Donnant en partie sur la rue de Douai (22) et en partie rue Fontaine (26) un remarquable hôtel particulier développe sa façade à la fois rigoureuse et gaie.
C'est l'Hôtel Halévy où vécut après son mariage avec Geneviève Halévy, Georges Bizet.
Il a trente ans lorsqu'il se marie et c'est six ans plus tard qu'il meurt, durement atteint par l'échec de l'œuvre qu'il avait composée en grande partie dans son appartement du 2ème étage de cet hôtel : Carmen.
Aujourd'hui, au rez de chaussée de l'immeuble classé, un café porte le nom de l'opéra le plus joué au monde.
Il a gardé son luxueux décor fin de siècle,
Au 27, vécut quelques années d'exil et mourut le 14 juillet 1850 José Maria Luis Mora.
Il est considéré comme un des théoriciens du libéralisme mexicain mais est surtout connu aujourd'hui pour son travail d'historien, rédigé en grande partie rue Fontaine.
Cet homme qui fut prêtre, fut aussi un fervent défenseur de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Avec le 28, nous restons en Amérique latine puisqu'il y eut à cette adresse, en 1867 la Légation du Venezuela.
C'est encore au 28 (avec entrée rue Fromentin) que Julian, créateur de l'Académie qui porte son nom, ouvrit un de ses six ateliers parisiens.
L'Académie Julian est entrée dans l'histoire de la peinture car elle reçut de nombreux élèves qui devinrent célèbres (Dubuffet, Duchamp, Vuillard, Villon, Matisse...).
Elle fut aussi l'une des premières à accepter les femmes qui formaient des groupes distincts et avaient la possibilité de peindre des hommes presque nus! (Les hommes pouvaient peindre des femmes en tenue d'Eve mais les femmes devaient se contenter de mâles en caleçon!)
(Certains sites donnent le 37 comme adresse de l'atelier Julian mais il semble que ce soit une erreur.)
Le 30 est un des plus beaux immeubles de la rue. Il est témoin du développement de ce quartier de la Nouvelle Athènes qui attire les promoteurs pendant le 2nd Empire et la fin de siècle.
Le 31 abrita la maison Tasset et Lhote, célèbre fabricant de couleurs fines et de toiles à peindre appréciées de Van Gogh ou Degas qui s'y fournirent souvent, Degas en voisin, Van Gogh lorsqu'il habita chez Théo, rue Lepic et après son déménagement pour Arles.
Le 36 est un bâtiment classé. Il est resté tel qu'il a été construit sous Louis Philippe.
L'hôtel particulier en retrait sur la rue a gardé son décor de stucs et ses ferronneries. Il évoque les fêtes et les lorettes de la Nouvelle Athènes...
Dans cette rue où vécurent tant de peintres, pas étonnant de trouver au 38 bis un immeuble où séjourna quelque temps Camille Pissarro qui préféra cependant les bords de l'Oise à la ville dont il fit peu de tableaux.
Le 42 est une adresse connue de tous les passionnés de littérature et notamment de surréalisme.
De 1922 à 1966, André Breton y habita et y eut son atelier.
Au fond de la cour, escalier B, 4ème étage, il écrivit, il reçut peintres et poètes.
Nadja, un de ses chefs d'œuvre raconte sa liaison avec la jeune femme étrange qui habitait à Montmartre, rue Becquerel.
Si Breton est le plus célèbre occupant de ce 42, il n'est pas le seul.
Le peintre Henry Bonnefoy (1839-1917) y avait son atelier. Né à Boulogne (sur mer) et mort à Boulogne (Billancourt) ce peintre, après avoir peint la Provence et l'Algérie, retrouva le goût des paysages du Nord auxquels il consacra les dernières années de sa vie.
Mais ce n'est pas tout... Le 42 est décidément un lieu aimé des muses car un autre peintre impressionniste, très lié à Millet et qui acheta une maison en face de la sienne à Barbizon, y eut sa résidence parisienne.
Il s'agit de Charles Tillot (1825-1895), connu pour ses fleurs et ses paysages.
Il ne faut pas oublier, encore au 42, la Comédie de Paris, classée aux Monuments Historiques et due en 1929, alors qu'elle s'appelait "Les Menus Plaisir" à l'architecte Georges Henri Pingusson (1894-1978).
On doit à cet architecte quelques réalisations célèbres comme l'hôtel Latitude 43 de Saint Tropez, l'église ronde de Boust ou le Mémorial de la déportation de l'île de la Cité.
J'ai pour ma part du mal à considérer comme un chef d'œuvre l'encombrant hôtel de Saint-Tropez peu respectueux du paysage et annonciateur du bétonnage de la Côte d'Azur.
Oublions cette barrière de béton et pensons plutôt à Damia qui chanta dans le théâtre construit par Pingusson!
Le 43 est un bel immeuble de 1850 qui porte sur sa façade le nom de son architecte.... Gounot.
Au 45 a vécu un des grfands écrivains du XIXème siècle : Villiers de l'Isle Adam.
Le petit immeuble donne une idée du dénuement qui était le sien.
Lorsqu'il sera atteint d'un cancer et devra être soigné, Mallarmé ouvrira une souscription pour lui venir en aide.
Une plaque aujourd'hui disparue et dont il ne reste que la trace grise portait ces mots : "Villiers de l'Isle Adam (1838-1869) littérateur français, habita cette maison en 1862 jusqu'à sa mort en 1869."
L'inscription enlevait 20 ans de vie à l'illustre auteur des "Contes Cruels" qui mourut en 1889.
Villiers, ami de Huysmans, aurait sans doute aimé rencontrer un autre occupant du 45 : le Mage Belline.
Marcel Belline, surnommé "le Prince des Voyants" est considéré comme un des plus grands médiums du XXème siècle.
D'abord spécialiste de la lecture des lignes de la main, il devint ensuite féru d'astrologie, de numérologie et de tarologie.
Il aurait prédit bien des événements : mort d'Einstein, d'Eisenhower, suicide de Marilyn, barricades de 68....
Un tarot divinatoire ancien est connu comme "oracle Belline".
Au 46, le peintre espagnol, ami de Picasso, Diamantino Reira (1912-1961) vécut dès son arrivée à Paris en1950.
Après une période cubiste, il évolua vers une palette plus chaude et une pâte travaillée au couteau.
Et maintenant nous arrivons place Blanche. C'est là que s'éleva une des barricades les plus héroïques de la Commune, la barricade des femmes.
La rue Fontaine s'arrête sur cette barricade rouge de sang dont la couleur a rejailli sur le moulin de l'autre côté du boulevard....