Sarah Bernhardt avait un tigre, couleur noir et or...
Il montait la garde dans son hôtel particulier et impressionnait les visiteurs...
La diva avait une passion pour les fauves et les félins, à la manière de son époque où rares étaient ceux qui se préoccupaient de la souffrance animale. N'est pas Louise Michel qui veut!
Elle posséda, à certaines périodes de sa vie, une arche de Noé composée de caméléons, de singes, de pumas, de crocodiles.
Animaux dont elle se défaisait dès qu'ils devenaient encombrants.
Elle acheta même à Mr Cross un lionceau qu'elle exposa dans une cage dans son hôtel. Au bout d'une semaine la puanteur était telle que le lionceau fut renvoyé à son vendeur.
Et son tigre?
Eh bien il entra chez elle et y resta des années malgré sa belle taille : 88 cm de haut, 1 m35 de long.
Son âge exact, nul ne le sait vraiment. Il a vu le jour entre le début du XVIIIème siècle et la première moitié du XIXème, au Japon, pendant l'époque Edo.
Il a été acheté par Siegfried Bing, célèbre vendeur d'art japonais qui participa à la mode japonisante dans la création française. Sarah en fit l'acquisition dans son magasin de la rue Chauchat "Fantaisies Japonaises" où il était exposé et faisait l'admiration de tous les amateurs.
Il lui en coûta 6000 francs, environ 25000 euros!
Il est exceptionnel et mérite bien ce prix! De laque et d'or, il semble avoir été surpris et, queue dressée, se mettre en position d'attaque, les yeux (de verre) exorbités.
Réaliste et fantastique à la fois, il impressionne et fascine….
La patte avant droite porte une encoche qui laisse penser que manque une partie de la sculpture. Peut-être une proie maintenue au sol...
Il se sentait bien chez Sarah, ne dérangeait personne, n'avait d'odeur que celle de l'encens qu'on faisait brûler devant lui...
Bref, il jouait son rôle décoratif à merveille jusqu'au jour où...
Nous sommes en 1895, Sarah joue dans une pièce de Victorien Sardou, "Théodora". Elle connaît toujours le succès mais ses dépenses folles menacent son équilibre financier.
Il faut trouver au plus vite de quoi apaiser les créanciers dont la meute ne recule pas devant la gueule menaçante du tigre.
Si l'on en croit Edmond de Goncourt, elle écrit à Cernuschi pour lui proposer d'acquérir l'animal :
" Je suis pauvre comme mon aïeul Job. Voulez-vous m'acheter 3000 francs un tigre que j'ai payé 6000 francs chez Bing? … Mais j'ai besoin d'argent tout de suite… Je m'adresse à vous, parce que mon tigre est superbe et japonais."
Et voilà comment , bradé à la moitié de sa valeur, le magnifique félin rejoint la collection Cernuschi.
Il y est à l'honneur mais il garde quelque chose du prestige de son ancienne maîtresse car dans sa vitrine, son curriculum vitae rappelle qu'il fut "LE TIGRE DE SARAH BERNHARDT".
La gaité, l'humour, l'intelligence, l'ironie, le champagne... c'est une part de l'insouciance et de l'impertinence du 2nd Empire, des oeuvres d'Offenbach, des opérettes doux-amer... c'est tout cela qu'évoque ce nom qui fut célébrissime : Henry Meilhac.
C'est tout cela que pleure comme irrémédiablement perdu cette muse qui penche son visage vers la terre.
C'est une des plus belles tombes du cimetière de Montmartre, figure de proue de la 21ème division entre l'avenue Berlioz et l'avenue Cordier.
Elle représente la Douleur.
Sans doute Meilhac aurait-il préféré avoir pour compagne d'éternité la danseuse de l'Elysée-Montmartre!
L'Elysée Montmartre
Il est typiquement ce qu'on appelle un bon vivant. Il aime la vie et ses plaisirs, il aime regarder vivre ses contemporains et c'est avec humour, avec mordant mais aussi avec une certaine sympathie qu'il les représente dans ses comédies.
Il est bel homme et refuse le mariage qui lui imposerait un cadre dont il ne veut pas et qui le priverait de sa liberté de vagabondage!
Il a commencé sous le pseudonyme de Talin par le dessin dans le "Journal pour Rire" (1852-1855) où sa fantaisie pouvait se donner libre cours.
Meilhac (debout) et Halévy
Mais la grande rencontre de sa vie c'est celle, en 1860, de Ludovic Halévy (presque voisin au cimetière de Montmartre). Leurs deux noms vont former un tandem inséparable pendant près de 20 ans!
Les livrets des plus célèbres opérettes d'Offenbach sont leur oeuvre : La Belle Hélène, La Vie parisienne, La Grande Duchesse de Gerolstein, la Périchole....
Caricature de Meilhac (gauche) et Halévy.
Leur proximité d'esprit avec le grand musicien est telle que paroles et musiques nous semblent ne faire qu'un. La virtuosité, le génie d'Offenbach irriguent les paroles des librettistes, la drôlerie, la fantaisie des paroles donne aux airs célèbres un peu plus de piment....
La collaboration de ces trois hommes est unique et féconde. Elle est le témoin d'une époque d'ivresse et de plaisir qui était capable de se moquer d'elle même et de ses travers et qui pressentait qu'elle dansait sur un volcan...
Meilhac et Halévy ont également écrit le livret de Carmen, de Manon de Massenet. On leur doit aussi celui de l'opérette la plus célèbre de Charles Lecoq, Le Petit Duc.
Meilhac a encore écrit des vaudevilles. Certains ont connu un grand succès comme Frou-frou.
Sarah Bernhardt dans Frou-frou
Sa modernité vient de son humour parfois absurde, des situations improbables, de la loufoquerie des mots, de la préciosité ironique de ses aphorismes. Ce goût parfois trop prononcé de Meilhac pour ce qu'on pourrait appeler un surréalisme de comédie, a dû être pondéré par Halévy qui se prenait plus au sérieux.
Néanmoins Meilhac, en 1888, fut accueilli à l'Académie Française, quatre ans après son compère Halévy.
Sépulture Halévy au cimetière de Montmartre
Il meurt en 1897 au coeur d'une Belle Epoque dont il avait été un des représentants les plus iconoclastes.
"En témoignage de sincère admiration et d'affectueuse gratitude ce monument fut élevé par un ami"
C'est son ami Louis Ganderax avec qui il avait dirigé la Revue de Paris et écrit "Pepa", pièce créée à la comédie française, qui commande en 1900 la statue qui orne le monument funéraire dessiné par l'architecte Louis Dauvergne.
Louis Dauvergne a laissé dans le XVIème arrondissement, rue de l'Alboni, un groupe remarquable de huit immeubles. Il est connu également pour avoir veillé à l'achèvement de l'église Saint-Pierre de Neuilly dont l'architecte Alfred Dauvergne était son père.
Albert Bartholomé (1848-1928), l'auteur de la statue, est un de nos grands sculpteurs. Il est lié à Montmartre où il rendait visite régulièrement à son ami Degas. Un autre peintre était un de ses proches, Puvis de Chavannes.
L'influence de ce dernier est sensible dans l'élégance un peu hiératique de ses sculptures. Avec lui il fait partie du mouvement symboliste de la fin du XIXème siècle.
Le monument aux morts (la Porte de l'au-delà) au Père Lachaise
Le chef d'oeuvre qui l'a fait connaître et reconnaître c'est son monument aux morts du Père Lachaise qu'il appelait "la Porte de l'au-delà".
Cette oeuvre sérieuse et austère au questionnement métaphysique n'évoque pas vraiment l'univers de Meilhac. Pas plus que la douleur assise sur son tombeau.
On imagine que serait plus à sa place la Danse de Carpeaux qui orne la façade de l'Opéra, à quelques mètres de l'immeuble où mourut Offenbach et non loin de celui où mourut Meilhac
Cette petite artère entre les rues Marguerite de Rochechouart et du Faubourg Poissonnière peut paraître anodine et sans éclat. Elle fait pourtant partie de l'histoire de Montmartre, modestement mais sûrement!
Il y eut, dans cette campagne proche du centre de Paris, en 1818, les Promenades Egyptiennes, un parc de beaux arbres où avaient été installées les célèbres "Montagnes Egyptiennes"
Il s'agit des ancêtres des montagnes russes. De hauts pylônes soutenaient des cables sur lesquels glissaient des chariots qui avaient été élevés par treuil jusqu'à la plate forme de départ.
Face à la rue du Delta le 166 Faubourg Poissonnière évoque l'Egypte.
Après plusieurs accidents, les montagnes furent démontées et les Promenades égyptiennes devinrent en 1819 le jardin du Delta.
Courses de char, divertissements, feux d'artifice de Claude Ruggieri lui permirent de perdurer jusqu'en 1824 et la décision des propriétaires de trouver un meilleur profit en lotissant la rue.
Rue de Dunkerque
La rue prend naturellement le nom de Delta. Un nom qui plaît puisque qu'il n'y aura pas moins de trois rues qui l'évoqueraient : rue Neuve du Delta (aujourd'hui la partie la plus orientale de la rue de Dunkerque), rue du Delta-Lafayette (aujourd'hui rue de Valenciennes près de St Vincent de Paul).
La seule qui porte encore ce nom c'est notre rue qui va du Faubourg Poissonnière à la rue Marguerite de Rochechouart (200mètres).
Le 1
Le premier immeuble côté impair est une belle construction industrielle 1900, aujourd'hui siège des éditions du Regard.
Le 6
Peu d'immeubles d'avant 1850 ont subsisté. Il y avait au 6 à l'emplacement d'un indigent immeuble moderne, la société des "Berlines du Delta" créée en 1828 par Leboulanger et Varin.
Elle voulait concurrencer les fiacres connus pour leur saleté et la grossiéreté de leurs cochers. 150 berlines confortables, propres, d'un jaune éclatant transportèrent les parisiens pendant 22 ans!
Les berlines cédèrent la place à une manufacture unique en son genre puisqu'elle exploitait un brevet de Béziat qui avait inventé le premier réchaud à gaz de pétrole.
Le 7 aujourd'hui
Le 7 jadis
Il faut de l'imagination pour voir à l'emplacement du 7 la vieille maison un peu branlante qui fut un lieu de rencontre et de vie de quelques grands artistes du début du XXème siècle.
Un grand amateur d'art et mécène, Paul Alexandre, prit possession temporaire de l'immeuble programmé pour la démolition quelques années plus tard.
Il mit à la disposition d'artistes fauchés (comme ils le sont presque tous en début de carrière) des ateliers ainsi que des parties communes dotées d'un relatif confort. Brancusi en est un des hôtes les plus illustres...
7 rue du Delta (de gauche à droite, Drouard, Doucet et sa femme,
Modigliani après avoir été chassé de son atelier dans le maquis, rue Caulaincourt, après avoir couru de pension en meublé, après avoir occupé une remise de planches place Jean-Baptiste Clément, finit par accepter en 1907 la proposition de Paul Alexandre de disposer d'un lieu de travail dans cette maison.
Il profita alors de l'atelier qui lui était offert sans vraiment s'intégrer à une vie communautaire qu'il n'avait jamais aimée.
Il ne quitta la rue du Delta que deux ans plus tard quand les démolisseurs s'attaquèrent à la vieille maison qui appartenait à la commune.
Paul Alexandre trouve un refuge non loin de là, rue Dancourt. Une photo montre l'exode d'un lieu à l'autre, avec une charrette qui trimbalait quelques chefs d'oeuvre de Modigliani!
Le 8-10
Opulent immeuble aux 8-10, témoin de l'embourgeoisement de la rue qui perd une à une ses vieilles maisons de plâtre.
Il a été édifié en 1904 par l'architecte Ch. Lefebvre dont on connaît quelques réalisations à Paris.
Le 12
Le 12 évoque le nom de François Appel (1821-1882) né en Saxe et naturalisé français en 1858. Il est un des lithographes les plus en vogue dans la 2ème moitié du XIXème siècle.
Il possédait d'immenses ateliers qui allaient de la rue du Delta jusqu'au boulevard de Rochechouart. 240 ouvriers y travaillaient encore l'année de sa mort!
Si l'adresse officielle était bien rue du Delta, la façade de prestige donnait sur le boulevard Rochechouart.
Au 13 actuel, un buste de bronze rend hommage à Senefelder, l'inventeur bavarois de la lithographie. Deux enfants, de part et d'autre s'initient à cet art débutant.
On s'arrachait les calendriers, les images publicitaires, les boîtes décorées qui sortaient des ateliers de François Appel....
Il était sollicité pour créer des affiches dans un style qui plaisait à l'époque, coloré et réaliste.
Le 15
Le 15 est un bel immeuble qui porte le nom de son architecte et sa date de construction : Tardif Delorme, 1892.
Le 15
Tardif Delorme a réalisé plusieurs immeubles à Paris, comme le 47 rue des Archives.
Dans le local du rez de chaussée travaillait au début du XXème siècle un encadreur dont les cartons publicitaires étaient distribués dans le quartier. Ils étaient illustrés par Willette, le créateur du Pierrot de Montmartre qui n'hésitait pas à rappeler son village en dessinant les moulins de la Butte.
14 rue du delta
Au 14, un vieille photo nous rappelle que ce fut l'adresse de l'atelier d'un mécanicien ...
Le 26
Le 26 est une des rares maisons qui ont subsisté malgré la spéculation immobilière déchaînée. Elle abrite des artistes après avoir été pendant des années le siège et les bureaux du premier hebdomadaire consacré au cinéma : le film.
C'est avec cette maison cinématographique que nous quittons la rue du Delta pour remonter la rue marguerite de Rochechouart et passer sur la place que les habitants du quartier appellent place du Delta bien qu'elle n'ait pas de nom sinon celui des rues qui la forment...
Un peu plus bas, le cinéma Le Louxor lance dans le ciel parisien ses disques solaires…
Décidément vivre à Paris c'est voyager sans cesse dans le temps et l'espace, dans la réalité et les rêves!
Polaire (1874-1939) n'est pas vraiment montmartroise mais elle a été peinte ou croquée par des artistes de la Butte … notamment le plus montmartrois d'entre eux, Toulouse Lautrec.
Polaire (Lautrec)
… Et il était impossible qu'elle ne passe pas dans les cabarets montmartrois où les débutants et débutantes ne manquaient pas de tenter leur chance.
Edmond bouchaud dit Dufleuve
Elle quitte son Algérie natale alors qu'elle n'a que 16 ans pour rejoindre son frère Edmond Bouchaud qui faisait carrière au café concert sous le nom de Dufleuve.
Ce frère qui prit soin de faire connaître sa sœur aux directeurs de salle qu'il connaissait et qui s'illustra en écrivant des chansons pour Dranem, Fréhel, Polin, Maurice Chevalier… (Fréhel puis Gainsbourg reprendront l'une d'entre elle : la Coco).
La tradition la fait débuter à l'Européen alors que selon toute vraisemblance c'est à Montmartre, à la Cigale qu'elle fit ses premières armes.
Elle en parle dans ses mémoires : "Je me revois achetant une chanson à un sou, ignorant ce qu'était une orchestration et débutant le cœur angoissé sur les planches de la Cigale, six mois après j'étais lancée."
Elle était lancée! elle avait séduit par sa présence nerveuse, sa manière expressionniste de bouger et par sa taille incroyablement fine, sa taille de guêpe qu'aucune élégante de la Belle Epoque malgré les corsets les plus contraignants n'égala jamais!
Elle détient d'ailleurs le record Guiness de la taille la plus fine (titre partagé avec la britannique Ethel Granger) de 33 cm!
Dans ses mémoires, elle dit comment, pour s'amuser, des messieurs pouvaient entourer sa taille de leur faux col!
Le Concert Européen rue Biot.
Après quelques mois à la Cigale, le succès aidant, c'est à l'Européen qu'elle est engagée dans un autre music-hall montmartrois proche de la place de Clichy.
Cette salle où a débuté Fragson se spécialisera dans les opérettes et notamment celle qui aura un succès immense (et disproportionné) Phi-Phi.
C'est alors qu'elle éprouve la nécessité de se trouver un nom d'artiste, Emilie Bouchaud n'ayant rien d'exotique ni d'accrocheur. Il ne m'étonnerait pas que ce fût sur la Butte d'où l'on contemple le plus beau ciel de Paris, qu'elle ait eu l'envie, devant les étoiles qui éclairaient la nuit, de choisir le nom de l'une d'elle, la plus brillante de la constellation de la Petite Ourse, l'Etoile Polaire.
Choix judicieux et poétique s'il en est, feu et glace à la fois!
Ce nom va vite devenir célèbre et attirer la foule à la Scala. Polaire est ce que l'on appelle alors une "gommeuse épileptique", mélange de femme aguicheuse et de danseuse expressionniste aux gestes saccadés. "Je fis tout de suite des gestes exaspérés. Projetant ma tête en arrière, je chantais avec mes cheveux battant au vent, avec mes narines frémissantes, avec mes poings crispés."
Polaire vue par Léandre
Plus tard Polaire sera sévère avec ce début de carrière qu'elle jugera vulgaire et composé de chansons médiocres et à double sens "des idioties, des pornographies".
En 1895 Le Rire publie le célèbre dessin de Toulouse Lautrec qui, reconnaissons-le, ne rend pas justice à son charme juvénile mais saisit plutôt une attitude et une ambiance.
On ne comptera plus le nombre de dessinateurs et caricaturistes qui la prendront pour sujet, surtout quand, devenue actrice, elle recevra des louanges quasi générales de la critique dans le rôle de Claudine que Willy lui a confié en 1905. Colette écrira : "Elle comprenait ce qui était nuance, finesse, arrière pensée, et le traduisait à merveille."
Ici s'enracine une rumeur tenace.
Il y aurait eu une liaison amoureuse et passionnée entre Colette et Polaire. La rumeur est née d'une confidence de l'écrivaine à une de ses amies, disant qu'elle aurait aimé coucher avec Polaire.
Colette
Rien n'atteste que ce voeu soit devenu réalité. Polaire n'a jamais montré de goût pour le lesbianisme. Au contraire, elle avait un jugement définitif et plutôt moral sur la question : "Tant de légendes ont pu s'échafauder sur moi, alors que je n'ai jamais pu comprendre les mœurs anormales".
Et c'est sans empathie qu'elle joua le rôle d'un travesti au théâtre dans "Le P'tit Jeune Homme"
Jean Lorrain (Nicolàs Rosenfeld)
Ce qui ne fait pas d'elle une homophobe. Elle appréciait au contraire ses amis homosexuels et notamment Jean Lorrain, le plus célèbre d'entre eux dont elle dira dans ses mémoires : "Grâce à lui tout prenait intérêt, les plus humbles détails s'enrichissaient de poésie"
Un autre passage mémorable de Polaire à Montmartre a pour cadre le plus célèbre des music-halls, le Moulin Rouge. Colette elle-même s'y'était produite en 1907 dans "Rêve d'Egypte". Elle dansait avec son amie Missy et les deux femmes provoquèrent un scandale en s'embrassant interminablement et langoureusement au dernier tableau.
C'est deux ans plus tard, en 1909, que Polaire est engagée à son tour au Moulin Rouge pour jouer dans la pièce "Ma gosse" d'Yves Mirande et Henri Caen.
Dans la même soirée, elle interprétait "La danse noire" dans la tradition épileptique qu'elle avait illustrée à ses débuts. Pendant cette "danse de barrière violente, tragique et passionnée", elle se blessa au bras sans interrompre cependant son numéro.
Elle aura encore un lien avec Montmartre en 1910 en jouant dans la pièce homonyme de Pierre Frondaie au Théâtre du Vaudeville.
Mais c'est surtout sur les boulevards qu'elle se produira, un peu loin de la Butte qui se dessine au loin avec sa basilique qui s'achève enfin.
Elle fut aussi actrice de cinéma et tourna dans une vingtaine de films dont 5 de Maurice Tourneur.
Pour ma part j'ai une tendresse particulière pour elle qui figure sur un tableau peint par Marcel Matho et qui pendant des années fut accroché dans l'atelier du "roi des photographes" de la Butte, François Gabriel.
Ce tableau n'a pas quitté Montmartre. Il m'a été confié par la petite fille du photographe. Polaire, rieuse et mutine, y est pour longtemps un éclat de soleil venu de la Belle Epoque.
Nous n'étions pas revenus depuis 4 ans rue Nicolet pourtant si proche. Ce fut donc une belle surprise de découvrir qu'elle avait été décorée de portraits peints par RueMeurt d'Art (Jean-Marc Paumier) sur les murs en hommage aux célèbres habitants ou passagers de la rue.
Au 14,ce qui n'était qu'un petit hôtel à la campagne fut acheté en 1860 par un ancien notaire féru d'art et d'antiquités, Mr Mauté de Fleurville, ami du dernier maire de Montmartre et premier maire du XVIIIème qui partageait sa passion, Jean-Baptiste Tretaigne.
Monsieur Mauté de Fleurville avait pour épouse une jolie femme, artiste jusqu'aux bout des doigts puisqu'elle aurait eu pour professeur de piano Chopin en personne!
Elle est veuve du marquis de Sivry à qui elle a donné un fils, Charles, artiste comme sa mère mais qui n'a pas eu l'honneur d'être peint sur les murs.
Charles de Sivry
C'est Charles de Sivry qui présentera sa demi-sœur Mathilde Mauté à Verlaine.
Charles est un personnage haut en couleur dont il importe de dire quelques mots tant il est lié à Montmartre. Il s'était un temps passionné pour le violoncelle avant d'en trouver l'étude trop contraignante.
Nina de Callias (Manet)
Il prend la direction du Bal Robert, boulevard de Rochechouart, succédant à Olivier Métra. Il fréquente le salon de Nina de Callias, rue Chaptal, où il rencontre Verlaine dont il devient ami, participant avec lui, chaque mois au dîner des Vilains Bonshommes où se rencontrent les Parnassiens.
Plus tard, en 1875, c'est à lui que Verlaine confie le manuscrit des Illuminations afin qu'il le mette en musique (projet jamais réalisé).
Partisan de la Commune, il est interné par les Versaillais au camp de Satory. Un garde national, le sachant musicien lui demande conseil pour son fils qui aurait besoin d'un professeur de piano.
Claude Debussy
Charles lui propose alors de rencontrer sa mère Antoinette Mauté. Le garçon fera donc son apprentissage pianistique 14 rue Nicolet.
Il s'appelle Claude Debussy.
Ce qui explique pourquoi RueMeurt D'Art a affiché son portrait au début de la rue, non pas enfant, mais bourgeois 1900...
Debussy au 3 rue Nicolet
Revenons aux Mauté dont la fille aînée Mathilde prend des cours de peinture et de littérature.
Elle a lu des poèmes de Verlaine et ne peut cacher son émotion quand son frère le lui présente.
Mathilde Mauté. RueMeurt d'Art.
Elle a 17 ans, lui en a 26. Elle est déjà séduite par le poète dont elle a lu des vers et lui n'est pas insensible à cette jeune fille souriante : "Cheveux châtains sur une tête mignonne en tout point. Des yeux gris, la prunelle sans ruse."
Verlaine n'a connu jusque là que des femmes faciles et la seule qu'il a vraiment aimée, sa cousine Elisa, s'est mariée. Il est impressionné d'avoir été remarqué par une jeune fille de famille, lui qui se juge si laid, incapable de plaire.
" Il paraissait à la fois ému et heureux. Il cessa d'être laid, et je pensais au conte de "La belle et la bête" où l'amour transforme la bête en prince charmant" (Mathilde Mauté).
Il rédige une demande en mariage qu'il remet à Charles et il attend, venant chaque jour à Montmartre une réponse positive. Elle viendra après bien des hésitations et des méfiances des Mauté qui jugent le prétendant peu glorieux et peu fortuné. A force d'insistance Mathilde obtient enfin l'accord familial, ne sachant à quelles déconvenues "l'ex Madame Verlaine" comme elle signera ses mémoires, s'exposait.
Rue Nicolet vers rue Ramey. A droite au premier plan le 14.
Eglise Notre-Dame de Clignancourt.
Après quelques contretemps, le mariage est célébré le 11 août 1870 dans l'église N.D. de Clignancourt. Verlaine qui rêve pour conjurer ses démons d'une vie bourgeoise se montre enthousiaste pendant la première nuit, tant attendue, rue Nicolet...
"Elle fut, cette nuit, sans pair dans ma vie, et j'en réponds, dans la sienne, dans toute la sienne."(Un peu prétentieux le délicat poète!)
Le couple reste une semaine rue Nicolet avant de déménager dans leur nouvel appartement rue du Cardinal Lemoine.
Les événements historiques se succèdent, chute de l'Empire, invasion prussienne, Commune. Verlaine en est partisan et s'engage dans la Garde Nationale sédentaire.
Mais il doit s'enfuir avec Mathilde quand les Versaillais entrent à Paris. Il part pour son refuge du Pas de Calais et ne rentrera qu'une fois la paix revenue dans la capitale. Les Mauté offrent alors au couple de revenir vivre rue Nicolet où ils lui aménagent un appartement au deuxième étage.
Ce que vivent ensemble Mathilde et Verlaine n'est certes pas une lune de miel! Verlaine parle d'un "enfer intermittent" tandis que Mathilde découvre la complexité et l'égocentrisme de son mari. Parfois Verlaine qui a retrouvé le chemin des bistros se montre violent.
"Paul m'avait renversé, et, à genoux sur ma poitrine, me serrait le cou de toutes ses forces. Je ne pouvais plus respirer."
Malgré cette vie heurtée, la naissance d'un garçon le 30 octobre 1871 est accueillie comme une promesse de vie nouvelle.
C'est le "poète aux semelles de vent", Rimbaud qui va mettre fin à cet espoir chimérique. Il arrive rue Nicolet, ayant manqué Verlaine parti l'attendre à la gare du Nord.
C'est Mathilde qui l'accueille, "un grand et solide garçon à la figure rougeaude, un paysan."
Elle ne l'aime pas et voit de la ruse dans son regard. Elle n'accepte de l'héberger que quelques jours.
La suite fait partie de l'histoire, grande et petite, de la littérature. Verlaine tombe sous le charme du jeune poète qui dynamite la poésie parnassienne. Un matin de juillet 1872, Mathilde étant souffrante, il sort, non pas pour acheter des cigarettes, mais pour trouver un médecin. C'est Rimbaud qu'il rencontre et c'est avec lui qu'il part, laissant un mot à Mathilde: "Ma pauvre Mathilde, n'aie pas de chagrin, ne pleure pas, je fais un mauvais rêve, je reviendrai un jour".
1873
Mathilde fait une tentative pour sauver son amour. Elle va trouver Verlaine à Bruxelles. Il tombe dans ses bras, décide de rentrer. Dans le train qui le ramène à Paris, il se ravise et écrit à Mathilde une lettre cruelle : "Misérable fée Carotte, princesse Souris, punaise...Vous m'avez fait tout, vous avez peut-têre tué le cœur de mon ami! Je rejoins Rimbaud, s'il veut encore de moi après cette trahison que vous m'avez fait faire."
Verlaine ne reviendra plus rue Nicolet. Mathilde va divorcer. Son fils Georges lui donne la force de réagir et de croire jusqu'à l'âge où elle rédige "Les Mémoires de ma vie", que sans Rimbaud, Madame ex-Verlaine serait restée Madame Verlaine et aurait été aimée par son poète.
Il est permis d'en douter mais au fond, quand on s'attarde rue Nicolet, la personne la plus humble et la plus émouvante, victime du génie de Rimbaud et de Verlaine, c'est elle, et on a envie de croire en son rêve.
Les collages de l'artiste de rue Jean-Marc Paumier (RueMeurt D'Art) donne au passant l'occasion de penser à ces destins qui se heurtèrent là, autour de ce 14 rue Nicolet. Le bleu choisi pour ces portraits ne peut faire oublier les nuages noirs traversés d'éclairs qui les accompagnèrent ....
L'article de février 2016 est remis à jour aujourd'hui car une nouvelle fresque est apparue cette année...
Angle rues Poulet et Myrrha
La rue Poulet ne porte pas le nom des gallinacés décapités et plumés chaque année par milliards mais celui du propriétaire des terrains sur lesquels elle a été bâtie.
Sa femme l'appelait "mon poulet" et il appelait sa femme "ma cocotte". Mais le masculin l'emportant sur le féminin, c'est Poulet qui a donné son nom à la rue et non pas Cocotte! C'est dommage car la rue Cocotte ne manquerait pas d'un charme galant un tantinet canaille!
Cette rue fut à la mode quand Dufayel faisait de ses Galeries de la rue Clignancourt un centre commercial attractif avec serres tropicales, théâtre et cinéma. Après une période de déréliction, elle est redevenue à la mode, une mode africaine dont le centre névralgique serait Château Rouge. g>
Plus de vingt salons de coiffure s'y succèdent avec dans leurs vitrines des ribambelles de têtes coiffées de perruques.
Il faut le hasard d'une porte ouverte pour découvrir dans l'entrée d'un immeuble un univers qui nous invite lui aussi au voyage!
De même que Poulbot, rue Damrémont, a recouvert les murs de céramiques représentant les saisons à Montmartre, une artiste peintre qui habite là, a commencé à représenter les saisons sur le mur de droite.
C'est une des merveilles montmartroises que ces échappées vers le rêve que des artistes ont ouvertes généreusement pour les habitants et pour leurs visiteurs.
Les deux fresques évoquent le printemps et l'été. Des balustrades rouges forment un décor de Chine, devant un ciel immense.
Les enfants et les adolescents qui sont représentés, souriants et paisibles, sont des habitants de l'immeuble. Un jour lointain, ils auront plaisir à se revoir comme certains vieux Montmartrois ont revu avec émotion les gosses qu'ils étaient, saisis par Poulbot dans leurs jeux.
Pas de Montmartre sans chat!
Le chat de Bruant, les chats de Steinlen...
le chat de Michèle Lemercier!
Nous entrons dans un paysage harmonieux où les oiseaux chantent, les buissons fleurissent et les jeunes sourient...
Un paysage entre rêve et réalité, un moment éphémère et éternel...
Les couleurs franches et claires sont celles des primitifs italiens, de François parlant aux oiseaux...
Une troisième saison a fait son apparition sur les murs en l'année 2020... Il s'agit de l'automne.
Non pas l'automne languissant qui annonce les brumes et les froidures mais un automne de feu et de jeunesse.
Un moment suspendu comme le mouvement de la balançoire sur un fond de forêts rousses.
De part et d'autre du portique de jeunes enfants participent au jeu comme deux anges souriants de part et d'autre du portail des cathédrales.
Couleurs claires, bouquet de vie…
Etoile bleue
Par chance l'auteure de ces fresques passait par là. Elle nous a accueillis chez elle, dans son atelier ouvert sur un jardin.
Nous avons vu quelques uns de ses tableaux...
Un moment de grâce dans la lumière et les senteurs de l'été... Une jeune fille qui passe comme une caresse
La lumière et la sensualité de Bonnard sont présentes... et le chat qui dort sur le radiateur se sent parfaitement bien dans cette toile!
Quelques toiles évoquent d'autres influences comme celle de Morandi, avec ce triptyque de bouteilles. Mais malgré le thème différent et la nouvelle recherche, ce qui frappe c'est ce côté "zen", cette simplicité sans pathos, ce recueillement.
Avant de quitter l'atelier, je contemple cette toile qui me fascine et que j'emporterais bien si elle ne mesurait plusieurs mètres et si elle était à vendre!
Elle prend prétexte de la parabole de la visite de Jésus à Marthe et Marie pour transmettre un message dont notre époque a toujours besoin, un message humaniste et féministe.
Jésus à la fois simple et royal est représenté à droite tandis que Marie assise sur les tapis, à l'aise, discute avec lui.
On connaît la parabole: Jésus arrive dans une maison où Marthe s'évertue à le servir, à préparer le repas tandis que Marie s'assied pour échanger avec lui...
Marthe s'irrite : Je suis seule à faire le service, dites à ma sœur de m'aider!
Jésus répond : Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée!
Le message est adressé à ceux qui assignent à la femme (comme au temps de Jésus) un rôle d'épouse, de mère, de servante. Marthe accepte ce rôle, alors que Marie, encouragée par l'attitude du visiteur se met à son niveau, femme non pas soumise mais égale.
Dans la perspective, au centre Marthe montre sa désapprobation en se détournant de celui qui aimerait rencontrer son regard. Elle est triste, le visage penché vers une pomme, assise sur un canapé qui semble recouvert d'un linceul. Elle est la femme qui remplit le rôle auquel on lui a fait croire qu'il était le sien, le seul.
Cette toile élégante et sensuelle nous dit aussi qu'il faut profiter du moment présent, du cadeau des rencontres, être capable de nous détourner un instant de nos vains soucis.
C'est un tel moment que nous avons vécu en découvrant cette artiste, en regardant et en "écoutant" ses œuvres.
N'en déplaise aux écoeurés du Sacré-Cœur, de vrais artistes ont participé à l'œuvre collective, parmi lesquels de nombreux sculpteurs...
Aujourd'hui je vous propose de contourner la basilique, d'emprunter la rue du Chevalier de La Barre et de lever la tête vers le dôme.
Vous verrez une statue que l'oxydation habille de vert : Saint-Michel terrassant le dragon.
Il est dû à François Sicard (1862-1934) à qui elle fut commandée en 1908. François Sicard est connu pour avoir été LE sculpteur de Clémenceau, son ami dont il exécuta le buste et dont il fit le masque funéraire.
Les Parisiens peuvent rencontrer Sicard dans les jardins des Tuileries où est installé son groupe du Bon Samaritain...
Dans les jardins du Luxembourg où songe sous les frondaisons George Sand...
Ou encore au Panthéon où se déploie son monument à la Convention Nationale….
Son Saint Michel, comme les deux statues équestres d'Hipolyte Lefebvre de la façade n'ont pas la même inspiration que la majorité des autres sculptures de la basilique qui hésitent entre références gothiques ou romanes. Il est de la même famille que les sculptures de Frémiet :
Jeanne d'Arc (Frémiet)
On pourrait parler de réalisme et de souci de précision historique. Frémiet est d'ailleurs l'auteur d'un Saint-Michel achevant un minuscule dragon, posé au sommet de l'abbaye du célèbre Mont homonyme.
Saint-Michel au sommet de l'abbaye. (Frémiet)
Il paraît que dans cette représentation de l'archange massacrant un crocodile qui se convulse de douleur, se révèlerait le caractère belliqueux et revanchard de Républicains rêvant de terrasser l'ennemi teuton.
Certains inconditionnels de la Commune (dont je suis pourtant) y voient l'allégorie de l'écrasement de la révolte populaire par les Versaillais. Cette hypothèse me semble aussi hasardeuse que la première me paraît plausible à la veille d'une guerre-boucherie.
Comme toujours quand on parle du Sacré-Coeur, deux clans s'opposent. Celui des adversaires résolus de cette église expiatoire et celui des amoureux d'un Montmartre dominé par une ville byzantine sortie d'un conte oriental.
Il faut enlever ses lunettes idéologiques et regarder naïvement le sacré Sacré-Coeur! Ainsi pourra t-on admirer cette statue de Sicard, ce Saint-Michel viril et précieux à la fois, mâle et féminin...
On acceptera que le pauvre crocodile dont on fait aujourd'hui des sacs à main ne soit là que pour symboliser le démon qui comme on ne l'ignore pas peut prendre toutes les apparences.
… Et passée l'admiration esthétique, première et essentielle, chacun pourra faire de ce groupe, selon son humeur, l'allégorie de ce qui lui plaira!
L'intelligence terrassant la Bêtise
la Culture terrassant l'Ignorance
la Générosité terrassant l'Egoïsme
la Beauté terrassant la Vulgarité
Greta Thunberg terrassant les climato-sceptiques…… etc... etc... etc...
C'est une découverte pour moi mais sans doute pas pour les passionnés de la Belle époque montmartroise..
Albert Guillaume (1873-1942)dont des dessins sont exposés en ce moment au musée de Montmartre avec la collection Weisman-Michel dont ils font partie.
Il fut célèbre en son temps par ses caricatures, ses affiches et ses illustrations. Il se distinguait ainsi dans une famille où l'on avait l'architecture pour vocation. En effet son père Edmond et son frère Henri y firent carrière avec des réussites diverses. Pour les Montmartrois, retenons qu'Edmond Guillaume a été l'architecte du monument de la Défense place de Clichy.
-On dit qu'il a été surpris avec elle en flagrant délit... -On exagère... il était à ses pieds...
Dans sa période la plus active, Albert Guillaume publie ses caricatures dans diverses revues comme le Gil Blas, l'Assiette au Beurre, le Figaro Illustré ou le Rire....
Il est également sollicité pour créer des affiches pour des marques ou pour des spectacles...
Le marieur
Enfin il se consacre à la peinture qui lui rapporte de bons revenus. On peut dire qu'il représente bien l'art pictural "1900" conventionnel et ignorant des grandes mutations et des grands mouvements qui révolutionnent la peinture, notamment à Montmartre. Il s'attache à la société bourgeoise, riche et frivole. La femme est légère, vaporeuse et tête de moineau; l'homme est vaniteux et concupiscent!
Sa période d'illustrateur fait l'objet d'un bel hommage puisque deux salles lui sont consacrées. C'est celle de sa jeunesse. Ses dessins connaissent le succès et sont regroupés pour former des albums comme celui que nous découvrons rue Cortot :"Tristes et gaies".
Ce ne sont pas des œuvres inspirées et novatrices comme celles de Toulouse Lautrec, mais le genre qui nécessite simplicité et efficacité du trait permettent à Albert Guillaume de réaliser ce qui pour moi est le meilleur de son œuvre.
Il isole dans la page une figure ou quelques personnages expressifs, sans détails inutiles.
Dans cette composition, on peut reconnaître Oscar Wilde qui fréquentait alors les cabarets parisiens...
Tous ces dessins illustrent des chansons bien oubliées aujourd'hui... Ils nous entraînent dans un monde de plaisirs sensuels, de passions parfois violentes, de peines d'amour, de mélancolie...
... Où nous rencontrons aussi le Pierrot montmartrois...
... le french cancan vigoureux...
Et des portraits d'inconnues, belles et tristes.
Toutes ces oeuvres font partie de la collection Weisman-Michel exposée jusqu'au 19 janvier 2020 au musée de Montmartre. Le meilleur de cette exposition étant consacré à Suzanne Valadon.
Avant de quitter Albert Guillaume, comment ne pas évoquer ses dessins d'enfants montmartrois qui annoncent Poulbot mais sans la sympathie un peu naïve qui animait ce dernier…
Rue de Clichy vers la place homonyme et le monument de la Défense.
Cette rue qui va de la place d'Estienne d'Orves à la place de Clichy est une artère vivante et la plupart du temps encombrée de véhicules de tout genre.
Rue de Clichy dernière partie, arrivée sur la place.
Elle doit son nom qui lui est donné en 1843, à la ville de Clichy vers laquelle elle mène. Mais son tracé date de bien avant. Dès l'époque gallo-romaine, une voie nommée "voie de la mer" allait de Paris jusqu'à Harfleur. Au 17ème, on la reconnait sur d'anciens plans. Elle est alors "le chemin de Clichy". Mais là ne s'arrêtent pas ses avatars! Au 18ème, elle devient "rue du Coq". Elle passait en effet devant l'hôtel du Coq (une "avenue du Coq" existe toujours, en réalité large impasse qui donne sur la rue St-Lazare).
La 1ère rue à gauche est la rue de Clichy. On voit le square devant l'église. Il a détruit une partie de la rue.
La rue de Clichy est longue de 700 mètres, sa première partie ayant été amputée lors de l'extension du square D'Estienne d'Orves devant la Trinité.
A droite le square d'Estienne d'Orves, à gauche ancienne partie de la rue de Clichy, aujourd'hui place d'Estienne d'Orvbes)
Le 10.
Au 10 s'élève l'hôtel de Wendel, riche demeure que la fortune des Maîtres de Forges leur permit de s'offrir.
C'est Charles Wendel qui le fait édifier de 1862 à 1867 en faisant appel à l'architecte Sidoine Maurice Storez qui dans cette période ostentatoire conçoit un bâtiment simple et épuré dans le style Louis XVI.
La façade dépouillée cache en réalité un somptueux logis de 36 pièces! Par chance certaines ont conservé leur décor, ce qui est plutôt rare quand les immeubles sont rachetés par la Ville (ce qui est le cas) pour être transformés en écoles.
Le "W" des Wendel sur la façade
Le 12
Au 12 actuel (primitivement 26) s'élevait la première église de la Trinité ouverte en 1852. Elle remplaçait la 1ère église de la rue de Calais et elle ne fut détruite qu'après la consécration de la troisième église édifiée sur la place en 1867.
C'était une construction de bois, longue d'une quarantaine de mètres et qui malgré son existence éphémère était ornée de vitraux. Une cloche appelait les fidèles mais elle dut se taire après quelques mois car les voisins se plaignaient d'être réveillés par les Laudes! Les ronchons qui se plaignent aujourd'hui des cloches et des coqs font donc partie d'une longue tradition!
Il ne reste rien de cette Trinité passagère sinon une peinture sur lave de Devers, inspirée d'Ary Scheffer qui ornait le tympan et qui est aujourd'hui conservée dans la sacristie de l'église actuelle.
Le 16 Casino de Paris en 1904
Le 16 aujourd'hui
Le 16 années 50
Le 16 est l'adresse la plus célèbre de la rue! Celle du Casino de Paris! Il y aurait un roman à écrire sur ce lieu mythique. Pâtinoire puis théâtre à la fin du XIXème siècle, c'est avec Léon Volterra en 1914 que la salle révolutionne l'art du spectacle avec la création des revues qui allaient connaître un succès inépuisable.
C'est Volterra qui invite Mistinguett après la guerre, avec son "protégé" Maurice Chevalier. Jusqu''en 1925, elle restera la reine du Casino de Paris. Il faudra attendre le nouveau directeur Henri Varna pour assister à un triomphe comparable avec Joséphine Baker et ses 2 amours.
Citons encore Tino Rossi qui fait se pâmer son public en le caressant de sa voix de zéphyr et plus tard Line Renaud qui ménera plusieurs revues. La dernière grande meneuse sera Zizi Jeanmaire en 1970 avant que la salle n'accueille des artistes comme Gainsbourg, Souchon, Dutronc, Higelin.... etc...
Réjouissons nous que malgré les inévitables mutilations pour se mettre à la mode architecturale des années sans fantaisie, la salle ait gardé une partie de son décor 1925.
On ne peut pas en dire autant des 20 et 22!
Le 20...
Le 20 consternant de banalité morose était l'adresse d'un music-hall ouvert au début du XXème siècle à la grande époque des paillettes et des divertissements : l'Apollo.
Son titre de gloire est d'avoir créé l'opérette de Franz Lehar "La veuve joyeuse" avec un succès qui ne se démentit pas avec les années.
Ce fut aussi dans cette salle que Carlos Gardel fit ses débuts parisiens. Les amoureux du tango se recueillent en passant devant le fantôme de l'Apollo.
Affiche de Paul Colin
Le 21...
Le 21 a abrité notre Victor Hugo national, si proche encore, si audacieux toujours… de 1874 à 1878. C'est dans cet immeuble, au 4ème étage qu'il écrivit son roman "Quatrevingt-treize" (c'est ainsi que l'auteur a voulu qu'on écrivît son titre).
Le 28
Sur la façade du 28, bel immeuble début du XXème siècle, une plaque rappelle que Georges Enesco, "illustre musicien roumain y vécut de 1908 jusqu'à sa mort en 1955."
Musicien considérable qui fut élève de Massenet et Fauré, il fut lié aux principaux compositeurs et interprètes de son temps, de Ravel à Dukas… Il écrivit une de ses oeuvres les plus célèbres, son opéra "Œdipe" dans cette maison.
Belle porte cochère aux 34-36
Le 37.
Au 37 a vécu pendant 30 ans le peintre Maurice Eliot qui fut le grand ami de Charles Léandre avec qui il loua un atelier à deux pas de Pigalle, 3 rue Houdon.
Il excella dans l'art du pastel et connut quelque succès avant la catastrophique année 1937 où il perdit sa mère, son ami Léandre et où sa sœur atteinte de maladie mentale fut internée. Il dut alors quitter, la rue de Clichy et le quartier qu'il aimait
39
C'est au 2ème étage du 39 que Ravachol déposa une bombe le 27 mars 1892 destinée à tuer le substitut Bulot. Il y eut quelques blessés et l'immeuble fut dévasté.
Ravachol (un petit air de Brad Pitt)
Trois mois et demi plus tard l'anarchiste qui avait à son "actif" quelques crimes crapuleux et quelques autres plus "politiques" sera guillotiné.
Le 40
Un coup d'œil au 40 où s'ouvrent les portes de la Grande Comédie, théâtre créé en 2005 et qui accueille des humoristes ou des comédies boulevardières. Omar et Fred, Max Boublil s'y sont produits. Qu'on aime ou pas, il faut se réjouir chaque fois qu'un nouveau théâtre naît dans ce quartier où bon nombre de salles de spectacle ont disparu.
La maison du protestantisme a ses vitrines au 47, avec sa librairie spécialisée "Jean Calvin".
Les immeubles du 54 au 68 ont été construits à l'emplacement de la prison de Clichy dont Balzac fut à plusierurs reprises menacé. En effet elle incarcérait les "dettiers" ceux qui étaient incapables de payer leurs dettes!
La prison en 1859
Si Balzac réussit à l'éviter en se cachant, il n'en fut pas de même pour Nadar qui y passa un mois en 1850 ou pour Poulet-Malassis l'éditeur et l'ami de Baudelaire ( qui aimait l'appeler "Coco Mal-Perché").
Elle fut fermée en 1867 et elle ne subsiste aujourd'hui que dans les romans du XIXème siècle, comme dans "la Cousine Bette" de Balzac...
Au 55, un passage très parisien conduit au théâtre de l'Œuvre créé en 1893 par Lugné-Poe qui le dirigea pendant 37 ans
Il s'installa dans une salle de concert à l'italienne, la salle Berlioz.
De grands artistes y furent engagés comme Isadora Duncan, Pierre Fresnay, Pierre Dux ou Maria Casarès...
... Les auteurs scandinaves Strindberg et Ibsen y furent révélés au public parisien.
D'autres créations marquèrent l'histoire théâtrale : "Ubu roi" de Jarry qui provoqua un scandale mémorable (1896) ou dans un autre style, "L'Annonce faite à Marie" de Claudel (1912).
LE 62
Au 62 le jeune Félix Tournachon (Nadar) fut pensionnaire chez Mr Augeron. C'est là qu'il rencontra celui qui allait être l'ami de toute une vie, Charles Asselineau, futur écrivain et admirateur comme lui de Baudelaire.
Asselineau par Nadar
Nadar ne pouvait pas imaginer qu'une vingtaine d'années plus tard il reviendrait rue de Clichy, non plus à la pension Augeron mais à la prison !
81
Là où s'élève l'indigent immeuble du 81, il y avait un café où se réunissaient les poètes symbolistes autour de Mallarmé pour théoriser leur opposition aux Parnassiens.
Cependant ce sont surtout les peintres divisionnistes, "les pointillistes" comme Seurat ou Signac qui en firent leur lieu privilégié de rencontre.
Le 84
Il y avait au 84 un "bouillon"Duval, restaurant populaire et bon marché comme il s'en ouvrait de nombreux à Paris. Il a été remplacé par une académie de billard tout en gardant son cadre art nouveau.
Il a servi de décor à la fin du film "Le Marginal" avec Belmondo.
Christophe Honoré y a tourné une scène avec Ludivine Sagnier dans "Les bien aimées" pendant laquelle l'actrice chante avec Rasha Bukvic "les chiens ne font pas des chats".
Depuis l'été 2019 il est devenu le Club Montmartre bien connu des fous de poker.
Ne nous attardons pas, de peur de sortir essoré de ce lieu dangereux et cap sur l'avenue de Clichy qui prolonge notre rue de l'autre côté de la place où nous attend un des meilleurs cinémas de Paris, le cinéma des cinéastes... Un bon film, rien de mieux après avoir arpenté Paris!
La fresque-hommage au cinéma dans l'escalier du cinéma.
Ni Rousseau ni Séraphine ne sont de notre village et pourtant… Les peintres que l'on appelle "naïfs"l ont toujours aimé Montmartre.
La Butte est déjà un tableau qui leur ressemble, avec ses dômes blancs, ses arbres en son jardin vertical où s'accrochent de petits personnages...
Jean Eve. Le Sacré-Coeur de Montmartre de face. 1946.
… Et puis… c'est à Montmartre qu'eut lieu pendant des années la "foire aux croûtes" où les peintres qui ne vendaient pas leurs toiles les exposaient en espérant trouver un acheteur providentiel!
Louis Vivin. Paris, basilique du Sacré-Coeur de Montmartre. 1930.
Le Sacré-Coeur que certains continuent de décrier est en lui-même un monument naïf, une ville orientale, un narthex ouvert sur la houle des toits...
Louis Vivin le peignit plus de dix fois! Il fit partie avec Bombois des vendeurs de la "Foire aux croûtes".
Cette toile paraît simple et pourtant, rien de réaliste… le monument est déplié, vu simultanément de face et de côté… On peut remarquer le même personnage démultiplié gravissant la Butte. L'inattendu, l'étrange sont présents dans un paysage qui semblait sans mystère.
Lorsque Uhde (le découvreur de Séraphine Louis) organisa une exposition des peintres qu'il aimait et qu'il avait souvent rencontrés à Montmartre, il l'intitula "Les peintres du cœur sacré".
C'était un beau titre. Référence au monument emblématique en même temps qu'à l'aspect amoureux du geste de peindre sans prétention, avec un regard clair, avec le cœur simple.
Ferdinand Desnos. Autoportrait aux chats. 1953.
Dans cette riche exposition j'ai choisi quelques œuvres que j'ai particulièrement aimées. Je n'ai pas insisté avec Rousseau qui connaît la gloire qu'il mérite ni avec Séraphine la mystique aux fleurs tourmentées aujourd'hui mondialement reconnue.
Voilà Ferdinand Desnos, cousin du poète. Un autoportrait qui fait penser à Chagall, avec des chats joueurs, amis des artistes.
Ferdinand Desnos. Portrait de Paul Léautaud et ses chats. 1953.
Il a été ami des écrivains et poètes (il a fait un portrait d'André Breton) et a représenté Léautaud avec qui il partageait l'amour-passion des chats.
André Bauchant. Autoportrait aux dahlias. 1922.
André Bauchant s'est réfugié dans la peinture à son retour du front en 1918. Lui qui était pépiniériste et aimait ses fleurs, lui qui était amoureux fou de sa femme, il retrouva sa pépinière saccagée et sa femme frappée de folie.
Il y a dans ses toiles de la douceur et de la tristesse mêlées.
André Bauchant. Les baigneuses. 1923.
Dominique Peyronnet. La falaise. Non daté.
J'ai découvert un peintre que je ne connaissais et qui m'a plu avec ses rivages oniriques et ses vagues d'opéra : Dominique Peyronnet.
Il peint avec application et sans effets. Ses paysages ont la précision inquiétante des rêves.
Dominique Peyronnet. Après le bain. 1931.
Dominique Peyronnet. Mer brumeuse à marée basse. Non daté.
…. Et maintenant nous entrons dans une salle consacrée à une des stars de la peinture naïve : André Bombois.
Nous lui avons déjà consacré un article lors de l'exposition qu'organisa en son honneur le musée Maillol...
Il est assurément le plus sensuel des peintres de cette exposition. Le seul à peindre des femmes nues et à réaliser à sa manière son "origine du monde!
Il va droit au but et n'essaie pas d'atténuer son intérêt pour ce sexe qui l'attire (pas de censure s'il vous plaît, notre homme n'agressa personne et prit pour modèle sa femme dont il aima les rondeurs sensuelles).
Bien différent est René Rimbert qui fut dessinateur pour l'Etat Major pendant la première guerre mondiale. Il eut pour admirateur Max Jacob et s'il fut classé parmi les naïfs c'est après avoir exposé une toile représentant l'apothéose du douanier Rousseau.
On y voit le douanier s'élever, palette à la main, vers les nuages où la muse est entourée d'Ingres, Delacroix, Courbet, Cézanne et Renoir. Ces maîtres sont ceux qu'admire Rimbert qui a compris avant bien des critiques d'art qu'il n'y avait pas de frontière hermétique entre le Douanier et les grands maîtres reconnus.
On devine en bas du tableau, Rimbert derrière sa fenêtre jouant de la flûte et accompagnant ainsi le Douanier dans son voyage glorieux!
la plupart de ses toiles représentent la ville, avec ici et là de rares passants esquissés. Le silence, l'espace font penser à Chirico.
Pour terminer cette visite personnelle il faut bien saluer le douanier Rousseau et Séraphine Louis, les seuls peintres nommés dans le titre de l'exposition.
Par leur prestige ils attireront au musée Maillol des amateurs d'art "naïf" et leur permettront peut-être de voir briller au ciel de leur panthéon personnel quelques étoiles nouvelles!
Séraphine Louis. Le bouquet de feuilles. 1929.
Le Douanier Rousseau. Deux lions à l'affût dans la jungle 1909.
J'ai oublié d'ajouter cet autoportrait de Jean Eve que Nicole aime particulièrement pour sa douceur mélancolique. Il y a quelque chose chez ce peintre de la précision trompeuse de Magritte. Le paysage est tableau et le tableau sur le chevalet est paysage. Entre les deux le peintre incertain hésite à effacer un peu plus les contours de la réalité menacée où il vit.