La dernière maison de Jean Baptiste Clément.
Pour l'anniversaire de la Semaine Sanglante, je republie cet article consacré à ce héros de la Commune, humaniste et poète.
Il est l'un des plus montmartrois des Montmartrois.
Il a donné à la Butte son hymne amoureux et tragique.
Pour l'éternité (aussi longtemps qu'elle durera) il chantera le Temps des Cerises, le temps de la Commune, de la jeunesse...
Comment une chanson d'amour écrite plusieurs années avant la Commune a t-elle pu s'imposer comme un étendard du rêve assassiné?
Les poètes ne sont-ils pas prophètes?
Clément fut un piéton de Montmartre, un inlassable arpenteur de la Butte et l'on sera à peine surpris qu'il y ait habité en 12 endroits différents...
12 adresses qui offriront à ses admirateurs l'occasion d'une balade nostalgique et rêveuse d'une rue à l'autre...
Il n'a jamais été un poulbot du village puisqu'il passa son enfance à Montfermeil où son père avait un moulin.
Etrange coïncidence que ces moulins qui jalonnent sa vie! Moulin de son père, moulin de ses grands-parents à l'Isle Saint-Denis, moulins de la rue Lepic!
Il a 24 ans quand il arrive sur la Butte, l'année où Montmartre est rattaché à Paris en 1860.
Il a pour premier domicile le 3 de la rue du Télégraphe. Une rue qui aujourd'hui porte le nom de son inventeur : Chappe.
Aujourd'hui la numérotation de la rue passe du 1 au 5, en sautant par-dessus le 3 dont il ne reste que des traces de l'ancienne entrée.
Le fantôme de Clément se fera passe-muraille pour y pénétrer!
Il n'y demeure qu'une année avant de trouver refuge chez son oncle, Christian Poullain
qui habite passage de l'Arcade, aujourd'hui passage des Abbesses.
Lui qui aime la liberté, malgré la gentillesse de son oncle, préfère s'échapper du Passage pour aller habiter rue Véron au 15.
Il aime rencontrer les journalistes qui écrivent pour des journaux socialistes, avec une prédilection pour "le Cri du Peuple" de Vallès. Lui-même écrit des articles dans quelques uns de ces journaux étroitement surveillés.
Nous sommes en 1862.
Il quitte la rue Véron pour trouver refuge dans le vieux Montmartre et ses maisons modestes encore debout, rue Saint-Vincent.
Près de la maison de Berlioz, jouxtant le Carmel, la petite maison du village a disparu comme toutes celles de la rue qui est devenue triste et sans style.
C'est un des endroits de Montmartre les plus saccagés et définitivement enlaidis. Un complexe touristique va s'élever bientôt entre le 3 et le 7 de la rue St-Vincent.
Le cerisier du jardin de Berlioz n'est pas près de refleurir!
Il fait un voyage en Belgique et passe par un village de l'Oise, Conchy les Pots, aujourd'hui Conchy Saint-Nicaise. C'est là que faisant escale, il se repose dans un jardin planté de cerisiers où il écrit son poème "Le Temps des Cerises".
De retour de son voyage, Clément quitte le vieux Montmartre pour habiter dans une ruelle du bas-Montmartre qui donne aujourd'hui sur l'avenue de Clichy, la Cité du Midi, au 10.
C'est pendant les années où il vit dans cette impasse qu'il est poursuivi pour ses chroniques qu'il appelle "Carmagnoles" publiées dans le journal La Réforme. Il est condamné pour injure envers l'Empereur et appel à la haine et au soulèvement et emprisonné à Sainte-Pélagie.
Il est libéré le 4 septembre 1870, jour de l'insurrection républicaine.
En 1871 il s'engage de toute sa foi républicaine dans la Commune. Il est élu dans le XVIIIème arrondissement et pendant la Semaine Sanglante, il risque sa vie avec le peuple de Paris sur les barricades.
Après l'écrasement de la Commune, il est condamné à la déportation.
Il quitte alors la Cité du Midi pour se réfugier en Angleterre.
Il écrit alors un de ses textes les plus connus : La Semaine Sanglante
.
Sauf des mouchards et des gendarmes
On ne voit plus par les chemins
Que des vieillards tristes en larmes
Des veuves et des orphelins
Paris suinte la misère
Les heureux même sont tremblants
La mode est aux conseils de guerre
Et les pavés sont tout sanglants
.
Grâce à l'amnistie de 1880, il peut revenir à Montmartre où il habite quelques mois rue Constance, au 7.
... Puis rue Ganneron, au 12, chez sa tante Louise. La rue conduit au cimetière Montmartre qu'elle longe sur une bonne partie. Mais c'est au Père Lachaise que sont inhumés de nombreux communards et non dans ce cimetière Montmartre...
C'est alors qu'il reprend ses poèmes qu'il groupe dans un recueil. Il dédie "le Temps des Cerises" à une infirmière:
"A la vaillante citoyenne Louise, l'ambulancière de la rue Fontaine au Roi le 28 mai 1871..."
La barricade de la rue de la Fontaine au Roi est une des dernières et des plus héroïques de la Commune. Clément s'y bat aux côtés de Varlin et de Théo Ferré. Il voit arriver une jeune infirmière d'une vingtaine d'années. Il tente de la dissuader de rester là, le dénouement étant annoncé et tragique. Elle reste. Clément se souvient qu'elle fut courageuse et s'occupa des premiers blessés.
Il ne la revit pas.
"Qu'est-elle devenue? A-t-elle été avec tant d'autres fusillée par les Versaillais?
N'était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson?..."
Et l'on comprend pourquoi le Temps des Cerises est associé à la Commune et à la Semaine Sanglante.
Le mois de mai, saison des cerises
Les fruits tombant en gouttes de sang...
L'amour perdu et le rêve massacré partagent les mêmes images et la même mélancolie.
"J'aimerai toujours le temps des cerises :
C'est de ce temps-là que je garde au coeur
Une plaie ouverte!
Et Dame Fortune en m'étant offerte,
Ne pourra jamais fermer ma douleur,
J'aimerai toujours le temps des cerises
et le souvenir que je garde au cœur!"
La vie continue et les pérégrinations de Jean Baptiste dans les rues de Montmartre aussi...
En 1885, année où il fonde la fédération socialiste des Ardennes, il commence l'ascension de la rue Lepic et "s'installe" au 53 où il reste deux ans...
En 1887 le voilà rue Androuet, au 7, dans cette petite rue montagnarde qui accueille sur ses murs des artistes de rue....
Trois ans plus tard, il redescend vers Pigalle et la rue Germain Pilon, au 14.
... Il y reste quelques mois et lui préfère bientôt la rue des Abbesses (45) encore populaire à cette époque et dont la vieille mairie qui joua un rôle central pendant la Commune est encore debout pour peu de temps...
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... et puisqu'il faut bien que tout s'arrête un jour, il ne reste à Clément qu'une dernière adresse montmartroise, la plus durable, celle qui méritera une plaque commémorative alors qu'aucune autre n'aura eu cet honneur!
Nous sommes au 110 rue Lepic, presque au sommet de la Butte.
La plaque posée par les Amis du Vieux Montmartre se trompe de quelques années car c'est de 1892 à 1903 (date de sa mort) et non de 1885 à 1903 qu'il y vécut.
La plaque qui n'est pas à une erreur près prétend qu'il a été maire de Montmartre, ce qui est faux.... archi faux!
Enfin, elle colle un trait d'union entre Jean et Baptiste, ce qui est encore une erreur puisque les parents du petit n'en mirent pas afin de le distinguer de son père qui avait le même prénom!
Mêmes erreurs sur la plaque! Il ne fut jamais maire de Montmartre! Il n'eut jamais de trait d'union!
La place qui commence là, entre les rues Ravignan et Lepic, porte (avec les mêmes erreurs) le nom du combattant poète, ou du poète combattant....
En cet endroit où Montmartre rêva de fraternité et de justice et où les balles des Versaillais étoilèrent de sang les révoltés.
Jean baptiste Clément veille pour toujours (le toujours relatif de notre humanité) en Haut de la Butte.
Il guette le retour du Temps des Cerises....
Je tiens à remercier André Roussard pour son travail minutieux et exigent sur les Montmartrois, sur les lieux, sur les peintres... Trois livres qui sont pour les amoureux de la Butte et les chercheurs une véritable Bible (plus utile que celle qui est psalmodiée dans le Sacré-Cœur!)
La visite de sa galerie, rue du Mont-Cenis, est un plaisir car les toiles exposées sont souvent intéressantes. Vous pourrez par la même occasion vous procurer ces livres qui font référence.