C'est un coin pittoresque, mi provincial mi londonien, qui se greffe sue l'avenue Junot, à l'emplacement du Maquis misérable et mythique....
Il y eut à son emplacement, au temps où la Butte était une campagne offerte aux vents venus de la plaine, un moulin (le 11ème à Montmartre), construit en 1724 par Nicolas Ménessier, meunier des Batignolles, déjà propriétaire du Boute à Fin, le futur Blute Fin.
Ce moulin fut appelé Moulin des prés, environné qu'il était de terrains herbeux où l'on menait paître quelques vaches. Il était appelé plus communément par les villageois, Moulin de la béquille.
La béquille est une perche de bois fixée sur le corps du moulin qui permettait de le faire pivoter et de l'orienter en fonction des vents.
Ce moulin, exploité entre 1780 et 1793 par un membre de la célèbre famille des meuniers de Montmartre, Pierre-Charles Debray, cessa d'être exploité au XIXème siècle. Il se dégrada peu à peu avant d'être détruit.
Les terrains vagues où il s'élevait furent rendus aux herbes folles et bien qu'incertains à cause des carrières qui provoquèrent quelques effondrements, se recouvrirent de bicoques hétéroclites peuplés par les pauvres gens et les marginaux du Maquis.
Il faut attendre l'expulsion des maquisards et le lotissement excessif de la Butte pour voir se construire en 1926 des maisons et de petits immeubles sur ce terrain qui reçoit alors le nom de "villa Junot".
Il s'agit en fait d'une impasse qui se haussant du col, se baptisa Villa !
En 1936, la courte artère (69 mètres de long) changea de nom et abandonna Junot au profit de Léandre.
Elle rendait hommage à Charles Léandre, dessinateur, caricaturiste et peintre, né en1862 et mort en 1934, deux ans avant que l'on ne donne son nom à la Villa.
Cet artiste, connu aujourd'hui surtout pour ses caricatures (dans le chat noir, le Rire, le Figaro...) bien que normand, a vécu toute sa vie de peintre à Montmartre. Rue Cauchois où il fréquenta l'atelier d'Emile Bin, rue Houdon, rue Lepic où il eut son premier atelier, rue Caulaincourt enfin, adresse de son dernier atelier dans lequel il rendit l'âme, à deux cents mètres de l'impasse qui porte aujourd'hui son nom.
Une de ses caricatures les plus célèbres et les plus utilisées par les antisémites reste celle de Rotschild. Tous les poncifs du racisme le plus nauséabond y sont rassemblés.
Il fit partie des anti dreyfusards (bien qu'il caricaturât également Drumont en ogre dévoreur de Juifs) . Il représenta Zola en tâcheron gâteux, occupé à faire des gribouillis sur un rouleau.
Il est plus inspiré quand il ne prétend pas délivrer des messages politiques douteux. Ses tableaux nostalgiques sont souvent empreints de poésie, bien qu'ils soient indifférents aux grands courants picturaux qui révolutionnaient la peinture, sur cette Butte où il habitait pourtant.
La petite voie qui rappelle son existence et son œuvre est composée, côté pair, de maisonnettes serrées les unes contre les autres pour faire face aux armées de touristes qui les mitraillent, et côté impair, de petits immeubles. L'ensemble est classé, plus pour l'originalité du site que pour la valeur architecturale des bâtiments.
Côté pair, le 2 aurait été habité par Richard Berry. Dans ce quartier, les acteurs célèbres vont et viennent. Parfois ils s'installent vraiment et deviennent Montmartrois. Les gens du quartier respectent alors leur tranquillité et se contentent de les saluer.
On évoque parfois parmi les habitants temporaires célèbres, Jacques Jouanneau ou Olivier Sitruk.
Le 4 villa Léandre
Le 6 villa Léandre
Les 8 et 8 bis Villa Léandre
Le 8 bis est le numéro le plus "historique" de l'impasse. Les beaux parents de Roger Vailland y habitaient et c'est chez eux que l'écrivain-résistant eut son port d'attache parisien de 1934 à la fin de la guerre.
C'est aussi à cette adresse que Roman Czerniawski, alias Armand Borni, alors qu'une petite réception était donnée pour fêter le 1er anniversaire du réseau Interralié dont il était chef, fut arrêté ainsi que Renée Borni qui lui avait donné les papiers d'identité de son défunt mari.
Sur les indications de Renée, les agents de l'Abwher arrêteront également Mathilde Carré, la fameuse "chatte" qui habitait rue Cortot.
Les 10 et 10 bis villa Léandre
Le 10 fait un clin d'œil au 10 Downing Street, demeure du 1er ministre du Royaume Uni.
Ce qui ne séduisit guère Juliette Gréco qui reçut en cadeau se son mari Michel Piccoli cette maison qui ne lui plut pas et où elle ne vécut jamais, Montmartre étant trop éloigné de St Germain des prés!
Le 12 villa Léandre
Le 14 villa Léandre
Un beau chat y faisait les yeux craintifs et charmeurs. L'impasse est un paradis pour les petits félins qui se souviennent par delà les générations de leur grand ami Steinlen, le peintre amoureux des chats dont le Cat's Cottage était stué un peu plus bas, rue Caulaincourt.
Le 16 villa Léandre.
C'est la maison qui ressemble le plus à une villa balnéaire, avec ses volets bleus.
Au fond de l'impasse nous trouvons les numéros impairs.
Les 15 et 17, sur la ligne de crête où se construisaient les moulins, sont à l'emplacement du moulin de la béquille.
Le 13 a un certain style.
Un chat est perché au-dessus de l'entrée...
... Et quelques décors de céramique et de terre cuite l'agrémentent.
Le 11 villa Léandre.
Le 9 villa Léandre.
Le 7 villa Léandre.
Les autres petits immeubles déclinent à leur manière modeste les codes de l'architecture post art déco. Ils sont à taille humaine, ce qui permet au chien court sur pattes de passer en confiance à leur pied!
Au moment de quitter l'impasse, je remarque un détail qui m'avait échappé au moment d'y entrer....
Montmartre garde son sens de l'humour...
... et de l'ironie, car il ne doit pas être trop crucifiant d'habiter une telle impasse!