Ce peintre alsacien fait partie de l'histoire montmartroise puisque pendant des années c'est à Pigalle qu'il travailla, au 11, aujourd'hui disparu, sur cette place où tant d'artistes vécurent.
C'est rue La Bruyère qu'il mourut et c'est au cimetière de Montmartre qu'il repose.
Atelier de Jean-Jacques henner, 11 place Pigalle
Nous l'avons déjà rencontré, loin de la Butte, au musée Fabre de Montpellier avec une de ses plus belles oeuvres, "le bon samaritain".
Un chef d'oeuvre qui ne représente qu'un aspect de l'art et de l'originalité de Jean-Jacques Henner (1829-1905).
S'il ne fallait retenir que quelques éléments de sa vie féconde, il faudrait bien sûr parler de son séjour en Italie après l'obtention du Prix de Rome en 1858 pour sa toile "Adam et Eve trouvant le corps d'Abel".
Comme tout artiste, il est fasciné par l'Italie et passe des heures dans les musées à reproduire les oeuvres des peintres qu'il admire. Il a le temps pendant son séjour de 5 années de parcourir le pays. La dernière année ce sont Titien et Corrège qui l'attirent.
La femme au miroir (Titien)
Certains verront dans l'influence de Titien le goût de Henner pour les femmes rousses si présentes dans son oeuvre.
Le Corrège (Noli me tangere)
Du Corrège il retiendra le contour adouci, comme nimbé, des corps. On le retrouvera dans ses toiles avec ce savant "fumato" qui leur donne un aspect onirique.
Henner est bouleversé par la chute de l'Empire qui entraîne la perte de la région qu'il aime plus que toutes, l'Alsace. Il peint alors une toile qui devient célèbre et même iconique : l'Alsace, elle attend attend.
Une jeune alsacienne en deuil porte sur sa coiffe la cocarde tricolore. L'oeuvre devient vite populaire et assure à son auteur la gloire!
Alsacienne tricotant (1871. Huile sur toile)
Henner ne manquera pas de peindre de jeunes alsaciennes parmi lesquelles sa nièce Eugénie à laquelle il était très attaché.
Il reçoit de nombreuses commandes et ses femmes nues à la rousseur incandescente rencontrent un grand succès.
Les Naïades (1861. Peint pour la salle à manger des Soyer, 43 fbg Saint-Honoré)
Succès tel qu'il donne parfois dans la facilité et reproduit les mêmes toiles.
Femme nue couchée dans une fourrure (1892. Huile sur bois)
Aujourd'hui ces "rousseurs" bien que remarquables nuisent à son oeuvre en faisant oublier ou négliger les autres facettes de son talent.
Femme au voile rouge (1870)
Judith (1887. Huile sur carton)
Pourtant nous pouvons admirer avec ces toiles un art qui, sans adhérer aux mouvements picturaux de son temps, est tout à fait moderne. Gustave Moreau n'est pas loin, ni le symbolisme. Déjà la touche picturale se fait plus audacieuse, peu soucieuse de réalisme. N'oublions pas que Henner reste proche de ses contemporains et qu'il admire Manet qu'il impose à un jury du Salon.
Lorsqu'il faut illustrer Zola, disant à propos de l'affaire Dreyfus "La vérité est en marche et rien ne l'arrêtera", c'est encore une femme rousse qui incarne l'allégorie de ce credo.
Le peintre ne manque pas de recevoir également des commandes de tableaux religieux, comme nous l'avons vu avec le Bon Samaritain du musée Fabre.
Le paysage disparaît ou ne se laisse qu'à peine deviner sur un fond uni.
La série des Saint-Sébastien au corps androgyne montre à l'évidence la parenté avec Gustave Moreau, même si à l'inverse de ce dernier Henner ne se soucie pas de décor et d'ornementations.
Henner a également peint des paysages.
Ils sont à peine esquissés et annoncent l'impressionnisme et les touches picturales peu soucieuses de précision réaliste.
Paysage d'Alsace (1890)
Il serait injuste de ne pas mentionner l'engagement féministe de Henner qui faisait partie de ceux, trop rares à l'époque, qui ne comprenaient pas que l'école des Beaux Arts pût être interdite aux femmes. Il créa avec Carolus Duran "l'atelier des dames" où il eut pour élèves bien des artistes de talent.
Louise Abbéma que nous avons rencontrée sur ce blog est l'une d'elles et non la moindre!
Citons encore Marie Petiet
Madame Silvestre et ses enfants (Joséphine Houssaye)
Joséphine Houssaye
Juana Romani (qui fut aussi son modèle)
His first offence (Dorothy Tennant)
ou Doroty Tennant.
Comme pour Gustave Moreau rue La Rochefoucaud, la rencontre du peintre et de ses oeuvres se fait dans un hôtel particulier.
Mais contrairement à Moreau qui avait pour demeure son propre hôtel devenu musée, Henner n'a jamais vécu avenue de Villiers.
C'est un autre artiste, neveu de Gounod, Guillaume Dubufe (1853-1909) qui, enrichi par de nombreuses commandes, put l'acquérir.
Hôtel de Sarah bernhardt
L'hôtel a été construit en 1840 par un architecte-peintre-décorateur de grand talent, Félix Escalier, qui réalisa également, entre autres, celui de Sarah Bernhardt rue Fortuny.
La visite dans cette maison qui semble toujours habitée est un plaisir...
Dans l'atelier inondé de lumière qui restitue l'original, le visiteur a l'impression que le peintre va pousser la porte et s'asseoir devant son chevalet.
Je ne résiste pas au plaisir de terminer cette visite avec le mimétisme "gardienne-statue" dans une des salles du musée!