Vite, il faut se hâter si l'on veut découvrir un tout jeune peintre à la Commanderie du Clos Montmartre rue Norvins.
Il n'a que 18 ans et déjà il crée avec ses pinceaux un univers original, entre enfance et symbolisme.
La voyageuse
On n'est pas sérieux quand on a 17 ans écrit Rimbaud. Quand on a 18 ans, est-on sérieux de croire en son étoile et de consacrer une partie de son temps à l'atteindre, à la peindre?
La cité perdue
J'ai rencontré cet artiste qui m'a impressionné par sa simplicité et par l'évidence qui l'habite, comme on respire, que vivre c'est créer, sans se poser de question.
Le pays effondré
Ou plutôt en se posant des questions sur le sens de la vie, sur le temps qui s'enfuit sans les rendre tragiques mais en leur donnant les couleurs du rêve.
Le renouveau
Je lui ai demandé quels peintres avaient pu le guider. Il m'a parlé de Gustave Moreau, des surréalistes, de Miyazaki.
L'oiseau sage
On voit qu'il va d'une in spiration à l'autre et que bientôt il se découvrira, comme on quitte une mue. Voilà seulement deux ans qu'il peint et déjà il s'affirme.
Le gardien de nuit
Le pacifiste incompris
Je vous laisse le découvrir et peut-être comme moi, sortir de cette exposition, rajeuni, ragaillardi de voir notre Butte accueillir comme elle le fit dans le passé un jeune peintre qui a bien raison de choisir le point culminant de Paris pour prendre son envol!
Depuis le 6 avril et jusqu'au 4 septembre le musée de la vie romantique rue Chaptal présente une exposition dont le titre ambitieux laisse espérer découvertes et émerveillements.
En réalité, si l'on abandonne cet espoir (peu d'œuvres exceptionnelles ayant fait le voyage et certaines n'ayant accompli un périple que de quelques mètres entre le musée et les salles d'exposition) on se laissera agréablement guider au long d'un parcours pédagogique, modeste et séduisant.
"La mort d'Antigone" (Victorine Genève-Rumilly 1830). Antigone vient de se donner la mort, son fiancé Hémon s'apprête à se poignarder.
Dans la première pièce, nous rencontrons des héroïnes mythologiques ou historiques vues par des artistes du début du XIXème siècle. Si l'un des intérêts de l'exposition vient de la place faite également aux femmes peintres pour la plupart méconnues, leur regard sur les héroïnes, amoureuses, appelées à une fin tragique, est conforme à celui des hommes.
"Sapho à Leucate" (Gros 1801)
Sapho tenant sa lyre contre son visage va se jeter dans les flots par amour pour Phaon. Ciel parcouru de nuages, mer houleuse, lune en miroir, voiles blancs, feu du sacrifice allumé sur la tour, tout correspond dans cette toile à l'idée que nous nous faisons du romantisme. L'originalité vient de la posture de Sapho, tête levée, pied appuyant sur le sol dans un élan qui évoque plus l'ascension que la chute. La mort d'amour est une transfiguration.
Les héroïnes sont séduisantes, vêtues de voiles qui les dévoilent.
"Velléda dans la tempête", tableau de Léon Cogniet fidèle à la description de Chateaubriand dans Les Martyrs. La prêtresse germanique apparaît à Eudore l'homme qu'elle aime, blanche, les seins nus, indifférente aux éléments déchaînés.
Alexandre Evariste Fragonard. "Jeanne au bûcher" (1822)
Jeanne d'Arc a un statut à part parmi les héroïnes romantiques. Si elle est amoureuse c'est de son Dieu, sinon, elle se dépouille de tous les attributs féminins pour devenir la pucelle guerrière et les peintres romantiques se gardent bien de "l'érotiser".
Dans le tableau conventionnel et ennuyeux de Claudius Jacquand "Jeanne d'Arc conduite en prison (1827)", elle est masculine, campée fermement sur ses jambes musclées. Elle regarde vers la lumière, lourde image de sa sainteté tournée vers la divinité.
Un détail échappe à la banalité du tableau, c'est cet homme au premier plan, accompagné de son chien. Eclairé comme un La Tour, le regard tourné vers nous, il tient la flamme vacillante à l'entrée des souterrains.
Esquisse pour "Médée furieuse" (Delacroix avant 1838)
Une deuxième salle évoque la violence qui pour les hommes de cette époque ne pouvait convenir à la douceur, la fragilité, le dévouement féminins! Le sujet est rare et représente des mères coupables d'infanticide.
C'est Delacroix et sa "Médée furieuse" sacrifiant ses enfants pour se venger de Jason. L'aile noire de la mort semble flotter derrière elle qui tourne le dos à la lumière, prête à descendre dans l'ombre où elle entraîne ses enfants confiants, blottis contre elle.
"Marguerite tenant son enfant mort" (Ary Scheffer 1846)
C'est Marguerite tuant l'enfant né de son amour pour Faust par Ary Scheffer qui fut l'habitant de cette maison.
Méphisto la tête contre Faust et l'enveloppant dans ses bras l'entraîne dans un sabbat où il peut voir la femme qu'il aime, blanche comme la mort tenant comme un poids mort le petit cadavre qui s'accroche encore à sa mère.
Alors que les événements révolutionnaires sont encore présents dans bien des mémoires, les femmes remarquables, les vraies héroïnes de ces temps terribles n'inspirent pas les peintres. Ni olympe de Gouges, ni Théroigne de Méricourt ne sont représentées...
Henry Scheffer esquisse de "l'Arrestation de Charlotte Corday" 1830
Une exception pour Charlotte Corday qui ne trouvera cependant aucun peintre capable de lui donner la stature de courage et d'effroi que nous trouvons chez David.
Dans l'esquisse d'Henry Scheffer, elle se tient droite parmi les hommes furieux qui s'excitent contre elle. Celle que Lamartine qualifia d'"ange de l'assassinat" ne cesse de brouiller le regard de ceux qui la jugent.
Pierre-Jérôme lordon "La communion d'Atala" 1808.
La dernière salle, la plus riche nous présente quelques héroïnes imaginées par les écrivains. Il a bien fallu faire un choix tant elles sont nombreuses. Chateaubriand bien sûr avec Atala.
Le peintre Pierre-Jérôme Lordon nous montre le moment où avant de mourir Atala, jeune indienne convertie au christianisme qui a préféré s'empoisonner plutôt que de succomber à sa passion pour Chactas, reçoit la communion. Le tableau est romantique par sa lumière lunaire et par l'intensité de la scène. Une fois encore l'héroïne romantique ne peut vivre librement son amour, ici contrarié par la religion.
Eugénie Henry. Quasimodo sauvant Esmeralda des mains du bourreau. 1832.
Esmeralda a sa place dans cette galerie. Femme libre qui refuse d'aimer sans amour, elle est typiquement tout ce que depuis des siècles les hommes reprochent aux femmes : elle les attire par sa sensualité, les fascine par ses pouvoirs. Elle est accusée de sorcellerie bien sûr. Mais cette sorcière au bûcher, nouvelle Jeanne d'Arc, guerrière non pas de Dieu mais de l'amour, est une des plus belles figures de femme que la littérature ait donnée.
Lélia (Delacroix)
Georges Sand si présente dans ce musée a inspiré Delacroix dans cette scène où le moine Magnus découvre Lélia devant le corps du jeune Sténio qui par amour pour elle qui le refusait s'est suicidé.
Parmi les grandes figures romantiques une place importante est donnée aux héroïnes shakespeariennes. C'est en effet en pleine période romantique qu'est redécouvert et aimé le dramaturge élisabéthain.
"Desdémone maudite par son père" (Delacroix 1852)
Les scènes les plus tragiques sont choisies par les peintres comme celle où Desdémone est maudite par son père.
C'est une des belles oeuvres de l'exposition par sa composition et son intensité. Le père debout, puissant, rejette sa fille. Sa posture est l'exact contraire de celle du père prodigue de Rembrandt accueillant son enfant. Desdémone, vêtue de noir, éplorée, à genoux tend la main vers le coeur de son père.
"Lady Macbeth" (Charles Muller)
Le peintre prête à Lady Macbeth les traits de Rachel, la tragédienne la plus célèbre de l'époque romantique. Elle est représentée au moment où elle sombre dans la folie et se tord les mains qu'elle ne parvient pas à laver du sang du roi assassiné.
"Rachel dans le rôle de Phèdre" (Frédérique O'Connell. 1850)
"Roméo et Juliette au tombeau des Capulet." (Delacroix 1850)
Petite toile originale de Delacroix qui montre Roméo serrant sans pouvoir le retenir le corps de Juliette qu'il croit morte et qui est à moitié vêtue de son linceul. Roméo habillé de noir regarde dans le vide, avant de se donner la mort, et Juliette dont la tête est tournée vers le tombeau semble, de la jambe gauche esquisser un pas. Ce tableau noir et blanc oppose la vie et la mort et le peintre donne plus de vie à celle qui n'a que l'apparence de la mort qu'à celui qui n'a plus que l'apparence de la vie.
Ophélia (Leopold Burthe 1852)
Ophélie, héroïne inventée par Shakespeare a inspiré poètes et peintres du romantisme. Dans cette représentation, celle qui est devenue folle se couche dans un ruisseau, la main saisissant une branche légère qui représente la vie. Son visage est paisible. Sujet romantique s'il en est que celui de la mort et de la beauté. Ici la beauté semble l'emporter l'espace d'un instant.
En sortant dans le jardin, nous restons de plain pied dans le romantisme, dans le jardin de la maison où Ary Scheffer reçut nombre d'artistes parmi les plus grands, Chopin, Delacroix, Rossini, Tourgueniev...
Dans la rue Chaptal, nous rencontrerons les ombres d'autres artistes qui après le romantisme ont aimé ce quartier de la Nouvelle Athènes : Xenakis, Frehel, Gainsbourg...
On ne perd jamais son temps à arpenter les rues de ce quartier romantique. Ici ou là le charme intact des lieux contredit un instant la fameuse phrase de Baudelaire :
"La forme d'une ville change plus vite hélas que le cœur des mortels".
La mairie du village de Montmartre située sur la place des Abbesses a été construite en 1836-37, en un temps où Montmartre n'imaginait pas qu'un jour il serait annexé à la capitale.
Elle donnait sur la rue de la Cure, ancien nom de la rue des Abbesses et sur la rue de la mairie, devenue rue de la Vieuville.
L'impasse qui s'ouvre dans le coude de cette rue rappelle par son nom la présence de la mairie disparue : "Cité de la Mairie".
Son architecte, Paul-Emile Lequeux est en vogue dans la première moitié du XIXème siècle. Classique et sobre, il ne dérange personne par d'éventuelles audaces!
La liste de ses réalisations est éloquente : des mairies, des églises et un asile d'aliénés. Parmi les mairies, deux au moins ont été détruites, celle des Abbesses et celle des Batignolles. Parmi les églises, la plus connue des Montmartrois est Notre-Dame de Clignancourt, maigre et sans grâce (ce qui est le comble pour une église) face à la nouvelle mairie luxueuse et ostentatoire construite à partir de 1888 par Marcelin Varcollier.
La mairie eut pour premier maire Véron qui a aujourd'hui sa rue, parallèle à celle des Abbesses.
Seveste, du Théâtre de Montmartre aurait donné, le jour de l'inauguration une représentation gratuite si l'on en croit André Roussard et sa bible montmartroise. Le hic c'est que l'année de l'inauguration, 1837, Seveste était mort depuis 12 ans! Donc oublions!
Le bâtiment comportait un rez de chaussée avec porte centrale et trois fenêtres de chaque côté, un premier étage et un attique de 7 fenêtres surmonté d'un lanternon. Il s'étendait sur 32 mètres rue de la Cure (Abbesses) et 35 sur la rue de la Mairie (Vieuville).
La seule salle décorée de peintures était celle des mariages qui comme l'on sait est toujours la plus ornée et la plus somptueuse dans les mairies.
La vieille mairie avant de disparaître a connu quelques heures de gloire.
Inaugurée par le préfet de la Seine le comte de Rambuteau, elle a vu passer quelques personnages illustres parmi lesquels Georges Clémenceau n'est pas le moindre.
Il est nommé maire du XVIIIème par Etienne Arago lui-même nommé maire de Paris en 1870 par Gambetta.
Mairie de Montmartre mars 1871
C'est à la mairie qu'il rencontre Louise Michel et retrouve Blanqui. Homme de justice il tente en vain de s'opposer à la foule qui livre les généraux Thomas et Lecomte au peloton, d'exécution, rue des rosiers (Chevalier de la Barre aujourd'hui) comme il protège les gendarmes poursuivis par les fédérés et cachés dans les caves de la mairie.
La vieille mairie peinte par Maclet
Le 23 mars il est expulsé de la mairie par le Comité de vigilance qui n'a pas apprécié ses tentatives de conciliation. Ici s'arrête son court passage place des Abbesses. Il continuera de travailler pour les habitants de Montmartre en dirigeant non loin de la place son dispensaire de la rue des Trois Frères.
23 rue des 3 frères, le dispensaire de Clémenceau
Homme de dialogues et de paix, il aura tenté en vain de concilier les inconciliables. La Semaine Sanglante lui prouvera qu'il avait sous estimé l'intransigeance et la cruauté du camp adverse.
Exécution sommaire des Communards
Homme intègre et juste, il est contre la colonisation comme il sera un peu plus tard dreyfusard.
Il est à notre époque où les politiques jouent avec le feu identitaire, un exemple de rigueur et d'honnêteté. Farouche défenseur de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, Laïc sans concession et sans "oui mais", adversaire de la peine de mort... un grand homme assurément qui a préféré pour sa dernière demeure un humble cimetière de sa Vendée natale à la gloire glacée du Panthéon.
La mairie a connu un autre personnage célèbre qui est présenté sur les plaques de rue comme maire du XVIIIème à partir du 19 mars 1871 (lendemain du départ de Clémenceau) jusqu'au 20 mai.
C'est une erreur historique puisque la Commune ne voulut pas élire de maire. Jean Baptiste Clément, ardent communard, occupa à la mairie le poste de délégué à la commission aux subsistances puis aux ateliers de fabrication des munitions mais ne fut jamais maire quoi qu'en dise la plaque qui n'est pas à une erreur près!
La 2ème erreur est dans le trait d'union entre Jean et Baptiste. En effet le père du poète, s'appelant Jean-Baptiste lui aussi mais avec trait d'union, déclara son fils sans ce trait d'union, afin qu'il n'y eût pas d'erreur administrative.
Jean Baptiste Clément est l'immortel auteur du Temps des cerises dont il remania le texte écrit avant la Commune afin de lui donner le sens qu'il a aujourd'hui pour nous, un hymne au courage et au sacrifice des insurgés.
Prise de la dernière barricade, rue de la fontaine au roi.
Il est dédié à Louise, ambulancière héroïque rencontrée sur la dernière barricade, rue de la Fontaine au roi.
Un autre homme célèbre serait, selon certaines hypothèses hasardeuses, passé par la mairie. Il s'agit de Paul Verlaine pour son mariage avec Mathilde de Mauté. Les de Mauté habitaient dans le 18ème, rue Nicolet et abritaient dans leur hôtel le jeune couple. le mariage eut bien lieu en août 1871 en l'église Notre-Dame de Clignancourt mais il n'y a aucune trace de son passage dans la vieille mairie. En revanche la mairie de Clichy a enregistré ce mariage le 24 juin 1871.
La mairie a mal vieilli. Non seulement elle est trop petite pour un arrondissement dont la population ne cesse de croître mais encore elle subit comme beaucoup d'immeubles montmartrois, des dégâts provoqués par la proximité des carrières. Elle se lézarde, menace de s'écrouler malgré de lourds étais. Elle est finalement détruite en 1890 et remplacée par la nouvelle mairie rue Ordener.
Malgré la rapacité des promoteurs elle ne cède pas la place à de nouveaux immeubles de rapport. Le terrain qu'elle laisse libre deviendra un jardin aménagé en 1936 et restructuré en 1994, le square Jehan Rictus dans lequel a été édifié en 2000 le fameux mur des "je t'aime' qui écrit ces mots en 311 langues ou dialectes. Les couples du monde entier se font photographier devant les carreaux émaillés
En hommage à Clémenceau qui avait de l'humour et un sens aigu de la répartie, quelques citations qui montrent à quel point il avait l'esprit montmartrois....
"La guerre! C'est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires."
"La vie m'a appris qu'il y a deux choses dont on peut très bien se passer : la présidence de la République et la prostate."
Clémenceau par Manet
"La France est un pays extrêmement fertile, on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts".
"Un escalier de ministère est un endroit où des gens qui arrivent en retard croisent des gens qui partent en avance."
"Les femmes vivent plus longtemps que les hommes, surtout quand elles sont veuves."
Clémenceau maire de Montmartre (Carjat)
"L'anglais n'est jamais que du français mal prononcé".
"Pour mes obsèques je ne veux que le strict nécessaire, c'est à dire moi."
Sur Lyautey : "Voilà un militaire qui a des couilles au cul. L'ennui c'est que ce ne sont pas toujours les siennes."
"Je connais un tas de types à qui je ne pardonnerai jamais les injures que je leur ai faites."
Pour sortir de la grisaille des derniers mois, de l'ambiance anxyogène de masques et de gel hydroalcoolique supplantée par les horreurs effroyables de la guerre poutinienne, il est utile, le temps d'une pause de se rendre au musée de Montmartre pour rencontrer Charles Camoin, un "Fauve en liberté".
Exposition "Un fauve en liberté". Musée de Montmartre.
"En tant que coloriste, j'ai toujours été et suis encore un fauve en liberté".
Ce peintre flamboyant (1879-1965) vient du sud, Cézanne le qualifie de "vaillant marseillais" mais C'est à Paris qu'il vient vivre en 1897 pour s'inscrire aux Beaux Arts dans l'atelier de Gustave Moreau.
Il ne bénéficie que pendant quelques mois des conseils du génial peintre symboliste qui a la mauvaise idée de mourir.
Dessin de Camoin corrigé par Gustave Moreau
" Je regrette de l'avoir si peu connu. Il possédait à fond les maîtres du Louvre. Ce que je sais de lui c'est surtout par Matisse et Marquet que je l'ai appris."
L'atelier de Cormon (peintre académique s'il en est,) qui lui est proposé alors, ne lui convient pas du tout et il préfère quitter l'école des Beaux Arts. Il n'y a pas perdu son temps car il a fait la connaissance des deux autres peintres qui deviennent ses amis et ses coéquipiers dans l'aventure du fauvisme : Matisse et Marquet.
Péniche sur la Seine (1902)
C'est avec eux qu'il part à l'aventure dans Paris et peint des toiles où déjà s'affirment son goût de la couleur et de la composition.
La Seine, le Louvre, le pont des Arts vus du Pont Neuf (1904)
La promenade au Parc (1902)
Le goût pour l'art des estampes japonaises se manifeste chez lui, comme chez ses amis, auxquels vient s'ajouter Derain.
Il représente Amélie Matisse dans un kimono dessiné par son mari....
Madame Matisse faisant de la tapisserie (Camoin. 1905)
Madame Matisse en kimono (Derain
Quand il s'intéresse au portrait, Camoin est influencé par Cézanne qui aime le conseiller : "Je vous parle comme un père".
Portrait d'Albert Marquet (1904)
Si cette influence est sensible dans la composition, elle l'est moins dans la recherche de la "vérité" du personnage.
Camoin exprime une vie intérieure plus rare chez Cézanne accaparé par le cadrage et la composition.
Lola Camoin (1920
Une des premières toiles de l'expo est un hommage du peintre à sa mère, elle-même peintre et à l'origine de la passion de son fils.
La mère de l'artiste sur le divan (1897)
La sensualité est exprimée par la pause, le talent par la palette qui est tenue comme un éventail. Remarquable toile, comme un manifeste du fauvisme et une affirmation de la place égale de la femme dans la création.
Port de Marseille. Notre-Dame-de-la-Garde à travers les mâts. (1905)
Camoin est du sud, il ne le découvre donc pas (contrairement à Matisse peintre du nord) et c'est naturellement qu'il y séjourne, comme Marquet, à Saint-Tropez tandis que Derain et Matisse choisissent Collioure.
Le port de Toulon à la barrière (1904)
Ses toiles comme celles de des amis ont en commun l'importance de la couleur, le non respect du réalisme, le désir, malgré le long travail, de donner l'impression d'une grande spontanéité, voire d'une improvisation. Bref toutes les caractéristiques du fauvisme.
Maisons à Montmartre (1908)
Mais c'est à Montmartre, sur la Butte des peintres qu'il s'installe définitivement dès 1907.
Il aime alors fréquenter la Bohême qui va de Derain à Van Dongen, de Picasso à Dufy. Période créatrice et difficile car comme la plupart de ses amis, il vit dans la pauvreté.
Notre-Dame et pont de l'Archevêché (1908)
L'aspect douloureux de cette période est concrétisé dans ses toiles par le cerne noir qui entoure les sujets et qui le fait tendre vers l'expressionnisme.
Il change de nombreuses fois d'adresse, toujours à la recherche d'un modeste atelier, 27 boulevard de Clichy (1907), 12 rue Cortot (1908), 46 rue Lepic (1910-1925), 2bis avenue Junot (son dernier atelier où il meurt en 1965).
Il rencontre en 1909 la peintre Emilie Charmy avec qui il a une forte relation qui durera deux années. Cette peintre originale et puissante aurait pu faire partie de l'exposition consacrée aux "pionnières" du Musée du Luxembourg.
Camoin assis (Emilie Charmy)
Espérons qu'elle fera bientôt l'objet d'une rétrospective qui permettra de mesurer sa force et son originalité.
Femme allongée (Emile Charmy)
Après la fin de sa liaison, Camoin part pour Tanger où il rejoint Matisse. l'intermède sera de courte durée et quand il revient à Paris, rue Lepic, il est en proie à une dépression (qui durera jusqu'en 1914) pendant laquelle, proche du suicide, il s'acharne contre ses toiles qu'il taillade et déchire quand il ne les brûle pas dans son poêle.
Toile restaurée. Le Moulin Rouge.
Nous perdons alors plus de 80 oeuvres dont beaucoup avaient été peintes à Montmartre.
Des morceaux de toile sont récupérées dans les poubelles, revendues aux Puces, restaurées et pour certaines vendues à Drouot par Carco.
Autoportrait. Toile découpée et restaurée
L'Indochinoise (1905). Toile découpée et restaurée
Camoin intente un procès à l'issue duquel le tribunal lui donne raison par un jugement qui sera à l'origine d'une nouvelle législation sur la propriété intellectuelle qui protège encore aujourd'hui les créateurs.
Mobilisé en août 1914, il est affecté à la section "camouflage" qui consiste avec d'autres artistes de peindre des toiles qui dissimuleront des armes ou des points stratégiques. Il garde sur lui un carnet sur lequel il saisit des visages de soldats. Jamais il ne représente l'horreur des tranchées qui resteront un cauchemar dont il parlera peu.
Dès les premières années de son travail, avant les années de guerre, Camoin s'est intéressé au nu féminin, exercice obligé de tout peintre qui veut se faire connaitre.
Nu à la chemise mauve (1908)
Loin de l'académisme qui perdure et des audaces de la jeune génération, il donne à voir une sensualité sans apprêts mais vivace, une femme qui n'est pas dupe et joue du désir masculin.
"Je suis allé voir deux fois le père Cézanne, je lui ai montré mes études, il a beaucoup aimé le portrait d'une putain, me disant que c'était là ma voie."
La saltimbanque au repos (1905)
La célèbre "Saltimbanque au repos" a son petit succès de scandala au salon des Inépendants, succès renforcé par l'agression dont elle est victime,. Elle reçoit en effet quelques coups de couteau rageurs.
Dès 1920, Camoin se partage entre Montmartre et Saint-Tropez. Il commence à être reconnu et apprécié pour ses couleurs comme pour sa tentative de traduire des sensations. Devant un paysage, tous les sens sont en éveil et la toile idéale traduirait à la fois la lumière, le parfum, la chaleur. Et il est vrai que les toiles des fauves nous happent dans leur ambiance et nous intègrent dans leurs couleurs.
Le square Saint-Pierre
Printemps (1921)
1920 c'est aussi l'année où il épouse Charlotte Prost (Lola) avec qui il aura une fille, Anne-Marie.
Lola sur la terrasse (1920)
En 1925 il déménage pour le 2bis de l'avenue Junot, dans un Montmartre qu'il apprécie, comme ses habitants pour qui Paris est un autre univers :
"C'est maintenant que j'apprécie la Butte. On est au-dessus de la mêlée, loin du bruit et de la rumeur de la ville."
Tartane arrivant dans le port de Saint-Tropez
Camoin profitera de la reconnaissance et de la vogue des Fauves. Il sera exposé à Paris comme à New-York.
Il meurt à Montmartre à 86 ans dans son atelier proche du Moulin qu'il a souvent peint de ses fenêtres.
Il est enterré à Marseille, dans la ville lumineuse de sa jeunesse.
Le garage à bateaux du peintre Person
Mais pour nous Montmartrois, il est, comme les peintres et les poètes qui ont vécu sur la Butte, l'un des citoyens de notre village qui aime les chats (noirs ou non) et leurs cousins sauvages, les fauves en liberté!
La rue d'Orchampt
L'exposition "Camoin, un fauve en liberté" se tient au musée de Montmartre, 12 rue Cortot, jusqu'au 11 septembre 2022.
En annexe, pour les promeneurs de Montmartre, les adresses de Charles Camoin dans notre quartier :
1907
27 boulevard de Clichy. Le vieil immeuble a disparu rempacé parc cette façade plate et sans style.
1907
6 rue Mansart, pour quelques mois
1908
Le fameux 12 rue Cortot, aujourd'hui musée de Montmartre, où vécurent tant de grands peintres et où on peut visiter l'atelier de Valadon et son petit appartement à la fenêtre barrelée afin d'empêcher Utrillo de sauter dans la rue et d'aller au bistro.
1910-1925
46 rue Lepic, l'immeuble n'est pas éloigné du 54 où vécut Théo Van Gogh et où il hébergea Vincent.
1925-1965
2bis avenue Junot. Quand y aura t-il une plaque? L'atelier de Gen Paul, peintre mineur et antisémite y a droit!
Voilà un personnage haut en couleurs tels que Montmartre les aime!
Son nom lui seul est déjà un poème, Gazi le Tatar!
Le palais des khans à Bakhtchissaraï
Un poème et une légende bien entretenue par son porteur.
La vérité, autant qu'on puisse s'y fier voudrait qu'il fût né en Crimée, en 1900. C'est la date bien ronde qu'il dit être celle de sa naissance. Ceux qui l'ont connu alors qu'il se disait quarantenaire l'estimaient plus vieux d'une dizaine d'années!
Il prétend avoir vu le jour dans le château de Hansaray. Ce qui est flatteur mais improbable puisque ce château était la résidence du gouverneur russe de Crimée (déjà!) Il s'appelle alors Igna Ghirei.
Pourquoi "le Tatar"? C'est que son père affirme descendre des princes tatars de Crimée, eux-mêmes descendant de Gengis Khan. Cette qualification faite pour poser son personnage ne vient orner son nom que lorsqu'il arrive sur la Butte vers 1934.
Auparavant notre homme se contente de Gazi (le victorieux) ajouté à son véritable prénom.
Académie des Beaux Arts, Naples.
Avec la Révolution de 1917 les Bolcheviks envahissent la Crimée et sèment la terreur provoquant la fuite de ceux qui les craignent. La famille de notre Igna Ghirei se réfugie en Italie où le jeune homme commence des études aux Beaux Arts de Naples.
Naples, encre de Chine et aquarelle (Gazi)
Pendant cet exil son père aurait été assassiné par les Bolcheviks, ce qui ajoute à la légende familiale. En réalité il semble bien qu'il soit mort de façon très confortable dans son lit.
"Aux vignobles de France" Bd du Montparnasse, rue Campagne Première (1924. Utrillo)
En 1920 Igna Ghirei choisit de vivre à Paris, alors capitale culturelle de l'Europe, et c'est à Montparnasse qu'il découvre l'intensité artistique de la capitale.
Montparnasse a, dans ces années, détrôné Montmartre, mais c'est à Montmartre que notre homme va trouver sa voie, devenir Gazi et se tatariser. Gazi le tatar est donc né à Montmartre!
La maison de Mimi Pinson (Gazi)
Il est séduit par notre Butte à la fois simple et altière et il comprend à quel point sur cette "montagne" la réalité ne prend son envol que lorsqu'elle est sublimée par la légende.
Suzanne Valadon et Utrillo
On ne sait comment , en 1934, il rencontre Suzanne Valadon dont ll admire la peinture et qu'il encourage à peindre de nouveau.
11 avenue Junot
Il ne manque pas de charme et il sait se faire apprécier par celle qu'il va appeler sa "mère adoptive", plus prosaïquement "mémère". En 1935 il trouve refuge chez elle, là où elle vit depuis sa séparation avec Utter, dans le passage qui relie la rue Lepic à l'avenue Junot (au 11).
Il se lie d'amitié avec Maurice Utrillo, son "frère"qui vit avec sa mère.
Gazi
De ces quelques mois en "famille" Gazi tire profit en accompagnant Utrillo lorsqu'il se déplace pour peindre dans Montmartre, ou en le regardant s'inspirer de cartes postales.
Lorsqu'il peint lui-même, Gazi ne peut cacher l'influence d'Utrillo sur ses représentations d'un Montmartre presque désert, avec parfois quelques passants isolés.
Le maquis (Gazi)
Mais sa palette est souvent plus vive que celle de son "frère" et la comparaison des toiles représentant la même rue ou la même place est révélatrice de deux tempéraments. Un utrillo plus introverti et un Gazi plus chaleureux.
Nous pouvons nous en faire une idée avec les tableaux qui suivent et représentent les mêmes paysages urbains.
Gazi
Utrillo
L'angle de vue est le même dans ces deux tableaux. Le chevalet serait posé sur la place du Tertre, vers l'église St Pierre. Le premier est clair et joyeux quand le second fait peser sur la place, comme un couvercle, un ciel gris et lourd.
Le Lapin agile et la rue St-Vincent (Gazi)
Utrillo
La neige fait du tableau de la rue St Vincent une illustration de conte de fée chez Gazi alors que la solitude et la tristesse dominent chez Utrillo...
Quoi qu'il en soit, il paraît évident que la meilleure période de Gazi correspond à son séjour chez Suzanne Valadon. Quelques unes de ses toiles font de lui un peintre d'importance, injustement oublié aujourd'hui.
Autoportrait de Suzanne Valadon peint l'année de sa mort
L'hébergement de Gazi chez Suzanne Valadon se poursuit après le départ d'Utrillo. Suzanne, inquiète de son propre état physique, de ses dépressions et des alertes cardiaques, pousse son fils à quitter Montmartre pour aller vivre avec Lucie Valore au Vésinet.
Lucie Valore et Utrillo
Ce n'est qu'en 1938, après la mort de sa "mère adoptive" que Gazi quitte l'avenue Junot pour trouver un modeste logement au 5 place du Calvaire où il restera jusqu'à sa mort.
Gazi. 5 place du Calvaire.
La place du Calvaire est proche de l'église Saint-Pierre qui devient le nouveau refuge de Gazi.
Place du Calvaire. L'immeuble blanc où vivait Gazi.
Appartement de Gazi, aujourd'hui voisin de chez Plumeau
Il avait trouvé une mère adoptive, il va trouver une mère spirituelle, la Vierge Marie!
L'église Saint-Pierre (Gazi)
Il devient bedeau de l'église, lui un Tatar dont l'islam est indissociable, et il tombe en amour devant une statue de la Vierge, dans la vieille église.
Il retrouve trace du culte qui était voué avant la Révolution à Notre-Dame de Montmartre et il se démène pour que ce culte soit restauré. Il obtient satisfaction en 1942 et, étant artiste, il mobilise le soutien des peintres de la Butte pour que soit ajouté un second vocable à Notre-Dame de Montmartre : Notre Dame de Beauté, reine de la Paix, patronne des artistes.
Jusqu'à sa mort en 1975, il reste le paroissien le plus assidu et l'adorateur le plus ardent de Notre-Dame de Beauté qui chaque année est honorée par les artistes au cours d'une célébration.
Il meurt le 31 octobre, dans un dénuement que sa tenue misérable ne pouvait dissimuler. Sans argent, il est inhumé à Pantin et il faudra attendre la réaction des peintres de la place du Tertre et de quelques paroissiens pour que lui soit offerte une place dans le caveau de Gustave Dispot curé de St-Pierre entre 1945 et 1964, décédé en 1968 et dont il fut bedeau pendant presque vingt ans.
Il y est transféré, accompagné d'un cortège d'artistes et il passe désormais son éternité de Tatar à quelques mètres de son "frère adoptif" Maurice Utrillo.
Eh oui! C'est sur la Butte qu'a vécu cet artiste célèbre et dont le souvenir ne s'effacera pas grâce à Cocteau, Carné, Bunuel et quelques autres.
Portrait de Piéral (boulet)
Montmartrois il l'est puisqu'il avait pour adresse une des rues les mieux préservées de Montmartre, la rue Berthe. Exactement au 22.
22 rue Berthe
Il est né en banlieue à Levallois Perret en1923. Son père, quoique de petite taille, mesure 32 centimètres de plus que lui. L'enfant dont le nanisme diagnostiqué à la naissance incommode ses parents est mis en nourrice dans l'Yonne.
Pour calmer un bébé qui passe ses nuits à hurler, la nourrice verse de la goutte dans ses biberons. "Pendant trois ans, écrira Piéral, j'ai été ivre-mort"!
Il y a mieux comme début dans l'existence! Repris par ses parents, il "grandit" vaille que vaille avec un jeune frère qui très vite le dépasse. L'expérience qu'il a de la vie est alors celle qui est réservée aux enfant différents. Sa mère qui n'accepte pas son anormalité le conduit d'hôpital en hôpital et le présente à de grands spécialistes jusqu'au jour où l'un d'entre eux, excédé par son insistance lui déclare : "Que voulez-vous que je fasse de ça?"
L'école aussi est un rude apprentissage. Il doit courber le dos sous les quolibets quand ce n'est pas sous les caillasses.
Il a 16 ans au début de l'Occupation et il fait des études de joaillerie. Il va découvrir le plaisir des sens, dans un bordel tout d'abord dont il sort ébloui, puis avec un jeune homme qui le drague dans la rue. Il se rend compte que le nain qu'il est, attise les fantasmes des hommes et des femmes. Ce sera pour lui une sorte de revanche sur les gens "normaux".
Piéral jouant Lautrec
Il a eu à Montmartre un devancier célèbre, Toulouse Lautrec, que les prostituées surnommaient "la théière" à cause de sa petite taille et de son sexe avantageux!
Il parle avec beaucoup de liberté de sa bisexualité dans le livre de ses mémoires "Vu d'en-bas". Le titre est expliqué par lui : il lui faut "renverser la tête en arrière pour découvrir un visage plutôt que des fesses."
Une part non négligeable du livre est consacrée, sans fard, à cette vie sexuelle. Si l'homosexualité semble dominer quand il décrit les partouzes où il est invité d'honneur, quand il parle de son amant acrobate du cirque Bouglione ou d'autres encore, c'est pourtant une figure féminine qui domine. Une femme de vingt ans son aînée, Angela, dont il a été amoureux pendant des années.
"J'ai été l'amant le plus ardent et le plus comblé par une maîtresse qu'on m'enviait"
Nul doute qu'il entrait une part de satisfaction de se voir préféré aux hommes "normaux" par une femme sensuelle qui attirait tous les regards dans les cabarets montmartrois.
Lucrèce Borgia
Ses succès sexuels n'auraient pas suffi à le combler s'il n'avait rencontré par hasard Henri Lartigue qui l'embauche pour faire du théâtre et jouer le rôle d'un bouffon.
Le bouffon va coller à sa peau et il devient le bouffon attitré du cinéma français. Le bouffon est celui dont on se moque certes mais il est aussi celui qui se moque des autres.
La Princesse de Clèves
Il n'empêche qu'encore une fois c'est pour son physique si dur à assumer qu'il est choisi et qu'il rencontre le succès. Les propositions vont se succéder au théâtre comme au cinéma. Il est le nain monstrueux dans Les Visiteurs du soir de Marcel Carné, il est le bouffon dans Lucrèce Borgia de Christian-Jaque, le bouffon encore dans La Princesse de Clèves de Delannoy.
Piéral (Madeleine Sologne, Cocteau, Jean Marais
Sa participation aux Visiteurs du soir (1942) va lui permettre de rencontrer un homme qu'il admire et avec qui il noue une véritable amitié, Jean Cocteau. "Sans lui, je serais resté un lémurien condamné à vivre et mourir dans les ténèbres."
Le Capitan
Il aime jouer avec jean Marais qu'il retrouve dans Le Capitan (1960) de Hunebelle et qui comme Cocteau est toujours resté un ami.
Cet obscur objet du désir
Il a joué dans une trentaine de films parmi lesquels Cet obscur objet du désir (1977) de Bunuel où il est psychanaliste ou Lola Montès (1955) de Max Ophuls où il redevient nain de cirque, le nain Eddie aux côtés de Mr Loyal interprété par Peter Ustinov.
Lola Montès
Evidemment il n'est pas oublié par l'industrie du cinéma porno et il apparaît dans les onze mille verges (1975, d'après Apollinaire) de Lipman où il se mue en cantatrice.
Piéral ne refuse pas de se travestir en femme comme il le fit, plus jeune, dans un cabaret où il devenait Mae West, ou comme en 1947 dans le film de Pierre Prévert, Voyage surprise où il s'amuse à incarner la grande duchesse Marika de Stromboli :
Enfin un des plus mélancoliques et hypersensibles réalisateurs du cinéma français, Guy Gilles, le fait jouer dans deux de ses films.
Le crime d'amour (Guy Gilles)
Le Crime d'Amour (1981) et Nuit docile (1987) où il est lui-même, habillé comme il l'était en se promenant dans les rues de Montmartre, costume noir, foulard blanc et chapeau à la Bruant.
Nuit docile (Guy Gilles)
Revanche sur ses débuts difficiles dans la vie, il est populaire. Il a été et reste le nain le plus célèbre du cinéma français. La télévision a fait appel à lui pour plusieurs téléfilms, réalisés notamment par Claude Santelli ou Georges Folgoas. Dans un des téléfilms il est de nouveau le nain de service (le nain Barnabé dans Les ferrailleurs des Lilas).
Il tourne son dernier téléfilm avec Paul Planchon, Le Roi Mystère en 1991, mini série écrite d'après Gaston Leroux.
En écrivant ses mémoires, il tente de raconter la lutte qu'il lui avait fallu mener pour faire de son handicap une force.
S'il a le regard aigu sur ses contemporains et n'hésite pas à les épingler, tels Raimu et Fernandel, tous deux "d'une avarice maladive", ce qui domine, bien plus que ses coups de griffe, c'est la souffrance d'un enfant mal aimé qui garde de ses blessures les plaies jamais cicatrisées.
Il aura réussi malgré cette souffrance à se réaliser comme acteur de talent et surtout comme être humain dont les qualités ont séduit Cocteau, Jean Marais, Angela.... et beaucoup d'autres anonymes qui ont su le voir sans l'enfermer dans son handicap.
Il meurt en 2003, après des années de souffrance dues à son cancer.
Il ne meurt pas puisqu'il est vivant, pour l'éternité passagère de notre civilisation, sur les écrans de lumière qui nous promettent un éternel retour.
La seconde partie de la rue Norvins (ancienne rue des Moulins) commence côté pair rue des Saules et côté impair place Jean-Baptiste Clément. Moins photographiée que la première partie (rue Traînée), elle est cependant riche par ses monuments et par son histoire.
La ligne des moulins, photo prise en 1845 par Hyppolite Bayard.
Elle devait son nom aux nombreux moulins situés sur la ligne de crête qu'elle longeait. Curieusement il subsiste à Paris une rue des Moulins qui évoque les ailes que l'on voyait sur la Butte depuis le quartier du Palais Royal.
Le salon du 6 rue des moulins
Cette rue des Moulins, proche de l'avenue de l'Opéra n'est pas sans rapport avec Montmartre puisque le peintre emblématique de notre quartier, Toulouse Lautrec, y fréquenta la maison close située au 6 où il peignit le salon.
Passée la rue des Saules qui évoque Bruant ("Son p'tit fichu sur les épaules, ell' rentrait par la rue des Saules, rue Saint-Vincent") nous trouvons au 20, ô surprise, une boutique de cartes et reproductions, une "galerie" qui vend quelques toiles.
Elle a pris la place d'une épicerie plus qui se spécialisait dans les grains de café à moudre ....
Les 22 et 22 bis sont une des plus belles adresses de Montmartre. Il s'agit de la Folie Sandrin.
La Folie Sandrin
Il y eut tout d'abord à son emplacement, au début du XVIIIème siècle, une riche demeure, nommée à juste titre "Palais Bellevue". Son histoire commence vraiment en 1774 lorsqu'il est racheté par Antoine Gabriel Sandrin, homme des Lumières s'il en fut car il était maître chandelier, c'est à dire fabricant et marchand de bougies et chandelles. Il crée un parc à l'anglaise avec petit temple et rocailles. Il construit une extension et arrive à compter 24 pièces en sa demeure.
Le Palais Bellevue devient "la Folie Sandrin". Etrange prémonition que ce nom qui comme chacun sait signifiait "feuillée", maison de campagne mais qui déjà avait le sens qu'on lui connaît aujourd'hui. En effet c'est un aliéniste, le docteur Prost, qui l'acquiert en 1805 pour en faire un lieu d'accueil et de thérapie pour ceux que l'on nomme fous. Loin des méthodes traditionnelles violentes, il obtient de remarquables résultats en respectant ses patient, en vivant avec eux et partageant leurs repas.
En 1820, l'établissement est cédé au célèbre docteur Esprit Blanche qui poursuit l'œuvre de Prost.
Son patient le plus célèbre est Gérard de Nerval qui décrit la maison où il séjourna "fashionable et même aristocratique". Incapable de payer une pension fort élevée, il fut reçu aux frais du docteur Blanche qui le prit en charge comme il le fit pour d'autres artistes.
Après la clinique, la folie connut divers avatars, institution pour jeunes filles de bonne famille (jusqu'en 1875), école normale pour jeunes filles (années 1950-1960), école religieuse...
Elle se délabrait et peu à peu devenait ruine quand les promoteurs avisés s'en emparèrent en 1970, la restaurèrent et la débitèrent en appartements de grand luxe.
Quelques célébrités y vécurent plus ou moins longtemps comme Jean Marais qui faisait des allers-retours entre Vallauris et Montmartre, Gérard Oury, Michèle Morgan (qui n'y séjourna que brièvement).
Entrée du réservoir rue Norvins.
En face de la Folie Sandrin au 9 subsiste un monument original qui n'est autre que l'ancien château d'eau du village, construit en 1835 dans un style néo Renaissance élégant. L'édifice octogonal donne rue Lepic et il est agrémentée d'une fontaine, une urne de bronze ornée de naïades et de tritons.
Une pompe hydraulique installée à Saint-Ouen et relayée par une autre pompe passage Cottin alimentait le réservoir de 125 000 litres.
La population montmartroise augmentant au XIXème siècle avec le lotissement du maquis et la constructions de "maisons d'six étages, ascenseur et chauffage", il fallut en 1860 rehausser le réservoir pour lui permettre de recevoir plus de 260 000 litres.
Utrillo
L'ajout disgracieux disparut en 1969, le réservoir ayant été désaffecté une vingtaine d'années plus tôt. Aujourd'hui il abrite des expos temporaires et sert surtout de siège à la Compagnie du Clos de Montmartre chargée de défendre et promouvoir la piquette réalisée grâce aux vignes voisines, exposées plein nord!
La rue Norvins (Utrillo) avec à gauche la folie Sandrin et à droite le réservoir.
Le 11 est une reconstruction des années 1920. Il a en effet reçu le 7 août 1918 un obus attribué à tort à la Grosse Bertha (en réalité tiré par les canons allemands à longue portée, les "Pariser Kanonen"). L'obus le fit voler en éclats, en même temps que plus au sud d'autres obus frappaient l'église Saint-Gervais et la façade de Notre-Dame.
Les 15-17
À l'emplacement des 15-17, était situé le moulin de la vieille tour (1623-1840). Il occupait le terrain situé entre les rues Norvins et Lepic actuelles.
(Sur cette gravure, on voit en premier plan le chemin qui deviendra la rue Lepic. A droite le moulin de la Vieille Tour (15-17 rue Norvins) et le moulin de la Petite tour (21 rue Norvins). Le chemin qui s'ouvre à gauche sera la future rue Girardon.)
Le moulin de la Petite Tour (1647-1854) devient en 1824 "la Tour à Rollin" du nom de son nouvel acquéreur, Joseph Rollin. Quand il est détruit ses pierres servent de soubassement au pavillon sur la rue Norvins.
Le 21 rue Norvins (aussi 4 rue Girardon)
Remplaçant le moulin dont les ailes légères tournaient dans le ciel montmartrois, un gros immeuble cossu typique des constructions qui détruisent le vieux Montmartre au début du XXème siècle, s'est installé sans état d'âme.
Malgré sa lourdeur l'immeuble est connu de tous les admirateurs de Céline. L'écrivain raciste après avoir vécu 13 ans rue Lepic y emménagea en 1941 avec Lucette Almanzor et le chat Bébert récupéré chez Le Vigan.
Il appréciait l'endroit d'où il avait une vue imprenable :" Moi j'avais, c'est vrai mon 7ème (en réalitéil habitait au 5ème)! L'air! La vue! Lointaine! Cent bornes! Toutes les collines jusqu'à Mantes! Mais quelle haine cet air m'a valu! Cette vue!... personne me les pardonne encore!..."
Comme si cette haine prétendue était due à la jalousie et non aux ignobles pamphlets qu'il continua d'écrire alors qu'il habitait Montmartre! "Les Beaux Draps" datent de 1941.
Je ne sais à quoi pensait Céline lorsqu'en 1942 il voyait de son appartement si bien placé les bus de la rafle qui stationnaient en haut de l'avenue Junot.
En 1944, il assiste de sa fenêtre au bombardement de Paris qu'il décrit dans "Féérie pour une autre fois" : "Le miroitement des tuiles! bijoux! diamants!...les bombes éclatent là-dedans en fleurs! rouges! rouges! en œillets!..."
Et peu après, il prend courageusement la fuite avec les collabos, sachant qu'il risquait d'être jugé et condamné à mort.
Ironie de l'histoire, dans ce même immeuble avaient lieu des réunions secrètes de la Résistance comme le rappelle une plaque récemment apposée sur la façade.
23 oct 2021. Cérémonie pour la pose de la plaque commémorative. Je passais par là! Sur la droite, de dos, Pierre-Yves Bournazel député du 18ème.
Revenons maintenant où nous étions restés côté pair, après la Folie Sandrin.
Le 24 est à la fois un petit square qui porte le nom de "jardin Frédéric Dard" et une cité d'artistes. Il faisait partie à l'origine de la Cité Norvins et s'appelait "square de la Cité-Norvins" à son inauguration en 1958.
Le jardin en février 2022, fermé pour réaménagement. Une interminable fermeture!
Ce petit espace de 620 m2 actuellement fermé pour cause de réaménagement est une concession que fit la ville aux riverains irrités de voir tout l'espace occupé par la cité (6000 m2 avec ses arbres, sa nature originelle) fermé aux riverains et aux promeneurs depuis 1999.
Et même cette "concession" minimale fut-elle contestée par certains résidents de la Cité, inquiets de perdre leur tranquillité!
De vieilles photos du début du siècle nous montre l'endroit tel qu'il était, ouvert à tous, véritable havre de verdure et de calme au cœur du vieux village, miraculeusement épargné des appétits voraces de la spéculation immobilière.
La Cité-Norvins fut rachetée par la ville afin d'interdire son lotissement, pour devenir "la Cité des Arts". Elle est composée de vieux immeubles et maisons du XIXème siècle ainsi que d'immeubles d'ateliers du début du XXème siècle. Elle est utilisée comme résidences pour les artistes et gérée par la Cité Internationale des Arts qui possède un autre site dans le Marais.
Le 24 avant d'être loti porta la star des moulins montmartrois, le moulin de la Galette (aujourd'hui à l'angle des rues Lepic et Girardon).
Sa présence est attestée au début du XVIIIème siècle quand sur le vaste terrain acquis par François Chapon, il prend fièrement le vent qui à cet endroit ne ménage pas sa peine. Il a pour nom, comme il se doit, Moulin Chapon.
Le Radet et plus loin le Blute-Fin.
Son histoire est mouvementée mais pour la résumer, disons que passant de propriétaire en propriétaire il finit par devenir le moulin Radet. Nom mystérieux puisqu'aucun propriétaire ne le porta. J'émets une hypothèse hasardeuse. Les Montmartrois entichés de Napoléon (la rue Lepic actuelle est nommée rue de l'Empereur) auraient pu avoir envie d'honorer un général de la Grande Armée, Etienne Radet, qui de plus dirigea l'enlèvement du pape Pie VII.
Sans doute est-il plus sage de penser que le "Radet" du moulin aurait été un des meuniers locataires du lieu.
Une dernière hypothèse vient de m'être suggérée par un ami lecteur qui relève que dans un ouvrage sur la meunerie il est question de moulin à radet. Il s'agit il est vrai de moulins à eaux avec une plateforme flottante. La terrasse des moulins faite de planches ressemblant à un radet (radeau) a pu conduire les villageois à lui donner ce nom. Why not?
C'est en tout cas le plus célèbre meunier de Montmartre, de la dynastie des Debray, Nicolas-Charles qui en fit l'acquisition en 1812 après avoir enrichi son patrimoine trois ans plus tôt d'un autre moulin, plus grand, le Blute-Fin, celui que l'on découvre, splendide et altier depuis la rue Tholozé.
Debray a la lumineuse idée, pour raison commerciale de faire déménager en 1834 son Radet qui franchit une centaine de mètres pour se fixer près de son emplacement actuel (photo).
Il lui reste encore à franchir, un peu plus tard, une petite distance jusqu'à l'angle de la rue Lepic (rue de l'empereur à l'époque).
C'est là qu'il est photographié par des hordes de touristes qui ignorent qu'il fut de 1924 à 1977 perché sur un socle de béton lourd et laid. Il sera restauré en 1977 ainsi que son entrée belle époque.
Fin de la rue avec à gauche les jardins transformés en immeuble et place Marcel aymé
Nous arrivons maintenant au dernier numéro de la rue Norvins, le 26.
les terrains libres sur lesquels était installé le Radet, ont été dans leur partie ouest sacrifiés au profit d'un imposant immeuble et d'une place.
Marcel Aymé rue du Mont-Cenis.
Il s'agit de la place Marcel Aymé (1902-1967) du nom de l'écrivain qui vécut dans cet immeuble pendant les trois dernières années de sa vie, et y mourut.
Il était Montmartrois d'élection, ayant eu pour adresses successives le 9 rue du square Carpeaux, le 9 ter rue Paul Féval (pendant 30 ans) et enfin le 26 rue Norvins.
Après sa mort, Jean Marais réalisa en son hommage une sculpture qui illustre une de ses nouvelles les plus connues, "Le passe-muraille". La sculpture fut inaugurée en 1989 et elle attire les touristes qui aiment se faire photographier devant elle.
Jean Marais qui à l'occasion se découvrait sculpteur donna à son passe-muraille la tête de Marcel Aymé et les mains de Jean Cocteau.
Marcel Aymé eut pour voisin dans cet immeuble un musicien qui fut célèbre en son temps :
Je retiens, outre ses créations que je connais peu, qu'il a été pendant presque 20 ans l'époux de Colette Steinlen, fille de notre Alexandre, le peintre humaniste engagé pour les humains et pour les chats!
Colette et un chat (Steinlen)
Il ne se contenta pas de la belle puisqu'il eut deux autres épouses. Après ses trois mariages, il fallut bien conclure par un enterrement qui eut lieu en 1965 dans le vieux cimetière Saint-Vincent où il a pour colocataires Alexandre Steinlen et Marcel Aymé!
Nous sommes avec la rue Norvins au cœur du cœur de Montmartre et par chance elle a gardé en partie l'image de ce que fut le vieux village. Un article déjà ancien lui a été consacré sur ce blog mais il nous semble intéressant de l'actualiser et de réparer quelques oublis!
La rue Norvins à partir de la rue des saules vers la place du Tertre
Cette étroite artère célébrisime figure sur les plus anciens plans de Montmartre sous le nom de rue Traînée ou Trenette dans sa partie entre la place du Tertre et la rue des saules, et rue des moulins dans celle qui va de la rue des saules à la rue Girardon.
La rue Norvins à partir de la rue Girardon (ancienne rue des moulins)
C'est un décret de 1868, huit ans après le rattachement de Montmartre à Paris qui lui donne son nom toujours actuel de rue Norvins.
Portrait de Jacques Marquet de Montbreton de Norvins par Ingres
Il y avait à l'époque un vénération pour Napoléon, d'autant plus ardente qu'elle permettait par opposition d'amoindrir et de critiquer Napoléon III, appelé par Hugo "Napoléon le Petit". Il se trouve que Jacques Marquet de Montbreton de Norvins, né la même année que Napoléon (1769), fidèle entre les fidèles, a écrit un livre-somme "Histoire de Napoléon" qui connaît un vif succès. Il prête trois excès à son héros, "l'excès du génie, l'excès de la fortune, l'excès du malheur".
Il en fait ainsi un personnage romantique idéalisé!
Évidemment le nom de la voie est raccourci afin de n'avoir pas à dérouler l'interminable patronyme : Jacques Marquet de Montbreton de Norvins ! La particule elle même a pris la poudre d'escampette.
Commençons donc la visite par la première partie de la rue, entre la place du Tertre et la rue des saules. Au début, Seul le côté pair est construit, formant un des côtés de la place du Tertre, du 2 au 8.
Le 2 est un petit immeuble assez disgracieux qui a pris la place du fameux hôtel du Tertre qui lui même avait été construit sur les culs-de-basse-fosse de la prison de ces dames, Abbesses de Montmartre. C'est un haut lieu du Montmartre artiste et bohême où venaient siroter l'absinthe, au Rez de chaussée, chez Bouscarat, Degas, Toulouse Lautrec, Puvis de Chavannes.
Le 2 (premier immeuble à droite), Hôtel du Tertre.
... Le relais fut pris par Satie qui venait en voisin de la rue Cortot, Modigliani, Couté, Max Jacob, Carco...
Le 2, aujourd'hui
Plus tard encore on y rencontrera Picasso, Renoir ou Vlaminck....
L'hôtel fut vendu par Bouscarat pour être détruit et remplacé en 1938 par l'immeuble actuel qui enlaidit la place du Tertre et dont le café restaurant en s'appelant "La Bohême" a couru en vain après la légende montmartroise puisque depuis la pandémie ou à cause d'elle il a fermé ses portes.
Le 4 est le célèbre "Cadet de Gascogne" qui n'est pas si ancien qu'on pourrait le penser. Henri Borde, un gascon qui avait du flair racheta un petit commerce de village pour créer son restaurant en 1928.
Il est cadet de famille et selon la tradition gasconne, les biens revenant à l'aîné, il devait partir à l'aventure, à la recherche de la fortune. La fortune fut au rendez-vous, le gascon avisé acheta, succès aidant, le restaurant "Patachou" et l'énorme maison, de l'autre côté de la place, avec vue sur tout Paris, habitée aujourd'hui par Nagui de la télévision française!
On peut voir clairement sur cette carte que le restaurant n'occupait que les deux tiers du petit immeuble. Il avait pour voisin "Le singe qui lit" qu'il avala en partie pour occuper l'ensemble de l'immeuble.
Il faut dire un mot de ce singe sacrifié dont vous pouvez lire l'article complet sur ce blog. En 1908, il y avait là un bric-à-brac, une brocante foutraque tenue par un personnage hors pair, Emile Boyer, "brocanteur, anarchiste, fort en gueule, caractériel, marchand de frites et de peintures".
Emile Boyer et sa friteuse
Il était ami d'Utrillo et de Gen Paul dont il vendait dessins et toiles. Après lui il y eut un autre patron, Gremillet, puis une boutique de souvenirs made in China, mais la vieille enseigne et le décor avaient été respectés, jusqu'en 2018 où tout fut détruit pour agrandir la mère Catherine!
Au 6 vit donc cette ogresse de "mère Catherine" . A l'origine il s'agissait d'une brave citoyenne, Catherine Lamotte (nom parfois orthographié Lamothe) qui en 1793, année connut pour sa douceur et sa tolérance, acquit l'ancien presbytère vendu comme bien national.
En 1814, elle subit le passage des cosaques, grands amateurs d'alcool, qui pour être servis sans attendre criaient "bistro" c'est à dire "vite"! Ainsi le mot bistro serait né chez la mère Catherine. Aujourd'hui une plaque perpétue la légende que serinent les guides.
En réalité le mot n'apparaît qu'en 1884 dû à l'abréviation du provençal "bistroquet". Peu importe à Catherine qui aurait fait fi de la controverse si en 1844 elle n'avait rendu son âme à Dieu, renversée par une pièce de vin qu'elle descendait à la cave. On ne dira jamais assez que l'alcool tue!
Après elle d'autres propriétaires se succèdent parmi lesquels le gros Guillaume, auréolé de son passé de garde national pendant la Commune puis le père Lemoine, 2ème maire de Montmartre, connu sous le pseudo de "père La Bille" pour avoir installé dans son restaurant un billard.
Le 8 rue Norvins
Au 8 dans une vieille maison du XVIème siècle, le petit comptoir remplace un "estaminet" qui lui-même remplaçait un humble commerce villageois.
Début côté impair de la rue Norvins (1, 1bis, 1ter).
Nous pouvons maintenant nous intéresser aux numéros impairs qui commencent là sur une sorte de placette dont le premier immeuble donne sur la place du Tertre. Il faisait corps à l'origine avec le 1bis et le 1ter.
Ô surprise ineffable, une enseigne temporaire annonce l'ouverture d'une boutique de souvenirs "le singe qui lit"! Ainsi le nom de ce singe sauteur ne quittera t-il pas Montmartre!
Auparavant était installé dans cette maison le syndicat d'initiative de Montmartre qui est descendu de quelques dizaines de mètres jusqu'au 7 rue Drevet.
Une plaque nous rappelle (!) qu'à cet endroit, le 24 décembre 1898, arriva "une voiture à pétrole pilotée par Louis Renault, marquant ainsi le départ de l'industrie automobile française". Soyons fiers Montmartrois, nous abriterions le premier "bistro" de France et serions à l'origine d'une industrie qui fut le fleuron de notre pays!
Il y avait jusqu'en 1921 une terrasse ouverte entre ce groupe de maisons dont une partie fut détruite. Il resta un terre-plein central racheté par la ville, sans doute pour élargir la rue Norvins et qui aujourd'hui forme cette placette pittoresque sur laquelle donnent ces vieilles maisons villageoises.
Le 10.
En face côté pair, le 10, malgré les pétitions des Montmartrois a vu s'installer une enseigne américaine qui ouvre la voie aux MacDo et autres joyeusetés mondialisées.
Il subsiste de vieilles cartes qui ressuscite le quartier ancien et le siège de la Commune Libre du temps de Depaquit.
Les 12, 14, 16....
Pas grand chose à dire des autres numéros pairs sinon que les maisons où ils sont installés sont d'authentiques maisons du vieux village miraculeusement conservées.
Arrêtons nous seulement au 18, présent sur toutes les cartes postales, "le Consulat".
Il est peint sur de nombreuses toiles et il est fréquent de voir des peintres (notamment asiatiques) poser leur chevalet devant le restaurant en figure de proue entre les rues Norvins et Saint-Rustique.
Utrillo
Utrillo
Il y eut à son emplacement la "Friterie, liqueurs à emporter" du père Luc avant que l'emplacement idéal n'attirât les artistes qui prirent très vite l'habitude de venir y boire et manger.
Peintres et poètes s'y rencontrent bien avant que le Consulat d'Auvergne ne devienne Consulat de Savoie dans les années 60 quand son propriétaire monsieur Poppon voulut rendre hommage à la région dont il était originaire.
Une affiche encadrée rue Saint-Rustique et rue Norvins rappelle le nom de quelques artistes qui le fréquentèrent, sans oublier les cinéastes qui apprécièrent son côté si "pittoresque"!
Woody Allen est un des derniers à avoir situé à proximité quelques scènes de "Tout le monde dit I love you" et de "Midnight in Paris".
Revenons côté impair que nous avions laissé au 1ter. De petits immeubles se succèdent, témoins eux aussi du vieux village. Chacun d'eux abrite un commerce de restauration ou de souvenirs formatés pour les touristes.
Le 3 années 60
Les 3 aujourd'hui
Entre le 3 et le 5 s'ouvre une courte impasse, anciennement nommée "Cul-de-sac Saint-Vincent" et baptisée "Impasse du Tertre" en 1867.
Une plaque recommande aux automobilistes de ralentir pour ne pas heurter les petits poulbots!
Voilà une alerte bien anachronique pour notre temps où les voitures ne peuvent emprunter la rue et où les enfants habitant le haut Montmartre ont disparu depuis belle lurette! Comme les sauriens découverts dans les carrières de la Butte!
Le 7 est un restaurant au nom désuet : "la Pétaudière" qui comme chacun sait est un lieu où règne l'anarchie et la confusion.
L'expression viendrait de Rabelais et de sa "cour du roi Pétaud", joyeuse assemblée où chacun avait la même autorité que le roi!
C'était le nom d'un cabaret fameux, 10 rue Tholozé, dirigé par le chansonnier Léon Zanroff auteur du fiacre chanté par yvette Guilbert.
En 1928 le cabaret disparut, remplacé par le studio 28, cinéma célèbre pour ses lustres dessinés par Cocteau.
Impasse Traînée, aujourd'hui rue Poulbot.
La Pétaudière donne en partie rue Poulbot, ancienne impasse traînée. Son nom venait de la manière dont on chassait le loup, "à la traînée" en tirant sur le pavé une charogne dont l'odeur ne pouvait manquer d'allécher le pauvre loup qui tombait dans une trappe dissimulée sous des branchages.
Rue Poulbot. La Pétaudière à droite, le Tire-bouchon à gauche.
Ce n'est qu'en 1967 que l'impasse se transforma en rue et prit le nom de Poulbot.
En face de la Pétaudière, au 9 rue Norvins a survécu un vieux cabaret, le Tire-Bouchon.
Le cabaret ouvert après la 2ème guerre a été une pépinière de talents venus tenter leur chance à Paris. De nombreux jeunes chanteurs y ont débuté et donné pour quelques sous un court récital.
Brel non loin du Tire-Bouchon, rue Poulbot
Parmi eux comment ne pas citer Brassens ou Brel qui tous deux passèrent du Tire-Bouchon au cabaret de Patachou un peu plus loin, rue du Mont-Cenis. Bernard Dimey, Francis Lai, Fernand Sardou aimèrent l'ambiance artiste et bon enfant du lieu.
La rue continue avec ses ennuyeuses boutiques pour s'arrêter, dans sa première partie, avec ce qui fut longtemps la dernière boulangerie du haut Montmartre.
On la voit encore sur les cartes postales des années 60. Elle a survécu aussi longtemps qu'elle a sut résister aux sirènes de la spéculation et des offres de rachat.
C'est fini depuis une quinzaine d'années...
Il n'y a plus de boulangerie dans ce quartier. Une boutique de souvenirs, une de plus, a pris sa place. Elle donne en partie sur la place Jean-Baptiste Clément.
Ici s'arrête la première partie de la rue Norvins, celle qui s'appelait rue Traînée. La prochaine fois nous arpenterons la deuxième partie, l'ancienne rue des moulins.
On se dit que le charme de Montmartre a quelque chose de magique pour subsister malgré l'enlaidissement commercial!
La halle Saint-Pierre, plus chanceuse que ses consoeurs "Baltard" du ventre de Paris, sauvagement détruites sous Pompidou, abrite un musée vivant ouvert à l'art brut et à la photographie. Quand il fut créé dans les années 1990, il exposait une partie de la collection d'art naïf de Max Fourny dont il porte toujours le nom.
Et puis les naïfs prirent la poudre d'escampette pour être remplacés par des artistes à la mode, représentants de l'art brut. Mais le musée garde du temps de ses débuts les bannières d'un artiste de rue qui était dans le vent urbain, Speedy Graphito.
Ce sont elles qui reçoivent pluie, soleil et fientes de pigeons contre la façade. Elles offrent au passant malgré les injures du temps, leurs dessins de vitraux et leurs couleurs vives.
Speedy Graphito, de son vrai nom Olivier Rizzo (né en 1961) est considéré comme l'un des pionniers en France du street-art (beaucoup moins branché quand on l'appelle à la française "art des rues").
Dans les années 80, il parcourt nuitamment les artères de la ville pour les décorer de ses pochoirs et ses collages qui sont vite remarqués pour leur originalité et leur gaité. Déjà il donne vie à des personnages stylisés et dynamiques qui ne sont pas sans rappeler Keith Haring.
Parmi eux, des chiens bleus, des diables rouges et un lapin robotisé, Lapinture.
En 1985, Speedy est couronné du prix de la meilleure affiche du concours lancé par le Ministère de la Culture pour les mois du musée : "La ruée vers l'art".
Avec le temps, Speedy s'inspire de plus en plus de la culture populaire, des icônes du dessin animé, des personnages de jeux vidéo... dans des compositions où l'humour ne manque pas de pointer le bout de son nez.
Ce qui ne cache pas l'influence chez lui de peintres qu'il admire comme Miro ou Picasso.
Les frontières du temps et des cultures s'abolissent et Riri peut bien faire du trampoline devant la vague d'Hokusaï...
Aujourd'hui Speedy ne fait plus que rarement le mur. On le rencontre dans des musées, des galeries, des salles des ventes...
Raison de plus pour ne pas manquer de lever la tête vers ses bannières de la Halle Saint-Pierre rue Ronsard, sans oublier de passer devant la porte colorée de la rue Nodier.
Voisin de l'Auberge du Clou vandalisée légalement en 2021 pour laisser place au Seasons Martyrs, il y eut un autre cabaret flamboyant de Montmartre : l'Âne rouge.
Là ou était l'âne rouge, vous trouverez le "paprika"!
Il a depuis fort longtemps cessé de braire et au 28 avenue Trudaine il a laissé place au "Paprika" du nom d'une épice de couleur rouge elle aussi, mais il est hors de question de ne pas le "ressusciter" le temps d'un article, tant il fait partie de l'histoire de notre quartier.
Cartouche (illustration de Tessier et Sarrou).
Remontons au second Empire, en 1870, avec le père Laplace que certains appellent "le père de Montmartre". En effet, marchand de tableaux avisé, il eut l'idée d'organiser des rencontres d'artistes, poètes et peintres autour d'un verre, dans sa boutique. Devant le succès, il la transforma en café, "La Grande Pinte", hommage à un célèbre débit de boissons (créé en 1724) situé à la barrière d'Antin, là où trône aujourd'hui l'église de la Trinité et qui eut pour fidèle client le brigand Cartouche qui appréciait le puits de l'établissement donnant accès à des souterrains précieux en cas d'alerte.
La Grande Pinte de Laplace peut être considérée comme un des premiers cabarets montmartrois où s'exprimaient et étanchaient leur soif poètes et chanteurs!
C'est en 1889 que commence l'histoire de notre cabaret quand la Grande Pinte est rachetée par Gabriel Salis pour devenir l'Âne Rouge.
Le Chat Noir de Rodolphe Salis, d'abord sur le bd de Rochechouart (ensuite rue de Laval, aujourd'hui Victor Massé)
Le nom de Salis est familier aux oreilles des Montmartrois ! Salis! Le Chat Noir! Le cœur même du Montmartre des artistes et de la Bohême! Mais attention, un Salis peut en cacher un autre! Le Chat Noir appartient à Rodolphe Salis tandis que l'Âne rouge est la propriété de Gabriel Salis, son frère cadet.
Enseigne de Willette pour le Chat Noir, rue de Laval (aujourd'hui Victor Massé)
Les deux frères ne s'entendent pas, ou alors comme chien et chat (à cause d'une rivalité féminine)! C'est pour concurrencer Rodolphe que Gabriel ouvre son cabaret à proximité du Chat Noir.
Le nom aurait été trouvé par Willette pour se moquer du mauvais caractère un tantinet buté de Rodolphe et de sa crinière rousse.
Caricatures de Willette :
- Il fut un temps où je portais la farine au moulin...
_ Mais j'en avais plein le dos de Pierrot et de sa farine...
- Et il est mort depuis...
- Là ousqu'est mon mouchoir?
- Mes amis tout ça est à vous... pour de l'argent! Buvez et multipliez!
- C'est pour la réparation de la Butte qui s'écroule sous le poids de ma gloire
- De l'audace, de l'audasse et encore de l'audasssse et toujours de l'audasssssse! (Willette)
Gabriel Salis surnommé le léopard ou encore le don Quichotte de Montmartre, moins autoritaire que son frère entraîne avec lui une partie des habitués du Chat Noir, à commencer par Willette qui accroche dans la grande salle son tableau peint après la Commune "la fédérée de la place du Tertre".
Tableau inspiré par un poème de Richepin qui sera plus ou moins copié par Bruant :
"Le drapeau rouge autour du corps
Lui allait mieux qu'un linceul d'or
Elle est tombée la gueule ouverte
A Mont-merte".
Parmi les artistes qui participent au "décor" en accrochant quelques unes de leurs œuvres, nous trouvons Steinlen, celui-là même qui a créé pour Salis l'affiche devenue icône de Montmartre.
Nous trouvons encore Georges De Feure peintre symboliste qui avait son atelier à proximité, rue de l'agent Bailly et qui mérite d'être redécouvert.
Georges de Feure (femme dans la neige)
L'Âne rouge connaît un grand succès avec la venue de la bande des Hydropathes de Goudeau et avec quelques personnalités marquantes de la bohême montmartroise. Il suffit de citer Verlaine, Charles Cros, Xavier Privas, Marcel Legay, Gaston Couté, Paul Delmet, Willette, Steinlen, Bottini.... Toutes ces figures montmartroises habituées de l'Âne rouge n'en fréquentent pas moins d'autres cabarets, d'autres lieux mythiques aujourd'hui qui se réclament de leur célébrité.
Gabriel Salis dans son cabaret (caricature de Lepetit)
Gabriel Salis contribue à l'ambiance joyeuse et impertinente. Il se réjouit de voir s'anémier le Chat Noir de son frère tandis que son Âne est en pleine forme.
Rodolphe Salis tente de retrouver le succès en organisant des tournées dans toute la France et en innovant avec le théâtre d'ombres dont certaines silhouettes sont conservées au musée de Montmartre. La dernière séance eut lieu en 1896, après quoi Rodolphe pris d'une folie destructrice s'acharna contre le mobilier et la décoration de son établissement, hâtant sa mort définitive.
Il meurt l'année suivante, en 1897. Gabriel Salis eut-il du remords, retrouva -t'il l'affection perdue pour son frère? Toujours est-il qu'il vendit son Âne rouge peu de temps après, en 1898.
Son acquéreur fut André Lesage, dit Andhré Joyeux, compagnon de la première heure et chansonnier apprécié qui n'eut pas le temps de faire ses preuves à la tête de son cabaret car, atteint d'un cancer à l'estomac, il se suicida en septembre 1899.
Il ne reste que quelques années de vie à notre Âne rouge qui est racheté en 1900 par Mauricette Renard puis en 1903 par Léon de Bercy, chansonnier, parolier, membre du Club des Hydropathes et ami de Bruant avec qui il écrit un dictionnaire de l'argot, mais mauvais gestionnaire qui abandonne le pauvre Âne en 1905.
C'est la fin du cabaret mais pas de son nom. Un certain monsieur Choulot ouvre un restaurant qui garde pour sa publicité l'enseigne devenue célèbre.
Quelques années plus tard le nom disparaît à son tour. Les fourneaux du restaurant s'éteignent et c'est une boulangerie qui s'installe à sa place. Fin de l'Âne Rouge!
Le Paprika qui aujourd'hui occupe son emplacement n'a pas détruit la céramique originelle au-dessus de la porte avec notre âne rouge gourmand, tenu en laisse par une femme nue virevoltante! Ultime relique du célèbre cabaret!