Quand on s'appelle Adolphe, il vaut mieux ne pas faire de politique. C'est un prénom dangereux.
Willette (1857-1926) n'a pas écouté ce conseil et sa candidature aux élections législatives de 1889 comme unique candidat sur la liste antisémite a
jeté une ombre sur toute son oeuvre et a conduit le Conseil de Paris à débaptiser en 2004 le square du Sacré Coeur qui portait son nom pour le remplacer par celui de la Vierge Rouge, l'héroïne
montmartroise de la Commune : Louise Michel.
Ce seul tract explique pourquoi Willette mérite le désamour que Montmartre lui porte. Montmartre c'est la liberté, la générosité, les bras ouverts. Tant
d'artistes ici sont venus chercher la tolérance et l'inspiration, tant d'artistes venus de divers horizons que le racisme y semble plus qu'ailleurs insupportable....
Et poutant Sans oublier ce triste aspect du personnage, aspect si répandu dans notre beau pays dans les années qui précèdent l'Affaire Dreyfus, il est
normal de s'intéresser un peu à ce personnage qui laissa son empreinte dans notre quartier et décora quelques uns des cabarets les plus prestigieux.
Le petit immeuble du 20 rue Véron, à côté de l'hôtel de
Clermont.
C'est en 1882 qu'il s'installe à Montmartre, au 20 rue Véron. Au temps de l'impressionnisme, il ne montre aucun goût pour ce courant qu'il juge vulgaire et
il peint de façon très classique avec une palette sans éclats.
Willette vu par marcellin Desboutin (avec allusion au Chat Noir).
Il obtient cependant un franc succès avec son Pierrot et sa Colombine, au point qu'on le représentera lui-même dans ce costume et qu'il écrira ses mémoires
sous le titre de Feu Pierrot.
Willette . Parce Domine (1884). Peint pour le Chat Noir et aujourd'hui au Musée de Montmartre.
Il participe avec Salis et Goudeau à la création du Chat Noir, boulevard de Rochechouart. C'est pour ce cabaret qu'il peint son oeuvre la plus célèbre :
Parce Domine.
L'immense toile qu'on peut admirer dans la première salle du Musée du Vieux montmartre, rue Cortot, reprend les premiers mots d'un cantique qui énumère les
péchés humains et la luxure avant d'implorer le pardon divin. Et c'est cette toile qui orna le Cabaret où le tout Paris venait boire et s'amuser!
Alors que le moulin tourne avec ses ailes transformées en portées musicales, la foule frénétique des vices accompagne Pierrot vers la
mort...
Bloy écrit à propos de cette oeuvre :
"Une nuit claire et neigeuse. Un moulin aux ailes immenses, le moulin solitaire et mélancolique de l'espérance des poètes, qui tourne toujours à vide et
qui n'a jamais le plus petit grain de bonheur à moudre pour les affamés..."
Willette décore de nombreux cabarets de la Butte comme La Cigale, le hall du Bal Tabarin et Le Moulin Rouge dont il dessine le
célèbre moulin.
Il dessine également des vitraux...
Il crée une revue : Le Pierrot (1888-1891)
La page de couverture ci-dessus illustre une chanson de Béranger, misogyne et assez lourde :
Gai! gai! De profundis.
Ma femme a rendu l'âme!
Faut-il la pleurer?
Non, non, j'aime mieux la suivre
Pour la voir
enterrer!
Il crée également La Vache Enragée (1896-1897) et il participe à l'organisation du 1er défilé carnavalesque de Montmartre en 1896 : La promenade de
la Vache Enragée dont il sera l'organisateur l'année suivante et qui deviendra la Vachalcade...
Quand en 1891, Jean-Baptiste Clément, l'auteur du Temps des Cerises, délégué du parti ouvrier socialiste révolutionnaire, est condamné à deux ans
de prison et cinq ans d'interdiction de séjour, Willette prend parti pour son ami et publie un dessin où l'on voit la Liberté sous les traits d'une jeune fille, encadrée par des gendarmes qui ont
confisqué son panier de cerises.
Willette ajoute un couplet à la chanson :
Quand il reviendra le temps des cerises
Pandores idiots, magistrats moqueurs
Seront tous en fête
Les bourgeois
auront la folie en tête
A l'ombre seront poètes chanteurs
Mais quand reviendra le temps des cerises
Siffleront plus haut chassepots vengeurs

Affiche pour l'arbre de Noël au dispensaire des Petits
Poulbots.
En 1920, avec Forain et Poulbot, Willette fait partie des fondateurs de la République de Montmartre dont il sera le premier président.
Il participe activement avec son ami Poulbot à la création du dispensaire des Petits Poulbots dont il pose la première pierre en 1923, rue Lepic, à
l'emplacement d'un ancien poulailler...
Evidemment on peut penser à Louis Ferdinand Céline, écrivain génial et antisémite déchaîné dont on cite le dévouement auprès des malades sans
argent...
Willette, le génie en moins, a lui aussi donné de son temps et de son argent à l'assistance des malheureux... mais cette "charité" ne saurait absoudre ni
l'écrivain ni le dessinateur.
Willette a été fêté et reconnu. La République qu'il avait si souvent caricaturée lui a accordé la légion
d'honneur...
Mais aujourd'hui pèse sur cet homme qui se revendiquait chrétien la tache ineffaçable du racisme, cette tache qui allait recouvrir la France de lèpre,
quelques années plus tard.
Couverture de Willette pour le Rire Rouge
(nom que prend l'hebdomadaire humoristique le Rire pendant la guerre, pour montrer la
determination des combattants prêts à verser leur sang ou à faire couler celui des ennemis!)
Son oeuvre, si l'on excepte ses affiches, est plus noire que rouge. Pierrot y est souvent associé à la mort; le pouvoir y est
dénoncé pour ses exactions et ses injustices... Elle est sous son apparente légèreté, annonciatrices de temps tragiques.
Square Louise Michel. Ancien Square Willette.
Willette meurt en 1926. Le jardin du Sacré Coeur lui rend hommage en portant son nom... jusqu'en 2004 où le nom s'efface...
Square Louise Michel...
Et pourtant Willette a participé à la légende de la Butte en dessinant au clair de lune des personnages simples et poétiques, des pierrots sans le sou, des
midinettes...
Son engagement politique criminel fait oublier ses qualités et j'espère que mon poète préféré, mon grand homme, Guillaume Apollinaire, ignorait cet aspect
de Willette lorsqu'il écrivait à son sujet :
"L'on devrait donner le prix Nobel de la paix à cet artiste qui a fait presque autant de dessins contre la guerre que contre l'hypocrisie de ceux qui
détestent la beauté."
Couverture de La Baïonnette (hebdomadaire satirique qui paraît pendant la guerre), illustrée par Willette.
Liens
Liste et
liens: Peintres et personnages de Montmartre. Classement alphabetique.
Montmartre. Eugénie Buffet.
Montmartre. Le Bal Tabarin.
Montmartre. Marcel Legay.
Ecoute ô mon coeur
Montmartre. Cabaret. L'Enfer.
Montmartre. Cabaret Le Ciel.
Montmartre. Le cabaret du Néant.
Montmartre. Rue du Mont Cenis. Maison de
Berlioz.
Le cirque Médrano. Boulevard de
Rochechouart.
Montmartre. Musée de
l'Erotisme. Jean-Marc Laroche.
Poulbot. Panneaux de Faïence. Rue
Damrémont. Montmartre.
Montmartre. Moulin de la Galette.
Histoire. peintres.
Montmartre. La Goulue et Toulouse
Lautrec.
Montmartre: Jane Avril, Toulouse
Lautrec.
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