.... Montmartre a inspiré bien des peintres qui souvent sans le savoir l'ont transformé en usine à clichés!
Aujourd'hui les touristes photographient sans se lasser, non pas des lieux de Montmartre mais leur image créée par Utrillo et tant d'autres.
La maison rose, sans Utrillo, ne serait rien qu'une maison banale devant laquelle nous passerions dans l'indifférence...
... D'autres peintres, aujourd'hui moins connus ont participé à cette renommée picturale. Parmi eux, Lucien Génin. Il fait partie avec Elysée Maclet de ceux qui ne se sont pas lassés de représenter les rues de la Butte.
Notre amoureux de Montmartre n'y est pas né. Il a vu le jour (en 1894) à Rouen et n'est venu à Paris que pour suivre les cours de l'Ecole des Art-Déco (Il avait auparavant suivi ceux de l'Ecole des Beaux Arts de sa ville où Dufy qui vécut à Montmartre avait été lui aussi étudiant).
Il loue une chambre à l'Hôtel du Poirier, place Ravignan, un des épicentres du Montmartre des peintres car elle est l'adresse du Bateau-Lavoir. La pension est tenue par la mère Boyer qui a également pour pensionnaire Elysée Maclet. Sa chambre est voisine de la sienne et les deux hommes sympathisent. Ils deviennent de véritables amis. Leurs toiles se ressemblent parfois car ils sont tous deux coloristes, admirateurs des Fauves.
La proximité du Bateau-Lavoir permet aux deux amis de rencontrer quelques habitués du lieu, parmi lesquels Max Jacob.
Quand il a 25 ans, Génin quitte l'hôtel pour s'installer un peu plus confortablement rue des Beaux-Arts où il loue un appartement avec Maclet, au 3 bis. Mais les deux amis remontent souvent sur la Butte où ils trouvent leur inspiration.
Il y reste trois ans avant de regrimper vers le Poirier et se fixe au Bateau-Lavoir. Il rencontre une jeune femme qui n'était pas connue pour être farouche mais pour laquelle il "tombe en amour" comme disent nos amis du Québec.
La responsable de cette "chute" en amour c'est la belle Ginette qui à son tour s'éprend de son Lucien. Elle aurait pu pourtant chanter comme Fréhel : "C'est un vrai gringalet, aussi laid qu'un basset, mais je l'aime..." En effet Génin se compare parfois à Lautrec, non par le talent mais par la taille.
La liaison dure plus de 10 ans jusqu'en 1936. Le couple amoureux participe à de nombreuses rencontres avec quelques uns des poètes et des peintres qui animent des soirées amicales dans les cafés du quartier. Parmi eux Max Jacob, Marcel Leprin, Gen Paul...
1936 ! L'année du départ de Ginette est celle où Lucien Génin quitte Montmartre afin de tenter de l'oublier. Il descend dans la ville, côté Saint-Germain des Prés. Il tourne le dos à Montmartre et quand il veut respirer un air nouveau, c'est dans les calanques méditerranéennes qu'il se rend!
Il continue de peindre et ses œuvres connaissent un petit succès.
Il meurt en 1953 à l'hôpital Cochin où il est amputé d'une jambe, opération qui n'arrête pas la gangrène fatale.
La fosse commune lui est épargnée grâce à Ginette qui s'occupe des obsèques et suit le convoi jusqu'au cimetière parisien de Thiais où il repose, comme on dit, loin du Montmartre où ils s'étaient aimés.
Il nous laisse des toiles d'un Montmartre joyeux, parfois naïf.
Il y a dans son art quelque chose d'Utrillo bien sûr.
Parfois comme le fils de Valadon, il parsème les rues de petits personnages, des passants, seuls ou en couple, comme autant de santons. Comme lui il pose une carte postale devant le chevalet....
Ainsi plusieurs toiles ont-elles le même angle de vue et ne diffèrent que par l'humeur du jour, plus ou moins gaie, du peintre et de sa palette.
L'influence de Gen Paul se fait sentir également quand il ne cherche pas la précision mais le mouvement qui métamorphose la réalité sans souci de réalisme.
Pourtant il me semble que sa meilleure période est celle qui correspond à son arrivée à Montmartre et à son amitié avec Elisée Maclet.
Lucien Génin est un de ces peintres de talent qui s'attachèrent à Montmartre et qui furent moins inspirés lorsqu'ils le quittèrent. Aujourd'hui nul ne parle de lui qui est éclipsé par les artistes de génie qui furent ses contemporains.
S'il est exilé dans le cimetière de Thiais, les rues de la Butte ne l'oublient pas et se regardent dans ses toiles comme on feuillette un album de photos et on se surprend de se trouver si vivant et si jeune!
Liens
Les artistes et personnalités de Montmartre
René Fauchois (cité par André Roussard) parle du peintre : "Je n'ai connu à Lucien Génin que deux passions : la peinture et le vin rouge. (...) Sa taille exiguë l'apparentait physiquement à Lautrec et à Marquet, et j'aurais voulu le rencontrer un jour entre Vlaminck et Derain, ces géants. (...) Toute sa saveur vient de son naturel et sa simplicité, qui n'est pas feinte... Certainement la joie l'emplissait quand il peignait. On le voit, car cette joie est communicative et une toile de lui met plus de lumière à la fois sur le mur où on l'accroche et dans les yeux qui s'en régalent."
La rue Lepic. Tableau qui appartient à mon ami Pierre