C'est un des tableaux les plus célèbres de la Renaissance, emblématique de l'Ecole de Fontainebleau. Il est une source inépuisable de rêverie, de fantasmes, de questions...
Et une fois qu'on en a donné une explication rationnelle, il garde toute son étrangeté.
A gauche la duchesse de Villars, Julienne d'Estrées, pince le téton de sa soeur Gabrielle. La "belle Gabrielle" est la favorite du roi Henri IV depuis 1591 (le tableau est peint en 1594) et elle attend un premier enfant de lui. On la voit dans sa baignoire de cuivre recouverte d'un drap comme on le faisait alors pour éviter tout contact du corps avec le métal.
La duchesse prend délicatement entre pouce et index le téton gonflé de sa soeur qui attend un enfant.
Ces doigts qui enserrent avec tendresse le téton donnent à la scène sa force troublante. Ils évoquent ceux de l'amant, de l'amoureux des femmes qui connaît la douceur et la délicatesse de ce bourgeon de chair.
Gabrielle tient avec la même délicatesse une bague. Main de la femme, main de l'amante qui elle aussi connaît la sensibilité de son amant dont elle effleure et touche la "bague" du sexe.
Henri IV en Mars (Jacob Bunel. 1605). Tableau peint pour la Galerie de Diane à Fontainebleau. Allusion à peine voilée dans la main droite du sexe royal!
Cette bague a une histoire et rappelle la quasi royauté de la favorite. C'est un cadeau du roi qui désirait l'épouser et en était empêché par l'impossible répudiation de la reine officielle, Marguerite de Valois avec laquelle il ne vivait plus depuis des années.
En février 1599, cinq ans après ce tableau et comme pour en réaliser la prédiction, le roi, lors d'un bal donné au Louvre annonce son intention de passer outre aux obstacles dressés par la reine et par le pape. Il offre à Gabrielle l'anneau du sacre. Une fois de plus l'art devance la réalité!
Ce que n'annoncent pas les corps gracieux et clairs, les chairs épanouies, la sérénité des visages, c'est que six semaines après le bal du Louvre, la belle Gabrielle, enceinte d'un quatrième enfant est emportée par une apoplexie foudroyante. Son agonie est épouvantable. Son beau visage convulsé noircit, au point que les rares témoins diront qu'elle a été étranglée par le diable.
Le roi ne se remettra pas de cette mort. Alors qu'il lui était interdit comme à tous les rois de France, de porter le deuil, il s'habille de noir. Il dit "la racine de mon coeur est morte". Il ajoute qu'elle ne "rejettera pas", c'est à dire qu'elle ne donnera aucun rejet, aucun espoir de renaissance. Ce roi galant et amateur de femmes est aussi un grand amoureux, fidèle à celle qu'il aime passionnément depuis des années.
Le tableau se présente comme une scène théatrale. Les rideaux rouges s'écartent et les deux stars apparaissent dans le plus simple appareil, avec un naturel étonnant. Elles sont nues et elles sont belles. Peu importe l'avis des grincheux! Elles se savent regardées et n'en éprouvent aucune gêne, leur regard est tourné vers le spectateur qui entre dans la pièce intime. Un instant nous sommes nous-mêmes, devant le tableau, le roi qui regarde, ému, la beauté de ces corps.
Dans la perspective une couturière est penchée sur son ouvrage, sans doute un vêtement destiné à l'enfant qui va naître. Au-dessus de la cheminée, un tableau nous laisse entrevoir les jambes écartées d'un homme dont le sexe est recouvert d'un tissu rouge. Allusion au royal amant censé cacher sa relation!
Ce qui frappe dans cette scène, c'est la sensualité et l'élégance. Un équilibre entre hiératisme quasi religieux et érotisme. Les deux femmes sont droites, leur port de tête élancé évoque les tableaux de la Vierge.
La nudité et le gonflement des seins n'est pas sans rappeler l'Agnès Sorel de Fouquet.
La rencontre de la théâtralité de la scène, des échos mystiques et de la nudité charnelle est sans doute la source de la fascination qu'exerce cette oeuvre.
Le tableau s'inspire d'une oeuvre de Clouet fort connue, représentant Diane de Poitiers.
On y voit Diane au premier plan, la main droite posée sur une planche recouverte d'une toile chargée de fruits et de bijoux. Cette habitude de tendre une toile sur la table avant d'y disposer les parfums, les brosses et les bijoux, a donné en français le mot "toilette".
En perspective une solide nourrice donne le sein à un poupon, tandis qu'un enfant la main sur le rebord de la baignoire louche vers la coupe de fruits et tend la main vers une grappe de raisin. Toujours dans la perspective, comme sur la toile qui nous intéresse, on voit une servante devant une cheminée.
Le tableau de Clouet est quasiment copié en 1596, Diane étant remplacée par Gabrielle. Le garconnet gourmand et chapardeur serait alors César, l'enfant annoncé dans le premier tableau. Le poupon dans les bras de la nourrice serait Catherine Henriette, soeur de César.
Le thème est souvent traité par les peintres de Fontainebleau. On en voit ici une autre version. On reconnaît le même geste de la main dont les doigts tiennent une bague. En perspective une servante est penchée sur un coffre. La nudité de la femme est pudiquement recouverte d'un voile transparent comme on le devine sur le tableau précédent.
Il existe au musée de Lyon un 3ème tableau de Gabrielle au bain. L'attitude des jeunes femmes est différente. Julienne ne touche plus sa soeur. Il n'est pas nécessaire de vérifier si elle attend un enfant puisque le rejeton est né. On le voit dans les bras de la nourrice. Le sein de sa mère s'est donc gonflé de lait pour rien! A moins que le royal amant n'en ait profité. Le collier de perles rares est sans doute un cadeau du roi reconnaissant à sa maîtresse de lui avoir donné un garçon.
Ce tableau qui ne manque ni d'élégance ni d'étrangeté a cependant moins de mystère, moins de magie que le premier, celui qui est exposé aujourd'hui au Louvre, là où le roi Henri un soir de février eut l'audace d'annoncer son mariage avec son amoureuse peu de temps avant que sa beauté ne fût saccagée par la souffrance et anéantie par la mort.
Le peintre qui a réalisé cette oeuvre ne l'a pas signée. Il est un des anonymes les plus célèbres de la longue histoire de la peinture!
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Comme la Joconde, comme beaucoup d'oeuvres célèbres, le tableau se prête à la parodie et à la caricature. Il est particuliérement parodié dans le monde gay. On peut s'en amuser avant de revenir à l'original et à sa trouble sensualité.
Eleazar
A la manière de Gabrielle d'Estrées. Qiu Mei Xian
Harald
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Nils and Phil. Polaroïd. Bertrand David.
Francesco Marero
François et Jean-François par Large
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Liens tableaux célèbres :
Chagall. Abraham et les Anges. L'hospitalité.
Camille Bombois. La femme. (II)
Fontevraud. Fresques de Thomas Pot.
Tombeau d'Agnès Sorel. Loches.
Gustave Moreau. Le christ et les deux larrons.
Gustave Moreau. La Vie de l'Humanité.
Gustave Moreau. Jupiter et Sémélé.
Gustave Moreau. Prométhée foudroyé.
Lautrec. CHA-U-KAO la clownesse.
Lautrec. André Gill. Le Lapin agile.
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