Un des tableaux les plus populaires de Russie évoque la résistance par l'humour et la plaisanterie énorme d'un peuple menacé par un ennemi qui le menace d'envahir ses terres et le soumettre.
Ce tableau c'est "Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre à l'Emir de Turquie". Il a été peint par Ilia Répine (1844-1930) né dans la région de Kharkiv, en Ukraine. Un tableau considéré aujourd'hui par les Ukrainiens comme une réponse à Poutine qui a remplacé l'Emir de Turquie dans son désir de conquête et d'annexion de leur pays.
Avant de dire un mot de cette œuvre célèbre, il convient de présenter rapidement son auteur qui se fit très vite une place majeure dans la jeune peinture russe figurative.
Il fit un voyage en Europe et après avoir visité l'Italie, il occupa à Montmartre un atelier, 31 rue Véron.
Il arrive dans l'effervescence des courants impressionnistes qui ne l'impressionnent guère. Le seul contact d'importance qu'il eut pendant son séjour, c'est avec Manet qui tenta de le persuader de peindre avec plus de naturel. Ce qu'il tenta de réaliser avec son "Café parisien".
Mais jamais il n'approuva la démarche impressionniste et Sadko la toile qu'il peignit à Paris (commandée par Alexandre III) est comme une affirmation de son désaccord. Inspirée d'un conte russe, la scène représente le marchand Sadko plongé dans un monde sous-marin. La précision du dessin et le réalisme des couleurs est un manifeste et une protestation contre un courant qui veut imiter la nature dans son imprécision et son chatoiement.
Répine traçait sa route et ses succès ne l'incitaient pas à modifier ses sujets. Il est vénéré aujourd'hui en Russie pour ses toiles "historiques" et pour ses portraits de quelques uns des plus grands créateurs russes comme Tolstoï, Moussorgski, Tourgueniev...
Tolstoï
Sa toile des Cosaques Zaporogues (son propre père est Cosaque) illustre un épisode de l'histoire en partie inventé. Le sultan Mehmed IV ordonne en 1675 aux Cosaques de la région de Kharkiv comme aux Tatars de Crimée de rendre les armes et de le reconnaître.
"J’ordonne, à vous les Cosaques zaporogues de vous soumettre volontairement à moi sans aucune résistance"
La réponse des cosaques est un tissu d'insultes qui ne craint ni la grossièretés ni les excès et qui fait encore aujourd'hui la fierté des nationalistes russes peu conscients qu'elle pourrait être adressée à Poutine par les descendants des Cosaques et par les Ukrainiens de Kharkiv et d'Odessa!
Mange la vomissure du diable, toi et ton armée. Toi le plus grand imbécile malotru du monde et des enfers, crétin, groin de porc, cul de jument, sabot de boucher!
La toile de Répine illustre ce moment joyeux et complice où les Cosaques s'amusent à répondre.
Apollinaire dans la "Chanson du Mal Aimé" mettra en vers la fameuse lettre :
Réponse des Cosaques Zaporogues
Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu là-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D'yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulcères des croûtes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes médicaments.
Le tableau est si célèbre qu'il a fait l'objet de nombreuses "imitations" ou reconstitutions comme celle photographiée par un groupe d'amis amateurs d'art!
Aujourd'hui c'est un photographe de guerre qui a reproduit le tableau en remplaçant les Cosaques par les soldats ukrainiens. Il s'agit d'Emeric Lhuisset qui a fidèlement repris les éléments de la toile célèbre connue de tous les Ukrainiens.
La photo est devenue virale et il est question d'en faire un timbre poste! Elle est un des éléments de la résistance ukrainienne toujours prompte à manier l'humour et la provocation.
2nde version au musée de Kharkiv
Je ne sais si la réplique de la toile peinte par Répine et offerte au musée de Kharkiv y est toujours. Le musée a été en effet pillé et en partie détruit.
La photo d'Emerci Lhuissiet y sera exposée et aura la force d'un grand rire à la face des bourreaux.
Un rire que ne désavouerait pas Répine dont le dernier tableau représente encore les cosaques mais cette fois dans une danse, la danse du feu, la danse de la victoire!