Il est passé comme une météorite dans le ciel de Montmartre. Nocturne, enflammé, se consumant de sa propre énergie. Il déboule au Chat Noir de Salis en 1881. Huit ans plus tard il meurt après six mois de souffrances à l'hôpital Lariboisière. Il a 34 ans.
Ce qui nous intéresse c'est avant tout son passage à Montmartre mais il faut rappeler sa naissance peu banale. Il arrive en effet dans une famille d'origine écossaise, son arrière-grand père écossais étant venu en France pour être garde du corps du roi Louis XV! On raconte qu'il s'en fallut de peu qu'il ne perdît la tête sur la guillotine.
Il vient au monde un quart d'heure après son frère jumeau Donald.
Il fera ses études au petit Séminaire de Saint-Mesmin. Aristocratie, religion… on ne peut pas dire qu'il sera partie prenante de l'une ou de l'autre! Il est vrai que dans sa famille les idées socialistes et progressistes étaient à l'honneur...
Il a 21 ans quand il arrive à Paris où il trouve un travail pas trop contraignant, celui d'employé de la Poste, ce qui lui donne le temps et surtout la disponibilité intellectuelle pour écrire, dessiner et participer à la vie intellectuelle du quartier latin où il habite d'abord.
C'est là, loin de la Butte qu'il rencontre Emile Goudeau et s'inscrit au Club des Hydropathes en 1878. Grâce à cette rencontre, il change de quartier en 1881 quand Goudeau se laisse convaincre par Rodolphe Salis de le rejoindre au cabaret du Chat Noir qu'il vient de créer à Montmartre.
Sarah Bernhardt au club des Hydropathes
C'est ainsi que Mac Nab devint montmartrois! Lui qui ne manquait pas d'humour, habitué à la fréquentation de Charles Cros ou d'Alphons Allais (tous deux hydropathes) dut s'amuser d'apprendre que le cabaret de Salis s'était ouvert dans un ancien dépôt postal!
Ce premier Chat Noir avait pour adresse le 84 boulevard de Rochechouart et son enseigne (aujourd'hui au musée Carnavalet) était l'œuvre de Willette.
Aussitôt il obtient un franc succès. Son allure rigide, son côté "croque-mort", son sérieux imperturbable pour débiter des histoires absurdes ou drôlatiques, des poèmes décalés ou provocateurs plaisent au public d'étudiants et d'artistes.
"(…) Qu'il est doux d'être deux! Deux hier, deux demain,
Deux toujours au banquet d'amour et d'harmonie!
S'il est vrai qu'ici-bas on ne puisse être heureux
Sans qu'on se soit donné le plaisir d'être deux,
Il faut bien l'avouer, dans la nature entière
L'être le plus à plaindre est le ver solitaire!"
Mac Nab qui s'exprime avec difficulté dans le quotidien et qui est entravé par un bégaiement dont il n'a jamais pu se débarrasser trouve en public une facilité d'élocution et une liberté qui l'étonnent lui-même.
Il apprécie Montmartre et aime se balader dans ses rues avant de rejoindre le Chat Noir :
" Hier soir vers cinq heures, je faisais tranquillement mon tour du Lac. Ce qu'on appelle le Lac à Montmartre, c'est le bassin de la place Pigalle; cet endroit est très fréquenté au moment de l'absinthe."
Quand Salis, le succès aidant, trouve un lieu plus vaste rue Laval (aujourd'hui rue Victor Massé) pour y installer son Chat Noir, Mac Nab suit le mouvement et poursuit sa carrière de poète-chansonnier, sans souci de carrière ni de fortune car contrairement au refrain de Bruant : "Je cherche fortune tout au long du Chat Noir, et au clair de la lune à Montmartre le soir.." il ne cherche pas à s'enrichir et se fait payer avec les verres qui lui sont offerts pendant toute la soirée!
C'est l'époque la plus créative de sa courte carrière. Il publie ses "Poèmes mobiles" en 1885 qu'il dédie, en termes médiévisant à son hôtesse joueuse :
"A vous très chère et très plaisante araignée qui souvente fois vintes vous esbattre en les régions perturbées de ma folle teste."
Il publie ses "Poèmes Incongrus en 1887 :
"Gloire à ceux qui rient et font rire les autres, ils sont les véritables bienfaiteurs de l'humanité (…)"
La préface a été écrite par Voltaire qui ne manque pas, venu d'outre-tombe de fréquenter le Chat Noir!
L'expulsion
"Les princes c'est pas tout : plus de curés,
Plus de gendarmes ni d'mélétaires!
Plus d'richards à lambris dorés,
Qui boit la sueur des prolétaires!
Qu'on expulse aussi Léon Say
Pour que l'mineur il s'affranchisse,
Enfin que tout le monde soye expulsé,
Il rest'ra plus qu'les anarchisses"
Un de ses plus grand succès lui est assuré par "le grand métingue du métropolitain". Il y met en scène un ouvrier îvre-mort qui est emmené au poste au cours d'une manifestation anti-métro :
"Peuple français la Bastille est détruite
Il y a z'encore des cachots pour tes fils!
Souviens-toi des géants de quarante-huite
Qu'étaient plus grands qu' ceuss' d'aujour d'aujourd'hui
Car c'est toujours l'pauvre ouverrier qui trinque
Même qu'on le fourre au violon pour un rien!
C'était tout de même un bien chouette métingue
Que le métingue du métropolitain!"
Evidemment la "présence" physique nous manque qui permet de comprendre le succès du chansonnier. Il gardait un air sinistre en disant des absurdités ou en assénant des images macabres. Sa voix était étrange, à la fois rauque et zézéyante.
Parmi ses textes les plus connus figure "les fœtus" où il donne la parole à ces créatures qui flottent dans des bocaux de formol :
"(…) Mais que leur bouche ait un rictus,
Que leurs bras soient droits ou tordus,
Comme ils sont mignons ces fœtus!"
...
"Et vous seuls, vous savez, peut-être,
Si c'est le suprême bien-être
Que d'être mort avant de naître!"
De sa vie amoureuse on ne sait pas grand chose sinon qu'il resta célibataire. Un de ses plus étranges poèmes parle des femmes d'une manière qui nous ferait croire qu'il n'aimait pas trop s'y frotter. La ballade des derrières froids nous en donne une idée :
"(…) Aussi quand la luxure ardente, irraisonnée,
Dans les chauds soirs d'automne ou dans la matinée,
Invisible serpent me poursuit et me mord,
Je redoute à l'égal d'une arme empoisonnée
La froideur du derrière, image de la mort."
Un de ses poèmes parle aussi de la tuberculose. C'est la maladie qui s'acharne sur lui et le torture.
Il continue néanmoins d'assurer ses passages au Chat Noir, fiévreux et grelottant...
Il joue les spécialistes en médecine et écrit une "thèse" qu'il présente devant le jury hilare de l'Université de Montmartre. Le sujet en est "le mal de cheveux et la gueule de bois"!
Mais on a beau se moquer de la mort qui guette, on ne joue pas à armes égales. Mac Nab part en 1888 pour Cannes où il est employé des postes à mi-temps. Le climat qu'il espérait bénéfique ne l'est en rien et c'est à Paris, à l'hôpital Lariboisière qu'il passe les derniers mois de sa vie.
Il meurt le matin de Noël 1889...
Son ami Charles Cros imagine la mort dans son poème "le testament" avec des mots qu'on aimerait être ceux de Mac Nab :
"Ne craignez rien, je ne maudis
Personne. Car un paradis
Matinal s'ouvre et me fait taire."