Depuis des années déjà chaque mois de juillet je donne des nouvelles de ce refuge d'où viennent mes deux chattes des rues, précieuses et délicates.
Et malheureusement, comme chaque année des chats que je connaissais pour les avoir brossés entre câlins et ronrons, sont morts.
Cerise
Parmi eux certains que dans mes rêves où je possédais un grand jardin j'adoptais et choyais comme la petite Cerise dont j'étais parrain et qui a fermé les yeux le mois dernier après quinze ans dans le refuge.
Miel en 2018
Il y a aussi ceux qu'il avait fallu regrouper dans un espace à part parce qu'ils étaient atteints de leucose, de "sida" ou de calicivirose. Parmi eux Miel le plus familier et le plus quémandeur de caresses...
Ou Saphir… Le beau chat aux yeux bleus, soigné pendant des mois pour une maladie de peau, guéri, heureux, reconnaissant, familier… Un chat comme on rêve d'en avoir pour petit compagnon. Il a été atteint lui aussi de calicivirose. Il a fermé ses yeux de ciel.
Plume
A propos de calicivirose, je voudrais redonner de l'espoir à ceux dont le chat souffre de cette maladie. Plume que j'ai recueillie au refuge en souffrait. Après arrachage de dents et traitement de trois année à la cortisone, elle est guérie, heureuse, infiniment reconnaissante.
La vie du refuge continue avec ses petits et grands bonheurs, avec le dévouement remarquable des bénévoles. C'est un lieu à part sur notre planète qui saigne. Une petite planète qui redonne espoir.
Je vous avais parlé il y a deux ans de Lily la chatte tricolore du port. Une cabane avait été installée pour elle et elle était suivie et nourrie par Cosette.
Il était devenu difficile de s'occuper d'elle en saison où les touristes trop nombreux et trop curieux la faisaient fuir.
Sa cabane a été remontée dans le refuge et Lily est devenue une des plus ronronnantes pensionnaires! La surprise! On a découvert qu'elle avait un tatouage et qu'elle avait été perdue ou abandonnée il y a 8 ans. Les maîtres contactés par téléphone n'ont pas réagi.
Lily qui a 17 ans terminera sa vie de chatte dans le refuge où dès son arrivée elle s'est sentie à sa place, aimée et respectée!
3 parmi la bande des 9
… Et tous les autres… chacun avec son nom et sa personnalité. Parmi eux, les 9 comme on les appelle parce qu'ils ont été accueillis ensemble.
Ils habitaient dans une caravane où une femme les avait ramassés dans les rues ou ils erraient. Elle a dû partir sans pouvoir les prendre. Elle les a confiés au refuge. Ils sont là toujours ensemble. Ils attendent peut-être le retour de celle qui les avait sauvés et aimés. C'est fou comme ils savent attendre, les animaux, toute une vie s'il le faut. Sans ressentiments, sans récriminations… avec dans leur tête une image qui ne s'éteint pas, celle du visage aimé qui les accompagne jusqu'au bout.
Il y a quelques jours, devant le refuge, quelqu'un a déposé une chatte et ses quatre chatons.
Pas un mot, pas un coup de fil, rien. Seulement ces petits animaux laissés là, confiés à des gens qui ont le cœur assez grand pour les accepter. Le matin de mon départ de Paris, il y avait en plein soleil, devant le cabinet du vétérinaire de ma rue, une panière avec un chat effrayé, posée là par des gens qui partaient sans doute en vacances.
On est consternés, déprimés par cette désinvolture de ceux qui gardent des chats ou des chiens tant qu'ils ne les gênent pas et puis s'en débarrassent sans scrupules comme si la peur, l'angoisse ne pouvaient toucher ces êtres sans importance!
J'ai photographié quelques uns des chats du Bastion en ce mois de juillet brûlant. Je leur souhaite de vivre longtemps grâce au dévouement et à la douceur des bénévoles.
Liens : Les Pachats du Bastion. Saisons et années...
La maison-musée de Gustave Moreau, rue La Rochefoucauld au pied de la Butte, est une inépuisable fabrique de rêves. Il suffit de se tenir devant une des œuvres laissées à l'emplacement qu'elles occupaient à la mort du peintre, pour entrer dans un monde de sensualité et de symboles...
Dessin de Gustave Moreau
Les amours de Zeus et de Léda ont inspiré de nombreux peintres et Gustave Moreau plus que d'autres puisque plus de vingt de ses toiles et dessins leur sont consacrés.
Dessin (encres de Chine) de Gustave Moreau.
Le mythe de Léda raconte comment le roi des dieux à l'appétit sexuel insatiable, réussit à posséder la femme du roi de Sparte.
Pour séduire l'épouse fidèle, il demanda conseil à Aphrodite qui imagina une ruse efficace : elle se transforma en aigle et poursuivit Zeus métamorphosé en cygne.
Léda. (Musée G. Moreau)
Léda qui était assise au bord des marais vit le bel animal effrayé venir se réfugier en battant des ailes vers elle. Prise de pitié, elle lui ouvrit les bras afin de le protéger.
Le mythe connaît plusieurs versions mais c'est cette dernière qui est la plus répandue et que Moreau interprète dans les deux toiles qui nous intéressent aujourd'hui.
La 1ère version, celle que je trouve la plus belle, moins travaillée dans le détail que la 2nde, représente Léda abandonnée, déjà conquise, les yeux clos comme dans un rêve.
Son corps est androgyne. Le buste est celui d'un adolescent tandis que le visage évoque le profil d'un héros grec.
Le cygne se dresse contre Léda, un peu en arrière comme pour ne pas la réveiller du charme qui s'empare d'elle. Sa tête semble la protéger tandis que son aile gauche se lève.
Sur la gauche du tableau c'est l'aile sombre de l'aigle qui se déploie. Les deux ailes, la blanche et la noire, sont comme celles du même prédateur, prêtes à se rejoindre et à se refermer sur le corps désiré. C'est l'originalité audacieuse de cette version que l'on ne retrouve pas ailleurs.
L'aile noire d'Aphrodite, l'aile blanche de Zeus, métaphore d'un désir ardent qui enveloppe sa proie.
Léda est passive à l'abri de son apparent sommeil. Elle attend l'étreinte du dieu. Peut-être est-il possible d'interpréter cette attente de Léda comme celle, plus ou moins consciente, du peintre lui-même, attiré par les hommes mais n'assumant pas ce désir. Cette attirance est souvent présente dans son œuvre où elle se réfugie et se dissimule dans la représentation des mythes.
Les génies assistent à la scène, tenant bien haut le feu qui pourrait embraser le monde.
Tout est soumission et abandon dans le corps de Léda. Le décor est à peine esquissé. Nous sommes dans l'ambigüité et l'incertitude du songe, au moment où le corps s'abandonne à l'amour, dans une passivité qui écarte la culpabilisation et le remords à venir.
La deuxième toile, exposée en bonne place dans le musée est la version la plus officielle et la plus achevée. Si la composition est la même, plusieurs éléments différent...
Le corps de Léda est cette fois féminin, les hanches larges, la poitrine affirmée.
Comme dans la première version, ses yeux se ferment. Aucune protestation devant l'insistance du cygne dont la volonté ne fait aucun doute.
Le bras gauche de Léda est levé, comme attaché à des liens que son désir suscite. En réalité ce sont des fleurs qui entourent sa main mais qui suggèrent des entraves telles que l'on en utilise dans certains jeux amoureux.
Le cygne s'est rapproché, sa tête s'appuie sur celle de Léda. Son aile levée s'estompe dans le décor et le voile blanc entre les jambes de la femme glisse comme du lait pour laisser place au séducteur.
Les génies veillent à la scène en portant la couronne du roi des dieux et le feu sacré tandis que l'amour vainqueur s'envole vers d'autres conquêtes...
L'éclair divin forme comme un ostensoir derrière le couple, donnant au mystère de l'amour une dimension mystique.
Le couronnement de la Vierge Marie, elle aussi séduite par un dieu, n'est pas loin!
Dans le décor confus où l'œil averti doit se frayer un chemin, on devine le monde des divinités qui peuplent la nature, tandis qu'agenouillé, les bras ouverts Pan accueille l'univers vibrant et aimant.
Hymne à l'amour, au mystère, à la force des désirs, la 2ème œuvre comme la première est féconde en interprétations et en balades imaginaires.
Elles nous invitent à la rêverie…
Les toiles de Moreau ressemblant à la Nature dont parle Baudelaire :
"L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers."
Liens : les œuvres de Moreau étudiées dans ce blog :
La rue de l'abreuvoir, une des plus pittoresques de Montmartre, n'a pas échappé aux destructions du XXème siècle et aux transformations du vieux village en quartier résidentiel et touristique.
Une adresse a résisté un peu plus longtemps que les autres (si l'on excepte la Maison Rose, sauvée par les peintres qui l'ont souvent représentée), c'est le 14, la Maison Georges.
Ce fut jusqu'au début du XXème siècle, une épicerie de village, spécialisée comme de nombreuses épiceries d'alors dans la vente de vin. L'enseigne et le panneau peint sur le mur pignon ont subsisté après la vente de son commerce par monsieur Georges.
Vente qui eut lieu en 1924 lorsque les époux Baillot s'en firent acquéreurs. Henri Baillot, ancien combattant de la première guerre, le transforma en bar-restaurant : "l'Abreuvoir".
Un nom bien choisi! L'abreuvoir qui a donné son nom à la rue était utilisé par les paysans pour y faire boire leurs bêtes, le bar dut étancher d'autres soifs!
Pendant l'occupation, les Baillot qui ont vu les bars du bas-Montmartre spoliés de leur comptoir de zinc par l'occupant nazi, s'empressent de dissimuler le leur en le murant derrière une paroi de plâtre.
Le comptoir échappe à la fonte et réapparaît à la Libération, nimbé de son aura de résistant.
C'est lui que nous voyons aujourd'hui au musée de Montmartre!
Le couple Baillot accueillait dans son restaurant le 2ème mardi de chaque mois le dîner du Dernier Carré de Montmartre, des amoureux de la Butte qui essayaient de lutter contre le vandalisme architectural des années d'après-guerre.
La belle cabaretière (Marcel-François Leprin. 1924)
En 1957 le restaurant ferma ses portes et fut transformé en maison d'habitation. Louis Baillot, le fils des restaurateurs qui y avait vu le jour en 1924 y habita et c'est lui qui offrit le fameux comptoir au musée de Montmartre.
Louis Baillot faisait partie de la Société du Vieux Montmartre et se sentait Montmartrois d'âme et de cœur.
L'essentiel de son engagement, résistance, lutte contre la politique coloniale, députation… l'inscrit dans la tradition humaniste et généreuse de la Butte.
Le 14 rue de l'Abreuvoir est bien différent aujourd'hui mais son vieux comptoir de zinc, nostalgique, nous parle encore, à deux cents mètres de là, d'un temps "que les moins de 80 ans ne peuvent pas connaître!"
Chemises blanches, chemises de fête et de noces...
Mais la boue et le sang comme des balafres qui lient les corps des amoureux dans la souffrance et la mort.
L'exposition du peintre bosniaque Safet Zec (né en1943) devenu vénitien rend hommage à deux amoureux fauchés en pleine jeunesse en 1993 à Sarajevo.
Ils sont les Roméo et Juliette victimes d'une guerre non pas entre deux familles mais entre deux "peuples" qui avaient appris avant la folie meurtrière à s'apprécier et à vivre en paix.
Bosko est serbe et chrétien. Sa famille a quitté Sarajevo pour se réfugier à Belgrade mais lui n'a pas voulu fuir. Il est resté parce qu'il aime Admira, bosniaque et musulmane, qui lui rend son amour.
Les deux amoureux devant le danger de plus en plus menaçant et le risque d'être torturés et assassinés par les factions qui n'admettent pas que l'on puisse trahir son camp, décident de partir, de franchir le pont de Vrabna vers la Tchécoslovaquie.
Les soldats serbes et bosniaques les autorisent à passer. Est-ce l'un d'eux, est-ce un sniper? Bosko est abattu le premier, il tombe face contre terre. Admira rampe vers lui et l'enlace avant d'être tuée à son tour. Les amoureux vont rester ainsi une semaine entière, liés l'un à l'autre, avant d'être ramassés et inhumés.
Photo d'Admira et Bosko
Safet Zec qui en 2017 exposait dans la même église de la Piéta sur le quai des Schiavoni, à deux pas de la place Saint-Marc, des toiles racontant le voyage souvent mortel des migrants (Exodus) nous invite cette année à être témoins de l'assassinat des deux amoureux pour qui les luttes politiques et les intransigeances religieuses comptaient peu devant la liberté d'aimer.
S'embrasser, s'enlacer, s'accrocher l'un à l'autre pour ne pas se séparer…
Les toiles nous donnent à voir cette urgence de l'étreinte que la mort n'interrompt pas.
Parfois ce n'est que le jaillissement de la couleur rouge qui nous rappelle que nous sommes devant une étreinte tragique. Un éclat, une zébrure, un trait de feu...
Quelques œuvres évoquent la descente de croix et le corps supplicié reçu par la femme aux bras et au cœur ouverts qui porte l'homme et le tient debout.
Sur d'autres toiles, la couleur du sang n'apparaît pas. Le blanc des linges domine. Linge de linceul ou tumulte des vêtements sous l'urgence des caresses?
Dans la contemplation des œuvres qui sont à leur place dans cette église, le spectateur comprend que si la violence impose sa loi c'est la force inouïe de l'amour qui s'exprime…
C'est bien ce qui domine dans cette exposition, ce sentiment de la vérité des corps qui se tiennent l'un à l'autre face à la barbarie.
"Embraces"
Embrassements c'est le nom de l'exposition qui dans cette biennale 2019 exceptionnelle de Venise fait écho aux ponts construits par Lorenzo Quinn, ces mains qui se réunissent par dessus les eaux vertes.
16 mai. Le dormeur de la Butte. Pelouse du parvis du Sacré-Coeur.
Mai le joli mai… c'est un mois qui se plaît à Montmartre malgré les souvenirs d'abord exaltants puis tragiques de la Commune. C'est la dernière semaine de ce mois printanier qu'eut lieu la Semaine Sanglante dont la Butte a gardé pour toujours mémoire.
17 mai. Solitude… Là où commença l'insurrection der la Commune...
18 mai. Simone et les chats du square Louise Michel.
20 mai. Attente. Rue du Mont-Cenis.
21 mai. Confidences. Square Louise Michel.
22 mai. Prise dans la bulle! Rue du Calvaire.
Le square qui portait le nom de Willette a été rebaptisé et porte désormais celui de Louise Michel.
23 mai. Farniente boulevard de Clichy.
24 mai. Rencontre. Rue Norvins.
25 mai. L'accordéoniste. Place Jean-Baptiste Clément.
Il joue sans doute "le temps des cerises"!
26 mai. La mariée dans les roses. Rue du Cardinal Dubois.
27 mai. La mendiante. rue Azaïs.
28 mai. Pour immortaliser un grand amour. Place du Tertre.
29 mai. Public en herbe pour batterie de cuisine. Square Louise Michel.
30 mai. Devant la fontaine des tritons.
31 mai. Rue du Chevalier de La Barre.
1er juin. D'une main à l'autre. Passe-muraille.
2 juin. Retour à la vie sauvage. Rocailles du square louise Michel.
3 juin. La gym joyeuse. Esplanade du Sacré-Cœur.
4 juin. Deux sans-abris. Square louise Michel
Juin a joué cette année les capricieux. Il a commencé par le soleil puis s'est laissé aller à la pluie...
13 juin. Paris-pluie. Place Saint-Pierre.
14 juin. Différence-Indifférence. Quai de Seine.
J'ai été infidèle à Montmartre pendant plusieurs jours et à mon retour d'Italie, j'ai continué de l'être quelques jours encore pour les quais du bassin de la Villette.
16 juin. Face au canal. Quai de Seine.
17 juin. La balançoire. Jardins Renoir. Rue Cortot.
Et puis.. j'ai retrouvé mes lieux de prédilection, comme les jardins Renoir où l'impressionnisme semble toujours vivant.
18 juin. Baiser mis en scène. Rue Cortot.
19 juin. Accordez accordez donc l'aumône à l'accordéon… rue St-Eleuthère.
21 juin. Lever du soleil vers Clignancourt.
22 juin. Au sommet du monde. Terrasse du Sacré-Coeur.
La chaleur est arrivée soudain. D'abord tolérable puis au fil des jours tyrannique.
23 juin. Lever du jour. 5h30. Rue Muller.
24 juin. Chaleur sur Paris.
25 juin. Montmartre en guerre?
26 juin. La recherche de l'ombre.
27 juin. Conciliabule. Marches du Sacré-Cœur.
28 juin. Sauter à la corde un jour de canicule! Rue Utrillo.
La canicule est si écrasante que je ne sors plus de chez moi. 39° sont prévus aujourd'hui! Pour la dernière photo avant les vacances, je triche un peu avec ces écoliers passant hier devant le Monde en Couleurs rue André Del Sarte.
...Je souhaite à tous de belles vacances en couleurs!
Ninette Aubart (Fannie Brett, "Titanic" de James Cameron)
Dans le cimetière Saint-Vincent (division 13) à quelques mètres du mur qui la sépare de la rue des Saules et du Lapin Agile, une tombe banale laisserait le passant indifférent si n'étaient gravés sur la pierre quelques mots qui intriguent....
Ninette Aubart 1887-1964 - Rescapée du TITANIC
Impossible de ne pas chercher à en savoir plus! Qui est cette Ninette Aubart qui après avoir échappé à la catastrophe est venue s'échouer sur la Butte?
C'est à Montmartre, au Lapin Agile, de l'autre côté du mur, qu'elles'est fait connaître grâce à un physique très parisien, fait de sensualité et de gouaille et une voix spirituelle.
Malgré ses qualités et son talent, elle n'aurait sans doute laissé aucune trace dans la vie montmartroise si elle n'avait embarqué à Cherbourg, le 10 avril 1912 sur le navire dont le nom est resté dans l'histoire.
Elle n'a pas un goût particulier pour la Butte qui à la fin du XIXème siècle est un vaste chantier, entre avenues nouvelles et maquis. Elle préfère habiter dans les beaux quartiers, là où vivent les familles respectables!
C'est à Montmartre pourtant que la chance lui sourit. Elle séduit un Américain fortuné, amoureux de Paris au point d'y avoir acheté un grand appartement et d'y séjourner parfois sous divers prétextes. Il s'agit de Benjamin Guggenheim, homme marié et père de trois filles dont la dernière, Peggy illustrera son nom en devenant une des plus avisées et des plus audacieuses collectionneuses d'art, en même temps qu'un généreux mécène.
Benjamin est à ce point mordu qu'il propose à Ninette de rentrer avec lui aux Etats-Unis. Il a déjà réservé sa cabine sur le Lusitania qui doit quitter Cherbourg au début du mois d'avril 1912
Ninette n'hésite pas un instant et accepte de suivre son amant qui pour lui prouver sa reconnaissance la comble de présents achetés dans les joailleries et les magasins de haute couture.
Dans ses malles, Ninette fait ranger soigneusement par sa femme de chambre, Emma Sägesser, 24 paires de chaussures, 24 robes, plusieurs "jeux" de culottes, des dizaines de pièces de lingerie fine...
Elle n'oublie pas de serrer dans ses coffrets les bijoux offerts par son amant dont les plus beaux sont d'or serti d'émeraudes.
Ninette aime à la folie ces pierres couleur d'eau profonde.
Le Titanic
Les bagages sont prêts, la date se rapproche quand par malheur le départ est différé. Le Lusitania connaît des avaries et doit être inspecté et réparé. Le Carminie est prévu pour le remplacer, mais Benjamin Guggenheim préfère réserver sa cabine de 1ère classe et celle de Ninette sur un autre navire dont tout le monde parle et qui s'apprête à faire sa croisière inaugurale, le TITANIC.
Ninette se réjouit de voyager sur le plus beau bateau du monde, en compagnie de la meilleure société.
Elle y embarque avec Emma Sägesser et s'installe dans la luxueuse cabine B-35.
Pas de suspense! On connaît la suite!
Deux jours plus tard, dans la nuit du 14 avril le TITANIC heurte un iceberg. Ninette qui a ressenti la première secousse l'a jugée sans gravité et est retournée se coucher.
Benjamin la réveille et la conduit ainsi que sa femme de chambre jusqu'aux canots de sauvetage, réservés par priorité aux passagers de 1ère. Il assiste à la mise à l'eau du canot n°9 dans lequel elles ont été hissées.
Il revêt ensuite son plus beau costume et participe à l'organisation des secours. Il trouve le temps d'écrire une lettre à sa femme et de la confier à un steward.
Il ne lui raconte pas d'histoire en lui parlant d'amour éternel, il lui dit simplement qu'il espère avoir fait de son mieux en remplissant son devoir.
Ninette qui a tout perdu et qui plus tard dressera la liste de ses bijoux et de ses vêtements en espérant être indemnisée, assiste à la disparition du TITANIC et de l'homme qui devait changer sa vie.
Une fois débarquée aux Etats-Unis, elle n'a plus rien pour survivre. C'est la femme de Benjamin Guggenheim qui lui paye le billet de retour. Sans doute désire-t-elle l'éloigner au plus vite afin d'empêcher que s'ébruite une liaison qui, dans l'Amérique prude de ce temps, aurait porté préjudice à la réputation morale de son mari.
Ninette Aubart, sans ce naufrage, serait restée une illustre inconnue, une maîtresse parmi d'autres dans la liste d'un amateur de femmes.
Ninette Aubart (Fannie Brett) et Benjamin Gugenheim (Michael Ensign) Titanic de Cameron.
Rescapée du naufrage, elle a vécu en France une vie banale.
Quelques rares photos nous montrent une femme apparemment sans histoire!
45 ans après le naufrage. Ninette joue au bridge.
Ninette Aubart préfère sa Versailles au Titanic!
Elle repose aujourd'hui à quelques mètres du cabaret où elle a été chanteuse, très loin de la fosse marine où a été englouti son célèbre amant dans une eau de la couleur des émeraudes qu'il lui avait offertes.
Il est passé comme une météorite dans le ciel de Montmartre. Nocturne, enflammé, se consumant de sa propre énergie. Il déboule au Chat Noir de Salis en 1881. Huit ans plus tard il meurt après six mois de souffrances à l'hôpital Lariboisière. Il a 34 ans.
Ce qui nous intéresse c'est avant tout son passage à Montmartre mais il faut rappeler sa naissance peu banale. Il arrive en effet dans une famille d'origine écossaise, son arrière-grand père écossais étant venu en France pour être garde du corps du roi Louis XV! On raconte qu'il s'en fallut de peu qu'il ne perdît la tête sur la guillotine.
Petit séminaire de Saint-Mesmin
Il vient au monde un quart d'heure après son frère jumeau Donald.
Il fera ses études au petit Séminaire de Saint-Mesmin. Aristocratie, religion… on ne peut pas dire qu'il sera partie prenante de l'une ou de l'autre! Il est vrai que dans sa famille les idées socialistes et progressistes étaient à l'honneur...
Il a 21 ans quand il arrive à Paris où il trouve un travail pas trop contraignant, celui d'employé de la Poste, ce qui lui donne le temps et surtout la disponibilité intellectuelle pour écrire, dessiner et participer à la vie intellectuelle du quartier latin où il habite d'abord.
Emile Goudeau
C'est là, loin de la Butte qu'il rencontre Emile Goudeau et s'inscrit au Club des Hydropathes en 1878. Grâce à cette rencontre, il change de quartier en 1881 quand Goudeau se laisse convaincre par Rodolphe Salis de le rejoindre au cabaret du Chat Noir qu'il vient de créer à Montmartre.
Sarah Bernhardt au club des Hydropathes
C'est ainsi que Mac Nab devint montmartrois! Lui qui ne manquait pas d'humour, habitué à la fréquentation de Charles Cros ou d'Alphons Allais (tous deux hydropathes) dut s'amuser d'apprendre que le cabaret de Salis s'était ouvert dans un ancien dépôt postal!
Le Chat Noir 84 boulevard de Rochechouart
Ce premier Chat Noir avait pour adresse le 84 boulevard de Rochechouart et son enseigne (aujourd'hui au musée Carnavalet) était l'œuvre de Willette.
L'enseigne de Willette pour le Chat Noir
Aussitôt il obtient un franc succès. Son allure rigide, son côté "croque-mort", son sérieux imperturbable pour débiter des histoires absurdes ou drôlatiques, des poèmes décalés ou provocateurs plaisent au public d'étudiants et d'artistes.
"(…) Qu'il est doux d'être deux! Deux hier, deux demain,
Deux toujours au banquet d'amour et d'harmonie!
S'il est vrai qu'ici-bas on ne puisse être heureux
Sans qu'on se soit donné le plaisir d'être deux,
Il faut bien l'avouer, dans la nature entière
L'être le plus à plaindre est le ver solitaire!"
Mac Nab qui s'exprime avec difficulté dans le quotidien et qui est entravé par un bégaiement dont il n'a jamais pu se débarrasser trouve en public une facilité d'élocution et une liberté qui l'étonnent lui-même.
Place Pigalle
Il apprécie Montmartre et aime se balader dans ses rues avant de rejoindre le Chat Noir :
" Hier soir vers cinq heures, je faisais tranquillement mon tour du Lac. Ce qu'on appelle le Lac à Montmartre, c'est le bassin de la place Pigalle; cet endroit est très fréquenté au moment de l'absinthe."
Le Chat Noir rue Laval (Victor Massé)
Quand Salis, le succès aidant, trouve un lieu plus vaste rue Laval (aujourd'hui rue Victor Massé) pour y installer son Chat Noir, Mac Nab suit le mouvement et poursuit sa carrière de poète-chansonnier, sans souci de carrière ni de fortune car contrairement au refrain de Bruant : "Je cherche fortune tout au long du Chat Noir, et au clair de la lune à Montmartre le soir.." il ne cherche pas à s'enrichir et se fait payer avec les verres qui lui sont offerts pendant toute la soirée!
C'est l'époque la plus créative de sa courte carrière. Il publie ses "Poèmes mobiles" en 1885 qu'il dédie, en termes médiévisant à son hôtesse joueuse :
"A vous très chère et très plaisante araignée qui souvente fois vintes vous esbattre en les régions perturbées de ma folle teste."
Il publie ses "Poèmes Incongrus en 1887 :
"Gloire à ceux qui rient et font rire les autres, ils sont les véritables bienfaiteurs de l'humanité (…)"
La préface a été écrite par Voltaire qui ne manque pas, venu d'outre-tombe de fréquenter le Chat Noir!
L'expulsion
"Les princes c'est pas tout : plus de curés,
Plus de gendarmes ni d'mélétaires!
Plus d'richards à lambris dorés,
Qui boit la sueur des prolétaires!
Qu'on expulse aussi Léon Say
Pour que l'mineur il s'affranchisse,
Enfin que tout le monde soye expulsé,
Il rest'ra plus qu'les anarchisses"
Un de ses plus grand succès lui est assuré par "le grand métingue du métropolitain". Il y met en scène un ouvrier îvre-mort qui est emmené au poste au cours d'une manifestation anti-métro :
"Peuple français la Bastille est détruite
Il y a z'encore des cachots pour tes fils!
Souviens-toi des géants de quarante-huite
Qu'étaient plus grands qu' ceuss' d'aujour d'aujourd'hui
Car c'est toujours l'pauvre ouverrier qui trinque
Même qu'on le fourre au violon pour un rien!
C'était tout de même un bien chouette métingue
Que le métingue du métropolitain!"
Le Chat Noir, extérieur et intérieur.
Evidemment la "présence" physique nous manque qui permet de comprendre le succès du chansonnier. Il gardait un air sinistre en disant des absurdités ou en assénant des images macabres. Sa voix était étrange, à la fois rauque et zézéyante.
Parmi ses textes les plus connus figure "les fœtus" où il donne la parole à ces créatures qui flottent dans des bocaux de formol :
Illustration Henry Gerbault
"(…) Mais que leur bouche ait un rictus,
Que leurs bras soient droits ou tordus,
Comme ils sont mignons ces fœtus!"
...
"Et vous seuls, vous savez, peut-être,
Si c'est le suprême bien-être
Que d'être mort avant de naître!"
De sa vie amoureuse on ne sait pas grand chose sinon qu'il resta célibataire. Un de ses plus étranges poèmes parle des femmes d'une manière qui nous ferait croire qu'il n'aimait pas trop s'y frotter. La ballade des derrières froids nous en donne une idée :
"(…) Aussi quand la luxure ardente, irraisonnée,
Dans les chauds soirs d'automne ou dans la matinée,
Invisible serpent me poursuit et me mord,
Je redoute à l'égal d'une arme empoisonnée
La froideur du derrière, image de la mort."
Un de ses poèmes parle aussi de la tuberculose. C'est la maladie qui s'acharne sur lui et le torture.
Il continue néanmoins d'assurer ses passages au Chat Noir, fiévreux et grelottant...
Il joue les spécialistes en médecine et écrit une "thèse" qu'il présente devant le jury hilare de l'Université de Montmartre. Le sujet en est "le mal de cheveux et la gueule de bois"!
Mais on a beau se moquer de la mort qui guette, on ne joue pas à armes égales. Mac Nab part en 1888 pour Cannes où il est employé des postes à mi-temps. Le climat qu'il espérait bénéfique ne l'est en rien et c'est à Paris, à l'hôpital Lariboisière qu'il passe les derniers mois de sa vie.
Il meurt le matin de Noël 1889...
Son ami Charles Cros imagine la mort dans son poème "le testament" avec des mots qu'on aimerait être ceux de Mac Nab :
Pendant les mois de la biennale, les rencontres les plus surprenantes se font le plus souvent non pas à l'intérieur des murs mais dans la ville même, au hasard des rues et des canaux.
Ainsi dans la petite chapelle de l'ancien hospice Orseolo, la chiesa di San Gallo, non loin de la place Saint-Marc, pouvons-nous rencontrer comme dans une gare d'étranges voyageurs...
Ils sont en mouvement ou ils attendent un train, un ami...
Leurs corps est en partance, déjà ailleurs, déjà dans d'autres histoires, d'autres rencontres.
Leur visage est touché par la lumière dorée tandis que leur corps s'allège, laisse place à l'air, au ciel, à la transparence.
Le passe muraille de Marcel Aymé traversait les murs, eux ils traversent l'atmosphère et, perdant une partie d'eux-mêmes, ils accueillent le regard de l'autre qui les recompose… Ils ont besoin pour se reconstituer de cette complicité.
Ils sont eux-mêmes et ils sont vous. Vous êtes vous mêmes et vous êtes lui ou elle.
Ils sont aussi la menace de disparition, de désintégration. Comment ne pas penser aux bombes qui font des carnages dans les gares? La haine qui désintègre les corps ?
C'est la sourde inquiétude qu'évoquent aussi en nous ces corps incomplets.
Ils sont l'œuvre de Bruno Catalano, sculpteur français né en 1960, qui travaille à Marseille et avait lâché ses voyageurs en bord de mer en 2013 quand Marseille fut capitale européenne de la culture.
Son Van Gogh avait alors impressionné les passants. Quel portrait plus juste peut-on imaginer de ce peintre tourmenté qui avait tant de mal à rester corps et âme à la même place et qui jetait ses forces dans ses toiles, comme si une partie de lui même migrait et laissait le paysage, champs, ciel, cyprès apparaître à travers lui.
Dans la même exposition, d'autres voyageurs regroupés ne présentent pas la même "transparence".
Ils sont en argile. Leur fragilité est là, dans cette matière vulnérable. Comme on dit que l'homme fut pétri avec un peu de terre… et comme on dit qu'il retournera à la terre.
Ces voyageurs dans cette chapelle où les bagages sont entassés au pied des autels, s'ils faisaient quelques pas laisseraient apparaître dans le vide qui les compose la lagune, les monuments, les couleurs de Venise… Ils seraient Venise tout en restant des voyageurs c'est à dire des passants éphémères et menacés.
Arsenal nord d'autres statues font écho à ces voyageurs. Ce sont les visages qui semblent sortis des mers d'Igor Mitoraj…
et l'on pense aux sculptures sauvées de l'oubli par les archéologues, celles qui nous arrivent après des siècles de sommeil et dont notre, imagination doit recréer les membres disparus.
On se rappelle l'évènement que représenta à la biennale de 2017 les deux mains jaillies du canal pour soutenir un palais vénitien et le garder de l'écroulement promis (la ville s'enfonce un peu plus chaque année).
Métaphore impressionnante de la lente destruction de la ville glorieuse et fragile, victime de l'appât du gain qui la livre aux croisiéristes, aux monstrueux navires qui la traversent en polluant, en envoyant contre les fondations des ondes de mort tandis qu'alignés avec caméras et smartphones, les touristes participent conscients ou non à ce viol.
L'œuvre était de Lorenzo Quinn (ancien acteur et fils d'Anthony Quinn) qui cette année, alors que tous les signaux sont au rouge, a préféré nous délivrer un message d'espoir.
Le vaporetto poussif qui nous conduit de l'aéroport au centre de Venise passe au large de l'Arsenal.. et nous permet d'apercevoir sur un bassin entre les murs de briques des mains se rejoignant au-dessus de l'eau. Une "vision" assez forte et onirique pour nous donner l'envie le lendemain d'y aller voir de plus près...
Avant de traverser le canal avec la navette...
Après avoir traversé la biennale nous arrivons, arsenal nord, à un endroit où une navette nous permet de franchir le canal...
… et d'arriver devant les "ponts" de Lorenzo Quinn. "Building Bridges". "Construire des Ponts"...
Ces bras et ces mains sont blancs comme le marbre de Venise, comme les statues. Nulle indication de race ou de sexe, elles sont les mains de l'humanité qui vit sur une seule et même planète.
Chaque "pont" s'élève à une hauteur de 15 mètres sur une largeur de 20 mètres. Les mains se rejoignent au-dessus de l'eau, d'un quai à l'autre… on aimerait dire d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre, au-dessus des murs et des frontières.
L'amitié
Le premier pont est celui de l'amitié. Paume contre paume, il s'agit d'une adhésion de l'un à l'autre, sans brutalité mais avec un grand respect, une grande sensibilité.
La foi
Le deuxième pont est celui de la foi. Non pas la foi aveugle dans une divinité monothéiste mais la confiance totale de l'enfant qui se laisse guider par ses parents. Une main plus petite saisit un doigt de la main plus grande comme font les tout petits quand pour marcher ils on besoin de se tenir à l'autre pour ne pas tomber.
Le troisième pont symbolise l'aide. Appeler au secours et trouver une main pour vous sauver… Le pont prend un sens particulier dans cette Italie où tant de migrants ont tenté de venir au risque de leur vie et où les mains secourables les ont parfois sauvés.
Le quatrième pont c'est l'amour. Les doigts s'entrecroisent pour former un lien solide. Ils évoquent les corps qui s'unissent, le miracle de ne faire plus qu'un.
Le cinquième pont c'est l'espoir. Les doigts s'entrelacent et forment comme "la cathédrale" de Rodin une voûte qui s'élève dans le ciel. Une fois encore il ne s'agit pas de "l'espérance" en un au-delà idéal, mais de "l'espoir" en un ici-bas meilleur et plus juste.
Le dernier pont est celui de la sagesse. Une main de vieille femme (la belle-mère du sculpteur a servi de modèle) et une main plus jeune symbolisent la transmission de la connaissance et de la tolérance. La connexion se fait "du bout des doigts" c'est à dire en douceur.
On se prend à rêver devant ces ponts, dans la ville qui en compte tant, d'un avenir d'échanges et de paix :
Un jour viendra, couleur d'orange
Un jour d'épaules nues
Où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche!