Cette rue qui va de la place d'Estienne d'Orves à la place de Clichy est une artère vivante et la plupart du temps encombrée de véhicules de tout genre.
Elle doit son nom qui lui est donné en 1843, à la ville de Clichy vers laquelle elle mène. Mais son tracé date de bien avant. Dès l'époque gallo-romaine, une voie nommée "voie de la mer" allait de Paris jusqu'à Harfleur. Au 17ème, on la reconnait sur d'anciens plans. Elle est alors "le chemin de Clichy". Mais là ne s'arrêtent pas ses avatars! Au 18ème, elle devient "rue du Coq". Elle passait en effet devant l'hôtel du Coq (une "avenue du Coq" existe toujours, en réalité large impasse qui donne sur la rue St-Lazare).
La 1ère rue à gauche est la rue de Clichy. On voit le square devant l'église. Il a détruit une partie de la rue.
La rue de Clichy est longue de 700 mètres, sa première partie ayant été amputée lors de l'extension du square D'Estienne d'Orves devant la Trinité.
A droite le square d'Estienne d'Orves, à gauche ancienne partie de la rue de Clichy, aujourd'hui place d'Estienne d'Orvbes)
Au 10 s'élève l'hôtel de Wendel, riche demeure que la fortune des Maîtres de Forges leur permit de s'offrir.
C'est Charles Wendel qui le fait édifier de 1862 à 1867 en faisant appel à l'architecte Sidoine Maurice Storez qui dans cette période ostentatoire conçoit un bâtiment simple et épuré dans le style Louis XVI.

La façade dépouillée cache en réalité un somptueux logis de 36 pièces! Par chance certaines ont conservé leur décor, ce qui est plutôt rare quand les immeubles sont rachetés par la Ville (ce qui est le cas) pour être transformés en écoles.
Le "W" des Wendel sur la façade
Au 12 actuel (primitivement 26) s'élevait la première église de la Trinité ouverte en 1852. Elle remplaçait la 1ère église de la rue de Calais et elle ne fut détruite qu'après la consécration de la troisième église édifiée sur la place en 1867.
C'était une construction de bois, longue d'une quarantaine de mètres et qui malgré son existence éphémère était ornée de vitraux. Une cloche appelait les fidèles mais elle dut se taire après quelques mois car les voisins se plaignaient d'être réveillés par les Laudes! Les ronchons qui se plaignent aujourd'hui des cloches et des coqs font donc partie d'une longue tradition!
Il ne reste rien de cette Trinité passagère sinon une peinture sur lave de Devers, inspirée d'Ary Scheffer qui ornait le tympan et qui est aujourd'hui conservée dans la sacristie de l'église actuelle.
Le 16 est l'adresse la plus célèbre de la rue! Celle du Casino de Paris! Il y aurait un roman à écrire sur ce lieu mythique. Pâtinoire puis théâtre à la fin du XIXème siècle, c'est avec Léon Volterra en 1914 que la salle révolutionne l'art du spectacle avec la création des revues qui allaient connaître un succès inépuisable.
C'est Volterra qui invite Mistinguett après la guerre, avec son "protégé" Maurice Chevalier. Jusqu''en 1925, elle restera la reine du Casino de Paris. Il faudra attendre le nouveau directeur Henri Varna pour assister à un triomphe comparable avec Joséphine Baker et ses 2 amours.

Citons encore Tino Rossi qui fait se pâmer son public en le caressant de sa voix de zéphyr et plus tard Line Renaud qui ménera plusieurs revues. La dernière grande meneuse sera Zizi Jeanmaire en 1970 avant que la salle n'accueille des artistes comme Gainsbourg, Souchon, Dutronc, Higelin.... etc...

Réjouissons nous que malgré les inévitables mutilations pour se mettre à la mode architecturale des années sans fantaisie, la salle ait gardé une partie de son décor 1925.
On ne peut pas en dire autant des 20 et 22!
Le 20 consternant de banalité morose était l'adresse d'un music-hall ouvert au début du XXème siècle à la grande époque des paillettes et des divertissements : l'Apollo.

Son titre de gloire est d'avoir créé l'opérette de Franz Lehar "La veuve joyeuse" avec un succès qui ne se démentit pas avec les années.

Ce fut aussi dans cette salle que Carlos Gardel fit ses débuts parisiens. Les amoureux du tango se recueillent en passant devant le fantôme de l'Apollo.

Affiche de Paul Colin
Le 21 a abrité notre Victor Hugo national, si proche encore, si audacieux toujours… de 1874 à 1878. C'est dans cet immeuble, au 4ème étage qu'il écrivit son roman "Quatrevingt-treize" (c'est ainsi que l'auteur a voulu qu'on écrivît son titre).

Sur la façade du 28, bel immeuble début du XXème siècle, une plaque rappelle que Georges Enesco, "illustre musicien roumain y vécut de 1908 jusqu'à sa mort en 1955."
Musicien considérable qui fut élève de Massenet et Fauré, il fut lié aux principaux compositeurs et interprètes de son temps, de Ravel à Dukas… Il écrivit une de ses oeuvres les plus célèbres, son opéra "Œdipe" dans cette maison.
Au 37 a vécu pendant 30 ans le peintre Maurice Eliot qui fut le grand ami de Charles Léandre avec qui il loua un atelier à deux pas de Pigalle, 3 rue Houdon.
Il excella dans l'art du pastel et connut quelque succès avant la catastrophique année 1937 où il perdit sa mère, son ami Léandre et où sa sœur atteinte de maladie mentale fut internée. Il dut alors quitter, la rue de Clichy et le quartier qu'il aimait
C'est au 2ème étage du 39 que Ravachol déposa une bombe le 27 mars 1892 destinée à tuer le substitut Bulot. Il y eut quelques blessés et l'immeuble fut dévasté.
Trois mois et demi plus tard l'anarchiste qui avait à son "actif" quelques crimes crapuleux et quelques autres plus "politiques" sera guillotiné.
Un coup d'œil au 40 où s'ouvrent les portes de la Grande Comédie, théâtre créé en 2005 et qui accueille des humoristes ou des comédies boulevardières. Omar et Fred, Max Boublil s'y sont produits. Qu'on aime ou pas, il faut se réjouir chaque fois qu'un nouveau théâtre naît dans ce quartier où bon nombre de salles de spectacle ont disparu.
La maison du protestantisme a ses vitrines au 47, avec sa librairie spécialisée "Jean Calvin".
Les immeubles du 54 au 68 ont été construits à l'emplacement de la prison de Clichy dont Balzac fut à plusierurs reprises menacé. En effet elle incarcérait les "dettiers" ceux qui étaient incapables de payer leurs dettes!
Si Balzac réussit à l'éviter en se cachant, il n'en fut pas de même pour Nadar qui y passa un mois en 1850 ou pour Poulet-Malassis l'éditeur et l'ami de Baudelaire ( qui aimait l'appeler "Coco Mal-Perché").
Elle fut fermée en 1867 et elle ne subsiste aujourd'hui que dans les romans du XIXème siècle, comme dans "la Cousine Bette" de Balzac...
Au 55, un passage très parisien conduit au théâtre de l'Œuvre créé en 1893 par Lugné-Poe qui le dirigea pendant 37 ans
Il s'installa dans une salle de concert à l'italienne, la salle Berlioz.

De grands artistes y furent engagés comme Isadora Duncan, Pierre Fresnay, Pierre Dux ou Maria Casarès...
... Les auteurs scandinaves Strindberg et Ibsen y furent révélés au public parisien.
D'autres créations marquèrent l'histoire théâtrale : "Ubu roi" de Jarry qui provoqua un scandale mémorable (1896) ou dans un autre style, "L'Annonce faite à Marie" de Claudel (1912).
Au 62 le jeune Félix Tournachon (Nadar) fut pensionnaire chez Mr Augeron. C'est là qu'il rencontra celui qui allait être l'ami de toute une vie, Charles Asselineau, futur écrivain et admirateur comme lui de Baudelaire.

Asselineau par Nadar
Nadar ne pouvait pas imaginer qu'une vingtaine d'années plus tard il reviendrait rue de Clichy, non plus à la pension Augeron mais à la prison !
Là où s'élève l'indigent immeuble du 81, il y avait un café où se réunissaient les poètes symbolistes autour de Mallarmé pour théoriser leur opposition aux Parnassiens.

Cependant ce sont surtout les peintres divisionnistes, "les pointillistes" comme Seurat ou Signac qui en firent leur lieu privilégié de rencontre.
Il y avait au 84 un "bouillon"Duval, restaurant populaire et bon marché comme il s'en ouvrait de nombreux à Paris. Il a été remplacé par une académie de billard tout en gardant son cadre art nouveau.

Il a servi de décor à la fin du film "Le Marginal" avec Belmondo.
Christophe Honoré y a tourné une scène avec Ludivine Sagnier dans "Les bien aimées" pendant laquelle l'actrice chante avec Rasha Bukvic "les chiens ne font pas des chats".

Depuis l'été 2019 il est devenu le Club Montmartre bien connu des fous de poker.
Ne nous attardons pas, de peur de sortir essoré de ce lieu dangereux et cap sur l'avenue de Clichy qui prolonge notre rue de l'autre côté de la place où nous attend un des meilleurs cinémas de Paris, le cinéma des cinéastes... Un bon film, rien de mieux après avoir arpenté Paris!