C'est une courte rue bordée de falaises de pierres de taille. Ses 156 mètres entre la rue Blanche et la rue de Clichy ont pourtant quelques histoires à nous raconter. Mais connaît-on une seule rue de Paris qui n'en ait pas?
Elle est créée en 1841 sous le nom de rue Laperche et attendra 1844 pour devenir rue Moncey.
Bon-Adrien Jeannot de Moncey (1754-1842) est familier aux Parisiens qui souvent ignorent que c'est lui, en bronze, qui domine sur un socle de pierres la place de Clichy.
Ce général partisan de la Révolution française fut un fidèle napoléonien. Devenu maréchal, il organisa la garde nationale et résista avec bravoure à l'invasion des troupes coalisées en 1814. Sa rue est donc située non loin de ses exploits, près des Batignolles.
Le n° 1 ouvre la voie à une série d'immeubles cossus et un peu lourds, toujours influencés par l'architecture haussmannienne. Construit au début du XXème siècle, il est dû à l'architecte F.A. Bocage à qui l'on doit d'autres immeubles parisiens chaussée de la Muette et surtout rue de Hanovre où il se montre plus audacieux et plus novateur.
6 rue de Hanovre (décoration de grès de Bigot, le grand artiste céramiste à qui on doit le Céramic Hôtel avenue de Wagram et le décor de St-Jean de Montmartre).
Le 2, un des plus vieux immeubles de la rue, a abrité un des grands écrivains du XIXème siècle : Guy de Maupassant.
Il a vécu 4 ans, de 1872 à 1876 dans une petite chambre de 12m2 située au rez de chaussée et donnant au nord sur la courette sans lumière. Cet enfermement a dû être rude pour l'homme jeune (il a 32 ans) habitué aux vastes espaces et aux rivages lumineux de Normandie.
Pour survivre, il s'échappa chaque samedi sur les bords de Seine, à Argenteuil ou Bezons où il canotait avec sa bande d'amis et quelques filles faciles.
Il n'empêche que c'est dans cette chambre où il recevait sa bande de joyeux drilles qu'il écrivit sa première nouvelle publiée, "La Main d'écorché" avant d'y recevoir des éloges pour une autre œuvre "Au bord de l'eau".
Son ami Léon Fontaine écrit : "Sa porte était ouverte à tout venant, et l'on était toujours accueilli par un bon sourire et une main cordialement tendue."
Le 3 est un des immeubles les plus originaux de la rue. Il date de 1909 et a été conçu par Paul Perdriel, architecte de renom, humaniste passionné de bibliophilie et d'archéologie, maintes fois primé à des salons internationaux et médaille d'or pour la plus belle façade parisienne en 1904.
L'immeuble fut le siège de la C.G.F.T, Centrale Générale Française de Tramway.
Du 4 au 12 il y eut une somptueuse demeure particulière, l'Hôtel Pillet-Will. Précisons Frédéric Pillet-Will (1837-1911) fils d'Alexis et banquier comme lui. Notre homme fut directeur de la Caisse d'Epargne et régent de la Banque de France. L'hôtel construit en 1872 fut détruit 31 ans plus tard! Il faut dire que les terrains valaient de l'or et qu'à son emplacement de nombreux immeubles cossus furent édifiés sur ce qu'on appelle aujourd'hui le square Moncey.
Ces immeubles massifs forment des falaises le long des étroites rues en croix du square.
On peut apercevoir, fermant l'une de ces rues, de grands arbres majestueux, rescapés de l'ancien Tivoli qui connut le même sort que l'hôtel Pillet-Will.
Notre Pillet-Will, homme d'argent, brillait en société grâce à sa femme, Clotilde Briatte, qui écrivait des romans sous le nom de Charles d'Orino. Elle était adepte de la doctrine spirite d'Allan Kardec et affirmait qu'elle écrivait sous la dictée des esprits des nouvelles venues d'au-delà de la mort.
Le 7 a belle allure…. Il est dû au tandem Navarre et Rousselot dont quelques immeubles et hôtels particuliers subsistent à Paris.
… Suivent quelques beaux immeubles qui antérieurs à la fin du siècle et échappant au pastiche haussmannien présentent plus d'harmonie dans leur simplicité.
Le 14 qui date de 1850 est décoré de mascarons...
Le 17 est un des deux immeubles de la rue qui a sa petite place dans la grande histoire de l'Art. Le peintre Caillebotte y finança un atelier qu'il mit à la disposition en 1877 de son ami Claude Monet.
Monet voulait à cette époque peindre une série de toiles ayant pour sujet la gare Saint-Lazare toute proche.
Il avait alors de graves difficultés financières. Les dettes s'accumulaient et sa femme malade réclamait des soins coûteux. Une lettre envoyée au collectionneur Victor Choquet en témoigne :
"... Je vous demande de prendre une ou deux de mes croûtes… Je serai chez moi demain samedi 17 rue Moncey et j'espère que vous ne refuserez pas d'y venir."
Les mascarons des linteaux qui ont vu passer le peintre préoccupé et prêt à brader ses "croûtes" continuent de sourire aux passants et aux descendants de ceux qui ont eu le goût d'acquérir les croûtes de Monet et de leur assurer un beau pactole!
La rue se termine en arrivant rue de Clichy. Un petit personnage me guettait derrière une vitre, de toute l'intensité de son regard de chat.
C'est donc avec lui et un chat de Monet que je quitte la rue Moncey!