison de Rochefort dont il a tant parlé, où il a été si heureux et si malheureux rouvrira bientôt ses portes, rénovée, telle qu'elle était jadis…avec les bibelots, les collections, les objets qu'il aimait tant...
Il est le seul à ne pas le savoir là où ses restes reposent, dans le jardin de la maison des aïeules dans l'île d'Oléron..
La maison des aïeules à Saint-Pierre d'Oléron où Pierre Loti est enterré sous une simple pierre, ne vous ouvrira pas ses portes.
L'écrivain qui a exprimé ses dernières volontés dans son testament, après avoir décrit l'emplacement de sa sépulture a dressé la liste de la dizaine de personnes qui seraient autorisées à lui rendre visite, au maximum deux fois par an.
Cette précaution qui pourrait passer pour de la modestie renforce le mystère et l'attrait du lieu interdit aux "profanes". Toutes proportions gardées (et lesquelles!) il en est de la maison comme de la pyramide où le pharaon repose au plus secret du monument devenu sanctuaire.
Arrivée du convoi funéraire dans le jardin de la maison des aïeules.
Autant Pierre Loti s'expose dans la maison de Rochefort devenue musée (livrée à une interminable restauration) autant il veut garder privé cet endroit à la fois précieux et douloureux où il a voulu reposer après avoir été emporté par la mort, "la reine des épouvantements".
Le petit bois où repose Pierre Loti
Pierre Loti est dès l'enfance obsédé par le temps qui passe et par la mort qui triomphe toujours. Il collectionne les insectes, les coquillages, les menus objets comme pour les soustraire à la menace. Les chères aïeules font partie de ce monde menacé et précieux.
La maison des aïeules, comme il la nomme, a appartenu à la famille de sa mère, les Renaudin, dès 1677. Ce n'est qu'en 1834 qu'elle est vendue. Sa grand-mère, sa tante Claire et sa cousine Corinne viennent alors vivre à Rochefort où elles parlent souvent de la maison perdue.
Maison de Loti à Rochefort. La mosquée...
Le petit Julien les entend raconter les vieilles histoires oléronaises et peu à peu l'île prend place dans son imagination d'enfant. Malgré ses vacances à la Brée à quelques kms de la maison de Saint-Pierre, il la connaît peu.
Avant de quitter la France pour son "premier départ de marin" il se rend dans l'île pour dire adieu à ses tantes qui vivent non loin de l'ancien domicile familial.
tableau peint par Marie soeur de Pierre Loti. Au centre le petit Julien Viaud (Pierre Loti)
"Ma grand-tante Clarisse, quatre-vingts ans, soeur de ma grand-mère et ruinée définitivement comme elle, m'attendait dans l'un de ses toujours mêmes fauteuils Louis XIV en tapisserie, les plus luxueux débris qu'elle possédât encore de l'aisance ancienne(…) Près d'elle se tenaient ses deux filles, mes tantes à la mode de Bretagne, déjà d'une soixantaine d'années et les cheveux très gris, mais qui cependant se coiffaient d'une manière moins archaïque".
A cette occasion, il se rend dans la vieille maison habitée alors par le pasteur : "On me laissa errer seul dans le grand jardin enclos de murs, où des buis centenaires bordaient les allées, et, tout au fond, dans le bois où dorment nos aïeux huguenots qui furent exclus des cimetières catholiques (...)
Plus tard, en 1899, après la mort des aïeules, le succès littéraire lui permet de racheter la maison. C'est pour lui l'aboutissement, la dernière escale définitive après tant d'autres. C'est là qu'il retournera dans l'enfance heureuse, dans l'amour de sa mère. C'est là qu'il se mêlera à la vieille terre des ancêtres. Il demandera que son cercueil soit défoncé "après sa descente dans la fosse, pour être mieux et plus vite mélangé à la terre".
Tombe de Pierre Loti
C'est au cours de ce voyage d'avril 1899 qu'il retourne dans la maison dont il est devenu propriétaire.
"Elle est là, devant moi, l'antique maison familiale (…) Elle semble être l'âme de ce vieux petit quartier mort qui l'entoure et qui, en plus de sa tristesse d'abandon, exhale aussi l'inexprimable tristesse des îles"...
Il franchit le porche et entre dans la cour :
"Oh! Comment dire l'émotion de voir réapparaître, sous ces nuages de deuil, cette cour silencieuse des ancêtres!... (…) Et voici que j'ai le sentiment de pénétrer chez les morts, chez les aïeules mortes. Nulle part autant qu'ici et à cette heure le passé ne m'avait enveloppé de son linceul."
Il gravit avec respect les marches du perron "où, vers la fin du XVIIème siècle, à ce que l'on m'a souvent conté, de joyeuses petites filles (qui furent mes grand-tantes, mon aïeule, et moururent octogénaires) avaient pour jeu favori de monter et de descendre en courant, sur des échasses."
De l'autre côté de la cour s'élèvent les bâtiments des chais, des pressoirs ainsi que la demeure des domestiques. Il y a là une pièce où comme on le lui a raconté, les enfants se réfugiaient les jours de pluie. Sa mère, avec une bague a gravé son nom sur une vitre.
"Je n'espérais point retrouver cela; mais le carreau a miraculeusement résisté à soixante années de possession étrangère, et la précieuse inscription y est encore! (…) NADINE!...Alors je ferme les yeux et me recueille plus profondément pour me représenter, dans sa petite toilette surannée, l'enfant qui écrivit cela, vers 1820, un soir d'ennui sans doute, en regardant tristement cette même rue de village toujours pareille, un soir où la pluie devait tomber comme aujourd'hui."
Pierre Loti et son fils Samuel
C'est ensuite dans le jardin et le petit bois que Loti marche, habité par les vieilles histoires racontées au cours de veillées familiales. Son fils Samuel qui a fait le voyage avec lui est enthousiasmé par cette nature et fait promettre à son père qu'ils reviendront habiter la maison.
Pierre Loti (Lévy Dhurmer)
"Résider ici, fût-ce même en passant (…) voir chaque matin à mon réveil ce jardin-cimetière, non je ne pourrais plus!... A moins que ce ne soit plus tard dans la suite des années, si, quelque part en Orient, je ne tombe pas au bord d'un chemin… Oui plus tard, qui sait, rentrer pour le déclin de ma vie, puis dormir dans ce vieux sol où gisent des ossements d'ancêtres…"
Départ du cercueil à Rochefort
Samuel à qui il promet cependant de revenir avec lui ne peut savoir que son père dit vrai. Ils y reviendront tous deux et c'est Samuel qui se chargera de défoncer le cercueil dans la fosse où il aura été descendu, afin de respecter les dernières volontés de son père.
On comprend devant l'intensité des sentiments de Pierre Loti confronté à l'irréparable saccage que la disparition des êtres chers provoque en nos vies, qu'il ait voulu s'entourer de silence et que soit refermée la porte "comme on scellerait une entrée de sépulcre".
Le petit bois et la Lanterne des morts.
En quittant ce lieu simple et hanté, j'ai remarqué qu'au-dessus des arbres du petit bois, on apercevait là-bas, la lanterne des morts, tour romane qui veillait sur le cimetière de Saint-Pierre. On sait qu'une flamme y était allumée chaque nuit pour guider les défunts.
J'aime penser que chaque nuit, elle éclaire Pierre Loti et ses chers fantômes.
Les grandes plages de l'île sont un paradis pour les chiens et leurs "maîtres". Un paradis qui leur est interdit pendant la saison estivale.
mai 2018. Saint-Trojan.
oct. 2018. Les Allassins.
oct 2018. Veetbois.
Les soirs d'été, quand rassasiés de soleil et de vagues, les baigneurs rentrent dans leurs villas ou leurs campings, on ne compte plus les mégots, les canettes, les "poches" (comme on dit ici) en plastique. Sans parler des couches abandonnées sur le sable...
Avril 2019. St-Trojan.
Mai 2019. La Perroche.
Mai 2019. Plage de Maumusson.
Mai 2019. Phare de Chassiron.
Mai 2019. Pointe de Maumusson
sept 2018. Grand-Village.
sept 2018. Grand-Village
Mais même pendant la saison, les plages sont si vastes que l'on pourrait délimiter des espaces réservés aux personnes accompagnées de leur chien, comme on réserve des espaces aux naturistes. Il suffirait de marcher quelques centaines de mètres...
Mai 2019. Plage de la Giraudière. Grand-Village.
sept 2018. Les Allassins.
sept 2018. Saint-Trojan.
sept 2018. Grand-Village.
sept 2018. Grand-Village.
Je ne sais pas si cette initiative simple éviterait tous les abandons d'avant les vacances mais même si elle n'en empêchait que quelques uns, ce serait autant d'angoisses, de souffrances, de panique et de mort en moins pour quelques chiens...
sept 2018. Saint-Trojan.
sept 2018. Saint-Trojan
aout 2018. Grand-Village.
aout 2018. Saint-Pierre.
aout 2018. Les Allassins.
Les quelques photos prises pendant la période estivale l'ont été en dehors des heures interdites( qui sont celles de la présence des sauveteurs) le matin avant 10 heures ou le soir après 19h...
aout 2018. Petit-Village.
aout 2018. Grand-Village.
juillet 2018. Grand-Village.
juillet 2018. Saint-Trojan.
Elles rendent hommage à ces animaux qui ne sont qu'affection et dévouement et qui, abandonnés, continuent de n'aimer que leur maître.
Il y a des croyants qui affirment que l'amour de Dieu est immense et inépuisable.
C'est la période de l'année où l'île est la plus belle avec ses floraisons, ses ciels où les nuages voyagent, ses plages libres….
Grand-Village
Grand-Village
Saint-Trojan Grande Plage
Déjà des amoureux de la mer se risquent dans les vagues…
Saint-Trojan Grande Plage
Plage de Grand-Village
La Perroche
La Perroche
La Perroche
Grand-Village
Vert-Bois
Mais le vent du nord-ouest est aux aguets, avec les pluies et la froidure...
Saint-Trojan
Saint-Trojan
Grand-Village
Vert-Bois
La Perroche
Peu importe!
Les changements de lumière, les brusque éclats de soleil, les tombées de grisaille, le frémissement du vent sur le sable… l'île vit intensément chaque moment, sans souci du lendemain...
Le Château
Les Saumonards Boyardville
Les Saumonards
Les Saumonards
Pointe de Maumusson
Gatseau
Tantôt grise, tantôt bleue, toujours en voyage malgré le pont qui la retient comme une chaîne...
Marais d'Ors
La Cotinière
Plage de la Giraudière
Les Allassins.
Grand-Village
Gatseau
Je l'aime simplement
Humble et fière, familière et sauvage
Avec mon enfance de dunes et d'oyats, de jeux et de peurs…
Avec la maison de mon père comme un feu dans la cheminée..
Avec mes deux chats recueillis dans le refuge du bastion…
Avec ma femme qui est méditerranéenne mais qui accepte par amour de vivre avec moi près du Vieil Océan