Elle ne paie pas de mine et pourtant comme tant de rues parisiennes, elle nous réserve bien des surprises.
Elle a été ouverte en 1850 et portait à son baptême le nom de rue Neuve Fontaine Saint Georges. Un nom un peu longuet qui se simplifia en Neuve Fontaine.
En 1870, elle cessa d'être Neuve-Fontaine pour rendre hommage au peintre-écrivain Eugène Fromentin.
Je connais cet artiste pour avoir vu le monument à sa gloire érigé au centre de la Rochelle (sa ville natale) et le musée qui présente une trentaine de toiles peintes en Algérie, pays qu'il aima et dont il admira les fiers cavaliers.
Le Simoun (Fromentin)
La rue commence au 1 avec une façade du somptueux Hôtel Halévy dont l'entrée se situe rue de Douai.
L'immeuble a été construit sous le 2nd Empire pour la famille Halévy.
Parmi ses plus célèbres occupants figure Georges Bizet qui s'y installa après son mariage avec Geneviève Halévy en 1869.
Il y travaille à la composition de Carmen. Il y accueille aussi la naissance de son fils, Jacques qui sera le grand ami de Proust
Jacques Bizet par Elie Delaunay 1878
Il meurt d'un infarctus en 1875, après les représentations catastrophiques de son œuvre, atteint par l'échec de cet opéra qui est aujourd'hui le plus représenté dans le monde!
Le 5 est aujourd'hui l'atelier d'arts plastiques Rrose Sélavy. Pas étonnant qu'il s'appelle ainsi puisque c'est là que le créateur de ce personnage, Marcel Duchamp eut son atelier.
Marcel Duchamp en Rrose Sélavy par Man Ray
Ce nom avec lequel il signa certaines de ses œuvres, notamment des "ready-made" a pour homophone, sa signification réelle : "Eros c'est la vie".
On sait l'importance que le nom de Rrose Sélavy eut chez les surréalistes et les dadaïstes, Desnos le reprenant à son compte.
Desnos par Man Ray
Au 7, vécut pendant deux années, de 1899 à 1900, Maurice Ravel adolescent. Il connaissait déjà le 9ème arrondissement puisque sa famille avait habité six ans rue Victor Massé, l'ancienne rue du Chat Noir.
Le 8 vit pendant quelques années s'ouvrir les portes d'un cabaret, le Monte Cristo qui abrita les rendez-vous clandestins des membres du groupe de résistants l'OCM (Organisation Civile et Militaire) dirigée par Jacques Arthuys et dont Vicky (la princesse russe Véra Obolensky) fut une des figures les plus héroïques. La plupart des membres de ce groupe furent arrêtés et exécutés. Vicky fut guillotinée en 1943 dans les prisons nazies.
Véra Obolensky (Vicky)
Au 10, il y eut le laboratoire pharmaceutique "Scientia" dirigé par un certain Perraudin, pharmacien de 1ère classe!
Le 11 fut fréquenté par de joyeux noctambules au temps où il était cabaret et s'appelait "le Don Juan"! Nous sommes à deux pas de la place Blanche où l'on ne compte plus le nombre de cabarets qui apparurent, disparurent, ressuscitèrent, moururent à nouveau… comme autant de phénix!
Le Don Juan naquit en 1891 et devint très vite un des hauts lieux où l'on vénérait la Fée Verte, quitte à lui offrir en sacrifice son foie, son cerveau et sa raison! L'absinthe y était dégustée selon le rituel immuable avec cuillère-passoire et sucre.
L'absinthe (Degas)
Le cabaret garda la même adresse après la destruction du premier immeuble et l'érection (terme adapté au Don Juan!) du nouvel immeuble des années 30.
Aujourd'hui l'hôtel Royal Fromentin garde mémoire du cabaret dont il a conservé le grand salon avec ses poutres et sa cheminée.
Le 12 malgré son apparence bourgeoise a abrité dans ses murs un auteur prolifique de pièces sanglantes et terrifiantes : André de Lorde.
Ce bibliothécaire débonnaire se transformait quand il rentrait chez lui en écrivain à l'esprit torturé. Il a écrit 150 pièces pour le Grand Guignol, théâtre voisin, rue Chaptal.
Le 14 est le dernier immeuble qui ait quelque chose à nous raconter. C'est là que le peintre Giuseppe Palizzi (1812-1888) eut son premier atelier parisien.
Ce romantique qui aimait les paysages napolitains, vint à Paris où il fréquenta Corot et Courbet. Il avait besoin de grand air et de nature et il fut un des premiers à apprécier la forêt de Fontainebleau et à s'y rendre avec Millet.
Il s'installa à Grez sur loing et se fit construire une maison, "la villa Palizzi". Il ne fréquenta donc la rue Fromentin que quelques années, à l'époque où elle s'appelait Neuve-Fontaine.
C'est avec lui que l'on surnomma parfois le "peintre des ânes et des chèvres" tant il aimait les représenter, que nous quittons la rue Fromentin, peintre des chevaux arabes….
Mais avant d'atteindre le boulevard de Clichy, nous passons entre les deux derniers immeubles : un Sex Shop et Jésus Maria!