Si Toulouse fait de lui son barde officiel et chante comme une marseillaise la poésie qu'il lui a dédiée, Paris plus modestement rappelle qu'il est venu, enfant, avec sa famille, rue Condorcet et qu'il a vécu jusqu'à sa mort dans la capitale.
S'il a fréquenté avec plus ou moins de bonne volonté le lycée de l'avenue Trudaine, c'est plus tard à Montmartre qu'il se lance, au cabaret du Lapin Agile et c'est à Montmartre qu'il choisit de vivre pendant des années, dans une des belles maisons de l'avenue Junot à quelques pas de la place qui va recevoir son nom.
Montmartre où on ne peut prendre la mort au sérieux puisque le cimetière est à côté de la vigne, lui rend aujourd'hui un hommage ému.
Le poète n'aimait pas les grands discours, aussi les orateurs, modestes et respectueux ont-ils évité les phrases ronflantes.
Il y eut Eric Lejoindre, maire du XVIIIème… le moins inspiré mais heureusement assez bref.
Yves Mathieu propriétaire du Lapin Agile où Nougaro fit ses débuts et qui fut la vie durant un de ses amis fidèles a lu une lettre que lui avait adressée le chanteur. Des mots simples et chaleureux. "La seule mafia" pour Nougaro était, comme il l'écrit dans cette lettre celle des amis...
Hélène que Nougaro rencontra en1984 et qui fut son dernier grand amour, "la femme de ma mort", se souvint du jour où elle vint avenue Junot retrouver celui qui allait être l'homme de sa vie!
Théa une des trois filles de Nougaro eut du mal à cacher son émotion en évoquant son père
Le garde champêtre de Montmartre Bernard Beaufrère lut "clodi clodo" avec une vigueur de boxeur, les mots à la rime sonnant comme des coups de poing. J'ignorais qu'il avait un tel talent de comédien!
"Litron dans la fouille
Il part en quenouille
Dans l'avenue Junot"...
Notre maire à tous, Anne Hidalgo rappela combien son enfance et sa jeunesse avaient été marquées par les chansons de Nougaro. Elle fit néanmoins une petite erreur en situant la nouvelle place au cœur des Abbesses! Elle ne doit pas être montmartroise!
Un orchestre de cuivres rythma la cérémonie en jouant quelques un des airs les plus connus de Nougaro… très près des oreilles de Marcel Amont (casquette noire) pour qui Nougaro avait écrit une chanson.
… Et maintenant Paris compte une nouvelle place. Nougaro n'a évincé personne car c'est d'un espace libre entre l'avenue Junot et la rue Caulaincourt qu'il a pris possession, entre la statue d'Eugène Carrière et la place Constantin Pecqueur.
Il y sera bien, non loin du Lapin Agile, de l'allée des brouillards qu'il chanta… sous des arbres qui ne demandent qu'à refleurir et à chanter "Mai, mai mai, Paris mai…"
Un petit spectateur attentif finit par fermer les yeux… Ce n'est pas que les discours l'ennuient ni que les cuivres le fatiguent, non, c'est qu'il se sent bien, en bonne compagnie avec des gens qui aiment la poésie et la chanson et qui aiment encore plus Paris depuis qu'une place porte le nom de Claude Nougaro!
Entre les rues de Maubeuge et des Martyrs, la rue Condorcet court sur près de 600 mètres en offrant une belle unité architecturale.
Rue Condorcet, hauteur rue des Martyrs.
Elle n'est pas née telle qu'elle est aujourd'hui et l'accouchement s'est fait en deux étapes.
En 1860, elle est ouverte entre la rue des Martyrs et la rue Rodier. Elle est alors le prolongement de la rue Laval (celle du Chat Noir, aujourd'hui rue Victor Massé) et elle reçoit le nom, après un gros effort d'imagination de la part de ses concepteurs de rue "Laval prolongée"!
Rue Condorcetsur la rue de Maubeuge. En arrière plan les clochers de St-Vincent de Paul et les superbes immeubles de la rue d'Abbeville.
Un an plus tard, une portion est construite, après avoir absorbé la cité Turgot, qui va jusqu'à la rue de Maubeuge. Les deux parties sont réunies en 1865 et patientent encore trois ans avant de recevoir leur nom toujours actuel de Condorcet.
Nul ne trouvera à redire sur cet hommage rendu à un homme qui fut l'un des plus éminents esprits des Lumières.
Chacun connaît son œuvre, ses idées, et comment il imagina une réforme du système éducatif ainsi que du droit pénal, dans un sens humaniste et social. Je retiens pour ma part sa révolte contre le viol du principe d'égalité qui excluait les femmes de leurs droits de citoyennes.
Il défendit des idées que reprendront les féministes, les différences entre hommes et femmes seraient moins naturelles que construites socialement et renforcées par des lois injustes.
Condorcet retrouvé mort dans sa cellule
Cet homme qui ne transigeait pas avec la morale, étant opposé à la peine de mort, vota contre la mort de Louis XVI. Quand en 1793 le vent tourna et que Robespierre fit un temps la loi, un mandat d'arrêt fut lancé contre lui. Il se cacha pendant 9 mois avant d'être arrêté, jeté en prison. On l'y retrouva mort. Le mystère reste entier sur les raisons de sa mort. S'est-il empoisonné? A t-il été exécuté? A t-il été victime d'un AVC comme il en avait déjà subi un deux ans plus tôt?
Tombeau vide de Condorcet au panthéon
Toujours est-il que l'on ne peut que se réjouir qu'une rue de notre quartier porte le nom d'un tel homme, d'un citoyen comme on aimerait en trouver un plus grand nombre à notre époque!
Il a été transféré en 1989, pour le bicentenaire de la révolution, au Panthéon. Transfert tout symbolique puisqu'on n'a rien retrouvé de son corps inhumé dans la fosse commune du cimetière de Bourg La Reine.
La rue commence avec de beaux immeubles qui depuis 2008 sont le siège social de GRDF. En 1824 il y avait à cet emplacement une usine à gaz hydrogène. Après plusieurs avatars y fut construit le siège social de la Compagnie Française du gaz par l'architcte Léon Armand Darru qui lui donna l'allure d'un somptueux hôtel particulier.
De cette époque datent de nombreuses photos des employés du gaz.
Le 3
Le 3 en 1902.
Le 3 est un bel immeuble de la fin du 2nd Empire comme la plupart de ceux qui forment la rue. Il est signé AD Mercier. Il y eut à l'origine un commerce de vins et liqueurs. Aujourd'hui la passementerie a eu raison de l'absinthe!
Immeuble original au 16 avec un pan coupé en arrondi et un lion plutôt renfrogné. Il a été construit en 1895 par l'architecte A Wolfrom. La partie sculptée est due à Rousseau. Il a pour autre particularité d'avoir son jumeau au 18...
Le 18
Le 18 en 1904
Nous retrouvons le nom de certains architectes sur plusieurs immeubles de la rue. Ainsi en est-il des 13, 17, 19, 33... tous dus à L. Monier en 1882. Cette architecture post haussmannienne de qualité donne à bien des rues de Paris son unité de pierres claires, de fonte et d'ardoises.
Les 13, 17 et 19.
Au 21 est née Cosette Harcourt (1900-1967) qui est l'une des fondatrices du célèbre studio Harcourt dont la plus grande renommée date des années 50.
On ne compte plus les "portraits" d'acteurs, de chanteurs, d'écrivains passés par ce studio!
Barthes le mentionne dans ses "Mythologies" : "En France, on n'est pas acteur si l'on n'a pas été photographié par les studios d'Harcourt".
Le 21 donne sur la rue Rochechouart et une petite place où trois rues se rencontrent : Condorcet, Rochechouart et Turgot.
Sur le côté pair se dresse un imposant immeuble.
Il a été construit par Georges Farcy en 1910. Cet architecte qui a élevé dans le quartier de beaux immeubles dans la rue Lentonnet voisine sait allier rigueur et fantaisie. Un buste orne le pan coupé sur la rue de Rochechouart tandis qu'on devine au dernier étage des médaillons de l'architecte et de sa femme.
Le 26
Au 26 dont l'architecte est L. Bernard et qui a été construit en 1869 a vécu le sculpteur Jules Salmson (1823-1902.)
On lui doit entre autres les cariatides du théâtre du Vaudeville (aujourd'hui Gaumont Opéra) et la statue en bronze de la Dévideuse du, musée d'Orsay.
La dévideuse (Jules Salmson. Musée d'Orsay)
Le 34
La proue du balcon du 34 entre rues Turgot et Condorcet
Au 34 a vécu Lugné-Poe (1869-1940) qui fut acteur, metteur en scène et surtout fondateur du théâtre de l'Œuvre qui défendit le théâtre symboliste en réaction au théâtre réaliste d'Antoine.
L'Annonce faite à Marie de Claudel y est créée en 1914.
Le 38, comme le 40 a été primé au concours des plus belles façades parisiennes
Le 38
Le 40
Les deux immeubles récompensés sont signés de l'architecte M. Fiquet.
C'est au 40 que vécut quelques années le dramaturge Henri Bernstein (1879-1953) qui s'illustra dans le théâtre de boulevard et dirigea le Gymnase. Pendant la guerre pour échapper aux rafles antisémites, il s'exila aux Etats-Unis où il écrivit un portrait incendiaire de Pétain "Portrait d'un défaitiste". Alain Resnais a réalisé son film Melo en reprenant sa pièce homonyme.
Mélo (Resnais. Azéma Dussolier)
Quelques citations de Bernstein :
"En amour, comme d'ailleurs en art, l'intelligence toute sèche, toute nue, est une disgrâce."
"Un ménage cesse d'être un ménage quand c'est le chien qui apporte les pantoufles et que c'est la femme qui aboie." (un peu daté non?)
"L'intuition c'est l'intelligence qui commet un excès de vitesse".
Au 43 le jeune Claude Nougaro a passé plusieurs années alors qu'il était lycée avenue Trudaine.
La plaque toute fraîche a été inaugurée en septembre 2019.
Le poète-chanteur donne du travail aux faiseurs de plaques commémoratives car il a connu à Paris de nombreuses adresses dont une des plus belles est sans doute sur la Butte, 28 avenue Junot. (J'ai reçu une invitation et j'irai avec plaisir assister à l'inauguration de la place Nougaro en bas de l'avenue le 28 Novembre).
Le 51 bis
Nous restons dans le monde du spectacle avec le 51 bis ou a vécu Jane Sourza (1902-1969) qui eut sa période populaire avec des émissions radio comme "Sur le Banc" (qui deviendra un film) avec Raymond Souplex son partenaire de théâtre de trente années. Pendant l'occupation elle continua de jouer aux Deux Ânes, participa à Radio Paris et fit même un voyage en Allemagne organisé par la propagande nazie. Tout cela ne lui valut qu'une année d'interdiction de travail à la Libération.
Sur le banc (Souplex Sourza)
Regrettons que cette vraie Montmartroise, née sur la Butte, se soit ainsi compromise. Reste sa filmographie abondante. Pas un seul film cependant à citer parmi tous ses navets!
Au 55 vécut pendant 30 ans un "homme de lettres et poète" dont j'avoue que j'ignorais le nom! Un nom pourtant charmant.
J'ai trouvé de lui un recueil de poèmes "Papillons couleurs de lune" et j'ai découvert un poète sans pathos, peut-être injustement oublié.
"(…) On cherche en vain dans l'armoire au beau linge,
Sous la pile des draps les frissons mis au frais :
Ni fleur ni temps d'été ne se gardent jamais.
...Alors… Bonjour, mon cœur… Et vous adieu méninges,
Aujourd'hui seul est vrai...
Le 60
Au 60 a vécu un compositeur un peu oublié aujourd'hui, Francis Thomé (1850-1909). Il a été populaire grâce à ses opérettes et à des pièces pour piano.
Il aimait la poésie et a écrit de nombreuses adaptations musicales de poèmes de Gautier, Leconte de Lisle ou Victor Hugo.
Il est enterré au cimetière Montmartre et c'est Landowski (auteur du célèbre Christ de Rio) qui conçut son monument funéraire.
Le 68
Le 68 est digne d'attention. Il est dû à l'un des plus grands architectes et érudits du XIXème siècle : Viollet Le Duc.
Alors que la mode est encore aux décorations sculptées et à la surcharge des façades, on voit ici un dépouillement, une simplicité d'autant plus remarquables que l'immeuble a été construit par et pour son architecte!
C'est là qu'il vécut pendant les 17 dernières années de sa vie. On parle de nouveau de lui depuis l'incendie traumatisant de Notre-Dame qu'il restaura avec génie, c'est à dire audace et respect. La flèche qui est un de ses plus grands chefs d'œuvre, sera, on l'espère refaite à l'identique.
Le 69
Le 69 a abrité au début du XXème siècle une boutique de lingerie devant laquelle Viollet le Duc a dû passer bien qu'elle n'eût rien de gothique!
Nous quittons la rue Condorcet, ancienne rue Laval prolongée au moment où elle arrive rue des Martyrs… par où passèrent St Denis et ses compagnons avant d'être décapités un peu plus haut à une époque où hélas Condorcet n'existait pas pour les défendre et s'opposer à leur mise à mort !
L'affiche intrigue avec son animal aux mains pendantes et au faciès de suricate. Elle invite à entrer dans la Halle Saint-Pierre pour plonger dans un univers angoissant, ce qui demande un effort de volonté alors que les raisons de s'angoisser sont déjà fournies à foison par l'actualité!
Roger Ballen a 69 ans. Né à New-York, c'est en Afrique du Sud qu'il vit et c'est là qu'il a commencé à photographier des habitants des campagnes ou des faubourgs. Des êtres qui vivent dans le dénuement et dont la misère a agressé le corps quand ce n'est l'esprit.
Man drawing chalk faces 2000
Brian with pet pig 1998
Broken bag 2003
Avec les années son travail a évolué vers des photos scénarisées, en noir et blanc, où réalité et cauchemars se mêlent. Les rats sont omniprésents, liés à une humanité occupée à des activités absurdes ou terrassée par le sommeil ou l'abandon.
Head below wiress 1999
Il y a dans ses compositions un surréalisme habité par la mutilation et la mort. Les poupées inquiétantes abritent des rats, les animaux sont figés dans la mort et leur cadavre empaillé est utilisé comme sont utilisés dans notre société ces êtres "inférieurs" qui ne servent que notre intérêt au mépris de leur sensibilité.
Evidemment nous sommes en présence d'un artiste habité par un monde sans joie mais créateur d'un univers original et puissant. Un univers qui nous invite à nous interroger et à réagir. La solitude, la menace, le non-sens de l'existence sont les ingrédients d'une œuvre qui a quelque chose d'une adolescence en crise.
Bubble bath 2016
Eugene on the phone 2000
Open up 2012
Family room 2014
Trophy hunter 2018
Dans ses compositions sont intégrés des dessins qui relèvent de l'art que l'on dit brut. Ils ont une fausse naïveté enfantine et ils permettent au monde de l'enfance trop souvent idéalisé et édulcoré de faire irruption avec une force grinçante. Parfois ne sont exposés que les dessins, comme des gravures rupestres. Ils sont peut-être ce qu'il y a de meilleur dans cette exposition.
Head inside shirt 2001
Lady in blue 2018
Un étage de l'exposition est consacré à des compositions faites de mannequins désarticulés.
Un mannequin réaliste figure Ballen lui-même appareil photo entre les mains. Il est assis sur un tabouret au centre de l'espace et il tourne comme s'il surveillait les visiteurs pour les intégrer aux tableaux mortifères qu'ils regardent.
Caged 2001
Je n'ai pas pris un grand plaisir à cette balade dans le monde de Ballen. Je reconnais l'originalité et la valeur des créations de cet artiste qui dans ses meilleures œuvres peut évoquer de loin un Jérôme Bosch, de plus loin encore un Lautréamont.
Suspended 2012
Dogfellows 2014
Il n' y a rien qui puisse un moment reposer votre regard, rien qui cherche à plaire. Le plaisir en art est passé de mode. Il faut être interpelé, mis en cause, violenté…
Notre époque n'est plus à la jouissance mais à la souffrance. En cela Ballen est parfaitement de notre temps.
Puppy between feet 1999
Libre à chacun d'aller souffrir avec lui, de participer à sa "réflexion sur l'absurdité de la condition humaine" et d'assister à sa "quête psychologique personnelle".
Vous avez le temps de programmer votre visite puisque l'exposition durera jusqu'au 31 juillet 2020. Choisissez un jour ensoleillé de préférence!
Avant même de visiter cette exposition c'est l'affiche qui mérite qu'on la regarde. Il s'agit d'une œuvre de Suzanne Valadon, habituellement visible dans une petite salle du musée et qui éclate comme une fleur qui s'ouvre et dévoile dans sa corolle le pistil d'une jambe féminine.
L'acrobate ou la Roue (1916) Suzanne Valadon.
Toile remarquable, chef d'œuvre de Suzanne Valadon qui sera peut-être un jour reconnue comme l'égale de ses grands contemporains et infiniment plus douée que son fiston Maurice Utrillo.
Il y a dans cette peinture, la liberté d'un Toulouse Lautrec, l'art du mouvement d'un Degas… il y a tout simplement le génie de Suzanne Valadon à qui une salle entière de l'exposition est consacrée et qui jouxte son atelier reconstitué et son appartement de la rue Cortot.
Bol de fruits (Valadon 1917)
La mère de Suzanne et son fils Maurice (Utrillo) 1890
Portrait de Louis Moysés fondateur du Boeuf sur le toit. (Valadon 1924)
Nu assis sur un canapé (Valadon 1916)
Les salles d'exposition malgré leur exigüité présentent divers aspects de la peinture des grandes années montmartroises, plus particulièrement autour de 1900.
Une place importante est donnée aux illustrateurs comme Albert Guillaume dont un album de chansons est presque intégralement exposé.
Il fut un des artistes en vogue de la Belle Epoque, affichiste, portraitiste, caricaturiste et illustrateur d'albums comme ce remarquable "Tristes et gaies"
…. On trouve également Ibels qui aimait peindre les artistes du cirque Fernando et qui illustra de nombreuses partitions...
L'exposition d'une grande unité et d'une variété qui rend hommage à la diversité et au talent des artistes montmartrois offre à tous l'occasion de connaître la collection de deux Américains Weisman et Michel amoureux de la Butte. Elle est à la fois éclectique et cohérente, fruit d'une passion commune.
Jacqueline E. Michel et David E. Weisman
Je retiendrai parmi toutes les œuvres présentées les quelques toiles de Bottini, un peintre au destin douloureux qui aurait eu à n'en pas douter s'il avait pu vivre plus longtemps une plus grande place dans le panthéon pictural.
Femme au renard et à l'éventail (George Bottini 1901)
Evidemment Willette, Adolphe de son prénom, créateur du Pierrot de Montmartre trouve sa juste place avec deux tableaux sensuels et poétiques.
Le tableau "une paire d'amis" représente sur l'épaule de Louison la chatte de Willette, Boulette. Salis, ami du peintre l'a accroché dans son cabaret du Chat Noir.
Willette crée son personnage de Pierrot, artiste et marginal, mal à l'aise dans une société bourgeoise. Ici Pierrot tente en vain de séduire une femme perchée sur une colonne, autant dire inaccessible, fière de montrer une poitrine réservée à d'autres hommes qu'à un Pierrot sans le sou.
Steinlen l'amoureux des chats est à l'honneur avec la quasi totalité de la frise "Chats et lunes" qui orna sans doute quelque temps les murs du cabaret de Salis. Illustrateur, affichiste et peintre, Steinlen était un homme engagé, un homme de cœur. Pas étonnant qu'il eût aimé les chats du maquis, recueillant les éclopés dans sa maison nommée à juste titre le cat's cottage!
Quelques toiles encore que j'ai particulièrement aimées….
Alfred Emile Méry : Chat noir tuant un rat.
Détail d'une toile au format original, étroit et haut… Elle était accrochée aux murs du cabaret. Salis y faisait passer un message très clair : le nouveau cabaret avait supplanté son rival de la place Pigalle le Café du Rat mort
George Luks, Scène de nuit, (1900)
Ici comme dans les toiles de Lautrec, dans l'ombre des femmes flamboyantes, se devine un homme inquiétant… souteneur, client… en tout cas prédateur.
Louis Legrand. Elégante à l'éventail (1900)
Edmond Lempereur. Yvette Guilbert (entre 1895 et 1900)
Cappiello. "Mieux vaut laver son linge chez soi" (1898)
On reconnaît le talent du grand caricaturiste et affichiste que fut Cappiello. Humour, traits précis et surlignés...
Loïe Fuller (Charles Maurin)
Les amoureux de Montmartre ont jusqu'au 19 janvier pour flâner entre les œuvres de la collection Weisman-Michel et pour entendre à l'étage des illustrateurs la grande voix populaire de Monique Morelli chantant les poème de Bruant.
C'est une courte rue bordée de falaises de pierres de taille. Ses 156 mètres entre la rue Blanche et la rue de Clichy ont pourtant quelques histoires à nous raconter. Mais connaît-on une seule rue de Paris qui n'en ait pas?
Elle est créée en 1841 sous le nom de rue Laperche et attendra 1844 pour devenir rue Moncey.
Bon-Adrien Jeannot de Moncey (1754-1842) est familier aux Parisiens qui souvent ignorent que c'est lui, en bronze, qui domine sur un socle de pierres la place de Clichy.
Ce général partisan de la Révolution française fut un fidèle napoléonien. Devenu maréchal, il organisa la garde nationale et résista avec bravoure à l'invasion des troupes coalisées en 1814. Sa rue est donc située non loin de ses exploits, près des Batignolles.
Le n° 1 ouvre la voie à une série d'immeubles cossus et un peu lourds, toujours influencés par l'architecture haussmannienne. Construit au début du XXème siècle, il est dû à l'architecte F.A. Bocage à qui l'on doit d'autres immeubles parisiens chaussée de la Muette et surtout rue de Hanovre où il se montre plus audacieux et plus novateur.
6 rue de Hanovre (décoration de grès de Bigot, le grand artiste céramiste à qui on doit le Céramic Hôtel avenue de Wagram et le décor de St-Jean de Montmartre).
Le 2, un des plus vieux immeubles de la rue, a abrité un des grands écrivains du XIXème siècle : Guy de Maupassant.
Il a vécu 4 ans, de 1872 à 1876 dans une petite chambre de 12m2 située au rez de chaussée et donnant au nord sur la courette sans lumière. Cet enfermement a dû être rude pour l'homme jeune (il a 32 ans) habitué aux vastes espaces et aux rivages lumineux de Normandie.
Pour survivre, il s'échappa chaque samedi sur les bords de Seine, à Argenteuil ou Bezons où il canotait avec sa bande d'amis et quelques filles faciles.
Il n'empêche que c'est dans cette chambre où il recevait sa bande de joyeux drilles qu'il écrivit sa première nouvelle publiée, "La Main d'écorché" avant d'y recevoir des éloges pour une autre œuvre "Au bord de l'eau".
Son ami Léon Fontaine écrit : "Sa porte était ouverte à tout venant, et l'on était toujours accueilli par un bon sourire et une main cordialement tendue."
Le 3
Le 3 est un des immeubles les plus originaux de la rue. Il date de 1909 et a été conçu par Paul Perdriel, architecte de renom, humaniste passionné de bibliophilie et d'archéologie, maintes fois primé à des salons internationaux et médaille d'or pour la plus belle façade parisienne en 1904.
L'immeuble fut le siège de la C.G.F.T, Centrale Générale Française de Tramway.
Du 4 au 12
Du 4 au 12 il y eut une somptueuse demeure particulière, l'Hôtel Pillet-Will. Précisons Frédéric Pillet-Will (1837-1911) fils d'Alexis et banquier comme lui. Notre homme fut directeur de la Caisse d'Epargne et régent de la Banque de France. L'hôtel construit en 1872 fut détruit 31 ans plus tard! Il faut dire que les terrains valaient de l'or et qu'à son emplacement de nombreux immeubles cossus furent édifiés sur ce qu'on appelle aujourd'hui le square Moncey.
Square Moncey
Ces immeubles massifs forment des falaises le long des étroites rues en croix du square.
On peut apercevoir, fermant l'une de ces rues, de grands arbres majestueux, rescapés de l'ancien Tivoli qui connut le même sort que l'hôtel Pillet-Will.
Clotilde Briatte (toile de James Tissot).
Notre Pillet-Will, homme d'argent, brillait en société grâce à sa femme, Clotilde Briatte, qui écrivait des romans sous le nom de Charles d'Orino. Elle était adepte de la doctrine spirite d'Allan Kardec et affirmait qu'elle écrivait sous la dictée des esprits des nouvelles venues d'au-delà de la mort.
Le 7
Le 7 a belle allure…. Il est dû au tandem Navarre et Rousselot dont quelques immeubles et hôtels particuliers subsistent à Paris.
Le 9
… Suivent quelques beaux immeubles qui antérieurs à la fin du siècle et échappant au pastiche haussmannien présentent plus d'harmonie dans leur simplicité.
Le 11
Le 14
Le 14 qui date de 1850 est décoré de mascarons...
Le 17 est un des deux immeubles de la rue qui a sa petite place dans la grande histoire de l'Art. Le peintre Caillebotte y finança un atelier qu'il mit à la disposition en 1877 de son ami Claude Monet.
Monet voulait à cette époque peindre une série de toiles ayant pour sujet la gare Saint-Lazare toute proche.
Il avait alors de graves difficultés financières. Les dettes s'accumulaient et sa femme malade réclamait des soins coûteux. Une lettre envoyée au collectionneur Victor Choquet en témoigne :
"... Je vous demande de prendre une ou deux de mes croûtes… Je serai chez moi demain samedi 17 rue Moncey et j'espère que vous ne refuserez pas d'y venir."
Les mascarons des linteaux qui ont vu passer le peintre préoccupé et prêt à brader ses "croûtes" continuent de sourire aux passants et aux descendants de ceux qui ont eu le goût d'acquérir les croûtes de Monet et de leur assurer un beau pactole!
La rue se termine en arrivant rue de Clichy. Un petit personnage me guettait derrière une vitre, de toute l'intensité de son regard de chat.
C'est donc avec lui et un chat de Monet que je quitte la rue Moncey!
Encore une rue du bas Montmartre qui a bien des histoires à raconter et qui malgré ses modestes 274 mètres entre les rues Blanche et de Clichy aligne de remarquables immeubles.
Théodore Ballu
Elle s'appelait rue De Boulogne avant d'être baptisée en 1886 du nom de l'architecte de l'église de la Trinité et (avec un collègue) de la reconstruction de l'Hôtel de Ville incendié pendant la Commune.
Si l'on remonte un peu plus haut dans le temps, on trouve en 1760 à l'emplacement de la rue et d'une partie de celles qui l'environnent, une grande propriété qui appartenait à Jean Gaillard de la Bouëxière, opulent fermier général. Il y fit tracer un jardin ornementé de statues et de bosquets autour d'un pavillon qui se voulait inspiré du Petit Trianon.
Hôtel de La Bouexière (XVIIIème)
On parle alors de la Folie Bouexière. La propriété fut vendue en 1779 et en partie lotie d'hôtels particuliers.
Fragment de bas-reliefs de Le Jeune pour la Folie-Bouexière
L'autre partie fut louée pour accueillir un parc d'attractions, le Nouveau Tivoli, troisième du nom. Il est connu pour avoir permis à la bonne société de massacrer allègrement plusieurs centaines de milliers de pigeons, tirés pour le plaisir de ces chasseurs d'opérette. Ce "sport" nous venait d'Angleterre où il aurait dû rester!
La rue Ballu en 1902.
Ce n'est qu'en 1840 que la Folie est détruite pour permettre le percement de notre rue Ballu, alors rue de Boulogne.
Début de la rue Ballu (à partir de la rue de Blanche).
C'est rue Blanche où habitait Ballu (au 78) que commence notre rue...
Hôtel particulier de Théodore Ballu 78 rue Blanche
Le 1 rue Ballu.
Le 1 en partie à pan coupé sur la rue Blanche est occupé au rez-de-chaussée par un bar-tabac au nom très original : Le Ballu!
Le 5 rue Ballu
Mais très vite de beaux immeubles apparaissent qui témoignent de l'habitat de la grande bourgeoisie du milieu du XIXème siècle. Le 5 qui appartint à l'ingénieur Narcisse Maugin fut acquis en 1960 par la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) dont le bâtiment principal est au 11bis.
Le 7
Cet élégant hôtel fut comme son voisin du 7 construit par l'architecte J. Brevet. Le 5 est la Maison des Auteurs, lieu de rencontre et de travail des membres de la Société. Le 7 abrite une remarquable bibliothèque de plus de 200 000 documents du XVIIème à nos jours consacrés aux arts du spectacle.
(J'ai eu beau fouiner sur le net je n'ai rien trouvé d'intéressant sur Narcisse Maugin et J. Brevet!)
Le 11 bis est l'épicentre de cet ensemble harmonieux et cossu. Il s'agit de l'hôtel Blémont (1858) construit à l'origine pour le banquier Eugène Bertin dans un style composite devenu avec le temps le style Napoléon III.
Il est acheté au début du XXème siècle par Emile Blémont qui l'habite jusqu'à sa mort en 1927. Il prend alors le nom de son propriétaire.
Emile Blémont est bien oublié aujourd'hui alors qu'il fut ,en son temps un poète reconnu et apprécié. Sic transit Gloria mundi!
Proche des Parnassiens et des symbolistes il fut un ami de Victor Hugo et si l'on parle encore de lui c'est grâce à Rimbaud qui lui offrit le précieux autographe de "Voyelles" un de ses plus mystérieux poèmes.
Manuscrit de "Voyelles" offert par Rimbaud à Blémont.
Notons encore à son crédit qu'il est un des fondateurs de la Société des Poètes Français et qu'il dirigea une revue importante pour la vie littéraire : La Renaissance Littéraire et Artistique.
Verlaine peint par Bazille.
Enfin, il fut un de ceux qui reconnurent le génie de Verlaine alors qu'il était de bon ton de se moquer de ce poète. Verlaine ne l'oubliera jamais et il lui adressa un poème.
"La vindicte bourgeoise assassinait mon nom (…)
Mais vous, du premier jour vous fûtes simple, brave,
Fidèle; et dans un cœur bien fait cela se grave."
Sur le célèbre tableau de Fantin Latour "Coin de table" maintes fois reproduit pour Verlaine et Rimbaud qui y figurent, on peut voir au centre de la composition Emile Blémont.
Pour donner une idée de son talent citons quelques uns de ses vers, assez verlainiens, qui terminent son poème Brumaire dans lequel la nature agonise...
"On n'entend plus le cri de l'hirondelle!
La sève a peur sous le froid qui la mord;
Tout fait silence; et, seul, l'amour fidèle
Chante et fleurit au souffle de la mort."
La serre de l'hôtel Blémont
Le 11 bis est comme nous l'avons vu le siège de la SACD (Société des auteurs compositeurs dramatiques) qui avant de choisir en 1829 ce sigle s'appelait depuis 1777, année de sa création par Beaumarchais, Bureau de législation dramatique.
Le 6
Comme nous ne pouvions dissocier les numéros impairs du 5 au 11 bis qui font partie de la SACD, nous avons délaissé les numéros pairs. Réparons illico cet injuste traitement et traversons la rue pour tomber sur le 6, gros immeuble post art-déco qui a écrasé le petit hôtel incapable de se défendre devant l'appétit carnassier des promoteurs.
Son géniteur a signé son œuvre réalisée en 1932. Il s'agit de Jacques Bonnier (1884-1964) qui est aussi le responsable du massif immeuble du carrefour Duroc à Paris et qui conçut le pavillon de la Marine Marchande de l'expo de 1937.
Square Montsouris
Il avait plus d'imagination quand, plus jeune, il créa pour le "square Montsouris" une soixantaine de villas qui sont aujourd'hui, comme la villa Léandre de Montmartre, une enclave calme et poétique dans la grande ville.
Dans l'hôtel qui existait au 6, était installé le "Théâtre des Pantins". Le lieu était décoré par Bonnard et Vuillard (Bonnier qu'as-tu donc fait!)
Il est célèbre pour avoir représenté en 1897 avec des marionnettes, "Ubu Roi" de Jarry, donné sur scène au Nouveau Théâtre l'année précédente
Alexandre Dumas fils au cimetière Montmartre.
Au 10 bis rue Ballu s'élève un immeuble récent sans intérêt architectural. Il a pris la place de celui où a vécu Alexandre Dumas quelques années. S'il ne reste aucun souvenir de lui dans la rue, il suffit de marcher quelques centaines de mètres pour le rencontrer au cimetière Montmartre, là où il passe son éternité, les doigts de pied en éventail, non loin de son héroïne, Marie Duplessis (Alphonsine de son vrai prénom), devenue sous sa plume Marguerite Gautier, "la Dame aux camélias".
Tombe d'Alphonsine Duplessis. (Marie Duplessis)
Le 13
Le 13 est un immeuble intéressant construit en 1868 par l'architecte Jules Amoudru dont on connaît le bel hôtel du 17 cité Malesherbes.
C'est aujourd'hui le siège de la fédération des syndicats pharmaceutiques de France. On remarquera les rares cariatides engaînées de la façade.
Un imposant et hideux immeuble moderne a fait disparaître entre les 16 et 18 l'ancienne impasse Tivoli.
En 1836, au cours des terrassements qui suivirent la destruction de l'impasse, fut découverte une nécropole gallo-romaine d'une cinquantaine de squelettes. Avec les ossements furent exhumés des objets de bronze, des poteries de terre vernissée et des monnaies datant du règne de Constantin.
Le cimetière de Montmartre voisin a donc eu un antique prédécesseur!
Le 19
Le 19 est un élégant petit hôtel...
Le 23. Accès à la Villa Ballu
Avec le 23 s'ouvre la Villa Ballu, un des endroits les plus romantiques de Paris, resté indemne, on ne sait grâce à quelle bonne fée!
Détails du 23
Après le succès de l'Assommoir, Zola y vécut au 2ème puis au 1er étage, avant de déménager pour la rue de Bruxelles toute proche, où il trouva la mort en 1902, dans les conditions que l'on connaît. Il ne fut jamais prouvé malgré de fortes probabilités que le feu de cheminée à l'origine de son décès avait été criminel.
Il resta voisin de son quartier tant qu'il occupa sa tombe du cimetière Montmartre, avant de la quitter pour changer de rive et gagner le Panthéon.
Degas. Autoportrait 1857.
C'est encore au 23 que l'on trouve en 1890 Edgar Degas qui comme l'on sait fut un enfant du 9ème arrondissement où il eut plusieurs adresses jusqu'à la dernière, avenue de Clichy.
Villa Ballu
Dans l'impasse de la Villa (ancienne Cité Ballu) subsistent plusieurs belles demeures qui furent achetées par de riches propriétaires comme le marquis de Custine, le comte de Feydeau, le banquier Grenouillet. Notons que l'établissement de ce dernier deviendra la banque Hervet puis HSBC!
Le 6 Villa Ballu
Le 24
Le 24
Bel hôtel particulier au 24 qui respecte la tradition banquière de la rue puisqu'il sert de siège à la Société Financière d'Investissement!
Le 27 est un opulent immeuble construit en 1904 par les architectes H. Azière et L.Vuldy, deux compères sur lesquels je n'ai rien trouvé d'intéressant mais qui n'hésitaient pas à signer leurs réalisations, ce qu'on aimerait voir aujourd'hui!
Le 28
Le 28 étonne par son style flamand qui rappelle les maisons de Bruxelles ou de la grande place d'Arras.
Il a été construit en 1891 par l'architecte Gaston Dézermeaux qui pour moi a une certaine importance car il est l'auteur de l'Hôpital Maritime de Berck, la ville de mon enfance!
Mais loin de la côte d'opale, c'est pour Charles Wislin (dont le W est sculpté sur la façade), un peintre qui n'avait rien de flamand, qu'il dessina les plans de cet hôtel particulier somptueux.
Charles Wislin
Le peintre bien oublié aujourd'hui connut un grand succès qui assura sa fortune. Maupassant l'admirait pour ses paysages normands
Le 31. Belle façade.
le carrefour avec la rue de Vintimille a été baptisé "place Lili Boulanger". Parmi les 4 immeubles à pan coupé qui la composent, le 36 retiendra notre attention...
Il est aujourd'hui le 3 de la place qui curieusement rend hommage à Lili et non à sa sœur aînée Nadia qui pourtant naquit et vécut dans le même appartement familial.
Lili Boulanger
Est-ce parce que Lili, compositrice de talent qu'admira Fauré ami de la famille mourut en 1918 à 24 ans après avoir été la première femme à recevoir le 1er grand prix de Rome (pour sa cantate "Faust et Hélène")?
Sa sœur Nadia eut une longue vie puisqu'elle mourut en 1979 après avoir eu une belle carrière de compositrice et surtout de pédagogue renommée dont l'enseignement fut suivi par Gershwin, Michel Legrand, Quincy Jones et beaucoup d'autres!
Croisement rues Vintimille et Ballu. Actuellement place Lili Boulanger.
L'explication de cette "préférence" quant au nom de la place est la date, 1970, de cet hommage. Nadia avait alors 83 ans et, comme l'on sait, il n'était pas d'usage de donner des noms de rues ou de places à des vivants.
Les deux sœurs reposent au cimetière de Montmartre et peut-être serait-il juste de rebaptiser la place de leurs deux noms inséparables.
La poste 31 rue Ballu (1904)
Le 2 place Lili boulanger ancien 31 rue Ballu
Sur la place actuelle, à l'emplacement du 2 qui était le 31 rue Ballu, il y avait la poste de la rue Ballu aujourd'hui supplantée par "les Domaines qui montent" un marchand de vins.
A droite, le 2ème immeuble est le 35
Avant d'atteindre le rue de Clichy, une dernière adresse retiendra notre attention. Il s'agit du 35 où un sacré personnage, Prosper Enfantin, dont le nom est tout un poème, est mort de congestion cérébrale en août 1864. Sa vie, ses idées sont un roman. Pour simplifier rappelons qu'adepte de Saint-Simon il fut un des chefs du mouvement saint-simonien.
Il le fit dériver vers une formation sectaire, se donnant le titre de "père" et partant en Egypte à la recherche de "la mère", femme-messie qui formerait avec lui le couple nouveau. La liberté sexuelle qu'il prônait le met en avance sur son temps. On ne peut ignorer par ailleurs qu'il avait compris l'importance des échanges entre les peuples et avait tenté de convaincre le souverain d'Egypte de l'intérêt d'un canal… Le projet lui sera volé par Lesseps!
Il militait également pour la création d'un état juif.
Canal de Suez.
Nous quitterons la très opulente rue Ballu avec quelques citations du "Père Enfantin" qui rêva d'un monde plus juste et considéra qu'il fallait interdire l'héritage qui privilégie injustement certains dès leur naissance...
...Certains qui sans ce privilège n'auraient jamais pu faire construire leur hôtel rue Ballu!
"Qui n'aime pas en frappant est un bourreau"
"L'homme et la femme, voilà l'individu social; mais la femme est encore esclave, nous devons l'affranchir."
"Le produit des successions provenant du Trésor viendrait en dégrèvement des impôts les plus lourds pour le peuple."
La maison-musée de Gustave Moreau, rue La Rochefoucauld au pied de la Butte, est une inépuisable fabrique de rêves. Il suffit de se tenir devant une des œuvres laissées à l'emplacement qu'elles occupaient à la mort du peintre, pour entrer dans un monde de sensualité et de symboles...
Dessin de Gustave Moreau
Les amours de Zeus et de Léda ont inspiré de nombreux peintres et Gustave Moreau plus que d'autres puisque plus de vingt de ses toiles et dessins leur sont consacrés.
Dessin (encres de Chine) de Gustave Moreau.
Le mythe de Léda raconte comment le roi des dieux à l'appétit sexuel insatiable, réussit à posséder la femme du roi de Sparte.
Pour séduire l'épouse fidèle, il demanda conseil à Aphrodite qui imagina une ruse efficace : elle se transforma en aigle et poursuivit Zeus métamorphosé en cygne.
Léda. (Musée G. Moreau)
Léda qui était assise au bord des marais vit le bel animal effrayé venir se réfugier en battant des ailes vers elle. Prise de pitié, elle lui ouvrit les bras afin de le protéger.
Le mythe connaît plusieurs versions mais c'est cette dernière qui est la plus répandue et que Moreau interprète dans les deux toiles qui nous intéressent aujourd'hui.
La 1ère version, celle que je trouve la plus belle, moins travaillée dans le détail que la 2nde, représente Léda abandonnée, déjà conquise, les yeux clos comme dans un rêve.
Son corps est androgyne. Le buste est celui d'un adolescent tandis que le visage évoque le profil d'un héros grec.
Le cygne se dresse contre Léda, un peu en arrière comme pour ne pas la réveiller du charme qui s'empare d'elle. Sa tête semble la protéger tandis que son aile gauche se lève.
Sur la gauche du tableau c'est l'aile sombre de l'aigle qui se déploie. Les deux ailes, la blanche et la noire, sont comme celles du même prédateur, prêtes à se rejoindre et à se refermer sur le corps désiré. C'est l'originalité audacieuse de cette version que l'on ne retrouve pas ailleurs.
L'aile noire d'Aphrodite, l'aile blanche de Zeus, métaphore d'un désir ardent qui enveloppe sa proie.
Léda est passive à l'abri de son apparent sommeil. Elle attend l'étreinte du dieu. Peut-être est-il possible d'interpréter cette attente de Léda comme celle, plus ou moins consciente, du peintre lui-même, attiré par les hommes mais n'assumant pas ce désir. Cette attirance est souvent présente dans son œuvre où elle se réfugie et se dissimule dans la représentation des mythes.
Les génies assistent à la scène, tenant bien haut le feu qui pourrait embraser le monde.
Tout est soumission et abandon dans le corps de Léda. Le décor est à peine esquissé. Nous sommes dans l'ambigüité et l'incertitude du songe, au moment où le corps s'abandonne à l'amour, dans une passivité qui écarte la culpabilisation et le remords à venir.
La deuxième toile, exposée en bonne place dans le musée est la version la plus officielle et la plus achevée. Si la composition est la même, plusieurs éléments différent...
Le corps de Léda est cette fois féminin, les hanches larges, la poitrine affirmée.
Comme dans la première version, ses yeux se ferment. Aucune protestation devant l'insistance du cygne dont la volonté ne fait aucun doute.
Le bras gauche de Léda est levé, comme attaché à des liens que son désir suscite. En réalité ce sont des fleurs qui entourent sa main mais qui suggèrent des entraves telles que l'on en utilise dans certains jeux amoureux.
Le cygne s'est rapproché, sa tête s'appuie sur celle de Léda. Son aile levée s'estompe dans le décor et le voile blanc entre les jambes de la femme glisse comme du lait pour laisser place au séducteur.
Les génies veillent à la scène en portant la couronne du roi des dieux et le feu sacré tandis que l'amour vainqueur s'envole vers d'autres conquêtes...
L'éclair divin forme comme un ostensoir derrière le couple, donnant au mystère de l'amour une dimension mystique.
Le couronnement de la Vierge Marie, elle aussi séduite par un dieu, n'est pas loin!
Dans le décor confus où l'œil averti doit se frayer un chemin, on devine le monde des divinités qui peuplent la nature, tandis qu'agenouillé, les bras ouverts Pan accueille l'univers vibrant et aimant.
Hymne à l'amour, au mystère, à la force des désirs, la 2ème œuvre comme la première est féconde en interprétations et en balades imaginaires.
Elles nous invitent à la rêverie…
Les toiles de Moreau ressemblant à la Nature dont parle Baudelaire :
"L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers."
Liens : les œuvres de Moreau étudiées dans ce blog :
Ninette Aubart (Fannie Brett, "Titanic" de James Cameron)
Dans le cimetière Saint-Vincent (division 13) à quelques mètres du mur qui la sépare de la rue des Saules et du Lapin Agile, une tombe banale laisserait le passant indifférent si n'étaient gravés sur la pierre quelques mots qui intriguent....
Ninette Aubart 1887-1964 - Rescapée du TITANIC
Impossible de ne pas chercher à en savoir plus! Qui est cette Ninette Aubart qui après avoir échappé à la catastrophe est venue s'échouer sur la Butte?
C'est à Montmartre, au Lapin Agile, de l'autre côté du mur, qu'elles'est fait connaître grâce à un physique très parisien, fait de sensualité et de gouaille et une voix spirituelle.
Malgré ses qualités et son talent, elle n'aurait sans doute laissé aucune trace dans la vie montmartroise si elle n'avait embarqué à Cherbourg, le 10 avril 1912 sur le navire dont le nom est resté dans l'histoire.
Elle n'a pas un goût particulier pour la Butte qui à la fin du XIXème siècle est un vaste chantier, entre avenues nouvelles et maquis. Elle préfère habiter dans les beaux quartiers, là où vivent les familles respectables!
C'est à Montmartre pourtant que la chance lui sourit. Elle séduit un Américain fortuné, amoureux de Paris au point d'y avoir acheté un grand appartement et d'y séjourner parfois sous divers prétextes. Il s'agit de Benjamin Guggenheim, homme marié et père de trois filles dont la dernière, Peggy illustrera son nom en devenant une des plus avisées et des plus audacieuses collectionneuses d'art, en même temps qu'un généreux mécène.
Benjamin est à ce point mordu qu'il propose à Ninette de rentrer avec lui aux Etats-Unis. Il a déjà réservé sa cabine sur le Lusitania qui doit quitter Cherbourg au début du mois d'avril 1912
Ninette n'hésite pas un instant et accepte de suivre son amant qui pour lui prouver sa reconnaissance la comble de présents achetés dans les joailleries et les magasins de haute couture.
Dans ses malles, Ninette fait ranger soigneusement par sa femme de chambre, Emma Sägesser, 24 paires de chaussures, 24 robes, plusieurs "jeux" de culottes, des dizaines de pièces de lingerie fine...
Elle n'oublie pas de serrer dans ses coffrets les bijoux offerts par son amant dont les plus beaux sont d'or serti d'émeraudes.
Ninette aime à la folie ces pierres couleur d'eau profonde.
Le Titanic
Les bagages sont prêts, la date se rapproche quand par malheur le départ est différé. Le Lusitania connaît des avaries et doit être inspecté et réparé. Le Carminie est prévu pour le remplacer, mais Benjamin Guggenheim préfère réserver sa cabine de 1ère classe et celle de Ninette sur un autre navire dont tout le monde parle et qui s'apprête à faire sa croisière inaugurale, le TITANIC.
Ninette se réjouit de voyager sur le plus beau bateau du monde, en compagnie de la meilleure société.
Elle y embarque avec Emma Sägesser et s'installe dans la luxueuse cabine B-35.
Pas de suspense! On connaît la suite!
Deux jours plus tard, dans la nuit du 14 avril le TITANIC heurte un iceberg. Ninette qui a ressenti la première secousse l'a jugée sans gravité et est retournée se coucher.
Benjamin la réveille et la conduit ainsi que sa femme de chambre jusqu'aux canots de sauvetage, réservés par priorité aux passagers de 1ère. Il assiste à la mise à l'eau du canot n°9 dans lequel elles ont été hissées.
Il revêt ensuite son plus beau costume et participe à l'organisation des secours. Il trouve le temps d'écrire une lettre à sa femme et de la confier à un steward.
Il ne lui raconte pas d'histoire en lui parlant d'amour éternel, il lui dit simplement qu'il espère avoir fait de son mieux en remplissant son devoir.
Ninette qui a tout perdu et qui plus tard dressera la liste de ses bijoux et de ses vêtements en espérant être indemnisée, assiste à la disparition du TITANIC et de l'homme qui devait changer sa vie.
Une fois débarquée aux Etats-Unis, elle n'a plus rien pour survivre. C'est la femme de Benjamin Guggenheim qui lui paye le billet de retour. Sans doute désire-t-elle l'éloigner au plus vite afin d'empêcher que s'ébruite une liaison qui, dans l'Amérique prude de ce temps, aurait porté préjudice à la réputation morale de son mari.
Ninette Aubart, sans ce naufrage, serait restée une illustre inconnue, une maîtresse parmi d'autres dans la liste d'un amateur de femmes.
Ninette Aubart (Fannie Brett) et Benjamin Gugenheim (Michael Ensign) Titanic de Cameron.
Rescapée du naufrage, elle a vécu en France une vie banale.
Quelques rares photos nous montrent une femme apparemment sans histoire!
45 ans après le naufrage. Ninette joue au bridge.
Ninette Aubart préfère sa Versailles au Titanic!
Elle repose aujourd'hui à quelques mètres du cabaret où elle a été chanteuse, très loin de la fosse marine où a été englouti son célèbre amant dans une eau de la couleur des émeraudes qu'il lui avait offertes.
Il est passé comme une météorite dans le ciel de Montmartre. Nocturne, enflammé, se consumant de sa propre énergie. Il déboule au Chat Noir de Salis en 1881. Huit ans plus tard il meurt après six mois de souffrances à l'hôpital Lariboisière. Il a 34 ans.
Ce qui nous intéresse c'est avant tout son passage à Montmartre mais il faut rappeler sa naissance peu banale. Il arrive en effet dans une famille d'origine écossaise, son arrière-grand père écossais étant venu en France pour être garde du corps du roi Louis XV! On raconte qu'il s'en fallut de peu qu'il ne perdît la tête sur la guillotine.
Petit séminaire de Saint-Mesmin
Il vient au monde un quart d'heure après son frère jumeau Donald.
Il fera ses études au petit Séminaire de Saint-Mesmin. Aristocratie, religion… on ne peut pas dire qu'il sera partie prenante de l'une ou de l'autre! Il est vrai que dans sa famille les idées socialistes et progressistes étaient à l'honneur...
Il a 21 ans quand il arrive à Paris où il trouve un travail pas trop contraignant, celui d'employé de la Poste, ce qui lui donne le temps et surtout la disponibilité intellectuelle pour écrire, dessiner et participer à la vie intellectuelle du quartier latin où il habite d'abord.
Emile Goudeau
C'est là, loin de la Butte qu'il rencontre Emile Goudeau et s'inscrit au Club des Hydropathes en 1878. Grâce à cette rencontre, il change de quartier en 1881 quand Goudeau se laisse convaincre par Rodolphe Salis de le rejoindre au cabaret du Chat Noir qu'il vient de créer à Montmartre.
Sarah Bernhardt au club des Hydropathes
C'est ainsi que Mac Nab devint montmartrois! Lui qui ne manquait pas d'humour, habitué à la fréquentation de Charles Cros ou d'Alphons Allais (tous deux hydropathes) dut s'amuser d'apprendre que le cabaret de Salis s'était ouvert dans un ancien dépôt postal!
Le Chat Noir 84 boulevard de Rochechouart
Ce premier Chat Noir avait pour adresse le 84 boulevard de Rochechouart et son enseigne (aujourd'hui au musée Carnavalet) était l'œuvre de Willette.
L'enseigne de Willette pour le Chat Noir
Aussitôt il obtient un franc succès. Son allure rigide, son côté "croque-mort", son sérieux imperturbable pour débiter des histoires absurdes ou drôlatiques, des poèmes décalés ou provocateurs plaisent au public d'étudiants et d'artistes.
"(…) Qu'il est doux d'être deux! Deux hier, deux demain,
Deux toujours au banquet d'amour et d'harmonie!
S'il est vrai qu'ici-bas on ne puisse être heureux
Sans qu'on se soit donné le plaisir d'être deux,
Il faut bien l'avouer, dans la nature entière
L'être le plus à plaindre est le ver solitaire!"
Mac Nab qui s'exprime avec difficulté dans le quotidien et qui est entravé par un bégaiement dont il n'a jamais pu se débarrasser trouve en public une facilité d'élocution et une liberté qui l'étonnent lui-même.
Place Pigalle
Il apprécie Montmartre et aime se balader dans ses rues avant de rejoindre le Chat Noir :
" Hier soir vers cinq heures, je faisais tranquillement mon tour du Lac. Ce qu'on appelle le Lac à Montmartre, c'est le bassin de la place Pigalle; cet endroit est très fréquenté au moment de l'absinthe."
Le Chat Noir rue Laval (Victor Massé)
Quand Salis, le succès aidant, trouve un lieu plus vaste rue Laval (aujourd'hui rue Victor Massé) pour y installer son Chat Noir, Mac Nab suit le mouvement et poursuit sa carrière de poète-chansonnier, sans souci de carrière ni de fortune car contrairement au refrain de Bruant : "Je cherche fortune tout au long du Chat Noir, et au clair de la lune à Montmartre le soir.." il ne cherche pas à s'enrichir et se fait payer avec les verres qui lui sont offerts pendant toute la soirée!
C'est l'époque la plus créative de sa courte carrière. Il publie ses "Poèmes mobiles" en 1885 qu'il dédie, en termes médiévisant à son hôtesse joueuse :
"A vous très chère et très plaisante araignée qui souvente fois vintes vous esbattre en les régions perturbées de ma folle teste."
Il publie ses "Poèmes Incongrus en 1887 :
"Gloire à ceux qui rient et font rire les autres, ils sont les véritables bienfaiteurs de l'humanité (…)"
La préface a été écrite par Voltaire qui ne manque pas, venu d'outre-tombe de fréquenter le Chat Noir!
L'expulsion
"Les princes c'est pas tout : plus de curés,
Plus de gendarmes ni d'mélétaires!
Plus d'richards à lambris dorés,
Qui boit la sueur des prolétaires!
Qu'on expulse aussi Léon Say
Pour que l'mineur il s'affranchisse,
Enfin que tout le monde soye expulsé,
Il rest'ra plus qu'les anarchisses"
Un de ses plus grand succès lui est assuré par "le grand métingue du métropolitain". Il y met en scène un ouvrier îvre-mort qui est emmené au poste au cours d'une manifestation anti-métro :
"Peuple français la Bastille est détruite
Il y a z'encore des cachots pour tes fils!
Souviens-toi des géants de quarante-huite
Qu'étaient plus grands qu' ceuss' d'aujour d'aujourd'hui
Car c'est toujours l'pauvre ouverrier qui trinque
Même qu'on le fourre au violon pour un rien!
C'était tout de même un bien chouette métingue
Que le métingue du métropolitain!"
Le Chat Noir, extérieur et intérieur.
Evidemment la "présence" physique nous manque qui permet de comprendre le succès du chansonnier. Il gardait un air sinistre en disant des absurdités ou en assénant des images macabres. Sa voix était étrange, à la fois rauque et zézéyante.
Parmi ses textes les plus connus figure "les fœtus" où il donne la parole à ces créatures qui flottent dans des bocaux de formol :
Illustration Henry Gerbault
"(…) Mais que leur bouche ait un rictus,
Que leurs bras soient droits ou tordus,
Comme ils sont mignons ces fœtus!"
...
"Et vous seuls, vous savez, peut-être,
Si c'est le suprême bien-être
Que d'être mort avant de naître!"
De sa vie amoureuse on ne sait pas grand chose sinon qu'il resta célibataire. Un de ses plus étranges poèmes parle des femmes d'une manière qui nous ferait croire qu'il n'aimait pas trop s'y frotter. La ballade des derrières froids nous en donne une idée :
"(…) Aussi quand la luxure ardente, irraisonnée,
Dans les chauds soirs d'automne ou dans la matinée,
Invisible serpent me poursuit et me mord,
Je redoute à l'égal d'une arme empoisonnée
La froideur du derrière, image de la mort."
Un de ses poèmes parle aussi de la tuberculose. C'est la maladie qui s'acharne sur lui et le torture.
Il continue néanmoins d'assurer ses passages au Chat Noir, fiévreux et grelottant...
Il joue les spécialistes en médecine et écrit une "thèse" qu'il présente devant le jury hilare de l'Université de Montmartre. Le sujet en est "le mal de cheveux et la gueule de bois"!
Mais on a beau se moquer de la mort qui guette, on ne joue pas à armes égales. Mac Nab part en 1888 pour Cannes où il est employé des postes à mi-temps. Le climat qu'il espérait bénéfique ne l'est en rien et c'est à Paris, à l'hôpital Lariboisière qu'il passe les derniers mois de sa vie.
Il meurt le matin de Noël 1889...
Son ami Charles Cros imagine la mort dans son poème "le testament" avec des mots qu'on aimerait être ceux de Mac Nab :
Ils sont nombreux les music-halls dont ne subsistent que le nom dans la mémoire de notre quartier… La Gaîté Rochechouart est un de ceux-là.
Ce n'était à l'origine, au 15 du boulevard de Rochechouart, qu'un vaste hangar qui servait d'entrepôt. Un dénommé Flécheux l'acquit pour le transformer en music-hall. Disons plutôt pour y installer chaises, tables, estrade rudimentaire. Le lieu était triste et banal, une bonne raison pour l'appeler "La Gaîté"!
Nous sommes en 1867, date de naissance de ce "music-hall" qui l'année suivante compléta son nom et devint "La Gaîté-Rochechouart".
Emilie Bécat
Il passa ensuite entre les mains de plusieurs propriétaires parmi lesquels, la plus originale fut Emilie Bécat, chanteuse aux nombreux admirateurs fascinés par son talent et son énergie.
Paulus qui l'aimait beaucoup a parlé d'elle dans ses mémoires : "C'était du vif argent. Elle courait, bondissait, se tordait avec des gestes câlins et canailles". elle inaugura un genre qu'on qualifia d'épileptique!
C'est en 1876 que grâce à un riche protecteur, elle put réaliser son rêve et acquérir ce music-hall. Elle en prit possession comme un capitaine ignorant des règles de la navigation.
Elle présenta sur scène Jean Richepin qui interprétait ses textes et qui malgré son succès populaire fut poursuivi par la justice à cause de ses "Chansons des gueux". Amende et prison pour avoir décrit une étreinte entre deux clochards!
Jean Richepin
La jeune Mistinguett y fit ses débuts en 1876 mais n'y chanta que quelques mois avant de choisir l'Eldorado dont le nom et le renom nom lui promettaient une riche carrière!
Ni Richepin ni Mistinguett ne suffirent à assurer la rentabilité de la salle qu'Emilie ne savait gérer. Elle perdit l'argent que ses charmes lui avaient rapporté et elle quitta Paris pour Saint-Pétersbourg où elle espérait se refaire une santé!
Jane d'Alma à la Gaîté Rochechouart
La salle fut reprise par Auguste Richard qui créa les premiers cafés- concerts jusqu'en 1892 où les Varlet prirent le relais et firent de la Gaîté un des lieux les plus vivants et les plus appréciés des amateurs.
Roussel à la Gaîté Rochechouart
Mauricette d'Arbois à la Gaîté Rochechouart
Pendant 24 ans la Gaîté-Rochechouart vécut sa grande période. La plupart de ses vedettes d'une saison sont aujourd'hui oubliées mais il suffit de regarder leurs photos pour que revive la Belle Epoque avec sa fantaisie, son kitsch, ses artifices et ses charmes.
De Vincenzi à la Gaîté Rochechouart
Ces "beautés" fin de siècle nous étonnent parfois tant elles sont, pour la plupart, éloignées des canons actuels.
De morlaix à la Gaîté Rochechouart
Parmi les vedettes les plus appréciées, une certaine Merelli occupa une des premières places si l'on en juge au grand nombre de cartes postales la représentant.
Léotor à la Gaîté Rochechouart
Verly à la Gaîté Rochechouart
Sterly à la Gaîté Rochechouart
Pendant cet âge d'or, la Gaîté faisait sa publicité sur les murs de Paris et recevait parmi ses spectateurs des poètes et des peintres de Montmartre.
Certes les autres music halls du boulevard, surtout après l'ouverture du Moulin Rouge, avaient-ils plus de succès et plus de "stars" que la Gaîté mais on connaît au moins un dessin de Lautrec y représentant Nicolle en pierreuse (prostituée de la rue)
Une autre artiste qui marquera l'histoire de la chanson française passa par la Gaîté en 1910.
Il s'agit de Fréhel. Elle venait de divorcer d'un comédien bellâtre, Roberty qui après avoir fait un enfant qui ne survivra que quelques mois, lui avait préféré Damia, la grande rivale aux accents tragiques, voire mélodramatiques.
Fréhel qui avait abandonné son nom de scène "Pervenche" pour celui du cap breton qui lui rappelait ses origines, impressionne encore aujourd'hui par sa voix forte et populaire, par ses textes réalistes qui avec le temps ont pris une teinte poétique et mélancolique.
Le bas Montmartre où elle a vécu et où elle est morte, misérable, dans une chambre sordide d'un hôtel de Pigalle, reste lié à son histoire. Elle a d'ailleurs chanté le quartier saccagé par la spéculation immobilière:
"Mais Montmartre semble disparaître
Car déjà de saison en saison
Des Abbesses à la place du tertre
On démolit nos vieilles maisons.
Sur les terrains vagues de la Butte
De grandes banques naîtront bientôt,
Où ferez-vous alors vos culbutes,
Vous les pauvres gosses à Poulbot? (…)"
Colette
Une autre grande dame se produisit à la Gaîté. Il s'agit de Colette qui y donna ses pantomimes avec un certain succès.
Elle évoque cette période de sa vie dans son roman "La Vagabonde" où la Gaîté-Rochechouart est appelée "L'Empirée-Clichy". La romancière y a rencontré de nombreuses artistes fauchées et a porté sur elles un regard fraternel (on dirait aujourd'hui sororal) et quelques fois amoureux.
"L'espèce n'est pas rare en ce pays montmartrois de ces filles qui vivent de misère et d'orgueil, belles de leur dénuement éclatant."
En 1923 un incendie détruisit le théâtre qui fut remanié et reconstruit.
Pendant quelques années de nombreuses pièces légères y furent données comme "Quand on a fait ça une fois"..."La mariée en vadrouille"... Certaines y furent créées : "C'est un enfant de l'amour", "Jojo le livreur d'amour", "L'Ecole des courtisanes"...
Mais comme la plupart des théâtres du boulevard, la Gaîté ne faisait plus recette. L'avènement du cinématographe lui porta le coup de grâce. Tout en gardant son nom, la salle se transforma en cinéma en 1932.
En attendant que la télévision à son tour ne le détrône et provoque la fermeture des grandes salles aux trois-quarts vides.
Le nom même de "Gaîté -Rochechouart" disparut définitivement en 1988.
Des commerces variés et éphémères se sont installés à sa place. Aujourd'hui, c'est une enseigne de vêtements masculins, sans fantaisie ni originalité qui ouvre ses portes à des hommes qui ignorent que leurs aînés venaient là, au temps du music hall, non pour acheter des jeans et des joggings mais pour rêver devant des femmes vêtues de plumes, de strass et de lumière.