Comme le début de l'avenue côté pair, le côté impair aligne une série d'immeubles presque semblables, tous conçus, en 1889 par le même architecte : Emile Hennequet.
Ils sont, les ornements en moins, très proches de leurs rivaux de l'autre côté de l'avenue. Le style haussmannien survit à la chute du 2nd Empire.
Hennequet est l'architecte de plusieurs immeuble parisiens, rue Condorcet, rue de Courcelles, rue de Lévis...
Une boutique fait rêver les enfants depuis des décennies. Son nom est un poème : "Le ciel est à tout le monde"
J'y ai acheté jadis un cerf volant et un voilier... La mer aussi est à tout le monde.
Le 9 est resté tel qu'il était au XIXème siècle. Il y avait là des ateliers d'armement, les établissements Warral Midgleton. Peu avant le début des événements de la Commune, le 27 février 1871, les fédérés envahirent les ateliers et s'emparèrent des canons conservés en magasin.
Les 13 et 15 sont encore signés d'Emile Hennequet qui réalise sur l'avenue sa plus importante création! Ces immeubles datent de 1890, un an après les premiers numéros.
Le 15 a appartenu à l'un des acteurs français les plus populaires et les plus talentueux : Fernandel.
Il y a vécu une trentaine d'années avant de déménager pour l'avenue Foch, au 44, dans l'immeuble où vivait la diva des divas, Maria Callas.
Le 17, plus ancien, accueillit en 1888 un cabinet ouvert par le docteur Joseph Witkowski.
Witkowski est un médecin de renom qui produisit de nombreux ouvrages de vulgarisation et fut précurseur dans la sexologie.
Un "auto panseur" qui me rend penseur porte son nom.
Il permet à la femme de faire elle -même ses pansements vaginaux (ne m'en demandez pas plus! Je ne l'ai pas testé!)
Après le 17, nous traversons la rue Rodier et passons devant l'immeuble à pan coupé du 19. Ce bel immeuble a été élevé en 1903. Son architecte porte un joli nom : Galopin.
Ce J. Galopin a œuvré à Paris et dans les stations balnéaires à la mode, comme au Touquet (remis au goût du jour par notre nouveau président)!
La villa des Genêts d'or, classée, est représentative de l'Art Nouveau à la sauce Galopin.
Toujours au 19, un peintre et sculpteur italien, naturalisé français, eut son atelier entre 1916 et 1929, avant de déménager à quelques centaine de mètres de là, rue Laffitte.
Il s'agit de François de La Monaca (1882-1937), venu à Paris alors qu'il avait 20 ans. Il y rencontra, sans se laisser influencer par eux (hélas), Picasso, Matisse ou Modigliani.
Sa carrière un peu brouillonne le conduisit à tenter diverses expériences (décoration, sculptures, portraits) et même à délaisser un certain temps la création artistique pour tenter sa chance comme chercheur d'or, en Alaska.
Il est surtout connu pour ses sculptures, ses bustes et ses petits personnages....
Le 21 (1908) est un immeuble original, à la fois moderniste avec ses grandes baies vitrées et ornementé à l'ancienne avec ses stalactites de pierre sous le balcon du 1er étage.
Son architecte est Ch. A. Gautier.
Le 25
Le 27
Le 29 il y a un siècle et aujourd'hui
Le 29 : Nous avons, fait rarissime pour un immeuble sans histoires, deux clichés anciens. L'un d'eux nous montre, sortant de chez lui, le juge Jules Moleux, avec une jambe de pantalon plus longue que l'autre...
Je n'ai rien trouvé sur cet illustre Jules dont une rue d'Etaples porte le nom.
Les Etaplois connaissent peut-être les hauts faits de cet homme très représentatif des bourgeois de son temps : costume, chapeau, barbe et prénom....
Notre juge était mort depuis longtemps quand sur ce trottoir, devant le 29, deux policiers furent abattus par des militants d'Action directe le 31 mai 1983.
(Ci-dessus, Régis Schleicher, un des auteurs de la fusillade sur l'avenue Trudaine).
A l'angle avec la rue Bochart de Saron, une école, après quelques avatars, perpétue la tradition de l'enseignement commercial.
Il y eut à son emplacement une usine à gaz, la première construite à Paris, en 1819. On peut voir sur le plan cadastral sa situation exacte. La rue Bochart de Saron n'avait pas été prolongée.
C'est quelques années après la destruction de cette "Fabrique pour le gaz hydrogène" que commença la construction de l'école commerciale.
Elle fut construite en plusieurs étapes. Les deux premières, en 1863 et 1886 virent s'élever les bâtiments sur l'avenue Trudaine. La dernière qui ne présente aucun intérêt architectural fut une extension vers la rue Condorcet.
Malgré la qualité de la façade, il a été prévu, l'année dernière, une transformation qui pour gagner quelques étages aurait vandalisé le bâtiment et dégradé l'harmonie de l'avenue. Par chance le projet a été refusé par la mairie !
Il faut préciser que l'école est l'œuvre d'un architecte éminent, Juste Lisch, connu surtout pour ses travaux de restauration.
Citons entre autres : la Palais de l'Elysée, la cathédrale d'Amiens, l'Abbatiale royale de Saint-Denis, l'Abbaye de Saint-Benoit sur Loire, la tour Saint-Nicolas de la Rochelle.........
La façade porte un médaillon sculpté de Mercure, dieu du commerce et des voleurs!
Dans la cour on aperçoit une vache à lait (espérons qu'elle n'est pas le symbole des clients à traire?)
Un élève de l'école n'aura pas eu le temps de se poser de telles questions primaires! Il s'agit de Samuel Tyszelman, dit Titi.
Nous l'avons déjà rencontré rue Foyatier où il était élève avant d'étudier dans l'école de commerce.
Ce jeune homme qui faisait partie de la Jeunesse Communiste, pour qui la résistance était une évidence, fut arrêté par les Nazis et fusillé en août 1941 dans le bois de Verrières.
Les derniers immeubles ont peu d'histoires à nous conter.
Il y avait aux 49 et 51 une teinturerie et un restaurant "Au Cocher" dont on voit le personnel poser en rang d'oignon sur le trottoir.
Au 53, il y eut au début du siècle un café-concerts : "Les Concerts Symphoniques". Saint-Saëns y était joué souvent ainsi que Gounod sous la baguette de Léopold Courcelle.
... Et puisque nous quittons l'avenue Trudaine en musique, comment ne pas évoquer les quelques mois pendant lesquels, avant d'emménager rue de Douai, Georges Bizet vécut avec sa femme Geneviève Halévy (modèle de Proust pour la duchesse de Guermantes).
Nous savons que c'est rue de Douai que Bizet commença la composition de Carmen mais pourquoi ne pas imaginer que c'est ici que lui en vint l'inspiration, près de ce Montmartre où chacun sait que l'amour est enfant de Bohême!