L'affiche intrigue avec son animal aux mains pendantes et au faciès de suricate. Elle invite à entrer dans la Halle Saint-Pierre pour plonger dans un univers angoissant, ce qui demande un effort de volonté alors que les raisons de s'angoisser sont déjà fournies à foison par l'actualité!
Roger Ballen a 69 ans. Né à New-York, c'est en Afrique du Sud qu'il vit et c'est là qu'il a commencé à photographier des habitants des campagnes ou des faubourgs. Des êtres qui vivent dans le dénuement et dont la misère a agressé le corps quand ce n'est l'esprit.
Avec les années son travail a évolué vers des photos scénarisées, en noir et blanc, où réalité et cauchemars se mêlent. Les rats sont omniprésents, liés à une humanité occupée à des activités absurdes ou terrassée par le sommeil ou l'abandon.
Il y a dans ses compositions un surréalisme habité par la mutilation et la mort. Les poupées inquiétantes abritent des rats, les animaux sont figés dans la mort et leur cadavre empaillé est utilisé comme sont utilisés dans notre société ces êtres "inférieurs" qui ne servent que notre intérêt au mépris de leur sensibilité.
Evidemment nous sommes en présence d'un artiste habité par un monde sans joie mais créateur d'un univers original et puissant. Un univers qui nous invite à nous interroger et à réagir. La solitude, la menace, le non-sens de l'existence sont les ingrédients d'une œuvre qui a quelque chose d'une adolescence en crise.
Dans ses compositions sont intégrés des dessins qui relèvent de l'art que l'on dit brut. Ils ont une fausse naïveté enfantine et ils permettent au monde de l'enfance trop souvent idéalisé et édulcoré de faire irruption avec une force grinçante. Parfois ne sont exposés que les dessins, comme des gravures rupestres. Ils sont peut-être ce qu'il y a de meilleur dans cette exposition.
Un étage de l'exposition est consacré à des compositions faites de mannequins désarticulés.
Un mannequin réaliste figure Ballen lui-même appareil photo entre les mains. Il est assis sur un tabouret au centre de l'espace et il tourne comme s'il surveillait les visiteurs pour les intégrer aux tableaux mortifères qu'ils regardent.
Je n'ai pas pris un grand plaisir à cette balade dans le monde de Ballen. Je reconnais l'originalité et la valeur des créations de cet artiste qui dans ses meilleures œuvres peut évoquer de loin un Jérôme Bosch, de plus loin encore un Lautréamont.
Il n' y a rien qui puisse un moment reposer votre regard, rien qui cherche à plaire. Le plaisir en art est passé de mode. Il faut être interpelé, mis en cause, violenté…
Notre époque n'est plus à la jouissance mais à la souffrance. En cela Ballen est parfaitement de notre temps.
Libre à chacun d'aller souffrir avec lui, de participer à sa "réflexion sur l'absurdité de la condition humaine" et d'assister à sa "quête psychologique personnelle".
Vous avez le temps de programmer votre visite puisque l'exposition durera jusqu'au 31 juillet 2020. Choisissez un jour ensoleillé de préférence!