Le hasard m'a fait emprunter la rue Véron où une galerie installée là depuis quelques mois m'a permis de passer à travers le miroir pour découvrir un paysage où les hommes et les oiseaux se parlent...
Atelier Véron, 31 rue Véron
Il faisait gris...
Il pleuvait un peu...
"Pour un cœur qui s'ennuie, ô le chant de la pluie"...
Et puis, franchie la porte, l'arc en ciel vint à ma rencontre...
Avec une migration d'oiseaux échappés de l'enfance où les chasseurs n'existent pas
Des mosaïques byzantines ou des villas romaines
Des enluminures médiévales
Ou plus simplement lâchés pour nous par un artiste qui, né en 1944, a gardé l'âme et le cœur d'un jeune amoureux que le monde émerveille.
Je n'ai pas été étonné d'apprendre qu'il fut proche d'un maître-verrier que nous connaissons bien à Montmartre puisque tous les vitraux de notre vieille église Saint-Pierre sont son œuvre : Max Ingrand.
… Un vitrail se laisse deviner de l'extérieur avec ses lignes de plomb et ses couleurs sourdes et il saisit la lumière aussi ténue soit-elle pour se donner à l'intérieur….
… Les visages de Jean Dessirier, comme les vitraux ont leur face de lumière et leur face plus secrète.
Comme on peut voir se refléter dans la vitre l'avers coloré offert aux passants tandis que le revers ombreux ne s'offre qu'à ceux qui entrent dans la salle d'exposition.
Femmes, hommes et oiseaux vivent ensemble sans frayeur. L'oiseau messager de paix est aussi la part de rêve et de sensualité de chacun.
Certains "personnages" que leur créateur nomme "totems" sont debout, en pied, longs et droits. Ils me font penser aux statues colonnes romanes, paisibles elles aussi avec leur sourire à peine dessiné, comme une invitation à la douceur.
Comparaison n'est pas raison, aussi faut-il aussitôt la compléter avec d'autres, du côté de l'art forain ou des décors circassiens, comme nous y invite ce clown mains dans les poches
C'est ainsi, devant un univers nouveau et envoûtant, on ne peut s'empêcher de battre le rappel de tout ce qu'il peut nous évoquer alors que le plus simple et le plus naturel serait d'y entrer sans bagages.
Même si les faunes, les sirènes et les sphinges sont pour nous de vieilles connaissances.
Ce qui est sûr, c'est qu'il se dégage de cette exposition une impression paisible et souriante, une forme de bonheur qui invite à l'échange.
Un univers où François d'Assise serait à l'aise pour parler aux "frères oiseaux" mais où il aurait jeté aux orties sa robe de bure pour chanter en même temps que la beauté des animaux et des fleurs, celle des hommes et des femmes!
Femmes dont la nudité est aussi naturelle que le plumage des oiseaux!
Les œuvres de Jean Desirrier sont exposée à l'Atelier Véron jusqu'à la fin du mois de mars, 31 rue Véron. Tel : 06 75 17 27 03. Adresse @ du site
Nombreuses sont les cartes et les photos de la Belle Epoque qui ont gardé l'image d'une des femmes qui fit tourner les têtes, nourrit bien des fantasmes et prit dans les filets de son charme et de sa sensualité quelques uns des princes de ce monde!
La Belle Otero
Elle fut considérée avec Liane de Pougy et Caroline Otero comme l'une des Trois Grâces de son temps! Et Dieu sait qu'il y en avait de gracieuses personnes à Montmartre à la fin du XIXème siècle!
Liane de Pougy
La belle dame naquit dans le Paris populaire, en 1870 (ou selon certains historiens en 1869).
Sa mère est concierge rue des Martyrs dans un quartier prisé de la bohême mais où les oiseaux de proie de l'immobilier commencent à s'abattre.
Elle doit travailler tôt pour apporter un peu d'argent à sa mère. Le goût qu'elle aura plus tard pour la littérature est d'autant plus remarquable qu'elle fut privée dans sa jeunesse d'un accès désiré à la culture réservée aux classes aisées.
Dessin de Steinlen
Elle est lancée dans le monde alors qu'elle n'a que 15 ans grâce à un journaliste du Gil Blas responsable de la rubrique des "demi-mondaines", Charles Desteuque, celui-là même qui découvrit la Goulue et qui recevait bourgeois et jolies dames dans son appartement de la rue de Laval (aujourd'hui rue Victor Massé) en face du Chat Noir.
C'est au cours d'une de ces rencontres qu'Emilienne André reçut son nom de combat. Elle était vêtue d'un corsage en dentelle d'Alençon quand Laure de Chiffreville, prostituée notoire, la baptisa Emilienne d'Alençon en lui prédisant une grande carrière!
Le Cirque National (ancien cirque d'été) sur les Champs Elysées.
La carrière mit pourtant quelques années avant de répondre aux prédictions de Laure de Chiffreville. Emilienne commença par un numéro approximatif et cependant sensuel de dresseuse de lapins au Cirque d'Eté.
Avant de dresser les ânes (ce qui est un excellent exercice préparatoire au domptage des hommes)
Mais plus qu'aux ânes c'est au jeune duc d'Uzès qu'elle doit sa promotion. Jacques d'Uzès, amoureux fou de la demoiselle entreprend de l'éduquer en espérant pouvoir en faire sa femme. Mais, comme dans la Traviata, la famille, en l'occurrence la duchesse de Rochechouart, scandalisée par cette liaison, organise une expédition en Afrique, censée apporter la gloire à son rejeton. Pensa t-il à la belle Emilienne quand après avoir combattu les Boubous il fut rapatrié à Brazzaville où il mourut de la dysenterie en 1893?
Affiche de Chéret
Mais la liaison a fait du bruit dans le Paris de la galanterie et auréolé Emilienne d'une réputation de femme irrésistible qui ne la quittera plus!
Elle est réclamée par les établissements à la mode où elle danse et joue la comédie à moitié vêtue ou dévêtue (c'est l'histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide) : elle se produit au Casino de Paris, aux Menus Plaisirs, aux Folies Bergères, à la Scala, aux Variétés…..
Ce sont évidemment ses amants qui assurent sa fortune plus que son génie dramatique et musical. Après Jacques d'Uzès, les messieurs font la queue au théâtre pour la rencontrer et tenter leur chance. Une chance qui est souvent aussi sûre que le portefeuille est épais.
Balsan et Chanel
Parmi ceux qui ont laissé leur nom dans la grande ou petite histoire, citons Etienne Balsan, passionné de chevaux, riche héritier et futur amant de Gabrielle Chanel à qui il proposera son appartement du boulevard Malesherbes pour lancer sa maison.
Emmanuelle Devos joue Emilienne dans le film "Coco"
Il mettra en relation l'ancienne et la nouvelle maîtresse. Emilienne portera fièrement les chapeaux de Coco à qui elle fera une publicité efficace.
le futur Edouard VII
Citons encore parmi les amants prestigieux le roi des Belges Léopold II, le Prince de Galles futur Edouard VII et même le Kaiser Guillaume II. Avec Emilienne la guerre aurait peut-être été évitée et l'entente entre Anglais, Français et Allemands consolidée!
Quant au Prince de Galles, loin de sa mère Victoria, il aimait Paris et ses dames qu'il honorait au Chabanais, le bordel le plus chic de la capitale, sans dédaigner Montmartre et son folklore. Ses goût érotiques raffinés ou compliqués lui valurent son surnom de "Dirty Henry".
Tous ces braves hommes assurèrent la fortune et le renom d'Emilienne. Ce qui ne l'empêcha pas d'aimer aussi les femmes. On la crédite de plusieurs liaisons : avec la Goulue que Desteuque lui avait présentée en 1889... avec la grande poétesse lesbienne Renée Vivien en 1908.
Renée vivien
Renée vivien écrit pour elle, un peu à la manière de Ronsard :
"Tu te flétriras un jour, oh mon lys!
Tes pas oublieront le rythme de l'onde,
Ta chair sans désirs, tes membres perclus
Ne frémiront plus dans l'ardeur profonde,
L'amour désenchanté ne te connaîtra plus."
Liane de Pougy
La liaison qui aura le plus de retentissement est celle qu'elle entretient avec sa rivale en sensualité et en gloire, Liane de Pougy. Elle est mise en musique par la presse satirique et notamment le Gil Blas!
Dans ses pages insolentes le journal annonce le mariage des deux femmes et annonce la naissance d'un futur bébé! Il n'était pourtant pas question à l'époque de PMA!
Emilienne amoureuse écrit des poèmes et le recueil qu'elle publie porte un titre assez clair "Sous le masque".
Elle dédie ces vers à Liane :
"J'ai senti contre moi votre épaule plus chaude,
Le ciel en pâlissant faisait vos yeux plus clairs
Et des parfums marins de sable, d'algue et d'iode
Se mêlaient aux parfums qu'exaltait votre chair."
Même si des versificateurs puristes trouveront matière à chicaneries, il est remarquable de lire ces poèmes écrits par une femme qui n'avait pas eu la chance de fréquenter les écoles.
Liane de Pougy
"Les plaisirs de la chair se sont sur moi posés,
La lèvre m'a meurtrie et la dent m'a blessée,
Je porte avec orgueil la trace des baisers,
Je n'ai rien désiré que d'être caressée."
Percy Woodland et Emilienne.
Emilienne si elle aime les femmes n'est pas insensible comme on l'a vu aux hommes et pas seulement à leur fortune! Depuis sa liaison avec Balsan, elle fréquente les champs de course et c'est là qu'elle rencontre le jockey Alex Carter de 18 ans plus jeune qu'elle. La liaison dura presque une année et Emilienne se consola avec un autre jockey, lui aussi plus jeune qu'elle, Percy Woodland qu'elle épousa en 1905.
Emilienne sait aussi gérer son image. Sa beauté, sa fraîcheur cachent un secret que des milliers de femmes désirent connaître. Emilienne écrit pour elles un livre de recettes : "Secrets de beauté pour être belle".
On ne sait si elles furent satisfaites car les efforts à fournir pour garder la jeunesse demandaient selon Emilienne un considérable investissement de temps et d'énergie : "Etre belle c'est un métier"!
La vie sentimentale d'Emilienne reste compliquée et son jeune mari la déçoit. Après quelques années de presque bonheur, conjugal, elle divorce.
La guerre marque le déclin de la Belle Epoque. Montmartre s'éteint peu à peu et les artistes migrent vers Montparnasse. Emilienne est passée de mode. Elle cherche dans l'opium une échappée hors du réel. Elle connaît des problèmes de santé et cherche à retrouver des forces sous le soleil de la Riviera.
Emilienne d'Alençon (Toulouse Lautrec)
Sa situation financière n'est pas brillante car si elle a beaucoup reçu des hommes, elle a beaucoup donné aux femmes.
Ses poèmes envisagent la mort dont la présence menaçante prend peu à peu la place de l'amour comme une obsession. Cependant, les derniers mots du recueil résonnent comme un défi et un désir de vivre :
"Couvrant les sombres voix d'une clameur plus forte
Je veux croire! Viens sur mon cœur, tends-moi les bras
Et si jamais la mort frappe et crie à ma porte,
Je ne répondrai pas!"
Couverte de dettes, elle met en vente tout ce qu'elle possède en 1931 à Drouot. Les acheteurs sont nombreux car Emilienne avait un goût très sûr pour les belles choses parmi lesquelles des meubles précieux dont des commodes laquées, des paravents de soie peinte, des veilleuses…
C'est une femme oubliée qui meurt à Monaco en 1945. Une femme intelligente et belle dont un critique a pu dire que "sa bouche appelait irrésistiblement les désirs comme la rose invitait l'abeille".
Cette sensualité attira les hommes qui ne virent le plus souvent en elle que la courtisane. Des abeilles qui continuèrent à butiner d'autres fleurs quand la rose fut flétrie!
Il suffit de lire ses poèmes pour se rendre compte qu'elle fut une chercheuse d'amour et de beauté. Plus elle connut les hommes et plus elle aima les femmes avec qui elle partagea la solidarité, pour être plus exact la sororité de celles qui savaient que la société ne leur faisait pas de cadeau et qui ne se méprenaient pas sur leurs succès.
"J'ai retrempé ma chair et retrempé mon âme
Au fleuve de douleurs qui nous baigne toujours
Au feu vivifiant qui vous consume ô femmes
Ô mes sœurs qui portez le fardeau de l'amour"
Sous le soleil du midi, Emilienne a regardé sans complaisance ni culpabilité les splendeurs et misères de sa vie…
Nous avons rencontré Daniel Iffla Osiris, plus connu sous le nom d'Osiris, dans le quartier de la Nouvelle Athènes, rue La Bruyère où il avait fait construire son hôtel particulier.
Sa tombe au cimetière de Montmartre ne peut passer inaperçue!
Une statue monumentale, réplique du Moïse de Michel Ange domine les sépultures à l'entour.
L'histoire de cette tombe est extraordinaire et mérite d'être contée car nous sommes devant une des plus belles histoires d'amour dont le cimetière garde le témoignage.
Imaginez le cimetière en 1855. Les arbres, les buissons et les herbes folles en occupent une partie. Il est en effet beaucoup plus grand qu'aujourd'hui et les terrains situés à l'ouest s'étendaient à l'emplacement actuel de l'hôpital Bretonneau.
Entrée du cimetière en 1835
De nombreux artistes ou personnages "éminents" y édifient leurs chapelles funéraires. C'est, concurrençant le Père Lachaise, l'endroit à la mode où reposer en paix, comme on dit.
Tombe de Henry Murger auteur des "Scènes de la vie de bohême"
Après avoir assisté à l'enterrement d'une de ses connaissances, un jeune couple remonte le long d'une allée et confiant en un futur de bonheur, envisage sans angoisse le jour où la mort et elle seule les séparera. La jeune femme, Léonie Carlier est chrétienne, le jeune homme Daniel Iffla est juif.
On ne plaisante pas à cette époque avec cette différence qu'on matérialise par un mur qui entoure le cimetière réservé aux Juifs. Léonie s'en émeut. Elle fait promettre à Daniel de choisir l'emplacement le plus proche possible de la partie chrétienne. Si le mur les sépare, ils resteront proches dans la terre où ils seront couchés.
Daniel tente de plaisanter mais devant l'insistance de sa femme il le lui promet.
Passons sur la carrière de Daniel Iffla dans les affaires et sur la fortune considérable qu'il amassa et qu'il légua à des œuvres de bienfaisance et en presque totalité à l'Institut Pasteur (de quoi inspirer peut-être nos évadés fiscaux).
Institut du radium créé grâce au legs d'Osiris
Seul nous intéresse aujourd'hui l'amour qu'il porta à son épouse et qu'elle lui rendait, jour après jour, dans une complicité qui paraissait ne jamais devoir prendre fin.
Un bonheur d'autant plus grand que Léonie attendait avec impatience la naissance de leur enfant dont ils avaient déjà choisi le prénom.
En réalité ce sont des jumeaux que portait Léonie.
Des jumeaux qui n'ouvriraient jamais les yeux car ils moururent en même temps que leur mère le matin de l'accouchement.
Daniel Iffla est inconsolable. Il transforme en sanctuaire la chambre de sa femme. Aucun objet ne sera changé de place, aucun meuble ne sera bougé.
Le corps de Léonie et des jumeaux sont enterrés à Bordeaux, ville d'origine de Daniel, en attendant que soient disponibles dans le cimetière de Montmartre les emplacements qui permettront aux amoureux de rester proches.
Le temps, les années s'écoulent. Daniel reste fidèle à son épouse. Il ne cesse de lutter auprès des administrations pour obtenir la concession qu'il désire et qu'il avait promise à Léonie.
Par chance, les esprits ont évolué (l'affaire Dreyfus n'y est pas étrangère). Le mur qui clôturait le cimetière israélite est tombé. Même si les religieux radicaux ne l'acceptent pas, la loi permet aux époux de religions différentes d'être réunis dans la même tombe.
Osiris fait creuser le caveau familial. Léonie et les jumeaux y sont transférés.
Sur la dalle de marbre, la statue de bronze est posée : Moïse, le prophète reconnu aussi bien par les Juifs que les Chrétiens.
Osiris meurt en 1907. Il rejoint enfin celle qu'il n'a jamais cessé d'aimer.
"J'ai lutté avec mon cœur de mari. Je suis arrivé après trente ans de luttes de toute sorte à occuper définitivement et perpétuellement le terrain qu'elle avait désigné. Je viens de reconnaître ma place. C'est à ses pieds que je dormirai de mon dernier sommeil".
Et voilà…
Qui pense à cet amour immense en passant devant le Moïse de Michel Ange?
Le soleil peut-être qui réchauffe le bronze… les chats sans doute qui aiment se poser sur la dalle de marbre et y dormir en rond… comme des cœurs qui battent.
La rue de la Tour d'Auvergne tracée sur les anciens terrains de l'abbaye de Montmartre porte comme plusieurs rues du quartier, le nom d'une des abbesses.
L'Abbaye de Montmartre (1626)
II s'agit de Louise Emilie de La Tour d'Auvergne (1667-1737), douzième enfant de Frédéric Maurice de La Tour d'Auvergne. Elle est abbesse de Montmartre entre 1727 et 1735. Après elle, il n'y aura plus que deux abbesses, Catherine de La Rochefoucauld et Marie-Louise de Montmorency-Laval, sourde et aveugle, guillotinée en 1794 pour avoir conspiré sourdement et aveuglément selon l'accusation du Tribunal Révolutionnaire qui ne manquait pas d'humour (noir)!
Avant de prendre ce nom , la partie située entre les rues des Martyrs et Rodier s'appelait rue de la Nouvelle France tandis que celle située entre les rues Rodier et Rochechouart s'appelait rue de Bellefond (encore une abbesse de Montmartre, Marie-Eléonore de Bellefond).
C'est par cette partie que nous commençons à remonter la rue.
Début de la rue à partir de la rue Rochechouart.
Evidemment beaucoup d'immeubles anciens ont disparu remplacés par des constructions plus modernes, mais souvent (pas toujours) la numérotation reste la même et permet à notre imagination de s'envoler! Même si c'est derrière la façade, dans de petits hôtels qui ne sont pas visibles que bien des "gloires" de la rue ont vécu.
Le 1 aujourd'hui
Il y eut au 1 la demeure d'Henry Murger (1922-1861), l'auteur des "Scènes de la vie de bohême". C'est d'ailleurs rue de la Tour d'Auvergne que vit son héros, Rodolphe, un autre lui-même!
Henry Murger (Nadar)
On sait l'importance qu'eut cette œuvre qui plus que toute autre nous renseigne sur la vie difficile que menaient les artistes dans ce Paris où ils espéraient devenir célèbres.
Murger définit la bohême comme "un état social qui peut déboucher sur la reconnaissance (l'académisme), la maladie (l'Hôtel Dieu) ou la mort (la morgue).
Rodolphe (Louis Jourdan) dans "La vie de Bohême" de Marcel L'Herbier.
Il y eut de nombreuses adaptations de cette œuvre pour le théâtre, l'opéra ("La Bohême de Puccini, "La Bohême" de Leoncavallo) et le cinéma ("La vie de Bohême" de Marcel L'Herbier, "La vie de Bohême" de Kaurismaki).
Murger mourut jeune comme bien des artistes bohêmes de sa génération. Il est enterré au cimetière de Montmartre où la muse Erato fait pleuvoir des fleurs sur sa tombe.
Le 14
Le 14 est un petit immeuble de la première moitié du XIXème que Murger a pu connaître.
Le 15
Au 15 a vécu pendant plus de trente ans le sculpteur Albert Ernest Carrier Belleuse qui forma dans son atelier une génération de sculpteurs dont le plus célèbre fut Rodin.
Carrier Belleuse par Rodin
Il participa à la décoration de nombreux monuments comme le Louvre où il réalisa le stuc de plusieurs plafonds, l'Opéra où son ami charles Garnier lui obtint la commande des deux torchères monumentales qui flanquent le grand escalier...
Torchère par Albert Ernest Carrier Belleuse
Le 16
Au 16 a vécu le peintre Léon Barillot (1844-1929) qui choisit de devenir Français après l'annexion de sa région, la Moselle, par les Prussiens.
Peintre de plein air, il aime les paysages de bord de Seine et les troupeaux qui y paissent.
Le 16
On trouve à la même adresse un autre peintre, Jules Frédéric Ballavoine (1842-1914) qui fut considéré comme un maître du nu féminin.
Il aima la rue de la Tour d'Auvergne puisqu'à partir de 1872, il y habita et eut son atelier au 6, puis au 12 et enfin au 16!
Ses toiles sont d'une facture académique et sans inspiration. Leur seule "audace" est de dénuder en partie les belles poseuses qui sont habillées et dénudées à la fois, leur poitrine se montrant rétive au carcan des tissus dont elle s'échappe en douceur...
Le 21
C'est encore un peintre que nous rencontrons au 21 (l'immeuble a été reconstruit en 1861). Et quel peintre! Un des grands du XIXème siècle malgré sa courte vie : Théodore Chassériau (1819-1856)
Esther
Son domicile, fenêtres donnant sur l'église Notre-Dame de Lorette, 2 rue Fléchier là où il mourut n'était pas éloigné de la Tour d'Auvergne où il avait son atelier.
Suzanne au bain
Nous le retrouverons dans le cimetière Montmartre où il repose et nous lui consacrerons une étude plus attentive. Mais il suffit de regarder ses œuvres auxquelles Théophile Gautier, son ami, consacra plusieurs critiques élogieuses, pour se persuader de son génie.
Vénus anadyomène
Ambiances oniriques, chairs vibrantes, femmes magiciennes, orient fantasmé… toute son œuvre, synthèse d'Ingres et de Delacroix, traduit sa sensibilité et sa sensualité.
Alice Ozy (Chassériau)
Pour la petite histoire, Victor Hugo vexé d'avoir été éconduit par la belle actrice Alice Ozy qui lui préféra le peintre, ne le lui pardonna pas!
Hero et Léandre (Chassériau. Musée du Louvre)
Parmi les œuvres les plus importantes de Chassériau, il est possible aujourd'hui d'admirer ses toiles conservées au musée du Louvre où une salle lui est consacrée ou dans l'église Saint-Merri… Mais ce qu'il considérait comme sa plus grande œuvre, les fresques de la Cour des Comptes au palais d'Orsay auxquelles il consacra trois années de sa courte vie, disparurent en fumée sous la Commune.
Fragment récupérés après l'incendie de la Cour des Comptes
Un autre peintre de Montmartre, Gustave Moreau, dont la maison transformée en musée rue de la Rochefoucauld est un des lieux les plus poétiques de Paris, le considérait comme son maître et pour lui rendre hommage peignit "le jeune homme et la mort".
Le jeune homme et la mort (Gustave Moreau)
Le 22
On aura du mal à imaginer qu'il y eut au 22 un théâtre, "L'Ecole Lyrique" où débutèrent quelques unes des plus célèbres comédiennes du Second Empire comme Mlle Agar ou Réjane.
Réjane
La façade plate et triste ne donne aucune idée de cette époque brillante!
Le 24
, Dans cette rue où la musique était chez elle, pas étonnant de trouver au 24 un compositeur : Ernest Reyer (1823-1909)
Il fut ami de Théophile Gautier qui écrivit pour lui le scénario d'un ballet, les paroles d'une ode symphonique et plus prosaïquement celles, parodiques et licencieuses, d'un "De profundis morpionibus" sur une marche funèbre composée pour un maréchal.
Paix à son âme et à celle des petites bêtes!
Reyer connut une célébrité passagère grâce à ses opéras "Sigurd" ou "Salammbô" bien oubliés aujourd'hui.
Le 26
Pas de comparaison avec la célébrité de celui qui est né dans l'immeuble voisin, au 26, et dont l'opéra "Carmen" est le plus joué dans le monde :
Quand il épousera Geneviève Halévy en 1869, il vivra non loin de là, au cœur de la Nouvelle Athènes dans le somptueux hôtel Halévy de la rue de Douai.
A défaut de photo de Georges enfant, celle de son fils Jacques.
Mais le jeune Alexandre César Léopold Bizet qui sera rebaptisé Georges en 1840 dans l'église Notre-Dame de Lorette, est né sous de bons auspices puisque son père est professeur de chant et sa mère pianiste.
Croisement avec la rue Rodier
Nous traversons la rue Rodier et arrivons côté impair devant le 27, bistro et hôtel dont une photo nous donne à voir son avatar du début du XXème siècle.
De l'autre côté, au 30 une horreur d'architecture lourde et sans esprit…
Il s'agit de la poste qui écrasa à cet endroit l'entreprise Chaboche qui elle-même avait pris la place d'un hôtel particulier du XVIIIème siècle, propriété d'une danseuse de l'Opéra, Marguerite Vadé de Lisle. Béranger y habita ainsi que Reyer après avoir quitté le 24.
L'entreprise Chaboche occupa les lieux en respectant dans un premier temps l'hôtel particulier puis en le sacrifiant pour s'étendre et élever ses hauts murs de briques...
Dans l'usine qui tournait à plein s'assemblaient les célèbres salamandres, poêles qui connaissaient un grand succès et remplaçaient les cheminées dans les appartements parisiens.
Il ne reste plus rien de l'hôtel particulier et de Chaboche, sinon quelques photos. On passera vite devant l'immeuble qui l'a remplacé!
Le 31
Un peu plus loin côté impair, après la rue Milton, nous trouvons une école (aujourd'hui collège Paul Gauguin) qui décline en céramique les lettres de l'alphabet. Elle a été construite à la fin du XIXème siècle sur des maisons dont l'une au 31 fut l'adresse d'Alphonse karr avant qu'il n'habite rue Vivienne.
Il fut ami de Victor Hugo et comme lui s'exila après le coup d'état de Napoléon III. Il choisit alors de vivre à Nice qui était à l'étranger, dans le royaume de Piémont-Sardaigne.
Il a encore en commun avec Hugo de s'être engagé pour la défense des animaux . Il présida la Ligue Populaire contre la Vivisection (dont Hugo fut président d'honneur.)
Il écrivit de nombreux romans où se développait son esprit satirique et primesautier. Il fut d'ailleurs l'unique rédacteur des Guêpes, une revue qui s'amusait à démolir les gloires de son temps.
Alphone Karr et les guêpes. Caricature de Nadar.
Bien des mots d'esprit écrits ou prononcés par lui couraient tout Paris! Le plus souvent ils ne manquaient pas de profondeur comme le montre ces quelques exemples :
-La politique, plus ça change, plus c'est la même chose.
-N'ayez pas de voisins si vous voulez vivre en paix avec eux.
-L'âge auquel on partage tout est généralement l'âge où on n'a rien.
-Si on veut gagner sa vie, il suffit de travailler. Si l'on veut devenir riche, il faut trouver autre chose.
-La vérité est le nom que donnent les plus forts à leur opinion.
-Entre deux amis, il n'y en a qu'un qui soit l'ami de l'autre.
Au 36 s'ouvre une impasse constituée de beaux immeubles post-haussmanniens élevés en 1896 sur les plans de l'architecte Henri Tassu à qui l'on doit 25 immeubles parisiens.
Le 34 ter
Au 34 ter a vécu pendant presque deux ans Louis Armstrong.
Il y habitait un studio où Stéphane Grappelli et Django Reinhardt venaient improviser avec lui.
Pour une fois l'immeuble n'a pas changé et nous le voyons tel que ce trompettiste unique l'a connu.
Le 37
Une façade quelconque au 37 dissimule comme souvent dans les rues du quartier de petits hôtels particuliers que nous ne pouvons que deviner quand le porche est ouvert.
Une erreur de numérotation y loge Victor Hugo qui y aurait habité de 1848 à 1851 après avoir quitté son domicile de la Place des Vosges à la suite des journées révolutionnaires de 1848.
Le 41
Il s'agit d'une erreur répercutée par de nombreux sites (Wikipédia, Paris Révolutionnaire) car le 37 de 1848 est en réalité le 41 d'aujourd'hui. Ce 41 assez moche dissimule un bel hôtel particulier qui donne sur l'arrière, Cité Charles Godon.
C'est là qu'Adèle Hugo et son mari furent invités en 1848 par Madame Hamelin femme d'esprit au charme frondeur, surnommée "le plus grand polisson de Paris" à vivre au 1er étage dans un grand appartement aux larges fenêtres.
Pendant trois ans, cet appartement accueillit, chez le poète, des soirées poétiques et musicales où se rencontraient nombre d'écrivains et de musiciens qui comptaient à l'époque.
Hugo en 1848
Ce salon brillant cessa avec le coup d'état de Napoléon III et l'exil de Hugo qui ne reviendra qu'après la chute de l'Empire pour habiter, non loin de là, 66 rue de La Rochefoucauld.
Le 44
Pas possible de visiter une rue de ces quartiers sans retrouver la Commune. Au 44 a vécu Charles Mayer, colonel de la Commune qui fut condamné à mort avant que sa peine ne fût commuée en déportation en Nouvelle Calédonie.
Charles Mayer place Vendôme
Amnistié en 1880, il publia ses souvenirs et raconta notamment la destruction de la colonne de la place Vendôme dont la responsabilité fut attribuée à Courbet qui se ruina à payer sa restauration.
Le 43
Au 43, ancien 45 il faut imaginer un hôtel particulier qui irait jusqu'à la rue des Martyrs. Il s'agit de l'ancien hôtel de Lesdiguières qui abrita un cabaret ouvrant sur des jardins : le Carillon.
Un des évènements qui marqua ce lieu fut la première donnée par Chopin, en 1839, de sa célèbre marche funèbre!
C'est pour les soirées dans les jardins du Carillon que Courteline écrivit quelques unes de ses pièces en un acte et c'est là qu'Henry Dreyfus (qui deviendra Fursy) galvanisait son public avec ses "chansons rosses"
48 rue de la Tour d'Auvergne et en face l'ancien hôtel du Carillon.
Le 48 a servi de cachette à Raymond Callemin, dit Raymond la Science, de la Bande à Bonnot. Il y fut arrêté en avril 1912 et guillotiné un an plus tard, en avril 1913.
Lors de son arrestation, il aurait dit aux policiers : "Vous faites une bonne affaire! Ma tête vaut 100 000 francs, chacune des vôtres sept centimes et demi. Oui c'est le prix exact d'une balle de Browning."
Le 50
Au 50 une photo d'un ancien commerce "immortalise" la jolie propriétaire qui vendait des objets d'occasion et se spécialisait dans le "rachat de garde-robes"! Aujourd'hui, la boutique a des couleurs de ciel et personne ne nous sourit sur son seuil!
C'est là que nous quittons la rue de la Tour d'Auvergne...
... Une rue de Paris qui cache derrière ses façades parfois monotones tout un monde d'esprit, de culture, de couleurs, de rencontres, de luttes et de misères qui donne à notre ville son incroyable profondeur et son enracinement dans un passé qui ne cesse d'irriguer le présent.
Robert le Vigan, on souhaiterait l'aimer sans restriction comme on aimerait partager sans arrière-pensée l'avis de Colette : "Acteur saisissant, sans artifices, quasi céleste"
Hélas, ce Montmartrois s'est compromis pendant les années de l'occupation et il a participé à sa manière à l'œuvre de mort initiée par les Nazis et leurs complices de Vichy.
Rue de la Charbonnière à gauche (où est né Le vigan). A droite rue de la Goutte d'or.
Montmartrois, il l'est puisque c'est au pied de la Butte, dans le quartier de la Goutte d'Or, 42 rue de la Charbonnière qu'il est né le 7 janvier 1900, dans une famille de la classe moyenne, son père étant vétérinaire.
Il se sent très tôt attiré par le théâtre et c'est contre l'avis de son père qu'il entre au conservatoire où il reste un an, assez pour recevoir un 2nd prix de comédie. Il courra par la suite les petits cachets dans les music halls ou les théâtres. Il jouera le Misanthrope ou l'Idiot, des rôles de marginal tourmenté qui lui conviennent.
Mais c'est au cinéma qu'il pourra enfin se réaliser, en 1931, où il est choisi par Julien Duvivier pour tenir un rôle dans son film : "Cinq gentlemen maudits". C'est déjà une histoire inquiétante avec morts brutales et sorcier. Le Vigan y est à l'aise et sa prestation est remarquée.
Elle aura son influence sur sa carrière future. Notons qu'il y joue avec un autre Montmartrois, acteur immense, qui repose aujourd'hui dans le vieux cimetière Saint-Vincent : Harry Baur.
En 1934, Julien Duvivier lui fait tenir le rôle du Christ dans son film "Golgotha."
Le Vigan s'investit à plein dans ce rôle. On raconte qu'il se fit arracher quelques dents pour que ses joues soient plus creusées. Si sa prestation est intense, se rapprochant par l'expressivité de la Jeanne d'Arc de Falconetti, le rôle le marquera durablement. Jean Tulard écrira après la mort de l'acteur : "Il ne s'est jamais remis d'avoir incarné Jésus dans le film Golgotha de Duvivier".
C'est en Algérie où se tourne le film qu'il rencontre celle qui sera sa compagne pendant dix ans, Antoinette Lasauce, dite Tinou.
12 rue Girardon. Immeuble où vivaient Le vigan et Tinou
Il l'épouse en janvier 1936 et vit avec elle au cœur de la Butte, 12 rue Girardon, dans le petit appartement qu'il occupe depuis un an.
Gen Paul
Gen Paul est son voisin. Son atelier est situé 2 impasse Girardon. On peut voir sur la photo ci-dessous, en arrière plan, les toits de l'immeuble où habite Le Vigan...
Atelier de Gen Paul 2 impasse Girardon
C'est chez le peintre qu'il rencontre Céline qui vit avec Lucette Almanzor rue Lepic, avant de migrer début 1941, au 4 rue Girardon . Les trois hommes forment une petite bande de machos antisémites sous la conduite charismatique du grand écrivain!
Bardamu-Céline (Gen Paul)
Immeuble où vivaient Céline et Lucette, rue Girardon.
Comme dira plus tard Tinou :
"Céline, c'était Jupiter. Il régnait en maître sur ses amis. Dans cette bande, les femmes n'avaient pas droit à la parole, encore moins Lucette que les autres. Céline l'appelait "la pipe".
Lucette Almanzor
Son influence sur le Vigan est évidente et si l'acteur avait des tendances racistes, elles se trouvent justifiées et exacerbées par Céline en pleine rédaction de ses pamphlets antisémites ("Les beaux draps" sont écrits rue Girardon) qui jettent pour toujours une ombre sanglante sur l'homme.
1936, c'est aussi l'année où Le vigan est choisi par Jean Renoir pour tourner dans son film : "Les Bas fonds."
Curieuse année de grande fraternité et de progrès sociaux avec le Front Populaire et d'exacerbation de mouvements racistes.
Louis Jouvet, Le Vigan (les Bas-fonds)
"Les Bas-Fonds" sont marqués par l'humanisme de Renoir qui s'engage alors dans la défense du Front Populaire. Le Vigan qui joue le rôle d'un acteur alcoolique, halluciné, rivalise par son charisme avec les deux acteurs principaux: Louis Jouvet et Jean Gabin.
C'est alors qu'il vit rue Girardon avec Tinou que Le Vigan tombe sous le charme d'un chat vendu à la Samaritaine. Sa femme le pousse à l'acheter et le couple rentre à Montmartre avec ce petit félin qui ne savait pas quel destin exceptionnel l'attendait!
Appartement de LeVigan de Tinou et du chat
Tinou reporte son instinct maternel sur l'animal. D'autant plus qu'elle ne peut garder l'enfant dont Le Vigan est le père. Elle confiera que c'est Céline qui aurait poussé Le Vigan à la faire avorter au 5ème mois de grossesse. Céline convainquant son "ami" qu'il n'était pas fait pour être père, la fonction étant réservée aux médiocres et non aux artistes. Il faut avouer aussi que Le Vigan n'avait pas la fibre conjugale et appréciait certaines demoiselles, dont l'une "Pomme" n'avait pas eu de mal à lui faire croquer le fruit défendu!
Le chat qui s'appelle Chibaroui (Tinou dira qu'elle ne sait pas pourquoi il avait été nommé ainsi) vit en semi liberté et aime explorer les jardins et la petite impasse villageoise qui s'ouvre en face de son immeuble
7 rue Girardon. L'impasse villageoise
Frédéric Witoux a consacré un beau livre à ce chat. Il raconte que le pauvre animal était maltraité par le couple Tinou-Le Vigan. Lucette aurait été apitoyée et aurait convaincu sans mal Céline de l'adopter. On sait que le chat deviendra un personnage à part entière des romans de l'exil et que, dans le délire célinien il représentera la part de réalité, de vérité et pour tout dire d'humanité!
Céline et Bébert
Certes il est étonnamment présent et attachant, intelligent et malin, fidèle et drôle. Mais il est faux de prétendre qu'il a été mal aimé par ses premiers maîtres. C'est tellement faux que pour l'adopter, Lucette a dû dépenser des trésors de persuasion et d'insistance afin de faire céder Tinou qui aimait son chat et Le Vigan qui le regardait comme un petit bonhomme à part entière. Le chat ne traînait pas dans les rues comme Céline l'a prétendu, mais il connaissait le quartier où on le respectait et où il aimait passer une partie de la journée avant de revenir sur le seuil de son immeuble où Tinou le récupérait.
Céline et Bébert
Bref, le chat est cédé à contre-coeur et de Chibaroui se transforme en Bébert, sans doute pour se moquer de son premier maître Robert Le Vigan. Il a gagné au change puisqu'il est devenu par cette adoption le chat le plus célèbre de la littérature!
Robert Le Vigan dans "le quai des brumes".
En 1938, Marcel Carné fait jouer Le Vigan dans le film qui réunit Gabin et Michèle Morgan "Le Quai des Brumes". Il y incarne un peintre qui tente de représenter, toile après toile, non pas la réalité, mais "les choses derrière les choses".
Robert Le Vigan (essai pour "Les enfants du paradis").
Marcel Carné pensera encore à lui lorsqu'il tournera "Les Enfants du Paradis" en 1943 pour tenir le rôle de Jéricho. Mais il y aura autour de l'acteur, la chute du nazisme approchant, un parfum trop nauséabond. Pourtant le personnage, sinistre mouchard, aurait convenu à un acteur qui lui même avait joué ce rôle sous l'occupation!
Jéricho (Pierre Renoir) et Nathalie (Maria Casarès). "Les enfants du paradis".
Carné tourne un essai avec Le Vigan mais il donne le rôle à son frère Pierre Renoir (encore un Montmartrois,fils d'Auguste Renoir, qui avait passé une partie de son enfance rue Girardon!)
Arletty qui est l'inoubliable Garance a regretté Le Vigan qu'elle admirait et dont elle dira qu'il était "un acteur halluciné dont le génie un peu fou n'a pas été remplacé"
Robert Le Vigan (Les disparus de Saint Agil)
Dans la même année 38, Le Vigan tourne dans "Les disparus de Saint Agil" de Christian Jaque. Un film qui remporte un grand succès populaire.
En 39 il est mobilisé et part pour Oran. L'armistice signé, il revient à Paris où il se compromet en acceptant des rôles dans de petits films de propagande pro nazie et en animant des émissions sur Radio Paris de sinistre mémoire. On se rappelle Pierre Dac, un autre Montmartrois, un résistant celui-là, dénonçant cette radio : "Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est all'mand!"
Hôtel Majestic avenue Kléber, siège de la Propagandastaffel nazie.
Non content de participer à ces sinistres émissions, Le Vigan travaille pour la Propagandastaffel (hôtel Majestic) et donne des informations sur des artistes et des comédiens dans une paranoïa qui lui fait voir des Juifs partout, surtout chez ses rivaux qu'il jalouse. Nul doute que cette obsession antisémite est nourrie chez lui par l'admiration qu'il porte à Céline, infiniment plus compromis que lui.
Céline, lui, a une piètre idée de l'homme mais lui reconnaît du génie comme acteur : "Donnez lui un cheval et une armure et il vous fait Jeanne d'Arc mieux qu'elle!"
Les ignominies céliniennes publiées par Denoël sous Vichy.
En 1940, Le Vigan se brouille avec Céline. La raison en est obscure et dit beaucoup des manigances de Le Vigan. Le traducteur allemand de l'ignoble pamphlet "Bagatelles pour un massacre" et agent du Service de Renseignement Arthur Pfannstiel avec qui Céline et Le Vigan allaient allègrement au bordel, confie à l'écrivain que l'acteur l'aurait dénoncé comme défaitiste aux Allemands!
Rue Washington
Le Vigan réagit avec dépit à la colère de son "ami". Il décide de quitter Montmartre qu'il aime tant. Il vend tout ce qu'il possède et notamment les tableaux de Gen Paul (il a bien fait car ce sont des œuvres mineures), de Dufy (il a eu tort) et il va habiter 36 rue Washington, loin de la Butte.
Robert Le Vigan dans "Le Chien Jaune".
La brouille entre les deux hommes dure presque 2 ans et ce n'est qu'après avoir reçu les excuses de Céline que Le Vigan qui a du mal à se passer du climat de la Butte revient à Montmartre.
En 1941, Christian Jaque le fait jouer dans "l'assassinat du père Noël" où il retrouve Harry Baur.
Ce qui est étonnant quand on connaît les engagements de ce réalisateur qui sera FFI et Croix de Guerre. Peut-être dut-il subir la pression de l'occupant, le film étant produit par une firme allemande. Toujours est-il que l'oeuvre connut un succès considérable.
L'assassinat du père Noël
En 1942, la vie conjugale devient orageuse et Tinou ne supporte plus les infidélités et les excès de son mari. Elle a elle même un amant et désire retrouver sa liberté. "Ma vie de couple battait de l'aile. Je fais dresser un constat d'adultère avec mon amant l'aviateur René Guédon".
Le divorce est prononcé en avril 1943.
Robert Le Vigan (Goupi mains rouges)
1943, c'est aussi l'année où Le Vigan tient son dernier grand rôle dans le film de Jacques Becker "Goupi mains rouges". Dans cette sombre histoire de sang et de frustrations dont l'ambiance malsaine est à l'unisson de celle que vit le pays sous l'occupation, Le Vigan joue Tonkin un personnage violent et jaloux. Et comme le dirait Céline, il "vous fait" Tonkin, mieux que lui!
1943! C'est encore l'année où il adhère au Parti Populaire Français de Doriot. Drôle d'idée alors que l'on est proche de la défaite nazie, de prendre sa carte dans ce parti fascisant et collaborationniste! Sans doute l'influence de Céline qui a toujours apprécié ce parti (mais s'est bien gardé de s'y inscrire) a t-elle joué une fois de plus.
Le château de Sigmaringen
1944 c'est la fuite préventive de Céline, Lucette et Bébert vers l'Allemagne. Lucette a des centaines de pièces d'or cousues dans ses vêtements et un véritable magot dissimulé dans le sac qui sert de panière au chat. Le Vigan, désargenté les rejoint à Baden Baden puis à Sigmaringen où Pétain, Laval, son gouvernement d'opérette lugubre et quelques milliers de Français collaborateurs l'ont devancé. Que du beau monde!
Céline et Arno Brecker le sculpteur officiel nazi.
Nous connaissons cette histoire amplifiée, déformée, génialement restituée et arrangée à sa sauce par Céline dans ses trois romans "D'un château l'autre, "Nord" et "Rigodon". Le Vigan , sous le nom de La Vigue, y tient un rôle qui lui échappe et qui dit plus sur l'écrivain que sur l'acteur.
La suite de la vie de Le Vigan est sinistre et sans doute méritée bien qu'il ait été infiniment moins "collaborateur" que Céline. Ramené en France, il est jeté en prison, à Fresnes où il reste jusqu'à son procès en 1946.
Robert Le Vigan et son avocat
Il a moins de chance que Céline qui, emprisonné au Danemark de 1945 à 1947, échappe au retour en France et au procès qui sans nul doute l'aurait condamné à mort.
Céline humant le parfum des chambres à gaz. Dessin de Dussault pour l'ouvrage "Céline, la race, le juif de Dussault-Taguieff).
Pendant son procès, Le Vigan qui joue son dernier grand rôle, se montre loyal envers son ami et refuse de témoigner contre lui. Il est condamné à 10 ans de travaux forcés, à l'indignité nationale et à la confiscation de tous ses biens malgré le rapport d'un médecin aliéniste et les témoignages de Jouvet, de Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault qui tentent de le faire passer pour irresponsable et quasi fou.
Procès : on reconnaît Fernand Ledoux, J.L. Barrault, M. Renaud, Pierre Renoir.
Madeleine Renaud : "Je ne puis dire que je le considère comme un homme parfaitement normal. Il est susceptible de subir des entraînements que rien de sensé ne peut justifier".
"Il dormait avec une hache et un vélo, prêt à se défendre et s'enfuir".
Le Vigan avec son avocat maître Charpentier
Sa santé se dégrade vite en prison. Il est libéré et réussit à quitter la France pour passer en Espagne où il est emprisonné pour avoir passé en fraude la frontière. Grâce à Duvivier qui a de bons rapports avec Franco, il obtient un permis de travailler comme acteur de cinéma.
Il tourne deux films, Correo del Rey et La orquidea qui n'ont aucun succès et décide de gagner l'Argentine. Il y vit en trouvant de petits boulots comme chauffeur de taxi, speaker dans l'émission en français de "La Voix de l'Argentine, répétiteur, éleveur fermier...
Il est oublié du monde du spectacle, à une exception près, François Truffaut, qui lui propose de revenir en France pour tourner dans un film en 1960. Le Vigan refuse.
Il se remarie en 1956 et meurt en 1972 à Tandil où il est enterré. Sa femme meurt quatre ans après lui.
Et maintenant que reste t-il de Le Vigan, homme faible, influençable, "victime de Céline qui l'a utilisé dans ses romans"?
Il reste le cinéma et ses images qui transmettent la vérité 24 fois par seconde comme dit Godard.
Il reste ces mots de Renoir : "Le Vigan n'était pas seulement un grand acteur, il était l'acteur né pour vivre sur les planches. Le Vigan n'était pas un acteur, c'était un poète".
Il reste la vérité d'un acteur hors pair dont on s'accorde à reconnaître l'immensité du talent. En cela la postérité en fait un petit frère de Céline, célébré comme un des plus grands écrivains français et à jamais marqué comme homme du signe infamant du racisme, de la délation et de la haine.
Au musée de Montmartre, dans l'hôtel consacré aux expositions, en allant visiter celle, ratée, qui est consacrée aux "Artistes à Montmartre, lieux et ateliers mythiques" impossible gageure, nous avons eu la surprise de découvrir au rez de chaussée, alignés comme à la parade des dessins d'enfants datant des années 1914-1918.
A l'occasion des soldats atteints de la tuberculose, une quête est organisée en leur faveur… 4 février 1917.
Pérès
La société "Le vieux Montmartre" avait lancé, dès le début de la guerre, un concours pour les poulbots des écoles élémentaires des rues Lepic et sainte Isaure (ils ont entre 6 et 13 ans).
Les femmes meurent par le fer. Les maisons sont brûlées.
Les enfants meurent par la faim.
Les hommes pour la patrie.
Huye
Il s'agissait de témoigner de cette période sombre avec des dessins et des rédactions. C'est ainsi qu'il a été recueilli à cette occasion plus de 1300 dessins et plus de 150 rédactions.
Le père manque car l'enfant se déchire. La mère raccommode!
Horn. M.
C'est une petite partie de ces dessins qui nous est offerte aujourd'hui. Un trésor précieux, fait de naïveté, de révolte, de reconnaissance envers les soldats, de fierté…
Le départ
Les jeunes élèves s'engagent avec leur foi dans la victoire, avec aussi leur sensibilité et leurs émotions devant les spectacles qui les ont frappés…
Ce que j'ai vu au marché boulevard Ornano. Zouave ayant le bras coupé fait le marché avec sa femme et son fils.
Pérès.
Nous regretterons que les cachets des écoles soient maladroitement tamponnés sur les dessins alors qu'il eût été facile de les apposer au verso.
Avec elle l'année 1917 amène le succès final, ce qui est notre vœu à tous, Français et alliés…!
Pérès 1er janvier 1917
Distribution gratuite de pommes de terre à la société des coopératives rue Marcadet, 18ème arrondissement.
12 mars 1917. Honoré.
Bien sûr la radio, la presse, les conversations des adultes imprègnent la sensibilité des petits mais elles ne les empêchent pas de vivre leur vie de gosse, leurs jeux dans le maquis qui existe encore.
Ils font penser par certains de leurs dessins au père des gosses, Francisque Poulbot!
Un coin de Montmartre : Au coin de la rue St-Vincent, les enfants jouent à la guerre.
22 Xbre 1916. "C'est des Boches qui martyrisent les enfants belges, faut aller les délivrer."
Levasseur
Lisons leurs mots tracés avec une écriture soignée. On les imagine tirant la langue pour réussir chaque lettre !
Regardons leurs dessins appliqués, soucieux de vérité et parfois irrigués de poésie et de révolte (ce sont des synonymes!)
Le 18 mai 1917.
Le corbeau : "Ah! Ah! Moi on ne m'empêchera pas de manger de la viande…"
Jolivet
……………………………………………………………………………………………………..
(Quel humour noir chez cet enfant qui est sans doute privé de viande et qui fait parler le corbeau qui se gave sur les champs de bataille non sans rappeler celui du Douanier Rousseau dans son tableau "La guerre".
Madame faites vos provisions de viande car à partir du 25 avril il y aura 1 jour sans viande et à partir du 1er juin 2.
Prud'homme
Le samedi 29 janvier 1915. Les zeppelins sur Paris. La poursuite du zeppelin par nos aviateurs.
Levasseur
Le zeppelin abattu. Nuit du 20 au 21 février.
Horn
Le torpillage du Medjerda. Le mercredi 16 mai 1917.
Agard
La lutte acharnée autour de Verdun. 6 avril 1916.
Pérès
Français et Anglais reprennent un fortin qui avant l'attaque paraissait imprenable, le 4 avril 1917.
Jolivet
Pour la victoire :
Ils donnent leurs sous
Ils donnent leur sang
Horn
10 octobre 1916
-Moi maman m'avait donné 3 sous pour des bonbons et du chocolat mais je les garde pour l'Emprunt.
-Ah zut j'ai oublié moi!
-Anti-patriote va!
…………………………………………………………………………………………………..
Citoyens pendant que les poilus donnent leur sang, eh bien vous donnez votre or!
Les deux actes sont pour la victoire et crions ensemble : Vive la France!
Pérès
Charles Clerc -15 décembre 1917- 2ème classe.
Les femmes des mobilisés quittent leur travail habituel pour fabriquer des obus et des armes dans les usines.
Tramway St-Ouen - Opéra conduit par une wattwoman rue Ramey. 20 janvier 1917.
René P Miguel
Un blessé arrive à l'hôpital du bastion Clignancourt. 5 mai 1916.
Soulat.
Quelques noms de jeunes élèves se détachent et reviennent plusieurs fois. Des dessinateurs en herbe dont on aimerait connaître ce qu'ils sont devenus : Pérès, Jolivet, Horn, Levasseur, Miguel...
Ce dessin n'est pas compréhensible sans un peu d'histoire! La société suisse Maggi avait ouvert de nombreuses laiteries et épiceries en France au début du XXème siècle. Quand la guerre éclata, il sévit dans notre pays un climat d'espionite aigüe dans la population française. La rumeur selon laquelle les publicités Maggi placardées à des points stratégiques servaient de points de repères aux bombardiers allemands se répandit à Paris et dans les provinces! Il n'en fallut pas plus pour entraîner des saccages de magasins, bris de vitrines, agression de personnel. L'enfant qui a fait ce dessin a été marqué par l'attaque du "Maggi" de la rue du Poteau.
14 juillet 1916. Défilé des troupes alliées sur les grands boulevards après la revue passée sur l'esplanade des Invalides.
Pérès
15 juillet à Gaumont. Matinée offerte aux soldats alliés ayant pris part à la revue du 14 juillet
Horn
Le coq gaulois annonce la victoire et la paix. 14 juillet 1916.
M Gendre
Le drapeau étoilé va flotter à côté du drapeau tricolore, nos mains vont se joindre et nos cœurs battront à l'unisson. (discours de mr Ribot à la Chambre et au Sénat le 5 avril 19217)
Le 22 avril 1917 Jolivet
On imagine la richesse du fonds que possède le Vieux Montmartre et qui fera peut-être un jour l'objet d'une édition.
Tous ces enfants ne sont plus de ce monde mais leurs dessins sont toujours vivants. D'autant plus émouvants que ces jeunes ont eu une vingtaine d'années quand a éclaté la 2ème guerre et la collaboration avec ces "boches" qu'ils avaient dessinés sans imaginer qu'un jour ils défileraient sur les Champs-Elysées dans Paris vaincu.
C'est la place du vieux village, là où l'on se retrouvait le dimanche, près de l'église qui paraît aujourd'hui si modeste à l'ombre blanche de l'imposante basilique.
Un Montmartrois évite cet épicentre touristique avec ses terrasses et ses restaurants qui dès le printemps envahissent le terre-plein pour ne laisser qu'un petit espace aux peintres, portraitistes, caricaturistes obligés de s'installer tant bien que mal tout autour de la place.
Le plus sympathique; le peintre ami des pigeons sur la place du Tertre
J'ai donc préféré la photographier en hiver, sans la foule, sans les tentes des restaurants! Parfois, au petit matin ou dans le soir mouillé, elle redevient par magie une place sans esbrouffe, avec ses pigeons et ses rares passants.
Il faut remonter très loin dans le temps, à l'époque de l'Abbaye qui régnait sur la Butte et à laquelle presque tout, terrains, maisons, vignes, appartenait...
Le choeur des Dames. Partie de l'église réservée à l'abbaye.
Nous sommes au Moyen-Âge. Disons sans chercher trop de précision, au XIIème siècle… Quelques maisons se sont construites, surtout un peu plus bas, vers l'actuelle place Jean-Baptiste Clément qui était alors le centre du village, sa place principale (alors appelée place du Palais).
Fragments de la pierre tombale de l'Abbesse Catherine de La Rochefoucauld.
Plus tard, sans doute au XIVème siècle, le terrain (qui n'est pas encore une place) est bordé côté est par un mur épais qui fait partie de l'enceinte de l'Abbaye. Au centre de l'espace qui s'étend à ses pieds, les abbesses qui possédaient le droit de justice avaient fait installer fourches patibulaires et gibet.
Le seul chapiteau historié de l'abbaye qui subsiste. Son interprétation n'est pas évidente. Il représenterait la luxure, un des sept péchés capitaux! Un homme à tête de sanglier (?) chevauche à l'envers un cheval dont il tient la queue.
Sans doute quelques malheureux y furent exposés mais l'exécution, la seule dont nous ayons trace au XVIIIème siècle concerne un certain Pierre Lavallée qui fut pendu en juin 1775. Il était accusé du viol de deux fillettes.
La place n'avait pas son aspect actuel et trois maisons étaient édifiées en son centre. Elles furent détruites au milieu du XIXème siècle et ce n'est qu'en 1921 que la ville racheta la partie privée de l'espace central.
Le nom de "place du Tertre" qui fait évidemment allusion à son emplacement au sommet de la colline n'apparaît que tardivement, au XIXème siècle.
Elle faillit disparaître quand un décret de 1867, un an après le rattachement de Montmartre à Paris, avait prévu sa suppression afin d'élargir la rue Norvins. Par chance le projet imbécile fut abandonné!
Nous allons la visiter, comme de bons touristes, curieux mais pas trop, car chaque numéro ou presque ayant son histoire, il faudrait un blog complet pour en venir à bout! Chaque maison remarquable a fait ou fera l'objet d'un article à part sur ce blog.
Le 3... (enfin le début du 3!)
Nous commençons par un premier mystère! le numéro 3 qui apparemment ouvre sur la place Jean Marais (jadis place de l'église) pour se prolonger à angle droit et former le côté est de la place du Tertre. Il porte à deux endroits fort différents la même plaque indiquant que la première mairie de Montmartre y aurait été établie en 1790.
La 1ère plaque
Mais où s'installa t-elle cette fameuse mairie? Dans le petit immeuble qui donne sur la place Jean Marais ou dans celui qui est vraiment sur la place?
Le 1 sur la rue Saint Eleuthère!
Et où est passé le n°1?
Faut-il le chercher rue Saint Eleuthère, de l'autre côté de la place?
Faut-il considérer que tout le pâté de maison appartient à cette fameuse place? Mystère qui n'intéressera peut-être que les Montmartrois purs et durs comme moi qui ne devraient pas trop être surpris car la Butte est prodigue en incohérences, en légendes, en infox…
Admettons que le 1 et le 3 avec son prolongement, faisant partie d'un même pâté de maisons partagent la même adresse historique malgré les évidences!
Toujours le 3
Il y a donc, après la boutique de souvenirs "A Saint-Pierre", toujours au 3, un restaurant, "Au clairon des Chasseurs"dont une partie donne vraiment sur la place et dont la cuisine ne lui vaudra jamais ni 3 étoile, ni deux, pas même une minuscule.
Il s'élève à l'emplacement d'une maison qui appartenait aux abbesses et servait d'hôtel aux visiteurs de marque qui bien évidemment n'étaient pas autorisés à passer la nuit dans l'abbaye.
Il reçoit des musiciens qui animent des soirées de jazz, notamment manouche.
On ne comprendrait pas l'origine de son nom car par chance notre butte n'abrite pas de hordes de chasseurs viandards, avec ou sans clairon, si l'on ignorait le nom complet du restaurant "Le clairon des chasseurs à pied"! Hommage aux chasseurs de la Garde Impériale!
Encore et toujours le 3!
Le 3, toujours lui, accueille un peu plus loin l'Œuvre des Poulbots dont Francisque Poulbot bien qu'ayant perdu son autonomie physique, fut le président d'honneur.
La fameuse deuxième plaque y situe notre mairie voyageuse !
Nous savons que, quel qu'ait été son emplacement véritable, elle occupait le premier étage qui lui même jouxtait le domicile de Félix Desportes, premier maire du village dans les années troublées de 1790-1792.
Ce caméléon politique, fut par la suite appelé à une belle carrière comme tous ceux qui savent changer de couleur avec les circonstances!
L'homme est enterré à deux pas, dans le cimetière du Calvaire qui est celui de la vieille église du village, et qui n'est ouvert qu'une fois par an, à la Toussaint.
Le 5
Le 7
Le 5 se cache derrière sa porte secrète avant que le 7 avec le 9 ne forment le côté sud de la place.
Une plaque due au sculpteur Robert Mathieu, inaugurée en 1929, est apposée sur la façade du 7 : "Maurice Drouard, sculpteur dessinateur né à Montmartre, habita cette maison qu'il quitta le 3 avril 1914 pour aller défendre avec le 236ème régiment d'infanterie la Butte, sa vieille église, ses moulins. Il fut tué à Tahure en pansant des blessés. 1886-1915."
Maurice Drouard (Modigliani 1909)
Maurice Drouard qui a illustré Mac Orlan est surtout connu aujourd'hui pour avoir été proche de Modigliani qui a peint de lui des portraits saisissants d'intensité.
On le voit, à gauche sur cette photo, sa maîtresse Raymonde tout à fait à droite à côté de Paul Alexandre (coiffé d'un fez) l'ami et le protecteur de Modigliani.on voit sur le mur du fond deux tableaux de Modigliani dont le portrait de Drouard.
Du 7 au 9
Le 9
Si au 7 nous pouvons réjouir nos papilles avec les gaufres et les pâtisserie de Carette, au 9 ce sont nos mirettes que nous mettrons à la fête avec les œuvres d'art vendues dans cette galerie gardée par un gorille(sans sexe) qui ne semble pas plaisanter!
Le 9 est aussi l'adresse d'un peintre qui est presque l'homophone de celui que Modigliani a peint et qui habitait au 7. Le premier s'appelait Maurice Drouard, le second s'appelle Maurice Douard (né en 1951).
Il travaille sur la lumière, le mouvement, la perception mouvante et les effets d'optique. Il y a souvent chez lui un cadre géométrique et simple dans lequel bougent et vivent des gens en mouvement et statiques à la fois, pris dans les vibrations de la vie.
Le 11
Le 11 fait l'angle avec la rue du Calvaire que nous traversons pour tomber sur le 11 bis, maison construite dans les années 50 avec une terrasse où jamais personne ne se prélasse, préférant ne pas se donner en spectacle à la foule des touristes!
Le 13
Le 13 est un des restaurants de la place qui ne désemplit pas pendant les beaux jours. Il s'est appelé "La Potinière" à l'époque où les Montmartrois préféraient dire qu'ils allaient "chez Georges", le patron chaleureux et disert.
Marcel Aymé en passe-muraille (par Jean Marais)
Marcel Aymé qui appréciait l'animation de la place y venait, quand il n'allait pas au Clairon, pour y faire des parties de dominos, un jeu qui ne requérait pas trop de concentration et lui permettait d'observer et d'écouter ce qui se disait autour de lui.
Morelli
Le nom "Les sabots rouges" rappellerait un meurtre qui fit du bruit dans l'ancien village, l'assassin ayant été trahi par des traces de sang sur ses sabots de bois.
Rappelons que la grande, l'inégalée Monique Morelli y chantait le soir, peu avant minuit quand ne restaient autour des tables que des noctambules et des amateurs de bon vin et de bonne chanson (de Carco par exemple).
Le 15
Le 15 est, quelle surprise, un restaurant : "La Crémaillère". Il y eut au début du siècle une crémerie et c'est en 1926 que le lieu devint ce qu'il est. Son principal atout est un beau jardin impossible à deviner depuis la place. Le décor 1900 n'a rien d'authentique hélas et fait penser aux manèges en plastique qui copient le véritable art forain et le dénaturent.
Le lieu a reçu, comme la plupart des établissements de la Butte, des peintres, des artistes, des poètes. Celui-là choisit de mettre en avant l'Américain Michel Polnareff (n'est-on pas du pays où l'on paye ses impôts?) qui y fit ses débuts.
Le 17-19
Le 17 est…. comment est-ce possible?.... un restaurant!
Il s'agit de "Chez Eugène". Si des artistes s'y sont produits, on ne voit pas à quoi fait allusion le site officiel quand il nous dit qu'il a inspiré "le célèbre refrain de Jacques Brel"! Il y a bien un restaurant chez Eugène dans la chanson "Madeleine" de Brel, mais il faut prendre le tram 33 pour y aller car c'est à Bruxelles!
Avant de continuer à tourner autour de la place, arrêtons-nous un instant sur cette carte qui nous montre ce qu'était le village au début du siècle et notamment ce côté où nous avons vu "le Sabot Rouge", "La Crémaillère" et "Chez Eugène"! On y voit de petits commerces, de simples habitants…. "la forme d'une ville change plus vite hélas que le cœur d'un mortel"!
Le 21
Le 21, lui, n'a pas trop changé et c'est un... Non! … Est-ce possible?... Le 21 n'est pas un restaurant!
Il est resté tel qu'il était au début du XXème siècle, une modeste maison qui sert de repaire au syndicat d'initiative.
Une plaque rappelle un événement d'importance mondiale! Enfin! Disons nationale! Le 24 décembre 1898, une voiturette à pétrole pilotée par Louis Renault atteignit la place du Tertre! Heureuse époque où l'on n'imaginait pas quelle catastrophe écologique allait provoquer la bagnole!
Nous traversons la rue pour visiter la dernière partie de la place (côté nord) qui en réalité a pour adresse la rue Norvins.
A côté d'un Starbuck qui s'est implanté sans mal et sans scandale au cœur de Montmartre, "Au petit comptoir" (au 8) à défaut d'être un restaurant traditionnel vous sert toutes les crêpes, tous les burgers, toutes les pâtes que vous voudrez avaler si vous n'êtes pas trop exigent !
Au 6 nous trouvons la célébrissime "Mère Catherine" contre laquelle j'ai une dent, vous comprendrez pourquoi.
Il y avait là avant la Révolution le presbytère où vivait le curé de la paroisse (on sait que l'église était divisée en deux parties, l'une "St Denis" réservée aux religieuses, l'autre "St Pierre" aux villageois.
La nef de l'église (St-Pierre) réservée aux villageois. Elle était séparée par une grille du chœur réservé aux Dames.
Avec la Révolution et la confiscation des biens religieux, la maison est vendue et achetée par Catherine Lamotte qui en fait un café-restaurant. Un des clients d'alors n'est autre que Danton!
Le billard en bois de la Mère Catherine
Il y aura après la mort de la mère Catherine d'autres propriétaires dont le deuxième maire de Montmartre M. Lemoine qui fat installer un billard en bois qui connut un grand succès et lui valut d'être surnommé "le Père la bille".
La plaque sur le façade rappelle le sixième centenaire de la place : 1366-1966
Depuis bien des années le lieu a perdu son âme et est devenu un attrape-touristes. Les pauvres victimes s'imaginent en y entrant qu'ils consommeront une succulente cuisine traditionnelle dans un lieu authentique!
Le restaurant prétend que le mot "bistro" serait né ici lorsqu'après la défaite de Napoléon, les cosaques venus occuper Paris s'y faisaient servir à boire et pour hâter le service criaient "bistro bistro" ce qui phonétiquement et approximativement signifie en russe "vite vite".
La chose est contestée et contestable mais elle fait partie de la légende montmartroise faite de galéjades et d'infox mêlées à la vérité!
Le défunt "Singe qui lit"
Et maintenant, voilà pourquoi j'ai une dent contre cette Mère Catherine. Il y avait jusqu'à la mi-2018, jouxtant le restaurant, une boutique qui faisait et fait toujours partie de l'histoire montmartroise, "le Singe qui lit". Elle inaugura les friteries parisiennes, elle abrita un personnage hors du commun, Emile Boyer, brocanteur artiste qui y exposait des toiles et des dessins de ses amis et qui lui même se risqua à l'art de peindre.
La Mère Catherine devenue ogresse dévora en 2018 le pauvre Singe pour en faire une extension de son commerce.
Elle n'en garda rien, pas même la vieille enseigne qui avait survécu. Tout se fit sans qu'il y eut protestations, manifestations, réactions des associations de défense de Montmartre. Le Singe qui lit n'est plus! La Mère Catherine l'a avalé tout cru dans le silence assourdissant des défenseurs de la Butte!
Le 4 est une fois de plus un restaurant! "Au Cadet de Gascogne"! L'établissement appartenait à Henri Borde, une grande figure de Montmartre. Le nom lui vient d'une vieille coutume gasconne qui donnait tout l'héritage familial à l'aîné et poussait ainsi le cadet à aller chercher fortune à Paris. C'était il y a fort longtemps et nous ne savons rien de ce cadet entreprenant.
Henri Borde (1928-2002), fils d'Henri Borde (!) est né dans cette maison. Nous l'avons déjà rencontré sur la place car il ouvrit un autre restaurant "Chez Patachou" qui n'avait aucun rapport avec la chanteuse, là où nous avons visité la galerie d'art et son gorille, à l'angle avec la rue du Calvaire.
Le 2
Le 2
Il ne nous reste pour terminer le tour complet de la place que le 2. Bien sûr un restaurant ! "La Bohême".
C'est un petit immeuble mal intégré, construit à l'emplacement de "l'hôtel du Tertre" qui fait partie de l'histoire montmartroise.
Au-dessus du café Bouscarat, l'hôtel du tertre, bon marché accueillit de nombreux artistes ou écrivains qui devinrent célèbres par la suite. Jugez du peu : Satie, Mac Orlan, Modigliani, Max Jacob….
L'un d'entre eux qui fut un habitué plus constant a droit à sa plaque côté rue du Mont-Cenis. Il s'agit de Gaston Couté que chanta Morelli.
Nous pouvons quitter la place en beauté, en faisant travailler notre imagination pour oublier les foules occupées à se selfier, oublier les commerces au pittoresque laborieux.
Malgré son aspect vénal la place du Tertre n'est pas près de mourir ou de geler sur site puisque, comme on le sait, seuls "les pays privés de légendes sont condamnés à mourir de froid!
Et Dieu sait, aussi bien que le Diable que légendes et Montmartre ne font qu'un!
….Le versant est de la Butte était composé en bonne partie de terrains vagues où poussaient les herbes folles et où aimaient jouer les gamins du maquis.
Bien avant le début des travaux titanesques du Sacré-Cœur qui allaient à jamais transformer la campagne en site touristique mondialement connu, un homme avisé, savoyard d'origine, comme la future cloche de la basilique, eut l'idée d'acheter pour quelques sous un terrain….
Rue Sainte-Marie. Aujourd'hui Paul Albert.
Un espace idéalement situé entre trois rues : Lamarck, Sainte-Marie et des rosiers.
Rue Sainte Marie
Aujourd'hui Paul Albert
Deux de ces rues ont changé de nom : la rue des rosiers est devenue, pied de nez à la France catholique, Chevalier de La Barre, et la rue Sainte-Marie est devenue rue Paul Albert.
Le Rocher Suisse au début du XXème siècle
C'est aujourd'hui, malgré les destructions, un coin de Montmartre qui a gardé son charme et si l'on est indulgent, son aspect villageois!
Notre savoyard, monsieur Daudens, aimait la Suisse où il avait passé quelques années et apprécié la cuisine dont il avait appris les recettes roboratives et les secrets.
Rue Feutrier
C'est à un gros propriétaire qu'il acheta son terrain. Ce propriétaire qui possédait une partie du flanc est de la Butte a laissé son nom dans le quartier où une rue porte son nom : Feutrier.
Le Rocher Suisse
On dit et répète sur les sites consacrés à Montmartre que Daudens paya son terrain 7 francs le m2. Ce qui ne nous dira rien à moins de convertir cette monnaie en euros. 7 francs en 1857 sont l'équivalent de 21 euros en 2018. Il y a eu, comme on le voit une petite évolution depuis le 2nd Empire puisque le moindre mètre carré d'un appartement dans le quartier vaut au bas mot 12 000 euros et non 21!
Mr Daudens fit construire un bâtiment rustique auquel il s'acharna à donner des allures alpestres avec cloches de vaches et mangeoire. La plus belle réalisation était le jardin dans lequel furent aménagées des grottes, construites par les rocailleurs dont l'art était alors à la mode et qui plus tard oeuvreraient dans le square Saint-Pierre où il subsiste aujourd'hui la grotte des amoureux avec le couple sculpté par Emile Derré.
Le Rocher Suisse connut un succès qui ne se démentit pas après le rattachement de Montmartre à Paris (1860) et il attira les parisiens avides d'air pur et de bonne cuisine jusqu'en 1880.
C'est alors que l'établissement fut repris par Mr Dorlancourt, gendre du premier propriétaire. Les cartes postales nous donnent une idée de l'aspect que prit alors la maison. Adieu chalet, adieu cloches de vaches, adieu mangeoire. On se mit à la mode montmartroise avec petit orchestre et bal en plein air. Mais il était difficile de lutter avec les cabarets du boulevard Rochechouart. Le bal ne fit pas recette et remisa ses flonflons.
Le restaurant se spécialisa dans les noces et banquets dans la grande salle où se retrouvèrent un jour de juin 1886 une petite bande d'amoureux de la Butte soucieux de la protéger et de lutter contre la spéculation outrancière et les saccages qui l'accompagnaient.
Ils fondèrent la Société d'Histoire et d'Archéologie du Vieux Montmartre aujourd'hui connue sous le nom d'"Amis du Vieux Montmartre".
Qui étaient ces passionnés?
La mort d'Orphée (Emile Bin)
Avant de les présenter individuellement, citons leurs noms : (sans ignorer que tous les spécialistes de la spécialité ne sont pas d'accord et présentent des listes où deux ou trois noms diffèrent!)
Emile Bin, Wiggishoff, Léon Lamquet, Jean Noro, Charles Sellier, Jules Mauzin, Morel, Rab, Vautier.
Emile bin. Photo de Mulnier.
Emile Bin, nous le connaissons car il jouissait d'une célébrité certaine, réalisait la décoration de nombreux hôtels particuliers et avait des commandes des églises parmi lesquelles Saint-Sulpice et Saint-Nicolas du Chardonnet. Il avait le cœur à gauche (plutôt centre) et bien que sympathisant de la Commune, il disparut opportunément pendant les jours sombres pour ne réapparaître que plusieurs mois plus tard.
Persée délivrant Andromaque (Emile Bin)
Nous pouvons le classer parmi les peintres académiques auxquels s'opposèrent les grands mouvements qui révolutionnaient et régénéraient la peinture.
Il fut maire du XVIIIème arrondissement, révoqué, dit-on (bien que ce soit contesté) pour avoir peint un portrait du général Boulanger. C'est son adjoint et ami Wiggishoff qui prit sa place.
Flacon "héliotrope blanc" de Wiggishoff.
Jacques Charles Wiggishoff (1842-1912) était industriel en parfumerie et grand collectionneur d'ex-libris!
On peut reconnaître sur cet ex-libris à son nom, la vieille église Saint-Pierre.
Il fut maire du XVIIIème de 1889 à 1899. Ses seuls essais sont consacrés aux parfums et aux ex-libris! Il n'écrivit rien sur ce Montmartre qu'il aima pourtant, étant né au cœur du vieux village, rue Traînée (aujourd'hui rue Poulbot).
La mairie du XVIIIème place des Abbesses. Elle sera détruite et remplacée par la mairie actuelle en 1905.
Léon Lamquet (1836-1886) fut aussi adjoint au maire du XVIIIème! A croire que toutes la bande avait la passion municipale! Mais ce qui caractérise cet homme-là et le rend éminemment sympathique c'est son engagement pour la défense des animaux. En cela il ressemble à Louise Michel, attentive aux souffrances infligées aux bêtes.
Il fit partie de la SPA dont il fut directeur et où il lutta notamment contre la vivisection. Son engagement pour les animaux ne l'empêchait pas de se dévouer aux causes humanitaires (que de gens encore aujourd'hui opposent ces deux engagements, comme si tous les êtres vivants n'étaient pas liés dans le même mystère de l'existence et de la souffrance).
La statue de Fourier par Derré, boulevard de Clichy, fondue par le régime de Vichy .
Il consacra une partie de sa vie à l'éducation populaire en faveur des adultes. Enfin il défendit Emile Derré dans son projet pour la statue de Fourier boulevard de Clichy. Il était en effet fouriériste convaincu.
Il y a toutes les raisons de ne pas oublier Léon Lamquet.
Le 4ème homme fut Jean Noro, un authentique amoureux de Montmartre qui s'engagea pendant le Commune. Il fut commandant du 22ème bataillon des Gardes Nationaux et nous avons de lui un rapport d'un des nombreux massacres commis par les Versaillais.
Harem (Jean Noro)
Il dut s'exiler après la Semaine Sanglante. Il revint après l'amnistie à Montmartre, rue Ravignan où son atelier de peintre devint le siège d'un petit club littéraire "La Butte" ouvert aux poètes et aux écrivains. Paul Alexis qui en faisait partie le décrit dans une lettre à Zola : "Bon type et joliment sympathique. D'origine italienne, très brun, maigre comme Don Quichotte".
Un autre signataire présent au Rocher Suisse lors de la création de la Société montmartroise est Charles Sellier, à ne pas confondre avec son homonyme, peintre nancéen.
Ce Charles Sellier (1897-1912) est un ingénieur des Ponts et Chaussées, intéressé par l'histoire et l'art puisqu'il sera adjoint au musée Carnavalet et inspecteur des fouilles de la ville de Paris. Il est un de ceux qui s'opposera bec et ongles à la destruction de la vieille église Saint-Pierre.
Maison de Rosimond (musée de Montmartre)
Je n'ai rien trouvé sur Jules Mauzin sinon qu'il a écrit plusieurs articles dans le bulletin de la société du vieux Montmartre, notamment sur Rosimond, l'auteur et acteur de théâtre du XVIIème siècle qui avait acquis sur la Butte une grande maison entourée de vignes. Cette maison accueille aujourd'hui le musée de Montmartre.
Peut-être n'était-il comme les deux derniers, Morel et Rab qu'un "simple amoureux de Montmartre".
Peu de temps après la création de la Société du Vieux Montmartre, un banquet réunit cinquante trois chansonniers et poètes qui immortalisèrent leur réunion en posant sur les marches de l'escalier de la Fontenelle (aujourd'hui rue du Chevalier de la Barre).
Nous ignorons les raisons de ce banquet mais c'est un plaisir de reconnaître dans la bande : Aristide Bruant(un peu trouble) reconnaissable à son chapeau aux larges bords, Gaston Couté le poète anarchiste et écorché qui savait si bien parler la langue populaire, Marcel Legay, le fils de mineur, ami de Bruant, Eugénie Buffet, Alphonse Allais et qui écrivit la chanson qui fait pleurer tous les Artésiens (dont je suis!) "Ecoute ô mon cœur".
Je signale ici qu'André Roussard, spécialiste connu de Montmartre qu'il aimait et où il vivait, situe à tort dans son dictionnaire des lieux de Montmartre, la photo en 1912, alors que Couté qui y figure est mort en 1911 et que visiblement la rue des Rosiers n'est pas encore détruite et les travaux du Sacré-Coeur ne sont pas entamés.
Passées ses heures de gloire, le Rocher Suisse n'a plus grand chose à nous raconter. Il est acheté en 1892 par un hôtelier dévot qui aurait été choisi par les oblats du Sacré Cœur soucieux d'éloigner de leur périmètre sacré un établissement profane dont la porte était surmontée de trois grâces affriolantes et nues.
Les grâces furent congédiées et le bal supprimé.
Le Rocher vécut un ultime avatar en 1909 quand il passa entre les mains d'un dénommé Chipault.
En 1921, fin de l'histoire. Il sombra définitivement. Il fut vendu à la Société Asile de jour Israélite qui créa le Centre d'hébergement toujours en activité et la Crèche de la rue Lamarck.
La plaque commémorative rappelle les 71 enfants juifs de la crèche assassinés à Auschwitz.
Alors commença une autre histoire… qui s'écrirait pendant la guerre non plus dans les flonflons du bal ni les rires des banquets mais dans les rafles, les bombardements et la mort.