Depuis le 15 mars, le musée de Montmartre propose une nouvelle exposition. J'avoue que je ne connaissais rien d'Auguste Herbin (1882-1960), un peintre qui eut pourtant un vrai rayonnement et fut apprécié par certains de ses contemporains et dénigré par d'autres.
Autoportrait 1903
Homme du nord, il est fasciné par les couleurs. Pas étonnant qu'il soit lié comme Matisse à la ville du Cateau-Cambrésis où il s'initie au dessin et à la peinture.
Il fréquente ensuite l'école des beaux Arts de Lille où il est attiré par l'Impressionnisme et le pointillisme.
Toits de Paris sous la neige (1901)
Il arrive à Paris en 1901. Il est influencé par Cézanne et Van Gogh. C'est sous leur influence qu'il ose les couleurs franches de l'un et la composition plus géométrique de l'autre.
Les trois vases
Portrait de jeune fille 1907
Autoportrait 1906
Il est alors considéré par la critique comme un Fauve. "La marque du Fauve est partout" écrit à propos de son œuvre un critique américain.
C'est le début pour Herbin d'une longue vie d'artiste faite de métamorphoses qui désorientent et, selon moi, expliquent en partie l'oubli dans lequel il est tombé
Après la période fauve, il se convertit au cubisme.
Il expose avec Braque, Picasso, Metzinger, non pas en suiveur mais en artisan majeur de ce mouvement. S'il ne noue pas de véritable amitié avec ces peintres, il les côtoie cependant et c'est à Picasso qu'il succède dans l'atelier que le Catalan louait au Bateau-Lavoir. Il y restera dix-huit ans.
Famille femme et enfant (1914)
Il se distingue par sa palette colorée et contrastée.
La majeure partie de l'exposition est consacrée, à juste titre, à cette période créatrice.
Paysage à Hardicourt (1911)
Le tableau "Jardin devant une maison" est surprenant. Il est à la fois réaliste avec ses maisons en arrière plan et déjà abstrait avec cet arbre-jardin qui gravite sur lui-même comme une planète.
Après guerre, Herbin quitte ses années cubistes comme on se défait d'une mue pour s'intéresser à l'Art Monumental que défendent le Bauhaus en Allemagne ou le Constructivisme en Russie.
Composition 1,2 et 3 (1919)
J'avoue que cette partie de son œuvre ne me touche pas beaucoup. J'y vois un exercice intellectuel, une composition théorique dont la qualité principale cependant reste la franchise des couleurs.
Devant l'échec commercial de ses compositions et l'impasse où il s'est engagé, Herbin change du tout au tout.
Nature morte à la nappe (1937)
Il revient à la figuration, période qui correspond à son adhésion temporaire au Parti Communiste.
Joueurs de boules 2 (1923)
Nous pourrions croire devant l'aspect monumental un peu figé de ses personnages qu'il se rapproche de l'esthétisme du réalisme socialiste. En réalité, il n'en est rien car Herbin insuffle dans ses compositions une atmosphère étrange, quasi surréaliste.
Ses natures mortes semblent s'animer et devenir animales comme ces concombres, nœud de serpents!
Les concombres 1926
Un critique parle de "réalisme magique" pour définir cette période qui à mon goût est, avec la période cubiste, la plus intéressante et la plus originale.
La fabrique 1925
Mais Herbin ne se satisfait pas de son nouveau travail. Lui qui avait déjà été tenté par l'abstraction retrouve son attirance pour les lignes et les couleurs qui ne cherchent pas à dessiner une réalité.
L'homme oiseau 1926
Et maintenant l'abstraction devient la règle.
Synchronie en jaune 1940
Nous ne trouverons plus de tentation figurative. Herbin devient et restera jusqu'à sa mort en 1960, un peintre abstrait.
Fasciné par les formes et les couleurs capables de tout exprimer sans avoir besoin de figurer la réalité, comme le Rimbaud des Voyelles, il met au point un alphabet plastique. Chaque lettre correspond à une figure géométrique, chaque couleur est évocatrice de sentiment ou d'atmosphère.
Par exemple dans le tableau intitulé "Lune", nous allons trouver le triangle jaune du L, la forme hémisphérique bleue du U, le triangle blanc du N, la forme sphérique rouge du E :
Lune 1945
Je reconnais que je reste un peu hermétique à cette "écriture" qui pour être comprise exige que nous soyons francophone!
Parfum 2. 1954
Herbin ne cessera dans les dernières années de sa vie de jouer avec son alphabet.
Plutôt que d'essayer de traduire ses formes et ses couleurs, mieux vaut les recevoir telles qu'elles s'offrent à nous et nous touchent selon notre sensibilité.
L'exposition se termine avec les tableaux alphabétiques. Ils sont la dernière mutation, la dernière métamorphose d'un peintre toujours en recherche.
Impressionniste, fauve, cubiste, Monumentaliste, réaliste, abstrait. C'est beaucoup pour un seul homme!
Dieu 1957
Nous pouvons admirer cette disponibilité d'un explorateur de nouveaux chemins, comme nous pouvons nous demander pourquoi cet explorateur n'est jamais allé au bout de ces chemins.
Les uns admireront son "évolution" et son dernier travail qui ouvre sur l'art cinétique et l'art optique, les autres regretteront qu'il n'ait pas exploré plus longuement les territoires successifs qu'il découvrait.
Génération 1959
Mais tous les visiteurs auront l'occasion de rencontrer les différents avatars d'Auguste Herbin et d'accueillir ce qui reste une constante de son art : le goût des couleurs de plus en plus franches, hymne à la vie et à sa diversité.