Commençons cette deuxième partie de la rue Victor Massé par le 18 qui donne en partie sur la Cité Malesherbes.
Il est mentionné par le site ô combien riche et précis "Paris Révolutionnaire" pour avoir abrité l'atelier de Pierre Bonnard.
J'ai cherché trace de cet atelier et je n'ai rien trouvé. Les spécialistes de Bonnard ne mentionnent pas cette adresse même s'il est vrai que le peintre a aimé ce quartier, a vécu rue de Douai, rue Lepic, et a eu son dernier atelier rue Tourlaque. Je ne cautionne donc pas l'information de Paris-Révolutionnaire!
Pas plus que l'adresse de Géricault au 21 alors que c'est au 49 rue des Martyrs que le peintre vécut jusqu'à sa mort.
Au 20 s'ouvre la Cité Malesherbes, si diverse et si riche en histoires que nous lui consacrerons un article sinon deux!
Avant Solferino et la Bérézina de 2017, le Parti Socialiste y eut son siège, succédant à la SFIO qui s'y installa en 1936...
Une extraordinaire maison décorée de panneaux émaillés en lave de Volvic y a abrité la demeure et l'atelier de Jolivet.
Le 23 est le premier de trois immeubles remarquables et classés. Ils ont été construits par Davrange et Durupt entre 1847 et 1850 et sont typiques du style Louis-Philippe néo Renaissance. Leur fantaisie, la richesse de leur décor donnent à leur trio quelque chose de vénitien!
Au 23 se trouvait l'atelier de Thomas Couture qui reçut des élèves illustres comme Puvis de Chavannes et surtout Manet qui fréquenta l'endroit pendant plus de six ans!
Théo Van Gogh avait bon goût puisque c'est au 25, dans ce bel immeuble qu'il habitait quand il y reçut Vincent au début de son deuxième séjour à Paris en mars 1886. Un peu plus tard, il déménagera pour la rue Lepic où vivra Vincent de 1886 à 1888.
Berthe Weill ouvrit au rez de chaussée une galerie d'art où elle exposa Derain, Vlaminck Matisse...
Elle est la première femme galeriste à Paris et c'est elle qui fait connaître les Fauves. C'est encore elle qui consacre à Modigliani la seule exposition qu'a connue ce peintre avant 1907 !
Elle est la première à avoir pressenti le génie de Picasso et c'est elle qui organisa l'exposition de Diego Rivera à Paris.
Mais elle ne pensait pas à ses propres intérêts et elle vécut et mourut dans la pauvreté alors que les toiles qu'elle a vendues s'arrachent aujourd'hui à des sommes vertigineuses.
Face au 27, côté pair, la rue Victor Massé cède la place à une....place... baptisée en 2013 Gabriel Kaspereit.
Cet homme politique exerça de hautes fonctions (secrétaire d'Etat, député....) pendant les grandes années où Paris subit quelques unes des destructions irréparables de son patrimoine architectural.
S'ouvre sur cette place la très secrète et très prestigieuse Villa Frochot où nous entrerons bientôt sur la pointe des pieds pour en découvrir les trésors.
A l'entrée, protégée par les grilles, subsiste la petite maison villageoise où vécut de 1937 à 1969 Jean Renoir, le cinéaste qui après avoir passé son enfance sur la Butte, ne put jamais s'en éloigner vraiment malgré ses séjours en Amérique.
On ne peut manquer d'admirer une des plus belles œuvres art Déco de Paris, l'immense vitrail japonisant de l'ancien cabaret "le Shangai".
Il s'inspire d'Hokusai et change de teintes avec la nuit quand s'allument les lumières du cercle de jeux, du bleu du jour à l'or des nuits.
Cette placette est un des endroits de Paris où l'on sent le mieux l'esprit artiste de Montmartre. On ne peut s'empêcher de regretter les cabarets et les music halls, riches de leur décor et détruits sans état d'âme....
Traversons le carrefour avec les rues Frochot et Monnier....
Nous arrivons devant le 29 dont l'ancienne entrée a été détruite depuis qu'un restaurant au nom bien français "le wine & dine" s'est installé sur tout le rez de chaussée.
Une plaque apposée sur la façade rafraîchit ma mémoire. Enfin! Soyons honnête, elle m'apprend ce que j'ignorais! Un jeune poète portugais a vécu et est mort à 26 ans dans cet immeuble.
Sa courte biographie nous apprend qu'il était proche des symbolistes et que, venu à Paris, il connut une brève aventure amoureuse (la première paraît-il) qui le laissa désemparé et dolent. Il écrivit depuis cet hôtel une lettre à Fernando Pessoa où il annonçait son désir de se suicider.
Un mois plus tard, il se donna la mort, 29 rue Victor Massé.
Sa vie de météore m'a donné envie de le lire. Par chance son œuvre est en partie traduite.
"Tout a eu son commencement... et tout a raté...
-Oh! la douleur d'être presque, cette douleur sans fin...
Je me suis fourvoyé parmi les autres, fourvoyé en moi,
Aile déployée qui n'a pas su voler."
Toujours au 29, pas de plaque pour rappeler que le jeune Maurice Ravel y vécut de 1880 à 1886, du temps où l'immeuble bourgeois n'était pas encore un hôtel.
Six années de jeunesse (de 5 à 11 ans) avec ses parents et son frère Edouard, ce n'est pas rien et ça mériterait bien une petite plaque dont Paris est pourtant si friand!
Au 32 bis, l'hôtel a traversé les décennies et a gardé son nom, chef d'œuvre d'inventivité et d'audace : hôtel Victor Massé!
Au-delà, ce qu'il reste de la rue n'est que fantômes.
Victime de la politique systématique d'élargissement des rues parisiennes, notre rue s'est vue massacrer sans pitié.
Tout d'abord, ce sont les numéros impairs qui furent abattus. Du point de vue architectural, ce fut un moindre mal. Vers 1910, les architectes étaient encore exigeants. La dernière partie de la rue est donc constituée d'immeubles de belle facture mais inconscients d'avoir saccagé des lieux qui faisaient partie de l'histoire montmartroise.
Au 37 s'élevait un petit hôtel particulier sur trois étages, demeure de Degas dont l'atelier était aménagé dans les combles.
On retrouve souvent Degas dans ce quartier qui était le sien depuis sa naissance. En 1890, il se consacre surtout à la sculpture quand il habite rue Victor Massé. C'est alors qu'il rencontre Suzanne Valadon et se lie d'amitié avec elle.
Tout a disparu de sa maison.
Côté pair, le saccage est plus évident tant est laide la lourde construction qui a écrasé l'espace. Cette architecture inepte a dévoré le Bal Tabarin, au 35. C'était un des hauts lieux du Montmartre des plaisirs et des fêtes.
C'est sur les flonflons disparus et les danses effrénées des fantômes que nous quittons la rue Victor Massé, une de ces rues qui ont plus de souvenirs que si elles avaient mille ans!