Il existe à Montmartre un lieu secret où je ne peux pénétrer que lorsque Nicole est allée travailler dans son château de
livres. C'est une salle de bains, si féminine que tout individu qui a la malchance d'être né mâle, ne s'y aventure que sur la pointe des pieds.
La chatte Titiche y a élu domicile ce qui n'est pas étonnant car ces deux femelles là se ressemblent, aussi jolies, aussi coquettes,
aussi mystérieuses. Titiche dort sur une couverture Shahsavan iranienne et contre un coussin brodé en 1900 par une libanaise qui en fils d'or y a brodé : En ces vallons fleuris,
attendons nos amis. Comme dans ces vignettes de notre enfance, un trésor est caché sur la photo. Un petit cadre doré où Nicole et sa
mère sur une barque se tiennent embrassées. Derrière elles la ligne de fuite d'un canal, fuite de l'eau, fuite du temps. La barque continue de glisser mais il y manque un passager.
Aujourd'hui, jour de juin, il fait gris sur Paris et le soleil qui d'habitude aime jouer les voyeurs s'en trouve empêché. Il ne caresse pas
les visages approximatifs et étonnés des peintures qui veillent sur une collection unique au monde de bracelets de plastique et de colliers.
Les bracelets ont presque tous été achetés à Maduraï, cette ville temple de l'Inde où se mêlent quotidien et sacré, où l'on fait son
marché à côté de femmes qui dessinent sur le sol des arabesques de poudre colorée, où l'on se promène bras dessus bras dessous à côté des prêtres qui emmènent Shiva vers sa chambre nocturne et
tirent les rideaux afin de préserver l'intimité du dieu. Les femmes en sari sont si belles que pour garder un souvenir de leur parure, Nicole a dévalisé un petit marchand et rapporté à Paris cet
arc en ciel de Maduraï.
De part et d'autre les poissons naviguent dans le ciel. Le poisson qui est signe de vie et de bonheur est aussi le signe astrologique
de Nicole. Il lui correspond bien. Parfois même, les pieds et les mains de Nicole sont si froids que lorsqu'elle les colle contre moi pour les réchauffer, je trouve que son signe est un peu
trop envahissant. Je devrais au contraire m'en réjouir... mais nobody is perfect.
Attention parfums. Il y en a partout, de Shalimar à Angel en passant par Jungle qui depuis quelque temps est devenu le grand favori.
Tout poisson qu'elle est, Nini aime les éléphants et n'a pas oublié Delly, jeune femelle de Sumatra qui l'a promenée entre rizières et volcans sous une pluie tropicale à dissoudre un Sacré Coeur.
Vous remarquerez dans ce troupeau un flacon encore plein. C'est que Nini a du nez et a détecté une imitation dans ce flacon que j'ai acheté sur ebay. N'achetez pas vos parfums sur ebay, c'est un
conseil d'amis....
Ceux là sont vrais mais minuscules. Ils devenaient si envahissants qu'un beau jour, la collection s'est arrêtée. Ils ont un défaut majeur,
c'est qu'ils attirent la poussière. Et voilà pourquoi je n'ai pas besoin de clé secrète pour entrer dans le sanctuaire. Je viens en macho accompi épousseter les dizaines de miniatures car je vous
fais une confidence, c'est une pratique qui n'entre pas dans les moeurs de Nini.
Ah non ! Encore des miniatures !
C'est pas vrai ! là aussi !! Mais cette fois, ce sont de bons gros flacons!
Voilà qui amuse cette famille de canetons qui me surveillent. Ils ne barbotent pas dans la baignoire; Nicole a beau
être petite, elle n'est plus un bébé pataugeur. En fait ils ont à l'oeil les coffrets mystérieux, les tiroirs secrets, les petits meubles à bijoux, les coffres chinois où Nicole enfouit
de minuscules trésors et de précieux souvenirs. L'Île aux trésors, c'est ici, mais aucun pirate n'y aura accès.
Chaque collier a une histoire, Ils parlent d'un jour d'été, retour de plage ou d'un anniversaire. L'un évoque Venise la
Rouge (pas un bateau ne bouge) ou Madras, l'autre est venu du Liban avec ses breloques d'argent. Les plus beaux sont des soleils indiens.
Pas de salle de bains sans baignoire. Celle ci a les formes qui conviennent. Elle imite la fleur de lotus (avec un peu
d'imagination) mais je n'y ai jamais vu Nini s'y prélasser. C'est un spectacle strictement interdit. Je ne vous dis pas ma frustration. Il n'y a même pas de trou de serrure... Seuls les
pigeons de Montmartre peuvent jouir de ce privilège.
Remarquez au premier plan un vélo d'appartement qui permet à Nicole d'accrocher ses sacs et ses écharpes.
Et maintenant je quitte comme j'y suis entré, sur la pointe des pieds cet univers troublant.
Les mots qui entourent ce tableau me reviennent en mémoire :
C'est la nuit ou le jour, c'est dedans ou dehors, c'est Nicole les yeux ouverts qui fait tourner dans un lac vert les poissons rouges de ses rêves.